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13/08/2024

RICARDO ROMERO ROMERO
Guerre cognitive au Venezuela : paroles d’experts*

Ricardo Romero Romero, teleSur, 11/8/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Ricardo Romero Romero (Venezuela, 1968) s’assume comme lecteur, avec la présomption d’être poète. Éditeur, promoteur de la lecture et journaliste de fait, il a publié plusieurs livres et écrit des scénarios pour l’audiovisuel. Cinéphile et passionné de théâtre, il se promène les jours de congé dans le parc national Waraira Repano. Il est actuellement directeur de rédaction à teleSUR.

 

« Je rêve de donner naissance
à un enfant qui demandera :
“Maman, c’était quoi la guerre ?” »
Eve Merriam

 

Les réseaux sociaux et les médias à but lucratif ont tenté de faire croire qu’il existe une dictature au Venezuela et que l’élection présidentielle du 28 juillet a été entachée de fraude. Washington désavoue le président réélu Nicolás Maduro et plusieurs pays alliés aux intérêts usaméricains ont suivi le scénario, qui se répète, mais cette fois-ci renforcé dans le domaine virtuel (internet).


En ce sens, les spécialistes et les universitaires du domaine de la communication ont qualifié ce phénomène de guerre cognitive+. L’Université internationale des communications (Lauicom) définit le concept comme suit : « Il s’agit d’un processus complexe et progressif de démolition programmée et systématique des capacités cérébrales normales, individuelles et collectives ».

À cet égard, des universitaires et des chercheurs qui suivent ce qui se passe dans la patrie bolivarienne ont fait part de leurs impressions et de leur analyse de la situation. L’écrivain et documentariste Eduardo Viloria Daboín, lauréat du prix Casa de las Américas 2023 pour son livre de non-fiction Después del Incendio (Papeles de Guerra : Venezuela 2017-2021), qui traite d’une partie de ce problème, a expliqué que cette confrontation dure depuis un certain temps :

« Depuis plus de 20 ans, le Venezuela a été transformé en un gigantesque laboratoire où les techniques et les méthodes les plus novatrices, agressives et violentes de manipulation psychologique et de travail contre l’esprit humain ont été testées, expérimentées et pratiquées de manière incessante, soutenue, continue, profonde, voire cruelle. Pourquoi ? Pour façonner, réinitialiser et redessiner toute la subjectivité d’un peuple entier. Il est difficile d’imaginer une forme de violence plus agressive que celle-là, car les dommages et les conséquences, qui sont certainement d’une profondeur énorme, sont extrêmement difficiles à estimer, à retracer, voire à vérifier ».


@vzlaenlamira

Todos en oracion con nuestra lider Maria Corina Machado por la libertad de Venezuela 🙏🏻🇻🇪

♬ Vamos hasta el final - campaña María Corina - La música de María Corina
Prions tous avec notre lideure Maria Corina Machado pour la liberté du Venezuela.

Une bataille historique qui se répète

De même, le mathématicien, historien et écrivain José Sant Roz soutient qu’il y a des éléments de spiritualité présents dans cette réalité désormais quotidienne pour les citoyens vénézuéliens, quelque chose qui traîne depuis l’époque coloniale et dans la lutte pour l’indépendance, quelque chose pour lequel le libérateur Simón Bolívar a dû se battre à l’époque, et qui se répète aujourd’hui :

« Il s’agit en quelque sorte de construire un fantasme, un sentiment. Aujourd’hui, avec María Corina Machado, il s’agit de fonder quelque chose plutôt sur des éléments religieux. La plupart des gens qui la soutiennent sont, par essence, des catholiques qui recherchent l’idée d’une sainte, d’une héroïne, mais d’une héroïne divine, sacrée, et ils la construisent par leurs propres moyens …

Cette folie est très profonde, elle dure depuis de très nombreuses années, elle est inoculée aux personnes âgées, aux personnes pieuses et impies, mais elle est transmise par les valeurs catholiques, et c’est là qu’elle trouve son soutien le plus important. C’est quelque chose qui a été prouvé... partout où elle est allée, là où elle est allée en premier, c’étaient des temples, les prêtres la bénissaient, lui donnaient des rosaire et appelaient les gens à se rassembler autour d’elle et à l’élever au ciel comme une véritable sainte. Je l’ai vue dans des images, dans de très nombreuses images qui me sont parvenues, au-dessus de la Vierge Marie ».

Sant Roz ajoute que les représentations symboliques qui relient la religiosité à la figure de María Corina Machado, font partie de l’héritage mantuano++ auquel elle appartient et qu’elle a assumé comme un mandat divin, puisqu’elle est convaincue qu’il s’agit de sa sainte croisade.


Anonymous et Elon Musk, instigateurs du crime
D’autre part, le sociologue et podcasteur Robert Galbán met en garde contre le fait que l’ultra-droite du pays profite d’intérêts transnationaux (dont elle fait partie) et s’allie au terrorisme informatique. Galbán mentionne précisément ceux qui jouent un rôle de premier plan dans les coulisses de ce scénario non conventionnel et d’influence sociale :

« María Corina continue de jouer avec les fake news et la presse internationale continue d’être la grande chambre d’écho de ces mensonges... Donc, quand nous disons qu’Elon Musk et les hackers d’Anonymous - certaines cellules d’Anonymous, plutôt, parce que nous savons qu’Anonymous n’est pas une structure -, opèrent contre le Venezuela, c’est parce qu’ils cherchent, entre autres... des stratégies pour imposer ce récit, l’isolement de leur peuple, c’est-à-dire qu’ils leur ont fait bloquer tous les médias et tous les chavistes qui sont sur leurs réseaux sociaux.

Ce n’est pas seulement pour les garder sous contrôle, au niveau discursif, mais aussi pour éviter que dans ce mur d’“infophrénie” dans lequel ils vivent, des discours autres que ceux qu’ils imposent puissent filtrer. En d’autres termes, vous ne verrez pas l’opinion d’un chaviste, vous l’enfermerez, vous le réduirez au silence, et c’est important parce qu’il s’agit d’une sorte de thérapie de choc. Selon la sociologue Susan Sontag, dans une thérapie de choc, le sujet doit être isolé sensoriellement, c’est-à-dire qu’il ne doit pas percevoir la lumière ou le son, de sorte que votre discours entre directement et inconsciemment, et c’est ce qui se passe ici ».

Sur cette analyse, Galbán complète sa réflexion sur la sensation artificielle qui se reflète dans les médias hégémoniques et les opérateurs locaux qui ont participé avec des discours de haine sur les réseaux électroniques, ainsi que dans les actes de vandalisme et les attaques contre les personnes qui soutiennent le gouvernement de Nicolás Maduro :

« Il y a beaucoup de gens qui croient qu’en ce moment, dans les rues de Caracas, il y a des guarimbas, il y a des meurtres, il y a des persécutions, bref, alors que les rues sont plus calmes que la pluie. L’autre sujet qu’il est important de garder à l’esprit dans cette guerre gnoséologique est le rôle de la pègre dans tout cela. En effet, il y a environ deux ans, ils ont positionné le Tren de Aragua, une organisation qui n’existe pas en dehors des médias.

Ils l’ont présenté comme une force criminelle qui contrôle la pègre sur tout le continent et jusqu’en Espagne. Aujourd’hui, ils sont les alliés fondamentaux et les libérateurs qui sont mis en avant dans les réseaux sociaux pour libérer le Venezuela. Il y a là une inversion de sens. Ainsi, ce qu’ils appelaient la pègre et qu’il fallait répudier parce qu’ils étaient des délinquants et qu’ils venaient de Petare+++, Petare est un quartier qu’ils ont tous voulu bombarder toute leur vie ».

29/10/2023

JORGE MAJFUD
Les nazis de notre temps ne portent pas la moustache

Jorge MajfudEscritos Críticos, 28/10/2023

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

C’est une tragique ironie de l’histoire que ceux qui, dès le début, ont condamné les actions belliqueuses du Hamas et du gouvernement israélien soient accusés d’être en faveur du terrorisme par ceux qui ne font que condamner le Hamas et justifier le terrorisme massif, historique et systématique du gouvernement israélien.


Heureusement, des centaines de milliers de Juifs (surtout dans l’hémisphère nord) ont eu le courage que les évangéliques ou les laïques politiquement corrects et prévisibles n’ont pas eu de descendre dans la rue et dans les centres du pouvoir mondial pour clarifier que l’État d’Israël et le judaïsme ne sont pas la même chose, une confusion fondamentale, stratégique et fonctionnelle qui se trouve au cœur du conflit et ne profite qu’à quelques-uns avec la complicité fanatique et ignorante de beaucoup d’autres.

 

En fait, des dizaines de milliers de studieux juifs des livres saints du judaïsme, tels que la Torah, ont affirmé que le judaïsme était antisioniste. Beaucoup diront que c’est une question d’opinion, mais je ne vois pas pourquoi leur opinion devrait être moins importante que celle du reste des charlatans bellicistes.

 

Ce sont ces Juifs, qui savent que leur coexistence avec les musulmans a été, pendant des siècles, bien meilleure que cette tragédie moderne, qui ont crié à Washington et à New York “Pas en notre nom”, “Arrêtez le génocide de l’apartheid” et qui, dans bien des cas, ont été arrêtés pour avoir exercé leur liberté d’expression, qui, dans les démocraties impériales, a toujours été la liberté de ceux qui n’étaient pas assez importants pour défier le pouvoir politique, comme le montre, par exemple, la liberté d’expression à l’époque de l’esclavage. Mais c’est à eux que reviendra la dignité conférée par l’histoire.

 

Quand la lumière reviendra à Gaza et que le monde apprendra ce qu’une des plus puissantes armées nucléaires du monde, avec la complicité de l’Europe et des USA, a fait à un ghetto sans armée et à un peuple qui n’a droit qu’à respirer, quand il le peut, il apprendra que ce ne sont pas des milliers mais des dizaines de milliers de vies aussi précieuses que les nôtres, écrasées par la haine raciste et mécanique de malades, dont quelques-uns disposent d’un grand pouvoir politique, géopolitique, médiatique et financier, qui, en fin de compte, gouvernent le monde.

 

Naturellement, la propagande commerciale tentera de le nier. L’histoire ne le pourra pas. Elle sera implacable, comme elle l’est généralement lorsque les victimes ne dérangent plus.

 

Beaucoup se tairont, tremblant devant les conséquences, devant les listes noires (journalistes sans travail, étudiants sans bourses, hommes politiques sans dons, comme l’ont même rapporté des médias comme le New York Times), devant l’opprobre social dont souffrent et souffriront ceux qui oseront dire qu’il n’y a pas de peuples ni d’individus choisis par Dieu ou par le Diable, mais de simples injustices d’une puissance déchaînée.

Qu’une vie vaut autant et de la même manière qu’une autre.

 

Que le peuple palestinien (avec une population huit fois supérieure à celle de l’Alaska, quatre ou cinq fois supérieure à celle d’autres États usaméricains), coincé dans une zone invivable, a les mêmes droits que n’importe quel autre peuple à la surface de la sphère planétaire.

Que les Palestiniens, hommes, femmes et enfants écrasés par les bombes aveugles, ne sont pas des “animaux à deux pattes”, comme le prétend le Premier ministre Netanyahou (s’ils étaient des chiens, ils seraient au moins mieux traités). Les Israéliens ne sont pas non plus “le peuple de la lumière” combattant “le peuple des ténèbres”.

 

Que les Palestiniens ne sont pas des terroristes parce qu’ils sont nés Palestiniens, mais l’un des peuples qui a le plus souffert de la déshumanisation et du siège constant, du vol, de l’humiliation et du meurtre en toute impunité depuis près d’un siècle.


Mais ceux qui osent protester contre un massacre historique, un parmi tant d’autres, sont, comme par hasard, ceux qui sont accusés de soutenir le terrorisme. Il n’y a là rien de nouveau. C’est ainsi que les terroristes d’État ont toujours agi dans toutes les parties du monde, tout au long de l’histoire et sous des drapeaux de toutes les couleurs.



Arcadio Esquivel, Costa Rica, 2017


25/10/2023

Perle de culture sioniste : la petite Linda et l’empathie surhumaine de l’otage Yocheved

Linda Dayan, une (toute) petite journaliste au quotidien Haaretz, mobilisée comme “reporter de guerre” depuis le 7 octobre, vient de publier un article  dépassant toutes les bornes de la dégueulasserie sioniste, que j’ai traduit en me bouchant le nez et que je vous livre avec des pincettes. Yocheved Lifchitz est née en 1938, et la décence voudrait que la petite Linda, qui a au maximum 30 ans, fasse preuve d’un minimum de respect vis-à-vis d'une ancienne et de son expérience de vie, qui, seule, peut expliquer son attitude (qualifiée d' “empathie surhumaine” par notre “telavivarde stéréotypée mcnuggetomane” Linda). Mais peut-on exiger qu’un robot humanoïde de la génération bibiesque manifeste de l’empathie ? Surtout quand on sait qu'elle a effectué son service militaire au bureau anglophone de l'unité des porte-parole de l'armée israélienne, où elle était chargée entre autres de “Réponses aux événements en temps réel et de création de contenu pendant les événements opérationnels”? Elle ne fait que continuer ce sale boulot au sein de la rédaction de Haaretz. Bref, beurk.- FG



Ce que nous pouvons apprendre de Yocheved Lifshitz, otage du Hamas libérée

Linda Dayan, Haaretz, 24/10/2023

Yocheved Lifshitz vient de subir un traumatisme que peu de gens dans le monde peuvent comprendre. Nous ne devrions pas juger la façon dont elle traite ces traumatismes, surtout dans les premiers jours de sa vie de femme libre, alors qu'elle ramasse les morceaux de sa vie qui ont volé en éclats.


Oded et Yocheved. Photo Daniel Lifshitz

Le jour même où Yocheved Lifshitz, 85 ans, a été libérée par ses ravisseurs du Hamas, des journalistes internationaux ont assisté à une projection au cours de laquelle ils ont visionné une compilation d'images brutes du massacre du 7 octobre.

Avant que leurs articles ne soient imprimés, les journalistes se sont rendus sur X, anciennement connu sous le nom de Twitter, pour raconter ce qu'ils venaient de voir : Une vidéo après l'autre, d'une violence à vous glacer le sang, de membres du Hamas se délectant de leur propre inhumanité.

Les Israéliens ont été surpris de voir Mme Lifshitz serrer la main de son ravisseur du Hamas et lui faire ses adieux lorsqu'elle et Nurit Cooper, 79 ans, ont été libérées lundi, après avoir vu une grande partie de ces images au cours des dernières semaines, dont certaines ont été téléchargées par le Hamas lui-même sur des chaînes Telegram. La conférence de presse qu'elle a donnée le lendemain les a laissés encore plus perplexes.

S'exprimant depuis l'hôpital Ichilov de Tel-Aviv, elle a raconté sa capture et les coups qu'elle a reçus des mains des terroristes alors qu'elle était emmenée dans le réseau de tunnels de Gaza, mais elle a également parlé avec sympathie de ses ravisseurs. Les membres du Hamas ont fait la conversation. Ils ont nourri les otages avec la même nourriture qu'eux. Ils leur donnaient du shampoing et nettoyaient les toilettes. Ils leur amenaient régulièrement des médecins.

Bien que certains apologistes du Hamas se soient emparés du récit de Lifshitz pour prouver que l'organisation est humaine, cela ne rend pas compte des conditions de vie des autres otages. Si le traitement de Lifshitz a effectivement été aussi compatissant, il est possible qu'il ait été unique, peut-être en raison de son âge.

Quoi qu'il en soit, ces conditions ne sont toujours pas “bonnes” - personne ne devrait être détenu pendant des semaines dans un tunnel, quelle que soit la propreté des toilettes - et la prise d'otages reste illégale au regard du droit international. La Croix-Rouge s'est toujours vu refuser l'accès aux captifs, et il n'existe aucune vérification indépendante de leur santé et de leur intégrité.

Mais le témoignage de Lifshitz a soulevé des questions parmi les Israéliens. Comment peut-on attribuer de la gentillesse à un groupe qui vient d'anéantir brutalement une grande partie du kibboutz Nir Oz, où elle vivait ? S'agit-il d'un syndrome de Stockholm classique ? Ou se pourrait-il qu'elle ait ressenti le besoin de parler en bien de ses ravisseurs, alors qu'ils détiennent toujours son mari, Oded, âgé de 83 ans ?

Les Lifshitz sont des militants pacifistes de longue date. Lors d'une conférence de presse à Londres il y a deux semaines, leur fille Sharon a déclaré que son père avait défendu la cause des Bédouins, rencontré Yasser Arafat et rejoint des organisations de coexistence qui ont favorisé l'établissement de liens avec les habitants de Gaza. Le couple a conduit des habitants de Gaza malades dans des hôpitaux en Israël pour qu'ils y reçoivent des soins médicaux.

Yocheved Lifshitz vient de subir un traumatisme que peu de gens dans le monde peuvent comprendre. Nous ne devrions pas juger la façon dont elle traite ces traumatismes, surtout dans les premiers jours de sa vie de femme libre, alors qu'elle ramasse les morceaux de sa vie qui ont été brisés.

Mais nous pouvons nous ébahir de ce qui semble être son empathie surhumaine. Lifshitz a été confrontée à des personnes qui ont fait preuve de la plus grande brutalité, et elle a continué à voir en elles les enfants qu'elles étaient autrefois. Lifshitz ne prouve pas que le Hamas est humain, elle prouve qu'elle l'est.

 

06/06/2023

Walter et les Tutsis (applicable à l’Ukraine…)

Luis Casado, 28/3/2021-6/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Cet article a été publié en 2021. Il se trouve que mon frère m’a envoyé une vidéo dans laquelle un spécialiste militaire démontre à la télévision française à quel point TOUTES les guerres sont préparées et déclenchées pour des raisons cachées au commun des mortels. C’est le cas de la guerre en Ukraine qui curieusement ne mobilise toujours (presque) aucun pacifiste. C’est une horreur tolérée par l’opinion publique, une horreur planifiée, préparée et ordonnée depuis Washington. Tandis que la propagande quotidienne raconte des histoires pour imbéciles. Ce qui s’est passé au Rwanda en 1994… était du même acabit. Bonne lecture.

 

L’hypocrisie en matière de droits de l’homme réclame une Coupe du monde. Les candidats au podium sont légion, de préférence parmi ceux qui s’autodésignent comme démocrates et progressistes. Une diatribe de Luis Casado.

Je ne peux pas vous dire ni qui ni comment était Walter, car cela nécessiterait deux ou trois livres. Walter m’a sauvé d’un boulot de merde en 1986, et dans une manœuvre du genre « mercato du ballon rond », il a réussi à me sortir de la multinationale dans laquelle je m’ennuyais pour m’ouvrir les portes d’une activité bouillonnante, incessante, planétaire, créative, divertissante, raisonnablement bien payée et dans laquelle on s’eSt bien fendu la poire. Ensemble, ou séparément mais toujours en contact, nous avons fait plusieurs fois le tour du monde.

Belge, de la variante flamande, né dans la ville de Mechelen que nous, francophones, appelons Malines (allez savoir pourquoi Den Haag s’appelle La Haye en français), Walter avait eu un père « collaborateur », ce qui à l’époque voulait dire qu’il avait été un homme de main de l’occupation nazie, une horreur que Walter a condamnée toute sa vie avec une attitude permanente d’une énorme qualité humaine.

Walter était l’optimisme fait homme. Toujours souriant et sur le point d’éclater de rire, il semblait à chaque instant finaliser le début d’un long voyage, une synthèse belge – en une seule personne – de Fernão de Magalhães (« Magellan ») et de Juan Sebastián Elcano, son successeur basque. Plus d’une fois, il m’a appelé pour me demander si j’avais quelques minutes à perdre et, quelques heures plus tard, j’étais à bord d’un vol intercontinental qui allait nous permettre de boire une caiperinha à Recife, un vin rouge français à Singapour ou à Bangkok, ou un vin blanc sec à Ayers Rock, un endroit qui se trouve, comme le disent les Australiens eux-mêmes, in the middle of nowhere (au milieu de nulle part). Mais vous savez, le boulot c’est le boulot et je suis un émule à la distance et dans le temps du célèbre Alexeï Stakhanov.

Divorcé, comme tout homme qui se respecte, Walter manquait d’une ancre, d’un hub comme disent les connards globe-trotters, d’une racine capable de lui offrir un foyer et le nécessaire repos du guerrier lorsqu’il revenait de ses pérégrinations sans fin autour de la planète. C’est alors qu’il a rencontré Catherine et l’a épousée. Catherine est une belle Rwandaise, Tutsi pour ne rien vous cacher, porteuse des caractéristiques innées de son ethnie : finesse, élégance, beauté, prestance et distinction [ heu, bon, enfin, Louis, là tu dérapes un peu, NdT]. C’est à ce moment-là que tout est parti en couille…

On était dans les années 1990, lorsque nous avons appris qu’un terrible drame se déroulait au Rwanda. Ce drame peut se résumer ainsi : un génocide – c’est-à-dire à l’extermination – de la population tutsie par le gouvernement hutu hégémonique. Entre le 7 avril et le 15 juillet 1994, ils ont tué environ 70 % des Tutsis, principalement à coups de machettes, mais pas seulement. Selon les chiffres disponibles, on estime qu’environ 700 000 Tutsis, hommes, femmes et enfants, ont été tués.

Curieusement,  l’armée française était présente au Rwanda, sous couvert d’une mission humanitaire.

Comme vous pouvez l’imaginer, il a été difficile de reconstruire le Rwanda, et encore plus la coexistence des Hutus et des Tutsis, les deux principaux groupes ethniques, afin de préserver le pays et son intégrité territoriale. Walter a participé à la modernisation du système de transport public de Kigali, et il s’est lancé dans des investissements hasardeux destinés à la promotion de la production agricole.

Dans le même temps, Walter m’a sévèrement réprimandé, accusant les Français d’être responsables de ce qui s’était passé. Votre serviteur, un homme de culture bigarrée, peut assumer tout ce que vous voulez, des massacres de la Guerre de Pacification de l’Araucanie aux horreurs de la Commune de Paris et à la torture industrielle perpétrée par l’armée française pendant la bataille d’Alger, mais, franchement, je n’ai eu aucune part dans le génocide rwandais, je ne suis jamais allé à Kigali, et à part Catherine, je  ne connaissais aucun citoyen de ce si beau pays.

Ce matin, j’écoutais la radio, France Info pour être précis, une radio du secteur public, qui a consacré un long reportage à un rapport demandé par le gouvernement français sur ce qui s’est passé au Rwanda en 1994.

Un groupe de spécialistes – dirigé par l’historien Vincent Duclert, maître de conférences à l’École nationale d’administration – a analysé toutes les données disponibles, y compris les archives diplomatiques, militaires et de renseignement, et a conclu que la France était coresponsable du génocide. Très précisément ceux qui ont donné des ordres et pris des décisions qui se sont révélées criminelles : François Mitterrand, le président, et Hubert Védrine, son ministre des Affaires étrangères.

Duclert lui-même a déclaré hier : « L’échec de la politique française au Rwanda a effectivement contribué à créer les conditions du génocide ».

Guillaume Ancel, lieutenant-colonel de l’armée française, qui se trouvait à l’époque au Rwanda dans le cadre de la « mission humanitaire » et a été témoin des massacres, a déclaré en direct : « Nous, militaires, sommes aussi responsables, car nous ne pouvons pas nous cacher derrière l’argument selon lequel nous avons obéi aux ordres ». L’armée française a notamment armé les Hutus, leur a fourni les armes dont ils avaient besoin pour commettre le génocide, les a protégés et a laissé les Tutsis sans défense.

Je dois déclarer, messieurs les jurés, que j’ai personnellement connu François Mitterrand, qui nous a reçus quelques fois à l’Elysée, et qu’Hubert Védrine est à mes yeux le seul ministre français des Affaires étrangères du dernier quart de siècle qui ait fait preuve d’un brin d’intelligence. Personne ne prétend que l’un ou l’autre voulait perpétrer un génocide. L’officier susmentionné ne le prétend pas non plus, mais il souligne la responsabilité inéluctable de ceux qui ont imposé leur volonté et pris les décisions politiques. A César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu.

Walter n’est plus de ce monde pour le savoir, ni pour que moi, m’appuyant sur la solide amitié franco-belge que nous avons construite, je puisse présenter mes excuses à la chilienne : « Pardonnez la mort de l’enfant, c’était une erreur, je ne savais pas, les coupables seront punis dans la mesure du possible, il suffit d’attendre encore 40 ans… ». Walter est mort dans un taxi picaresque à Jakarta, capitale de l’Indonésie, dévoré par un cancer de la gorge qui ne lui a pas permis de terminer le dernier voyage de sa vie, celui qui devait le conduire à l’hôpital.

Là où il se trouve, il a échappé à la deuxième info du jour : « La France proteste vivement contre les conditions d’emprisonnement d’Alexeï Navalny », un escroc néo-nazi condamné pour divers trafics et autres crimes, mais recruté par les services de renseignement occidentaux en tant qu’« opposant » au régime russe.

« Au nom des droits de l’homme », donc, « la France élève sa voix indignée », et appelle Vladimir Poutine de noms d’oiseaux.

Si vous ne saviez pas ce que signifie la phrase bien connue « Il y a des coups de pied au cul qui se perdent », maintenant vous le savez.


18/10/2022

CAITLIN JOHNSTONE
Ukraine : une guerre hollywoodienne

 Caitlin Johnstone, 10/10/2022
Traduit par
lecridespeuples.fr

Caitlin Johnstone (1974) est une Australienne avec une licence de journalisme qui se définit comme « journaliste voyoute, socialiste bogan [plouc/beauf en argot australien et néo-zélandais], anarcho-psychonaute, poétesse guérillera, préposée à l'utopie ». Mère de deux enfants, elle publie sur divers supports des articles, écrits à partir de conversations avec son mari Tim Foley. @caitoz

Une guerre par procuration bonne et juste n’aurait pas besoin d’une communication aussi caricaturale

La mégastar de Star Wars, Mark Hamill, a récemment été nommé ambassadeur de United24, la plateforme de collecte de fonds du gouvernement ukrainien, où, selon le Times, son attention sera centrée sur « l’acquisition, la réparation et le remplacement des drones ainsi que la formation des pilotes. »


D’après le Times :

« Dans ce combat long et inégal, l’Ukraine a besoin d’un soutien supplémentaire continu. C’est pourquoi j’ai été honoré que le Président Zelensky me demande de devenir ambassadeur de l’Armée des drones », a déclaré dans un communiqué M. Hamill, qui jouait Luke Skywalker. « Je sais avec certitude que les Ukrainiens ont besoin de drones pour protéger leur terre, leur liberté et les valeurs de l’ensemble du monde démocratique. C’est maintenant le meilleur moment pour que tout le monde s’unisse et aide l’Ukraine à se dresser dans cette guerre contre l’empire du mal. »

Dans une déclaration remerciant Hamill pour son soutien, Zelensky a déclaré : « La lumière vaincra les ténèbres. J’y crois, notre peuple y croit. Merci d’avoir accepté cette mission difficile d’être le premier ambassadeur à aider l’Ukraine à collecter des fonds pour l’Armée des drones afin de soutenir nos défenseurs. C’est vraiment important ! »

Hamill, 71 ans, fait partie d’une liste croissante de célébrités qui ont apporté leur soutien à United24, que Zelensky a lancé en mai. Le site Web aurait recueilli près de 188 millions de dollars de dons, dont une récente contribution de 5 millions de dollars de la Fondation Pfizer pour répondre aux besoins médicaux de l’Ukraine.

La semaine dernière, l’actrice Barbra Streisand a annoncé qu’elle serait également ambassadrice, saluant la « capacité et le courage » du peuple ukrainien comme une « inspiration pour tous ceux qui, dans le monde entier, promeuvent la démocratie et combattent l’autoritarisme ».

Donc, si vous pensiez que cette guerre par procuration ne pouvait pas être plus « Disneyfiée », vous aviez tort.

Hamill a célébré son nouveau poste en tweetant une illustration montrant un vaisseau spatial Star Wars portant les couleurs du drapeau ukrainien, que l’acteur a légendé en polonais parce que Hollywood est un poison pour le cerveau.

Parmi les autres manigances récentes de Twitter concernant cette guerre par procuration, on peut citer le compte du gouvernement ukrainien qui parle à son compte « Crimée » dans l’imitation la plus crasse de tweets de marques virales que l’on puisse imaginer.

Le compte ukrainien a tweeté « hey @Crimea quoi d’neuf ? » en minuscules, comme le font les jeunes cool.

« @Ukraine je me libère de mes chaînes, je suis sur le chemin du retour à la maison », a répondu le compte « Crimée » tenu par le gouvernement ukrainien.

Ces deux comptes sont bien sûr gérés par la même personne, qui a été engagée spécifiquement pour sa compréhension des réseaux sociaux, des mèmes Internet et du marketing. Car il s’agit de la guerre par procuration la plus bidon et la plus intensive en relations publiques de tous les temps.

Le visage de cette guerre est après tout Volodymyr Zelensky, un acteur ukrainien bien connu, qui a obtenu le soutien de l’Occident pour cette guerre en posant pour Vogue, en faisant des apparitions vidéo pour les Grammy Awards, le Festival de Cannes, le Festival de Venise, la Bourse de New York, le Forum économique mondial et probablement aussi le groupe Bilderberg, et en rencontrant des célébrités comme Ben Stiller, Sean Penn, Bono et Edge de U2.

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30/06/2022

RAMZY BAROUD
Les Palestiniens « ne sont pas des animaux dans un zoo » : Kanafani et la nécessité de redéfinir le rôle de l’ « intellectuel victime »

Ramzy Baroud, Palestine Chronicle, 29/6/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

À la mémoire de Ghassan Kanafani, leader palestinien emblématique et intellectuel engagé qui a été assassiné par le Mossad israélien le 8 juillet 1972


Ghassan Kanafani

Des années avant que les USA n'envahissent l'Irak en 2003, les médias usaméricains ont mis en avant de nombreux nouveaux personnages, les présentant comme des "experts" qui ont contribué à renforcer la propagande usaméricaine, ce qui a finalement permis au gouvernement usaméricain d'obtenir un soutien populaire suffisant pour la guerre.

Bien que l'enthousiasme pour la guerre ait commencé à s'émousser au cours des années suivantes, l'invasion de l'Irak a effectivement commencé avec un mandat populaire relativement fort qui a permis au président George W Bush de revendiquer le rôle de libérateur de l'Irak, de combattant contre le "terrorisme" et de champion des intérêts mondiaux des USA. Selon un sondage CNN/USA Today/Gallup réalisé le 24 mars 2003 - quelques jours après l'invasion - soixante-douze pour cent des USAméricains étaient en faveur de la guerre.

Ce n'est que maintenant que nous commençons à prendre la pleine mesure de l'édifice massif de mensonges, de tromperies et de falsifications qui a servi à façonner le récit de la guerre, et du rôle sinistre joué par les médias grand public dans la diabolisation de l'Irak et la déshumanisation de son peuple. Les futurs historiens poursuivront la tâche de déconstruire la conspiration guerrière pendant de nombreuses années.

En gardant cette tâche à l'esprit, il est également important de reconnaître le rôle joué par les propres "informateurs indigènes" de l'Irak, comme les décrirait le défunt professeur palestinien Edward Said. L'"informateur indigène (est) un serviteur volontaire de l'impérialisme", selon l'influent intellectuel palestinien.

Grâce aux diverses invasions et interventions militaires usaméricaines, ces "informateurs" sont devenus de plus en plus nombreux et utiles, au point que, dans divers cercles intellectuels et médiatiques occidentaux, ils définissent ce qui est considéré à tort comme des "faits" concernant la plupart des pays arabes et musulmans. De l'Afghanistan à l'Iran, en passant par la Syrie, la Palestine, la Libye et, bien sûr, l'Irak, entre autres, ces "experts" ne cessent de répéter des messages taillés sur mesure pour les programmes usaméricano-occidentaux.

Ces "experts" sont souvent présentés comme des dissidents politiques. Ils sont recrutés - que ce soit officiellement par des groupes de réflexion financés par le gouvernement ou autrement - par les gouvernements  occidentaux pour fournir une  description commode des "réalités" au Moyen-Orient - et ailleurs - afin de justifier rationnellement, politiquement ou moralement la guerre et diverses autres formes d'intervention.

09/04/2022

FAUSTO GIUDICE
Boutcha, un Timişoara du XXIème Siècle

 Fausto Giudice, BastaYekfi, 9/4/2022

Le 1er avril 2022, le maire de Boutcha, une banlieue résidentielle de 36 000 habitants au nord-ouest de Kiev, annonce que la ville a été « libérée » la veille 31 mars des occupants russes. Simultanément, la police ukrainienne annonce qu’elle y a lancé la chasse aux « saboteurs » et aux « agents russes déguisés en civils ». Le 2 avril, l’avocat ukrainien Ilya Novikov publie sur sa page facebook une vidéo provenant d’une page ukrainienne sur Telegram, d’une minute neuf secondes montrant un convoi de blindés ukrainiens se déplaçant sur une rue de Boutcha. On peut compter douze corps, dont un a les mains liées dans le dos avec un bandeau blanc.

Dans les heures qui suivent, l’ensemble de la « socialmediasphère », puis des médias traditionnels, se déchaîne. « Les Russes ont commis des crimes de guerre à Boutcha, ils ont massacré 300 civils ». Personne n’a vu 300 cadavres. Certaines photos montrent des sacs noirs censés contenir des corps. On veut bien croire qu’ils contiennent des morts, mais cela ne nous dit pas quand et comment ils sont morts.  Les photos, les vidéos se succèdent dans un chaos total : un même corps apparaît sur diverses photos à des endroits différents. Des corps apparaissent, disparaissent, réapparaissent avec des détails différents. Certaines photos montrent des corps aux mains attachées dans le dos, d’autres avec un brassard blanc au bras. Durant le mois pendant lequel des troupes russes ont occupé Boutcha et les localités avoisinantes, les civils étaient encouragés à arborer des brassards blancs pour afficher qu’ils étaient des civils non hostiles. Les civils, militaires et paramilitaires ukrainiens portaient, eux, des brassards bleus. Les militaires russes auraient donc, selon le récit dominant, tué des civils qui ne leur étaient pas hostiles. Ils sont donc aussi fous que leur chef, Poutine, le Grand Satan de 2022.

Après et en même temps que les médias et réseaux sociaux, les politiciens entrent dans la danse : Joe Biden, Ursula von der Leyen, Josep Borrell, tous dénoncent le « crime de guerre de Boutcha ». La Russie est exclue du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Zelensky, le « serviteur du peuple », héros sempityernel d’un feuilleton sans fin, réclame un « Tribunal de Nuremberg pour Poutine ». Et enfin, voilà le pape himself qui, dans une scène digne de Nanni Moretti, brandit et embrasse un drapeau ukrainien « provenant de la ville martyre de Boutcha », au cours d’une cérémonie où il remet des œufs de Pâques à des enfants ukrainiens. Aucun média ayant publié des photos ou la vidéo de la scène n’a expliqué ce qui était écrit sur le drapeau : «4ème Centurie cosaque de Maidan ». La centurie (« sotnya») était l’unité de base des troupes cosaques des diverses armées dans lesquelles elles ont servi. Durant ce que Radio Free Europe baptisa « l’Euromaidan » de 2013-2014, le service d’ordre organisé par le politicien, au départ néonazi puis girouette, Andriy Paroubiy, était structuré en groupes portant de tels noms poétiques évoquant le « glorieux passé » ukrainien, autrement dit le combat contre le « judéo-bolchevisme ».

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 Monument local à Mikhaïl Boulgakov, écrivain russe (1891-1940) né à Kiev, qui passait ses vacances dans la datcha familiale à Boutcha

 

03/04/2022

ENZO BIANCHI
La barbarie règne parmi nous

par Enzo Bianchi, La Repubblica, 28/3/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala


Enzo Bianchi
(Castel Boglione, 1943) est un moine italien, fondateur et prieur de la communauté monastique de Bose, une communauté interconfessionnelle composée d'hommes et de femmes réunis pour vivre l'Évangile dans le célibat et la vie commune dans un village du nord de l'Italie (Magnano). Il est st l'auteur de nombreux ouvrages de théologie spirituelle et de commentaires bibliques.

L’une des premières victimes dans un conflit est la pensée

On aurait envie de se taire, de rester muet face à cette guerre menée, racontée, discutée surtout par le mensonge. Nous sommes passés de l'attaque par la contagion virale de la pandémie à l'inondation par une extension virale de mensonges que nous pensions impensables.

La guerre s'est étendue bien au-delà des frontières russo-ukrainiennes, elle est présente et attestée parmi nous comme un affrontement, une barbarie qui rend impossible toute écoute et toute confrontation, comme un antagonisme théologico-politique qui ne voit le Mal que d'un côté et le Bien que de l'autre. Lorsqu'une guerre éclate - n'importe quelle guerre, comme nous le savons bien - la première victime qu'elle cherche à atteindre n'est pas la vérité, mais la pensée : la pensée, l'intelligence, ne doivent pas être exercées, car la guerre est étrangère à la raison. Lorsque la guerre survient parce qu'une nation veut diriger le monde et est convaincue que c'est son destin ou sa vocation historique, alors se répète le résultat désastreux de la Tour de Babel, le projet de pouvoir totalitaire et universel qui génère violence et confusion entre des langues incapables de communiquer entre elles.

 La guerre est déjà une catastrophe en soi, mais elle génère aussi la guerre entre les parties non belligérantes qui n'ont aucune conscience de l'avenir qu'elles préparent. Il ne s'agira pas seulement de reconstruire ce qui a été inutilement dévasté, mais d'un chemin beaucoup plus long de réconciliation, car la mémoire porte toujours des cicatrices difficiles à guérir.

Tout le monde le dit maintenant : qui a à gagner d'une telle guerre ? Pas ceux qui la mènent, mais les fabricants d'armes, y compris, de manière significative, ceux qui mènent cette guerre par procuration, non pas directement, mais par le biais des armes fournies aux belligérants et par l'envoi de mercenaires et de contractors [sous-traitants]. Ceux qui ne croient pas au destin belliqueux se rebellent, résistent et ne font pas confiance à une unité européenne qui ne se trouve que dans la décision d'augmenter les dépenses d'armement.

Cette lecture que je fais n'est pas une lecture d'équidistance, parce que l'agresseur reste un agresseur, mais il n'est pas possible que dans un pays comme le nôtre, qui se targue d'être une démocratie mature, il y ait autant d'intolérance et malheureusement aussi de mépris envers ceux qui ne se sentent pas en conscience de se conformer à la pensée dominante des pouvoirs occidentaux, une pensée non partagée par la majorité des gens ordinaires qui ont peur de la guerre et la condamnent.

Au moment où notre gouvernement décidait d'augmenter les dépenses d'armement, le pape François a eu l'audace de dire : « J'ai honte lorsqu'un groupe d'États s'engage à dépenser 2 % du PIB pour l'achat d'armes en réponse à ce qui se passe. C'est de la folie ! »  Ces paroles du Pape sont censurées ou tolérées avec condescendance, mais si elles sont prononcées par d'autres personnes en accord avec lui, elles sont jugées naïves ou font l'objet d'une « lapidation » verbale, comme cela s'est produit avec certaines interventions pacifiques d'hommes et de femmes de culture.

De fait, il semble inutile de parler, car toute voix qui déclare que la guerre est « étrangère à la raison », une voix subtile et douce, est méprisée, et toute analyse du conflit qui tente de s'interroger sur les causes et les responsabilités est étouffée par une rhétorique belliqueuse.

La barbarie règne donc parmi nous ici, dans notre vivre-ensemble, et elle ne dessine certainement pas un horizon de paix pour l'avenir.

 

-Où sont les "pacifistes" ?
-Sous les bombes, comme toujours

Mauro Biani