« On dirait que j’ai touché un point sensible » : tel a été le commentaire de Francesca Albanese aux sanctions annoncées par Marco Rubio pour la punir d’avoir « déclaré la guerre » aux entreprises usaméricaines accusées par son dernier rapport de complicité active dans le génocide en cours en Palestine. Ces sanctions qu’elle a qualifiées d’obscènes, mais aussi d’aveu de culpabilité, sont tout simplement illégales et suscitent une vague de protestations, à commencer par celles de responsables passés et présents de l’ONU. Ci-dessous quelques-unes des réactions, traduites par Fausto Giudice, Tlaxcala
Les sanctions imposées par Trump à la rapporteure spéciale des Nations unies Francesca Albanese sont illégales et constituent une nouvelle complicité des USA dans le génocide
Les sanctions prises par l'administration Trump à l'encontre de la rapporteure spéciale des Nations unies Francesca Albanese montrent jusqu'où USA sont prêts à aller pour garantir l'impunité d'Israël alors qu'il commet un génocide.
Craig Mokhiber, Mondoweiss, 10/7/2025
Craig Gerard Mokhiber (* 1960) est un ancien fonctionnaire usaméricain des Nations Unies spécialisé dans les droits humains. Le 28 octobre 2023, il a démissionné de son poste de directeur du bureau new-yorkais du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH), quatre jours avant la date prévue de son départ à la retraite. Dans sa dernière lettre au Haut-Commissaire Volker Türk, il a sévèrement critiqué la réponse de l'organisation à la guerre à Gaza, qualifiant l'intervention militaire d'Israël de « cas d’école de génocide » et accusant l'ONU de ne pas avoir agi.
Tout juste sorti des réunions
face-à-face à Washington, avec le fugitif Benjamin Netanyahou, inculpé par la
CPI pour crimes contre l'humanité, le secrétaire d'État usaméricain Marco Rubio
a pris la décision extraordinaire de déclarer des sanctions
contre la Rapporteure spéciale des Nations Unies sur les droits de l'homme dans
le territoire palestinien occupé, Francesca Albanese.
L'annonce a été accompagnée d'une
vague de fausses informations et de déclarations diffamatoires
de Rubio attaquant Albanese, démontrant une fois de plus jusqu'où
l'administration Trump (et les mandataires d'Israël qui y ont toute latitude)
est prête à aller pour soutenir l'impunité du régime israélien.
L'action illégale de Rubio a été
condamnée et rejetée par des organisations internationales, experts
et défenseurs des
droits humains à travers le monde comme un scandale moral.
En effet, en dehors de Washington
(et des groupes de pression pro-israéliens qui y exercent une influence
dangereuse), les calomnies de Rubio et son imposition illégale de sanctions ne
feront que susciter la condamnation de Rubio et de l'administration Trump. La
rapporteure spéciale Francesca Albanese est une experte et défenseure des
droits humains très respectée, connue dans le monde entier pour avoir consacré
sa vie à lutter contre toutes les formes de sectarisme et d'oppression et à
promouvoir la cause des droits humains universels.
Elle a été largement saluée pour
avoir mené à bien son mandat des Nations Unies avec honneur et avec le plus
haut degré de compétence et d'intégrité, en particulier pendant les vingt mois
de génocide perpétré par le régime israélien en Palestine.
Mais cette action du gouvernement
usaméricain n'est pas seulement un scandale moral. Elle est également
totalement illégale.
La décision de sanctions et les
déclarations qui l'accompagnent constituent une violation directe de la Charte
des Nations Unies, de la Convention sur les privilèges et immunités des Nations
Unies et de l'Accord relatif au siège des Nations Unies (Accord avec le pays
hôte).
Ils constituent une obstruction
délibérée à la mission des Nations Unies en matière de droits humains. Et étant
donné que cette mesure vise à soustraire Israël et d'autres auteurs (y compris
les entreprises citées dans le dernier rapport de la Rapporteure spéciale) à
toute responsabilité pour crimes de guerre, crimes contre l'humanité et
génocide, elle constitue également une violation des obligations qui incombent
aux USA en vertu de la Convention des Nations Unies sur le génocide (en vertu
de laquelle Israël est actuellement jugé devant la Cour internationale de
justice), et en vertu de l’Article commun 1
des Conventions de Genève de 1949 (obligeant les USA à veiller à ce qu'Israël
et les autres parties respectent les Conventions).
En outre, comme cet acte du
gouvernement des USA a été explicitement lié par le secrétaire d'État à ses
sanctions (également illégales) contre la Cour pénale internationale, il
constitue également une atteinte à l'administration de la justice telle que
codifiée à l'article 70, paragraphe 1, point c), du Statut de Rome,
pour lequel la compétence territoriale peut être établie par le lieu où siège
la Cour (les Pays-Bas, État partie au Statut de Rome), et par lesquels la
Rapporteure spéciale Albanese peut prétendre à des réparations en tant que
victime d'un comportement illicite.
En outre, la rapporteure spéciale
Albanese pourrait avoir droit à une indemnisation pour préjudice civil (délit
civil) pour préjudice économique et atteinte à la réputation, compte tenu du
caractère diffamatoire des déclarations du secrétaire Rubio et de leur
fondement manifeste dans une « intention malveillante » et un « mépris flagrant
de la vérité », reconnus par les tribunaux usaméricains comme exceptions à
l'immunité souveraine.
Bien sûr, comme l'ont démontré
ces dernières années, les USA se soucient peu de la légalité internationale
(voire nationale). Mais la pression et l'action extérieures sont inévitables.
En dehors des USA, des démarches sont
en cours pour exiger que les USA lèvent les sanctions et indemnisent la
Rapporteure spéciale Albanese pour tous les préjudices économiques,
réputationnels ou émotionnels causés à elle-même ou à sa famille, et
indemnisent les Nations Unies pour tout préjudice causé à son mandat essentiel.
Les Nations Unies et tous les
États membres de l'ONU ainsi que les organisations régionales (telles que l'UE)
peuvent et
doivent rejeter publiquement les sanctions, utiliser tous les mécanismes à leur
disposition (qui sont nombreux – juridiques, financiers, politiques et
diplomatiques) pour protéger la Rapporteure spéciale de leurs effets, prendre
clairement sa défense et utiliser les voies diplomatiques pour faire pression
sur les USA afin qu'ils lèvent les sanctions et indemnisent la Rapporteure
spéciale.
Si l'on en croit les nombreuses
déclarations déjà faites par des membres influents de la communauté
internationale, le gouvernement usaméricain, qui agit en toute impunité,
pourrait bientôt se rendre compte qu'en s'en prenant ainsi à Francesca
Albanese, il est allé trop loin dans sa campagne visant à garantir l'impunité
d'Israël.
Et indépendamment des dommages à
court terme causés par cet acte honteux de l'administration Trump, nous pouvons
être certains que les USA ne parviendront pas à atteindre leurs objectifs
ultimes, qui sont de réduire au silence Albanese et l'ensemble de l'ONU,
d'intimider d'autres défenseurs des droits humains et de garantir l'impunité du
régime israélien pour ses crimes de guerre, ses crimes contre l'humanité, son
apartheid et son génocide. Au contraire, ces actes flagrants de non-respect des
lois et de complicité dans le génocide ne feront qu'attiser la flamme de la
résistance contre ces crimes historiques et contre leurs coauteurs à Washington
et à Tel-Aviv.
Le mouvement mondial de
solidarité avec la Palestine prend de l'ampleur. Et, comme le montre clairement
le dernier acte éhonté de Rubio, ce mouvement soutient sans réserve Francesca
Albanese. Tout comme moi.
L’ONU appelle à l’annulation des
sanctions usaméricaines contre la rapporteure spéciale Francesca Albanese
UN News, 10/7/2025
De hauts responsables des droits humains
de l’ONU ont exprimé leur vive inquiétude face à l’imposition de sanctions par
les USA contre Francesca Albanese, experte indépendante nommée par l’ONU sur le
territoire palestinien occupé.
Ils demandent que cette décision
soit annulée, avertissant qu’elle pourrait porter atteinte au système
international des droits humains dans son ensemble.
Les sanctions ont été annoncées
mercredi par le secrétaire d’État usaméricain Marco Rubio dans le cadre d’un
décret présidentiel.
M. Rubio a allégué que Mme
Albanese avait « directement collaboré avec la Cour pénale internationale (CPI)
dans le cadre d’efforts visant à enquêter, arrêter, détenir ou poursuivre des
ressortissants des États-Unis ou d’Israël, sans le consentement de ces deux
pays », ce qu’il a qualifié de « violation flagrante » de la souveraineté
nationale.
Les USA et Israël ne sont pas
parties au Statut de Rome, le traité international qui a établi la CPI.
Un précédent dangereux et
inacceptable
Réagissant à cette annonce, le
porte-parole de l’ONU, Stéphane Dujarric, a déclaré que l’imposition de
sanctions aux rapporteurs spéciaux constituait un « précédent dangereux ».
« L’utilisation de sanctions
unilatérales contre les rapporteurs spéciaux ou tout autre expert ou
fonctionnaire de l’ONU est inacceptable », a-t-il déclaré aux journalistes
jeudi lors de son point de presse habituel à New York.
Il a également souligné le mandat
et le rôle indépendants des rapporteurs spéciaux, notant que les États membres
« ont parfaitement le droit d’avoir leur point de vue et de ne pas être d’accord
» avec les rapports des experts.
« Mais nous les encourageons à s’engager
dans l’architecture des droits humains de l’ONU », a-t-il ajouté.
Appel à l’annulation
Dans une déclaration publiée
jeudi, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Volker
Türk, a appelé à « l’annulation rapide » des sanctions contre la Rapporteure
spéciale nommée par le Conseil des droits de l’homme « en réponse au travail qu’elle
a entrepris dans le cadre du mandat » dont elle est chargée.
« Même face à de profonds
désaccords, les États membres de l’ONU devraient s’engager de manière
substantielle et constructive, plutôt que de recourir à des mesures punitives
», a-t-il déclaré.
Le chef des droits de l’homme de
l’ONU a également appelé à la fin des attaques et des menaces contre les
titulaires de mandat nommés par le Conseil, ainsi que contre des institutions
clés comme la CPI.
« La solution n’est pas moins,
mais plus de débat et de dialogue sur les préoccupations très réelles en
matière de droits humains auxquelles ils s’attaquent », a insisté M. Türk.
Coopération, pas représailles
Jürg Lauber, président du Conseil
des droits de l’homme de l’ONU, a également exprimé ses regrets face à la
mesure punitive des USA.
Dans une déclaration , il a
souligné que les rapporteurs spéciaux « sont un instrument essentiel » pour
remplir le mandat du Conseil et a exhorté toutes les nations à « coopérer
pleinement » avec eux.
« J’appelle tous les États
membres de l’ONU… à s’abstenir de tout acte d’intimidation ou de représailles à
leur encontre », a-t-il déclaré.
Rapporteurs spéciaux indépendants
Les rapporteurs spéciaux sont
nommés dans le cadre de ce que l’on appelle les procédures spéciales du Conseil
des droits de l’homme.
Il s’agit d’experts indépendants
nommés pour surveiller et rendre compte des questions relatives aux droits humains
dans le monde. Ces experts siègent à titre personnel, ne font pas partie du
personnel de l’ONU et ne perçoivent aucune rémunération pour leur travail.
Ils rendent régulièrement compte
au Conseil basé à Genève ainsi qu’à l’Assemblée générale des Nations Unies à
New York.
Outre le mandat sur le territoire
palestinien occupé, des mandats existent pour surveiller la situation des
droits humains dans des pays comme l’Iran, la République populaire démocratique
de Corée et l’Afghanistan. Au total, il existe 46 mandats thématiques et 14
mandats par pays .