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05/11/2022

ANNAMARIA RIVERA
Italie : le racisme d’en haut ne date pas d’hier
La “gauche” a bien préparé le terrain à la camerata* Melino, pardon, Meloni

 Annamaria Rivera, Comune-Info, 1/11/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Dès sa prise de fonction, la nouvelle Première ministre italienne a ouvertement montré à quel point l'inspiration et les actions du gouvernement le plus à droite de l'histoire de la République italienne seront fascistoïdes.

C’est une tautologie de relever que l'une des cibles du nouveau gouvernement seront les personnes immigré·es et réfugié·es, même les plus “respectables” : il suffit de dire que lors des réponses à la Chambre des députés pour le vote de confiance à son gouvernement, Giorgia Meloni a tutoyé le seul député “de couleur” (comme elle dirait), à savoir Aboubakar Soumahoro, de la Gauche italienne et des Verts, en plus de s’être trompée sur son nom [« Souhomoro…Soumahoro, excuse-moi… »].

La gauche, en particulier la gauche “modérée”, porte une responsabilité considérable dans l'impensable victoire de l'extrême droite, pour de nombreuses raisons et non des moindres, celle d'avoir négligé, minimisé, banalisé l'importance décisive de la lutte contre le racisme et pour l'intégration et les droits des personnes immigrées et réfugiées. Et cela même de la part de certain·es chercheurs·se et intellectuel·les de gauche, qui critiquent souvent les politiques d'immigration et d'asile les plus infâmes, mais au nom de la raison utilitaire et selon une vision instrumentale : l'accueil des personnes immigrées et réfugiées servirait à contrecarrer le déclin démographique, et donc le déclin de l'Italie, et à sauver des secteurs fondamentaux de notre économie qui dépendent du travail, souvent servile, de la main-d'œuvre immigrée.


Ces arguments - qui, à première vue, semblent réalistes et convaincants face à ceux qui craignent l’“invasion” - risquent en réalité, même si c’est involontaire, de confirmer le statu quo de l'exploitation extrême et d'évoquer le stéréotype des femmes immigrées et réfugiées comme “incubatrices de la patrie” des autres. C'est également la raison pour laquelle l'émergence d'un mouvement indépendant et autoorganisé de militant·es immigr·ées et réfugié·es doit être encouragée par tous les moyens possibles.

Déjà dans mon essai de 2009 (Regole e roghi. Metamorfosi del razzismo, Dedalo, p. 216 p), j’avais, avec une certaine ironie, défini racisme démocratique ou respectable ce racisme sournois et hypocrite qui surgit des entrailles de la zone autrefois connue comme étant de gauche. Et ce également pour le distinguer du racisme institutionnel et du racisme “spontané”, déclaré et décomplexé.

Il est absolument évident que, surtout avec le gouvernement Conte I, dit “facho-étoilé”, la dialectique perverse entre le racisme institutionnel et le racisme “populaire”, sur laquelle j'écris depuis de nombreuses années, a atteint son apogée. Et ce, non seulement en raison d'une production législative elle-même ouvertement sécuritaire et discriminatoire, qui ne fait que titiller, légitimer et alimenter le sens commun d’intolérance et les sentiments diffus d'hostilité généralisés envers les autres. Mais aussi grâce à l'utilisation d'une stratégie de propagande bien pensée et bien payée, qui est désormais devenue, comme dans les régimes totalitaires, un instrument de gouvernement et, en même temps, de manipulation des masses : les deux dimensions deviennent de plus en plus interchangeables, voire coïncident, allant de pair avec la violation constante du principe démocratique de la séparation des pouvoirs.


 C'est aussi en raison de cette dialectique que les actes de racisme “spontané”, si l'on peut dire, se multiplient selon le mécanisme bien connu par lequel la frustration, le ressentiment et la rancœur (qui sont souvent un effet des conditions sociales vécues) sont dirigés vers le bouc émissaire du moment, généralement le plus méprisé, le plus vulnérable et le plus altérisé. Cela a favorisé le développement du racisme, même dans les régions traditionnellement “rouges”.

Néanmoins, la pente suivie, dangereuse pour la survie de la démocratie elle-même, est aussi le résultat - qui aujourd'hui sera sûrement poussé à l'extrême par le gouvernement Meloni - du travail des gouvernements passés, pas seulement du plus récent et pas seulement de centre-droit. Je rappelle que c'est sous le premier gouvernement Prodi qu'a eu lieu, le 28 mars 1997, le massacre d'une centaine de réfugiés albanais de Katër i Radës, pour la plupart des femmes et des enfants, tou·tes fuyant la guerre civile. Comme on le sait, le petit patrouilleur, débordant de réfugié·es, a été éperonné dans le canal d'Otrante par la corvette Sibilla de la Marine, qui, sur ordre d’en haut, devait les empêcher de débarquer. Le gouvernement, en effet, avec le rôle décisif de Giorgio Napolitano, avait décrété, en accord avec l'Albanie, un blocus naval consistant en une barrière de navires de guerre, sévèrement critiqué par le HCR comme illégal.


C'est sous le même gouvernement Prodi qu'a été approuvée la loi dite Turco-Napolitano, n° 40 du 6 mars 1998, qui, entre autres, a institué pour la première fois, avec les Centres de séjour temporaire et d'assistance, la détention administrative [dite “rétention”] en tant qu’instrument ordinaire, non validé par l'autorité judiciaire. Ce type de détention est réservé aux immigrées “irrégulières” soumises à des mesures d'expulsion ou de rapatriement forcé. Dès leur inauguration, les CPTA (généralement appelés CPT et aujourd'hui CIE) ont causé jusqu'à huit décès, ce qui en dit long sur l’assistance dont bénéficiaient les personnes “retenues”.

En effet, la tendance prévaut, dans la conscience collective comme chez de nombreux locuteurs médiatiques (même ceux qui se considèrent comme antiracistes), à évacuer les antécédents, le développement, le caractère cyclique et, en tout cas, la longue durée du néo-racisme à l'italienne.


Ce n'est certainement pas la première fois que le racisme verbal le plus grossièrement biologisant s'exprime dans notre pays. Pour ne pas remonter trop loin dans le temps, on peut citer l'année 2013, qui a vu un retour déconcertant de la “race”, évoquée par des topoï semblables à ceux que l'on pouvait trouver dans les publications populaires au service de la propagande fasciste : en premier lieu, le motif récurrent assimilant les “nègres” à des singes, avec le corollaire typique des bananes.

Au cours de cette année, les moqueries et les insultes se sont intensifiées, visant les footballeurs d'origine subsaharienne ou étrangère, ou “seulement” méridionaux, mais surtout la ministre de l'Intégration de l'époque, Cécile Kyenge, objet d'attaques racistes incessantes. L'une des plus graves, également en raison de la position institutionnelle occupée par l'orateur, a été celle prononcée par Roberto Calderoli qui, en tant que vice-président du Sénat, a osé comparer la ministre à un orang-outan.


Vingt ans après la loi Turco-Napolitano, c'est de même un gouvernement dit de centre-gauche qui a voté les deux lois d'avril 2017, toutes deux unies par une idéologie sécuritaire et répressive : la loi 46, dite Minniti-Orlando (« Dispositions urgentes pour l'accélération des procédures en matière de protection internationale, ainsi que pour la lutte contre l'immigration illégale ») et la loi 48, dite Minniti (« Dispositions urgentes sur la sécurité dans les villes »). Ce sont ces deux mesures législatives qui ont constitué le modèle de la loi n° 132, du 1er décembre 2018, qui, fermement souhaitée par Salvini, chevauche, et ce n'est pas un hasard, les questions de sécurité et d'immigration, exaspérant le caractère répressif-raciste-sécuritaire, au point d'être clairement inconstitutionnelle, de l'avis de pas mal de juristes.

Et c'est sous le même gouvernement Gentiloni que, principalement sur ordre du ministre de l'Intérieur, des accords ont été conclus avec des bandes criminelles libyennes et que “Désert rouge” a été inauguré, une opération militaire au Niger visant à bloquer l'afflux de réfugiés du sud vers les côtes libyennes. Au cours de cette même législature, le processus de délégitimation des ONG s'est intensifié, également de la part du gouvernement : le Code de conduite adopté par Minniti, avec ses contre-mesures et ses sanctions, les a en effet empêchées d'effectuer des opérations de recherche et de sauvetage, transférées formellement aux tristement célèbres garde-côtes libyens.

Quant aux agressions racistes, allant jusqu'au meurtre et au massacre, contre des personnes immigré·es, réfugié·es et/ou altérisé·es, elles ponctuent inexorablement au moins les quarante dernières années de l'histoire italienne. C'est dans la nuit du 21 au 22 mai 1979 à Rome qu'Ahmed Ali Giama, un citoyen somalien de 35 ans - ancien étudiant en droit à l'université de Kiev, puis réfugié politique ayant fui la féroce dictature de Mohammed Siad Barre - a été brûlé vif par quatre jeunes Italiens alors qu'il dormait sous le portique de Via della Pace, près de Piazza Navona. Malgré les témoignages détaillés de sept personnes, qui sont sorties d'un restaurant voisin, les quatre accusés furent acquittés par la Cour de cassation.


Pour citer un autre cas glaçant, le 9 juillet 1985, à Udine, Giacomo Valent, seize ans, a été tué de soixante-trois coups de couteau par deux de ses amis de lycée, âgés de quatorze et seize ans, qui étaient ouvertement néonazis. Fils d'un fonctionnaire d'ambassade et d'une princesse somalienne, Giacomo était constamment traité de “sale nègre” en raison de ses cheveux frisés et de sa couleur de peau ambrée, mais aussi de ses opinions de gauche. Cette affaire et d'autres montrent que la discrimination et le racisme (pouvant aller jusqu'au meurtre) n'épargnent même pas les personnes parfaitement intégrées.

Le meurtre de Jerry Masslo, un réfugié politique sud-africain contraint de travailler dans des conditions proches de l'esclavage pour récolter des tomates dans la campagne de Villa Literno afin de survivre, est plus connu. Ce meurtre, perpétré le 20 septembre 1989 par une bande de jeunes braqueurs, racistes de surcroît, a été suivi de la première grève des migrants contre le caporalato [système des caporali, recruteurs mafieux de main d’œuvre faisant office de contremaîtres et garde-chiourme, NdT] et d'une manifestation nationale qui a rassemblé au moins deux cent mille personnes, inaugurant le mouvement antiraciste italien.

Aujourd'hui encore, on continue à parler paresseusement de “guerre entre les pauvres”, alors que la dialectique perverse entre racisme institutionnel et racisme “populaire”, souvent impulsé par des formations néo-fascistes et/ou la Ligue du Nord, semble avoir atteint son paroxysme. 

Sans parler de la tendance à ramener un phénomène complexe comme le racisme à la "haine" ou à la "peur" et de la réitération de slogans impolitiques et moralisateurs comme l'obsessionnel "Restons humains" : aussi anthropocentrique qu'impolitique, comme je l'ai écrit à plusieurs reprises.

Il faut espérer que la gauche comprendra le caractère absolument central de la lutte contre le racisme et pour les droits des personnes migrantes et réfugiées, en pratiquant un antiracisme solidaire et radical, et en s'opposant ainsi de manière décisive au gouvernement le plus à droite de l'histoire de la République.

NdT

*Camerata : terme correspondant à l’allemand Kamerad, équivalent fasciste et nazi du terme français Camarade (ital. Compagno, all. Genosse), utilisé, lui, uniquement dans les milieux de gauche, à l’exception du PPF, le parti fasciste fondé par l’ancien communiste Jacques Doriot en 1936.

Images : affiches de la campagne contre les clichés racistes de la Fondation contre le racisme et l’antisémitisme (GRA) lancée en 2003 en Suisse, qui se voulait « délibérément choquante et déstabilisante » et « entendait faire réagir le public ». Elle suscita des controverses, ce qui était le but recherché.

 

01/12/2021

IAN URBINA
Las cárceles secretas libias que mantienen a los migrantes fuera de Europa

 Ian Urbina, The Outlaw Ocean Project y The New Yorker Magazine, 28/11/2021
Traducido del inglés por
Sinfo Fernández, Tlaxcala

La UE, cansada de los inmigrantes que llegan de África, ha creado un sistema de inmigración en la sombra que los captura antes de que lleguen a sus costas y los envía a brutales centros de detención libios dirigidos por milicias.

Una colección de almacenes improvisados a lo largo de la carretera en Ghout al-Shaal se ubica en un barrio deteriorado de talleres de reparación de automóviles y depósitos de chatarra en Trípoli, la capital de Libia. El lugar, que antes era un depósito de cemento, se reabrió en enero de 2021, con sus muros exteriores reforzados y cubiertos de alambre de espino. Hombres con uniformes de camuflaje azul y negro, armados con rifles Kalashnikov, montan guardia alrededor de un contenedor azul que pasa por ser una oficina. En la puerta, un letrero dice “Dirección de Lucha contra la Migración Ilegal”. La instalación es una prisión secreta para inmigrantes. Su nombre, en árabe, es Al Mabani (Los Edificios).

A las 3 de la madrugada del 5 de febrero de 2021, Aliou Candé, un emigrante tímido y fornido de veintiocho años procedente de Guinea-Bissau, llegó a la prisión. Había abandonado su hogar año y medio antes, porque la granja de su familia era un desastre y se había propuesto reunirse con dos hermanos en Europa. Pero, cuando intentó cruzar el mar Mediterráneo en un bote de goma, con más de un centenar de migrantes, los guardacostas libios los interceptaron y los llevaron a Al Mabani. Allí los arrojaron en el interior de la celda número 4, donde estaban retenidos unos doscientos presos más. Apenas había lugar para sentarse en medio de la aglomeración de cuerpos, y los que estaban en el suelo se deslizaban por él para evitar que les pisotearan. Por encima había luces fluorescentes que permanecían encendidas toda la noche. Una pequeña rejilla en la puerta, de unos treinta centímetros de ancho, era la única fuente de luz natural. Los pájaros anidaban en las vigas, y sus plumas y excrementos caían desde arriba. En las paredes, los emigrantes habían garabateado notas de determinación: “Un soldado nunca retrocede” y “Con los ojos cerrados, avanzamos”. Candé se hacinó en un rincón lejano y empezó a sentir pánico. “¿Qué tenemos que hacer?”, preguntó a un compañero de celda.

Nadie en el mundo más allá de los muros de Al Mabani sabía que Candé había sido capturado. No se le acusó de ningún delito ni se le permitió hablar con un abogado, y no se le dio indicación alguna de cuánto tiempo estaría detenido. En sus primeros días allí, se mantuvo casi aislado, sometiéndose a las sombrías rutinas del lugar. La prisión está controlada por una milicia que se autodenomina eufemísticamente Agencia de Seguridad Pública, y sus hombres armados patrullan los pasillos. Unos mil quinientos inmigrantes están allí recluidos, en ocho celdas, segregadas por sexos. Solo había un retrete para cada cien personas, y Candé a menudo tenía que orinar en una botella de agua o defecar en la ducha. Los migrantes dormían sobre delgadas colchonetas en el suelo; no había suficientes para todos, así que se turnaban: uno se acostaba durante el día, el otro por la noche. Los detenidos se peleaban por ver quién dormía en la ducha, que tenía mejor ventilación. Dos veces al día, los hacían salir en fila india al patio, donde se les prohibía mirar al cielo o hablar. Los guardias, como si fueran guardianes de un zoológico, ponían tazones comunes de comida en el suelo, y los migrantes se reunían en círculos para comer.

Los guardias golpeaban a los prisioneros que desobedecían las órdenes con cualquier cosa que tuvieran a mano: una pala, una manguera, un cable, una rama de árbol. “Golpeaban a cualquiera sin motivo alguno”, me dijo Tokam Martin Luther, un camerunés de más edad que dormía en una colchoneta junto a la de Candé. Los detenidos especulaban que, cuando alguien moría, el cuerpo era arrojado detrás de uno de los muros exteriores del recinto, cerca de una pila de escombros de ladrillo y yeso. Los guardias ofrecían a los inmigrantes su libertad a cambio de una cuota de 2.500 dinares libios, unos 500 dólares. Durante las comidas, los guardias se paseaban con teléfonos móviles para que los detenidos que pudieran llamaran a los familiares. Pero la familia de Candé no podía permitirse ese rescate. Luther me dijo: “Si no tienes a nadie a quien llamar, quédate sentado”.

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