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24/08/2023

4 enseignements à tirer des élections en Équateur et au Guatemala

Simon Romero (Mexico), Genevieve Glatsky (Bogotá) et Jody García (Ciudad de Guatemala), The New York Times, 21/8/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 Les outsiders ont surperformé, soulignant la volatilité de la politique latino-américaine. Les candidats appelant à s'inspirer de la répression de la criminalité au Salvador n’ont pas obtenu de bons résultats.

Au Guatemala, le progressiste Bernardo Arévalo, qui lutte contre la corruption, a remporté une victoire écrasante sur une ancienne première dame, portant un coup à l’establishment politique conservateur. Photo : Daniele Volpe pour le New York Times

L’Équateur et le Guatemala ont organisé dimanche 20 août des élections qui ont mis en lumière des tendances primordiales dans toute l’Amérique latine, notamment les campagnes de lutte contre la corruption, l’importance croissante des jeunes électeurs et les appels à s’inspirer de la répression de la criminalité au Salvador.

En Équateur, où l’assassinat ce mois-ci du candidat à la présidence Fernando Villavicencio a assombri la campagne, Luisa González, une femme de gauche bien établie, sera opposée à Daniel Noboa, le rejeton d’une famille bien nantie connue pour son empire bananier, lors d’un second tour.

Au Guatemala, le progressiste Bernardo Arévalo, qui lutte contre la corruption, a remporté une victoire écrasante sur l’ancienne première dame, Sandra Torres, portant un coup à l’establishment politique conservateur du pays.

Alors que l’érosion de l’État de droit et l’emprise croissante des gangs de trafiquants de drogue dans différentes régions d’Amérique latine suscitent de vives inquiétudes, les scrutins ont été suivis de près, à la recherche de signes annonciateurs du sens de leurs résultats.

En voici les principaux enseignements.

Le président du Salvador, Nayib Bukele, s’est attaqué à la violence des gangs en procédant à des arrestations massives qui ont frappé des milliers d’innocents.  Photo : Brittainy Newman pour le New York Times

La criminalité n’était pas la seule préoccupation des électeurs

L’Équateur et le Guatemala sont chacun confrontés à une série de défis différents et, bien qu’il soit difficile d’exagérer la difficulté de gouverner efficacement dans ces deux pays, les nouveaux dirigeants devront s’efforcer de contrôler le crime organisé et de créer des opportunités économiques pour que leurs citoyens restent chez eux au lieu d’émigrer.

La star du moment sur la scène politique latino-américaine est le président populiste conservateur du Salvador, Nayib Bukele, qui a réussi à utiliser des tactiques dures pour réprimer la violence des gangs, y compris des arrestations massives qui ont frappé des milliers d’innocents et l’érosion des libertés civiles. Mais les espoirs de voir les adeptes de l’évangile de Bukele sur la criminalité remporter la victoire se sont évanouis en Équateur et au Guatemala.

« Il est remarquable que, dans les deux cas, les admirateurs inconditionnels de la politique dure de Nayib Bukele à l’égard des gangs criminels au Salvador n’aient pas obtenu de bons résultats », dit Michael Shifter, chercheur principal au Dialogue interaméricain, un organisme de recherche basé à Washington.

 Malgré le choc provoqué par l’assassinat de Villavicencio, les candidats explicitement “anti-crime” en Équateur  se sont partagé les voix. Jan Topić, qui s’est aligné de près sur Bukele, a obtenu des résultats médiocres malgré sa montée dans les sondages après l’assassinat de Villavicencio.

« Il a mené une campagne très axée sur la sécurité », dit Risa Grais-Targow, directrice pour l’Amérique latine de l’Eurasia Group, à propos de Topić. « Mais les électeurs ont d’autres préoccupations, notamment en matière d’économie ».

De même, au Guatemala, où l’on craignait de plus en plus un glissement vers un régime autoritaire, la promesse de Mme Torres de mettre en place une politique à la Bukele n’a pas eu beaucoup de succès. Au contraire, l’ancienne première dame a été mise sur la défensive par son rival parce qu’elle avait été assignée à résidence dans le cadre d’accusations de financement illicite de campagnes électorales.

Les mesures prises par l’autorité électorale guatémaltèque pour disqualifier purement et simplement les candidats considérés comme menaçant l’ordre établi ont également influé sur le résultat.

L’un des candidats écartés de la course avant le premier tour de juin était Carlos Pineda, un outsider qui disait vouloir reproduire la répression de la criminalité menée par Bukele. La disqualification de Pineda et d’autres candidats a ouvert la voie à Arévalo, un autre outsider, même si ses propositions pour lutter contre la criminalité sont plus nuancées.

Les candidats guatémaltèques ont essayé de capitaliser sur le soutien des jeunes. Photo : Daniele Volpe pour le New York Times

Les jeunes électeurs façonnent les élections.

Dans une large mesure, les résultats électoraux en Équateur et au Guatemala ont dépendu des choix des jeunes électeurs. En Équateur, Noboa, 35 ans, homme d’affaires et nouveau venu en politique, était dans le creux de la vague il y a quelques semaines à peine.

Mais en s’appuyant sur le soutien des jeunes tout en se présentant comme un outsider, il s’est hissé de manière inattendue au second tour avec environ 24 % des voix. (Son père, Álvaro Noboa, l’un des hommes les plus riches d’Équateur, s’était présenté sans succès à cinq reprises aux élections présidentielles).

Au Guatemala, le pays le plus peuplé d’Amérique centrale, Bernardo Arévalo, 64 ans, a également bénéficié du soutien des jeunes, en particulier dans les villes, qui ont été attirés par ses appels à mettre fin à la persécution politique des militants des droits humains, des écologistes, des journalistes, des procureurs et des juges.

Arévalo a également adopté une position plus modérée sur les questions sociales. Tout en affirmant qu’il ne chercherait pas à légaliser l’avortement ou le mariage homosexuel, il a précisé que son gouvernement n’autoriserait pas la discrimination à l’encontre des personnes en raison de leur orientation sexuelle.

Cette position, quelque peu inédite au Guatemala, contraste fortement avec celle de Mme Torres, qui a choisi un pasteur évangélique comme colistier et qui a utilisé une insulte anti-gay lors de la campagne pour désigner les partisans d’Arévalo [“tous efféminés et une bande de huecos” équivalent guatémaltèque de “pédés”].

Luisa González affrontera Daniel Noboa au second tour le 15 octobre  en Équateur . Photo: Johanna Alarcón pour le New York Times

La gauche prend des directions diverses.

Le Guatemala et l’Équateur offrent des visions très contrastées de la gauche en Amérique latine.

En effet, dans le paysage politique traditionnellement conservateur du Guatemala, Arévalo, qui critique les gouvernements de gauche comme celui du Nicaragua, est souvent décrit comme un progressiste. En ce sens, il ressemble davantage à Gabriel Borić, le jeune président modéré du Chili, qu’aux exaltés d’autres pays de la région.

Le parti d’Arévalo, Movimiento Semilla (Mouvement Semence), qui s’est coalisé après les manifestations contre la corruption en 2015, ne ressemble à aucun autre parti au Guatemala au cours des dernières décennies. Semilla a attiré l’attention en menant une campagne austère et fondée sur des principes, en affichant clairement ses sources de financement, contrairement au financement opaque qui prévaut dans les autres partis. Une autre source d’inspiration pour Semilla est le Frente Amplio (Front large) de l’Uruguay, un parti modéré et démocratique de centre-gauche.

“Arévalo est un démocrate pur et dur”, dit Will Freeman, chargé d’études sur l’Amérique latine au Council on Foreign Relations (Conseil des relations extérieures).

Luisa González, en revanche, est issue d’une autre partie de la gauche latino-américaine, caractérisée dans le cas de l’Équateur par la mise à l’épreuve des freins et des contrepoids démocratiques, opine Mister Freeman. Elle soutient Rafael Correa, un ancien président équatorien qui reste une force dominante dans la politique du pays bien qu’il ait quitté le pouvoir depuis six ans.

Correa, qui vit en Belgique après avoir fui une condamnation à huit ans de prison pour violation des règles de financement des campagnes électorales, conserve une base solide qui oscille entre 20 et 30 % de l’électorat.

Ce soutien est en grande partie dû à la “nostalgie de ce moment de bien-être qui existait sous l’ère Correa”, dit Caroline Ávila, analyste politique en Équateur.

Arévalo a obtenu plus de voix que tout autre candidat au Guatemala depuis le rétablissement de la démocratie dans le pays en 1985. Photo: Daniele Volpe pour le New York Times

Des résultats imprévisibles

Les élections en Équateur et au Guatemala ont mis en évidence une tendance régionale plus large : l’incertitude et la volatilité de la politique en Amérique latine.

Dans les deux pays, les sondages n’ont pas permis de saisir les évolutions cruciales. En Équateur, où Topić semblait pouvoir tirer parti des retombées de l’assassinat de Villavicencio, c’est Noboa qui a réussi à se qualifier pour le second tour.

Au Guatemala, Arévalo, un candidat professeur qui lit parfois ses discours et n’a pas le talent oratoire de ses rivaux, était considéré comme non menaçant par l’establishment - jusqu’à ce qu’il se qualifie pour le second tour.

Aujourd’hui, avec sa victoire écrasante, il a obtenu plus de voix que n’importe quel autre candidat depuis le rétablissement de la démocratie au Guatemala en 1985.

C’est un scénario que même de nombreux membres de son parti n’avaient pas vu venir.

 

 

26/04/2023

Miguel Ávila Carrera
La gauche chilienne ou le syndrome du parvenu

Miguel Ávila Carrera, Con Nuestra América, avril 2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Miguel Ávila Carrera est sociologue/historien et professeur de collège à Huechuraba, un quartier populaire de Santiago du Chili.

La fin du cycle politique post-dictatorial chilien, dont la protagoniste a été la nouvelle génération d’étudiants en rupture avec le système binominal, nous permet d’observer l’émergence d’un syndrome dans la gauche chilienne, celui du parvenu*, qui permet d’expliquer son virage vers la social-démocratie et le progressisme** de gauche dans le Chili daujourd'hui.

Gabriel Boric, vu du Venezuela

Le parvenu, nous dit Hannah Arendt, est un escaladeur social qui nie la réalité donnée, c’est-à-dire qu’il se nie lui-même : sa culture et sa vision politique, pour s’inclure dans la vie sociale des classes nanties, utilisent de préférence les structures de l’État, tant dans le domaine de la gestion que dans celui de la santé et de la reproduction culturelle. Elles exigent du sujet de nouvelles formes relationnelles, un langage avec les catégories de sens du monde libéral, il cherche de nouveaux espaces géographiques où habiter, niant ainsi sa propre condition humaine.

Son rôle d’escaladeur social ne se limite pas à assumer une consommation et des modes de vie, l’habitus selon Bourdieu, mais a une fonction beaucoup plus complexe, en projetant une image du “bon” sujet socialement accepté, avec des modèles de socialisation et des façons de comprendre la politique qui défendent les intérêts des classes hégémoniques. Le mode de vie nouvellement acquis est lié à des réseaux de coopération interclasse, sa dépendance à l’égard de l’État, et donc de ces relations, construit un petit espace-monde, recouvert d’un vernis intellectuel prétendument critique à l’égard de la réalité vécue, et donc fonctionnel par rapport au système économique, politique et culturel dominant. Ses relations avec le pouvoir l’obligent à abandonner le lieu de la critique et à “habiter” ses postes fonctionnels de pouvoir, niant ainsi la nécessité de le transformer. Il promeut de nouveaux oripeaux de combat, éloignés des travailleur·ses, excluant les ouvrier·ères et les paysan·nes de leur rôle central de moteur révolutionnaire, laissant la place à de nouveaux acteurs (identitaires) et à leurs nouvelles revendications (particulières), défendant l’ordre et soutenant les bases structurelles du système. 

Le parvenu de gauche construit des mécanismes de mimétisme liés aux images symboliques classiques de la gauche, comme Salvador Allende ou le Che, tout en trafiquant avec des grands dirigeants de la classe dominante. Ainsi, la musique contestataire, la littérature de critique sociale ou la poésie, le monde de la culture en général, quel que soit le genre, permettent la projection d’une image de continuité, historique et culturelle, qui a permis d’accoucher d’une “gauche” sociale-démocrate, d’une “gauche progressiste”, d’une gauche qui a besoin d’un adjectif.

Au cours de la première année du gouvernement du Frente Amplio, la conviction de la “gauche” progressiste et sociale-démocrate chilienne est devenue évidente. Des questions telles que la visite de l’ancienne ministre de l’Intérieur à une communauté mapuche en conflit sans la coordination nécessaire, le discours de “supériorité morale” véhiculé par les fonctionnaires du gouvernement, l’attitude violente du ministre de l’Éducation à l’égard d’une députée, sont autant de manifestations typiquement élitistes. Leur expression à l’égard de la majorité populaire du pays est devenue évidente après le plébiscite constitutionnel du 4 septembre 2022, lorsque le président de la République a traité de culs-terreux l’ensemble des classes populaires, et pas seulement celles et ceux qui ont rejeté le projet constitutionnel, et torpillé leur condition humaine, les représentant comme ignorants, sans idéologie, sans capacité à transformer le monde. Cela en dit long sur les attentes créées en termes d'intégration dans l'administration et la gestion de l'État, main dans la main avec le modèle néolibéral, et sur les relations entre les aristocrates libéraux progressistes et les parvenus de “gauche”.

La promotion de l’agenda de la sécurité publique, et la loi connue sous le nom de “gâchette facile”, nous permet de constater que l’élite “frenteamplista” au gouvernement a repris les oripeaux historiques de combat de la droite : ordre, répression, violence. Elle a assimilé leurs catégories d’analyse et leurs représentations sociales, donnant une nouvelle dimension au mépris de classe pour les culs-terreurs évoqué plus haut. Défendre l’État bourgeois et les relations sociales de la haute société est un geste de soumission à l’ordre étatique post-dictatorial, mais aussi de mise au pas disciplinaire des classes populaires, afin de permettre sa propre promotion personnelle, des gestes que nous pourrions caractériser comme des mutations du bail colonial chilien, des relations qui ne se construisent plus dans le cadre de l’hacienda ou du latifundium, mais désormais dans les structures de l’État.

NdT

*Sur les notions de paria et de parvenu chez Hannah Arendt, lire l’article lumineux d’Ariel Colonomos, Figures du parvenu, in Revue des Deux Mondes, juin 2002.

**On désigne comme “progressistes” en Amérique latine les gouvernements de gauche modérée/accommodante issus des élections depuis 2018, à savoir ceux d’Andrés Manuel López Obrador au Mexique, Alberto Fernández en Argentine, Luis Arce en Bolivie, Pedro Castillo au  Pérou, Xiomara Castro au Honduras, Gabriel Boric au Chili, Gustavo Petro en Colombie et Lula bis au Brésil.

 

 

18/08/2022

HARI KUNZRU
Sur le fil du rasoir : l’histoire du socialisme aux USA

 Hari Kunzru, The New York Review of Books, 18/8/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

Des premières communautés utopiques à la résurgence d’une gauche aujourd'hui, l'histoire du socialisme usaméricain est plus profonde que ses maigres succès

Ouvrage recensé :

American Democratic Socialism: History, Politics, Religion, and Theory  (Le socialisme démocratique américain : histoire, politique, religion et théorie)
par Gary Dorrien
Yale University Press, 724 pp., 50,00 $
 

« Un spectre hante l'Amérique », affirme le propagandiste de droite Dinesh D’Souza. « Le spectre du socialisme. » Pendant qu'il parle, dans la séquence d'ouverture de son documentaire de 2020 Trump Card [jeu de mots, trump signifiant atout, NdT], on nous montre un montage dramatique, dont un survol en images de synthèse de Manhattan. La Statue de la Liberté a été remplacée par Lénine. Il y a un marteau et une faucille sur la façade de la Bourse de New York. « Le bilan du socialisme est inimaginable », explique D’Souza. « Plus de 100 millions de victimes. » Dans une séquence dramatisée étrange, un interrogateur en uniforme menace un homme enchaîné à une table, sa tête reliée à une sorte d’engin électrique steampunk. Le message est clair : le socialisme est totalitaire. Il est - ou conduit inévitablement - au communisme d'État de style soviétique. Il opère par la coercition et le contrôle mental.

Eugene V. Debs prend la parole à un meeting à l'Hippodrome Theatre, New York City, 1910. Photo New York Herald

Dans son discours de 2019 sur l'état de l'Union, le héros de D’Souza, le président Trump, a rassuré sa base que « l'Amérique ne sera jamais un pays socialiste ». Les USAméricains sont depuis longtemps encouragés à voir dans le socialisme, même s'ils le perçoivent comme fondamentalement étranger, une menace collectiviste pour une politique nationale fondée sur le caractère sacré de l'individu en tant qu'acteur économique et détenteur de droits. Dès 1896, le célèbre éditorialiste William Allen White attaquait le candidat démocrate à la présidence William Jennings Bryan en avertissant que l'élection « soutiendrait l'Américanisme ou…planterait le socialisme », un choix racialisé entre « Américain, Démocrate, Saxon » et « Européen, Socialiste, Latin ».

Un récent sondage Pew Research a révélé que 55 pour cent des personnes interrogées avaient une perception négative du socialisme, tandis que 42 pour cent se sentaient positives. La raison la plus souvent citée pour justifier une opinion négative était qu'elle « sape l'éthique du travail [et] augmente la dépendance à l'égard du gouvernement ». Mais d'autres enquêtes récentes ont révélé qu'une majorité d'USAméricains soutiennent des politiques identifiées au socialisme, telles qu'un salaire minimum de quinze dollars et une imposition plus élevée des riches. La plus importante organisation socialiste usaméricaine est actuellement celle des Democratic Socialists of America (DSA, Socialistes démocrates d’Amérique)), fondée au début des années 1980 par la fusion de deux groupes existants, l'un qui s'était séparé avec la « vieille gauche » conservatrice du mouvement syndical sur son soutien à la guerre du Vietnam, l'autre avec un arrière-plan dans le radicalisme étudiant « nouvelle gauche ».

La DSA vise à être ce que son histoire officielle appelle une « organisation socialiste œcuménique et multi-tendances », un projet qui n'avait jamais attiré plus de quelques milliers de membres cotisants jusqu'à la campagne présidentielle de Bernie Sanders en 2016, qui a introduit cette marque de socialisme de type front populaire à un public plus large. Depuis le début de la pandémie de Covid, les adhésions ont explosé, s'élevant à environ 95 000 au moment de la Convention nationale 2021 du groupe. En 2018, deux membres de la DSA, Alexandria Ocasio-Cortez et Rashida Tlaib, ont été élues à la Chambre des représentants. En 2020, elles ont été rejointes par Jamaal Bowman et Cori Bush.

Le socialisme usaméricain contemporain se situe dans un continuum entre les sociaux-démocrates, qui veulent parvenir à plus de justice dans le cadre du capitalisme de marché, et les socialistes démocrates, qui veulent apporter divers secteurs, du logement aux soins de santé, sous une forme ou une autre de contrôle d'État, communautaire, coopératif ou des salariés. Les socialistes démocrates ont des ambitions transformatrices, mais contrairement aux communistes, leur but n'est pas l'abolition de la propriété privée. Ils acceptent, à des degrés divers, l'utilité des marchés, mais ne sont pas d'accord avec les partisans classiques du libre marché qui considèrent l'économie comme un système autorégulateur qui fonctionne le plus efficacement lorsqu'il est isolé de la « distorsion » des forces non marchandes ; ils insistent plutôt sur ce que l'économiste austro-hongrois Karl Polanyi a appelé « l'enracinement », l'émergence de l'économie - et sa dépendance à leur égard- des relations sociales, politiques et culturelles.

Ce genre de pensée n'a jamais été populaire auprès des élites usaméricaines, qui ont historiquement utilisé la presse, les campagnes d'information du public, les think-tanks et les lobbyistes d'entreprise pour tourner l'opinion publique contre elle. Mais alors que la diabolisation du socialisme a une longue histoire aux USA, le socialisme américain lui-même en a une. Le mouvement dont Gary Dorrien raconte l'histoire enchevêtrée dans American Democratic Socialism a des racines profondes dans les valeurs très « américaines » qu'il est accusé de saper.

Le socialisme usaméricain est antérieur à Marx. Parmi les premières expériences de vie et de travail en communauté, citons des communautés intentionnelles telles que New Harmony, Indiana, fondée par les adeptes du réformateur social gallois Robert Owen en 1825, et Utopia, Ohio, fondée par les disciples de Charles Fourier en 1844. Le mot « socialiste » est habituellement considéré comme étant entré dans la langue anglaise en 1827, lorsqu'il est apparu dans les pages du Co-operative Magazine oweniste. Dans les années 1830, le « socialisme » avait été mis en opposition conceptuelle avec l '« individualisme », créant les contours fondamentaux de notre paysage politique contemporain.

29/12/2021

SERGIO RODRÍGUEZ GELFENSTEIN
Chili: « Plutôt que le moindre mal, je choisis le plus grand bien »

  Sergio Rodríguez Gelfenstein, 29/12/2021
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Une fois célébrée la  « fête de la démocratie », qui a ramené la joie au Chili pour la deuxième fois et dans laquelle il a également élu son nouveau président, il est nécessaire de faire quelques réflexions pour l'avenir.

Il me semble que la question à débattre est liée à l'autocritique que devrait faire la gauche en raison de son incapacité à construire une alternative de contenu populaire qui favorise les intérêts de la majorité. Dans cette mesure, le peuple est invité à accepter le « moindre mal » perpétuant ainsi l'aveu de Patrick Aylwin qu'il n'y avait que “la vérité et la justice dans la mesure du possible".” Cette proposition est devenue une doctrine qui réduit l'esprit révolutionnaire du peuple, limite la lutte pour ses intérêts en médiant ses objectifs stratégiques et subordonne la lutte quotidienne à l’aspect strictement électoral dans lequel se jouent les règles de la démocratie représentative.


Rencontre "franche" du candidat Boric en novembre avec des représentants des six branches de la Confédération de la Production et du Commerce (CPC) - Chambre Nationale de Commerce (NBC); Société Minière Nationale (Sonami); Sociedad de Fomento Fabril (Sofofa); Chambre Chilienne de la Construction (CChC); Association des Banques et Institutions Financières (Abif); Société Nationale d'Agriculture (SNA) : « Il est clair pour que pour construire un Chili meilleur, nous avons le devoir de parler à tout le monde et de réunir tout le monde et dans ce cas, les grandes entreprises, qui fournissent la moitié de l'emploi au Chili, doivent faire partie de ce processus ».

Dans cette mesure, le “moindre mal” est l'expression de la facilité avec laquelle la gauche renonce à la poursuite de ses objectifs historiques, alors qu'au Chili plus de 50% de la population ne s’identifie pas à ce système et le rejette non seulement du point de vue électoral, mais surtout dans la pratique quotidienne de sa lutte. Le soulèvement populaire du 18 octobre 2019 est l'expression de la capacité du peuple à construire une alternative en dehors du statu quo, au-delà du fait que “pour le moment” (comme l'a dit le Commandant Chávez après l'échec de la rébellion du 4 février 1992), les objectifs n'ont pas pu être atteints. L'incapacité des partis de la gauche traditionnelle à diriger ce mouvement ne peut pas être comprise comme une soumission du peuple au système.

Le soulèvement populaire de secteurs importants de la société chilienne d'octobre 2019 a montré, malgré les insuffisances organisationnelles et de leadership, l'esprit et la volonté d'un peuple qui a subi la perte de 34 de ses enfants, en plus d’environ 12 547 blessés qui ont été hospitalisés d'urgence, parmi lesquels 440 cas de citoyens ayant subi un traumatisme oculaire selon les chiffres donnés par le Bureau du Procureur et l'Institut national des droits humains.

Un peuple abandonné qui accepte le système auquel il est subordonné, n'est pas capable de jouer en ces jours héroïques qui ne pouvaient être paralysés que par la pandémie d'une part, et d'autre part, par l'accord des élites auquel l'actuel président élu a pris une part notable. La manœuvre visait à empêcher que le peuple décide dans la rue pour l'amener dans les espaces de la démocratie représentative, où il a tout à perdre, compte tenu d'un système dans lequel à l'unanimité, des secteurs fascistes à la gauche, on se limite à l'élaboration de politiques « dans la mesure du possible », ils ont squeezé la volonté du peuple pour faire croire qu’elle s’exerce dans les élections.

30/11/2021

OFRI ILANY
Shlomo Sand, historien post-sioniste : « La gauche mondiale est en train de mourir, et avec elle le mythe de l'égalité »

Ofri Ilany,(bio), Haaretz, 26/11/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Dans son nouveau livre, l'historien Shlomo Sand, auteur du provocateur «Comment le peuple juif fut inventé », affirme que la social-démocratie a échoué (elle n'a jamais eu la moindre chance en Israël), que le capitalisme renforce en fait l'égalité et que la gauche, en Israël et ailleurs, est confrontée à un avenir sombre.

Shlomo Sand. "Parfois, on coupe des têtes pour obtenir l'égalité." Photo : Daniel Tchetchik

La première fois que Shlomo Sand a été déçu par la classe ouvrière, c'était quand il avait 16 ans. Il venait d'être renvoyé du lycée de Jaffa et avait commencé à travailler dans une usine. « J'étais un garçon qui travaillait », raconte le professeur. « Je suis allé travailler et j'étais plein d'enthousiasme à      l'égard du prolétariat, à la lumière des valeurs qui m'avaient été inculquées par mon père, qui était communiste. Mais j'ai été très déçu : le mépris des anciens pour les jeunes, leur exploitation de moi et des autres jeunes travailleurs. Comme j'étais plus jeune, je devais les servir. Je devais balayer l'usine. Je disais à mon père : "Regarde ton prolétariat". J'étais déçu ».

Quelques années plus tard, après avoir participé à la guerre des Six Jours en 1967, le jeune Sand rejoint le Matzpen, une organisation radicale socialiste et antisioniste. Là, le jeune homme de Jaffa fait la connaissance d'un groupe d'intellectuels, pour la plupart issus de familles aisées. « C'était un groupe de bobos sympathiques avec de grandes âmes. Mais le fossé entre l'utopie et la réalité était trop grand. Il y avait des tensions entre eux et moi : j'étais un travailleur manuel, donc je trouvais leurs fantasmes de révolution improbables. Je croyais en une lutte, mais pas en une révolution prolétarienne. Et c'était en fait sur la base de ma connaissance des ouvriers. J'ai quitté le Matzpen sans jérémiades ».

Sand, 75 ans, est l'un des intellectuels de gauche les plus connus en Israël. Ayant acquis sa notoriété principalement grâce à son livre controversé Comment le peuple juif fut inventé (publié en hébreu et en français en 2008, et en anglais l'année suivante), il est identifié à des thèses scandaleuses qui ont été perçues comme une attaque contre les fondements de l'idéologie sioniste.

Aujourd'hui, l'historien post-sioniste jette un regard critique sur son camp d'origine : la gauche. Dans son nouveau livre, "Une brève histoire de la gauche" (publié en hébreu par Resling, à paraître en français au éditions La Découverte le 20 janvier 2022 sous le titre Une brève histoire mondiale de la gauche), Sand examine de manière tranchante l'histoire de la gauche au début de l'ère moderne, ses métamorphoses à travers le monde et aussi ses profonds échecs.

Son point de départ est la sombre situation actuelle de la gauche dans le monde. « J'ai décidé d'écrire ce livre en raison de l'état actuel de la gauche », dit-il. « Comme je me suis toujours considéré comme une personne de gauche, toute ma vie, la situation actuelle m'a parlé, et j'ai aussi pensé que je pouvais résumer certaines choses. Le livre est donc aussi une sorte d'autobiographie ».