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26/11/2025

Palestine : par la Résolution 2803, le Conseil de sécurité de l’ONU légitime une occupation illégale

Micaela Frulli, Triestino Mariniello, il manifesto, 22/11/2025
Traduit par Tlaxcala

Micaela Frulli est professeure de droit international à l’université de Florence. Elle a notamment écrit « Immunité et crimes internationaux. L’exercice de la juridiction pénale et civile à l’égard des organes étatiques soupçonnés de crimes internationaux graves » (Giappichelli)

Triestino Mariniello est professeur de droit à l’université John Moores de Liverpool et fait partie de l’équipe juridique qui représente les victimes de Gaza devant la Cour pénale internationale.

La résolution 2803 du Conseil de sécurité du 17 novembre 2025, lue du point de vue du droit international, révèle des points critiques profonds et des contradictions qui compromettent sa validité et sa légitimité


Emad Hajjaj, mars 2024

La résolution 2803 du Conseil de sécurité du 17 novembre 2025, lue du point de vue du droit international, révèle de profondes contradictions et des points critiques qui compromettent sa validité et sa légitimité.

La plus grande limite réside dans la violation implicite du droit à l’autodétermination du peuple palestinien. La résolution subordonne toute « voie crédible vers l’autodétermination et la création d’un État palestinien » à la mise en œuvre d’un programme de réformes de l’Autorité nationale palestinienne, l’organisme qui administre la Cisjordanie, qui n’est d’ailleurs jamais mentionné dans la résolution. Cette conditionnalité transforme un droit inaliénable, reconnu par la Charte des Nations unies, réaffirmé à plusieurs reprises par la Cour internationale de justice (CIJ) et qui a valeur de norme contraignante, en un objectif à atteindre dans un avenir indéfini : la possibilité de construire un État palestinien est suspendue pour une durée indéterminée.

Toutefois, le Conseil de sécurité ne peut exercer ses pouvoirs en dehors du périmètre fixé par le droit international. La Commission du droit international des Nations unies a précisé que les décisions des organisations internationales ne peuvent créer d’obligations juridiques lorsqu’elles entrent en conflit avec les normes contraignantes du droit international général et que les actes normalement contraignants risquent d’être invalides s’ils violent des principes fondamentaux et impératifs.

La légalité de la mise en place d’une administration fiduciaire internationale sur Gaza est également douteuse, car elle reprend des modèles hérités de l’ère coloniale, tels que les mandats de la Société des Nations après la Première Guerre mondiale, conçus pour gouverner des territoires privés de leur autodétermination. Cette administration – confiée au « Board of Peace » (BoP), un organe hybride doté de pouvoirs étendus et peu définis – se superpose à l’occupation existante sans en contester l’illégalité, avec le risque de la consolider dans le temps. En outre, le BoP, présidé par le président usaméricain Donald Trump, crée une friction évidente avec les critères d’impartialité requis pour l’administration internationale d’un territoire. Les administrations internationales de la MINUK au Kosovo ou de l’UNTAET au Timor oriental étaient placées sous l’autorité de l’ONU et prévoyaient des mécanismes de garantie et de responsabilité.

L’autorisation de créer une Force internationale de stabilisation (ISF) et d’« utiliser toutes les mesures nécessaires » pour remplir son mandat rappelle la formule standard pour l’usage de la force contenue dans les autorisations précédentes accordées aux États, mais avec une différence cruciale : cette fois-ci, l’ISF agit sous l’autorité du « Board of Peace » et seule une demande générique est prévue pour les États qui en font partie afin qu’ils fassent régulièrement rapport au Conseil de sécurité.

En outre, une démilitarisation unilatérale de la bande de Gaza est prévue et il est établi que le retrait des troupes israéliennes doit être convenu avec l’armée israélienne, celle-ci pouvant maintenir sa présence pour une durée indéterminée.

En outre, la résolution n’aborde pas l’un des points les plus critiques : la détermination des responsabilités pour les violations du droit international commises au cours des deux dernières années. Il n’y a aucune référence aux rapports de la Commission d’enquête des Nations unies, qui constatent la commission de crimes internationaux et d’actes de génocide par Israël et ses dirigeants, ni à l’avis de la Cour internationale de justice de 2024 qui a déclaré l’illégalité de l’occupation et aux résolutions ultérieures de l’Assemble Générale de l’ONU, ni aux enquêtes de la Cour pénale internationale. Il est également déconcertant de constater l’absence totale de mesures de réparation et d’indemnisation pour les victimes, alors que ceux qui ont détruit la bande de Gaza sont exemptés de toute obligation de réparation.

La résolution sur Gaza intervient quelques jours après une autre décision controversée du Conseil de sécurité (résolution 2797 de 2025), celle sur le Sahara occidental. Dans ce cas, le texte, également présenté par les USA, a approuvé le plan d’autonomie proposé par le Maroc en 2007, reconnaissant de fait la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental en violation du droit à l’autodétermination du peuple sahraoui.

À la lumière de ces développements, l’image d’un Conseil de sécurité qui tend à adopter des résolutions sous l’influence de certains de ses membres permanents, s’écartant ainsi de la légalité et de la Charte elle-même, apparaît de plus en plus clairement.

Le droit international finit ainsi par être traité non pas comme un instrument essentiel pour construire une paix juste, fondée sur le droit à l’autodétermination des peuples et le respect des principes fondamentaux, mais comme un obstacle à contourner.


Maisara Baroud, I’m still alive (je suis encore en vie), toile imprimée, 2024

L’impunité israélienne

Luis E. Sabini Fernández, 26/11/2025
Traduit par Tlaxcala

La violence

Dans ma vie personnelle, j’ai toujours été sceptique à l’égard des coups de main guérilleros auxquels j’ai assisté ou dont j’ai eu connaissance dans le Cône Sud (bien que certains aient été très sympathiques et que pratiquement tous aient impliqué un engagement personnel énorme, un « dévouement à la cause »), parce qu’ils me semblaient potentiellement autocratiques, facilitant avec trop de rapidité l’intronisation d’autres dirigeants, toujours au détriment du rôle de « gens comme nous ».

Telles sont mes expériences concernant la guérilla latino-américaine, engagée avec beaucoup de courage et d’abnégation, mais aussi d’aveuglement. C’est ainsi que j’ai souscrit au témoignage d’un ancien agent secret cubain, fils du célèbre guérillero argentin Ricardo Masetti, auquel Guevara avait confié la mission de créer un foyer révolutionnaire dans ses plans « continentaux » pour l’Amérique du Sud — mission qu’il put à peine mettre en œuvre¹.
Le fils, Jorge Masetti, Argentin mais élevé à Cuba, fut éduqué et formé comme agent révolutionnaire. Fidel voulait accomplir avec le fils ce qu’il n’avait pu obtenir du père. Et lorsqu’il fut totalement « au point », il renonça à cette voie en constatant la série d’échecs des guérillas latino-américaines (et la phase quasi inévitable suivante : la délinquance commune). Il commenta alors : « Quelle chance que nous n’ayons pas gagné».

Sous-sols de la Mort 3, acrylique sur toile, 2021

Palestine

Tout ce préambule pour reconnaître que la violence existant en Palestine est différente, radicalement différente. La violence venant d’en bas, celle des Palestiniens, n’est guère plus qu’une réponse à la machine israélienne, écrasante.

L’image de l’enfant ou des enfants lançant des pierres face à un tank est extraordinairement précise pour illustrer le rapport de forces. Une telle autodéfense, contre-attaque civile, désespérée, comme celle de la jeune fille brandissant une paire de ciseaux de couture dans la rue, parce qu’elle n’en pouvait plus, et qui fut abattue sans hésitation (et sans nécessité). Car Israël réprime ainsi : de manière brutale, annihilatrice, hors la loi mais avec un excès de technique².

Nous sommes face à un traitement particulier de l’ennemi. Netanyahou et d’autres dirigeants l’ont dit et répété : ils combattent des animaux, pas des humains — ou plutôt si, des humains, mais des Amalécites. Et leur dieu leur a donné la permission, il y a quelques millénaires, de les tuer (voir l’Exode dans la Bible).

C’est un permis de très longue durée. Et « parfaitement valide » au XXI siècle.

Mais qui a dit à Netanyahou que les Palestiniens étaient des Amalécites ?

                 

 Gaza Relief, acrylique et autres matériaux sur toile, 2015

Le comportement de la population israélienne est frappant. Voyons les colons en Cisjordanie. Jamais autorisés par l’ONU, mais s’installant de facto sur un territoire internationalement reconnu comme palestinien, avec l’assentiment non exprimé du gouvernement israélien. Il y a quelques années, ils étaient des dizaines de milliers et, en petits groupes, protégés par l’armée, ils approchaient les villages palestiniens et les lapidaient, endommageaient oliveraies et citronniers. À coups de haches ou de caillasses. Parfois il y avait des blessés. Aujourd’hui, les colons sont des centaines de milliers, toujours protégés par l’armée, et en bandes armées de dizaines ou de centaines, ils rasent des villages palestiniens, détruisant maisons, installations, cultures, véhicules et parfois les corps des Palestiniens qu’ils trouvent sur leur chemin. Cherchant à instaurer la terreur.

Dernièrement, l’armée a pris l’initiative : sous prétexte de chercher des « terroristes », elle a détruit des quartiers entiers de population palestinienne désarmée : maisons, vêtements, jardins, jouets, livres, ustensiles — tous les éléments matériels de la vie sociale. Les familles se retrouvent sans foyer, sans biens, souvent sans proches, assassinés dans une dose quotidienne d’horreur.

Il s'agit pratiquement de la politique de « terre brûlée » attribuée à certaines invasions telles que celle des Huns, « barbares » des IVe et Ve siècles de l'ère chrétienne.

Les militaires israéliens ont même établi des barèmes : pour éliminer un petit guérillero, ils s’autorisent jusqu’à 15 civils tués ; pour un chef guérillero, jusqu’à 100 victimes collatérales⁴.

Depuis des décennies, nous voyons les effets du plan Yinon, exposé au début des années 1980. Oded Yinon proposait de fragmenter les États voisins en unités politiques plus petites : le Liban en deux ou trois ; l’Égypte en cinq ou six ; l’Irak en trois ; le Soudan en deux… et ainsi de suite.

Israël, ouvertement ou sous couvert de structures comme Daesh, a vu ses objectifs se réaliser progressivement : Libye, Irak, Syrie, Soudan, Liban, Palestine ont été dévastés par sa politique d’usure, toujours soutenue matériellement par les USA, qui ont joué le rôle de remorque et d'approvisionneur de l’imparable machine israélienne.

Ce soutien inconditionnel des USA à la géopolitique israélienne s'explique de plusieurs façons ; il existe un certain parallélisme entre les développements historiques des USA et d'Israël, bien que dans des contextes historiques très différents. Une base religieuse relativement commune, car les protestants sont les chrétiens qui ont réévalué certains aspects de l'Ancien Testament, qui est le noyau idéologique de la religion juive. Et ce sont eux qui ont colonisé l'Amérique du Nord, exterminant la population autochtone. Bible en main.

Mais surtout, parce qu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, lorsque les USA rompent leurs liens avec la Société des Nations obsolète (disparue en 1946) et fondent « leur » ONU (octobre 1945), l'élite WASP, fondatrice des USA, avait déjà été partiellement remplacée par l'élite juive grâce à une série de stratagèmes : think tanks, l'intelligentsia juive a un poids de plus en plus important ; la Réserve fédérale (le capital financier juif devient majoritaire parmi les dix banques fondatrices, en 1913) ; Hollywood (six des sept grandes entreprises seront dans les années 30 détenues et dirigées par des Juifs, de sorte que de plus en plus les images des USA seront produites avec un regard juif ; et surtout grâce au financement coûteux du personnel politique usaméricain, pour lequel l'AIPAC est fondé en 1951.2 Sans ces subventions, l'insertion sociale de la plupart de ces législateurs serait très difficile.

C'est pourquoi l'une des images les plus simplistes et erronées de certains analystes de politique internationale a été, et est encore souvent, celle du « sous-marin de la flotte usaméricaine » pour parler d'Israël au Proche-Orient. L'image (tail wagging the dog), très connue dans la pensée critique usaméricaine, selon laquelle la queue fait remuer le chien, semble plus appropriée.

Deux événements récents, dans l'orbite de l'ONU, cet ancien instrument que les USA se sont arrogé à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour ordonner et/ou administrer le monde, nous montrent à quel point Israël mène la danse, changeant même les modalités de domination.

     

Sans titre, 2020

Jusqu'à récemment, très récemment, le pouvoir avait l'habitude de cacher son visage, ou ses crocs, et de dissimuler ses actions sous le couvert de la « volonté de paix », de la « recherche d'objectifs démocratiques », de la « conciliation » et de l'« aplanissement des difficultés ». Après tout, le résultat de la Seconde Guerre mondiale, en 1945, a été la victoire contre toutes les formes de dictature (il restait là, « derrière le rideau », une dictature prétendument prolétarienne, et donc totalement différente de celles connues jusqu'alors ; il restait également celle de Franco en Espagne, mais cette dernière, comme tant d'autres en « Amérique latine », faisait partie de cette politique pragmatique yankee consistant à prendre soin du fils de pute s'il est « à nous »).

En d'autres termes, la défense de la démocratie avait ses difficultés, mais elle était encore invoquée.

1. La résolution du Conseil de sécurité du 11 novembre 2025

La résolution « sur le conflit à Gaza » exonère totalement Israël. Elle accepte tacitement la version israélienne d’un Israël « victime du terrorisme du Hamas », ignorant totalement les décennies de blocus, d’étouffement et d’abus qui ont façonné l’événement du 7 octobre 2023.

Israël ne subit ainsi aucune égratignure politique (ni économique) avec la résolution.

Ils n'auront même pas à rendre compte des meurtres collectifs et de leurs monstrueuses « équivalences » en vies humaines4, ni à indemniser les dommages brutaux causés à un territoire qui apparaît broyé et écrasé comme rarement auparavant. Ils n'auront pas non plus à faire face aux dépenses que nécessiteront la remise en état des sols, des logements, des réseaux de communication et d'assainissement, ni la reconstruction des hôpitaux, sans parler des milliers d'êtres humains brisés par le simple fait de vivre dans le cercle infernal conçu par Israël.

Le président des USA, qui aspire à maintenir l'hégémonie qui leur a été confiée en 1945, s'attribue désormais une présidence ou un gouvernement virtuel de la bande de Gaza, pour ─proclame-t-il─ sa reconstruction, toujours à la recherche de la prospérité (la seule chose positive dans cette démarche serait d'ôter à Israël son emprise sur ce territoire, mais je le mets au conditionnel, car ce n'est pas exactement Trump qui décide).

Le plan prévoit deux ans pour la reconstruction urbaine et immobilière. Compte tenu des dégâts visibles, de leur étendue et de leur ampleur, ce délai semble insuffisant.

Il comporte toutefois un aspect positif : l'idée de l'exil forcé des Gazaouis, tant promue par le gouvernement israélien, est abandonnée. Au contraire, du moins en paroles, la résolution déclare expressément la volonté de voir les habitants historiques rester dans la bande de Gaza.

Quoi qu'il en soit, le plan ne cache pas ses ambitions de business : attirer des capitaux importants pour créer des zones de confort, non pas pour les Gazaouis précisément, mais pour les milliardaires que Jared Kushner s'efforce tant d'attirer dans le futur complexe touristique de Gaza.

Nous ne pouvons oublier que des prospections ont confirmé la présence au moins de gaz en Méditerranée, à hauteur de la bande de Gaza. Et que la régence transnationale et impériale que Trump et Blair ─rien de moins─ cherchent à incarner a une préférence marquée pour leur propre prospérité.

L'ONU ne demande pas de comptes à Israël. Toujours absous de tout. Par droit de naissance, faut-il supposer. Mais en outre, dans les faits, l'ONU rétablit le colonialisme pur et dur : une puissance impériale, les USA, désigne Trump et Blair « roi et vice-roi » de ces domaines, afin de rétablir le cadre colonial. Seulement, il ne s'agit pas du colonialisme israélien, mais usaméricain.

La tâche que se sont assigné les chefs colonisateurs est ardue : ils se proposent de « changer les mentalités et les récits palestiniens », afin de persuader, semble-t-il, ces sauvages « des avantages que peut apporter la paix » (sic !).

Si ces maîtres pédagogues ─Blair et Trump─ voulaient proclamer les vertus de la paix, ils devraient s'adresser de toute urgence à la formation politique sioniste, qui, depuis cent ans, a toujours suivi la voie de la violence, et non celle de la paix, la voie de la guerre et de la conquête, envahissant des terres occupées depuis des millénaires, sur la base de documents bibliques douteux. Confondant délibérément religion et légende avec l'histoire documentaire.

La résolution du 11 novembre 2025 a été adoptée par le Conseil de sécurité élargi de l'ONU, qui ne comprend plus seulement les cinq membres originaux (USA, Royaume-Uni, France, Russie, Chine), mais aussi les membres actuels : Argentine, Italie, Espagne, Mexique, Colombie, Pakistan, Corée du Sud, Turquie, Indonésie et Allemagne.

Seules deux abstentions (peu fondées) de la Russie et de la Chine. Aucune des 15 représentations nationales n'a demandé pourquoi Israël pouvait se permettre un comportement violent, raciste et génocidaire en toute impunité.

       

          Détenu, 2024

Les personnes lucides et courageuses, désignées ou fonctionnaires de l'ONU elle-même, au fil du temps, comme Francesca Albanese, Susan Akram ou Richard Falk avant elles, et même Folke Bernadotte au tout début de l'ONU, et tant d'autres, ne suffisent pas à contrebalancer le rôle impérial, puis néo-impérial, que l'ONU continue de jouer, malgré les restrictions et les coupes budgétaires.

2. Le vote du 21 novembre 2025 contre la torture

Le 21 novembre 2025, l'Assemblée générale des Nations unies a rendu un avis contre le recours à la torture. La plénière comptait 176 délégations nationales et la résolution a été approuvée à une écrasante majorité (il y a eu 4 abstentions, dont celles du Nicaragua et de la Russie, ce qui soulève de nombreuses questions), mais surtout, elle a suscité la vive opposition de trois représentations nationales : les USA, Israël et l'Argentine. Ces pays ont alors défendu précisément cela : le recours à la torture.

De sombres nuages planent sur notre présent : non seulement la torture est encore utilisée, mais certains la préconisent, à l'instar des dictatures telles que les célèbres dictatures « latino-américaines » de Trujillo ou Pinochet, ou celle du shah d'Iran et, surtout aujourd'hui, celles très perfectionnées d'Israël et de son système de domination très rationnel qui comprend tant de types de torture.

  

Sans date, dessin au fusain et au pastel

Notre trame culturelle est tellement bouleversée qu'une militaire israélienne, Yifat Tomer-Yerushalmi, procureure qui, après avoir ignoré tant d'abus et de tortures antérieurs, a récemment choisi de criminaliser cinq soldats de « l'armée la plus morale du monde » pour avoir introduit des tubes métalliques dans l'anus d'un prisonnier palestinien et (évidemment) lui avoir fait du mal. Les médias du monde entier parlent de l'arrestation de la procureure, mais pas de la santé (ou de la mort) du Palestinien ; la procureure a elle-même été emprisonnée.

Netanyahou a condamné la diffusion de la vidéo faite par Tomer parce que, bien sûr, « cela nuit à l'image ».

Ce qui compte pour Netanyahou, c’est « l’image » et pas la réalité (sérieusement endommagée).

Ce qui est arrivé à Tomer est un exemple clair du comportement adopté et défendu par les gouvernements des USA, d'Israël et d'Argentine.

De la honte, ne serait-ce que comme posture, nous sommes passés au « grand honneur ». Les « légitimes » torturent et non seulement ils ne se déshonorent pas, nous déshonorant tous, mais ils en sont même fiers.

Illustrations : œuvres du peintre palestinien Mohamed Saleh Khalil, Ramallah

Notes

¹ Il a écrit un livre : La fureur et le délire, Tusquets, Barcelone, 1999.

² Israël minimise la responsabilité individuelle en menant ses raids via drones et systèmes automatisés…

³ AIPAC (American Israel Public Affairs Committee – Comité Américain des affaires publiques d’Israël). On estime qu'aujourd'hui, les trois quarts des représentants et sénateurs du pouvoir législatif usaméricain reçoivent de généreux dons d'organisations telles que l'AIPAC. Autrement dit, les votes sont gagnés d'avance.

⁴ Les militaires israéliens ont établi des tableaux d’équivalence : pour localiser et éliminer un guérillero de peu d'importance, ils s'autorisent à tuer jusqu'à quinze civils désarmés, souvent étrangers à l'affaire ; s'il s'agit d'un chef guérillero ─tel qu'ils le définissent─, ils s'autorisent à tuer jusqu'à cent personnes étrangères à l'objectif lui-même.

 

23/11/2025

Armes de volonté : le Hamas et le Jihad islamique face au plan de Trump pour Gaza

Jeremy Scahill & Jawa Ahmad, Drop Site News, 23/11/2025

Traduit par Tlaxcala

ملخص المقال باللغة العربية في نهاية الوثيقة

Resumen del artículo en español al final del documento

L’ONU vient d’apposer un sceau de légitimité sur le plan colonial du président Donald Trump pour Gaza. Dans ce reportage exclusif de Drop Site, des dirigeants de la résistance palestinienne évaluent l’état actuel de la guerre.

Introduction

Israël poursuit le siège de Gaza malgré le « cessez-le-feu » officiellement entré en vigueur le 10 octobre. Jour après jour, les forces israéliennes attaquent les Palestiniens dans l’enclave, tuant plus de 340 personnes depuis que Donald Trump a présenté son plan de « paix » comme un accomplissement monumental ouvrant une nouvelle ère. La majorité des morts sont des femmes et des enfants.

Durant la semaine écoulée, les forces israéliennes — qui occupent toujours plus de 50 % du territoire de Gaza — ont avancé encore davantage au-delà de la « ligne jaune ». Israël menace de reprendre son siège total si le Hamas ne désarme pas et ne se rend pas. L’État israélien refuse par ailleurs d’autoriser l’entrée des quantités de nourriture, de médicaments et de produits essentiels convenues dans l’accord.

Le 17 novembre, dans un geste sans précédent, le Conseil de sécurité des Nations unies a approuvé le plan néocolonial de Trump pour Gaza, incluant le déploiement d’une force internationale qui n’opérerait pas sous commandement onusien, mais sous la direction d’un conseil privé contrôlé par Trump. Selon ce dernier, cette force serait chargée de désarmer la résistance palestinienne et de démilitariser Gaza, afin de priver le peuple palestinien de son droit à l’autodéfense.

Dans le cadre de la série de Drop Site consacrée à la résistance palestinienne depuis le 7 octobre, des responsables de haut rang du Hamas et du Jihad islamique analysent le chemin qui a mené à la situation actuelle. Nous avons mené une série d’entretiens en personne avec ces dirigeants, qui y décrivent les événements ayant précédé l’accord de cessez-le-feu d’octobre, leur position sur le désarmement et sur le plan Trump, ainsi que leur vision de la lutte actuelle pour la libération nationale palestinienne.

Ce rapport de Jeremy Scahill et Jawa Ahmad est long et détaillé, mais nous pensons qu'il vaut vraiment la peine d'être lu.

L’incapacité de la plupart des médias occidentaux à relayer la perspective de la résistance palestinienne constitue une faute professionnelle et nuit profondément à la compréhension du public.


Des membres des Brigades Al-Qassam du Hamas près de la rue Bagdad, dans la ville de Gaza, le 5 novembre 2025. Photo Hamza Z. H. Qraiqea / Anadolu via Getty Images.

 La frappe de Doha

Peu après 15h46, heure de Doha, le 9 septembre, Osama Hamdan — un dirigeant de haut rang du Hamas — reçut l’appel d’un journaliste lui demandant s’il avait entendu parler d’une explosion qui venait de secouer la capitale qatarie. Hamdan se trouvait alors à une réunion, à l’autre bout de la ville, loin des bureaux du mouvement islamique de résistance, situés dans le quartier huppé de Legtaifiya, rue Wadi Rawdan. Il n’avait entendu aucun bruit.

« Il y a eu une explosion à Doha », se souvient-il que le journaliste lui a dit. « Je crois que vos gens ont été ciblés. »
Hamdan commença à appeler d’autres responsables du Hamas. « Personne ne répondait. Tous les téléphones étaient hors service », se remémore-t-il. « Au bout de cinq minutes environ, un des frères est venu me voir et m’a dit : “Il y a eu une frappe aérienne contre le bureau.” »

La tentative d’assassinat à Doha et le récit d’Osama Hamdan

Alors qu’il se rendait sur les lieux, Hamdan apprit par les médias que des responsables israéliens confirmaient une série de frappes visant à assassiner plusieurs dirigeants de haut rang du Hamas.
L’armée israélienne déclara que les membres de la direction visés « dirigeaient depuis des années les activités terroristes », qu’ils avaient « planifié et supervisé le massacre du 7 octobre » et « dirigeaient la guerre contre Israël ».

Selon Israël, la frappe avait pour objectif d’assassiner le chef du Hamas à Gaza, le Dr Khalil Al-Hayya. « Nous attendons de voir les résultats », déclara un responsable israélien.

Au moment des frappes, Benyamin Netanyahou participait à un événement organisé par l’ambassade usaméricaine à Jérusalem.
Il s’en vanta immédiatement : « Au début de la guerre, j’ai promis qu’Israël atteindrait ceux qui ont perpétré cette horreur. Aujourd’hui, c’est fait. »

Ces frappes israéliennes représentaient une escalade spectaculaire, d’autant qu’elles furent menées sur le territoire du Qatar, pays allié des USA, qui abrite le CENTCOM, l’un des principaux centres névralgiques militaires USaméricains au Moyen-Orient.

Les bureaux du Hamas à Doha avaient été établis en 2011 à la demande directe du gouvernement usaméricain, précisément afin de maintenir une voie de communication diplomatique ouverte avec le mouvement. Le Qatar, avec l’Égypte, joue depuis longtemps un rôle crucial de médiateur dans les conflits et négociations régionales.

Pour Hamdan, l’objectif israélien était clair : « C’était un message politique évident : Netanyahou ne voulait ni cessez-le-feu ni solution.
Il voulait éliminer la délégation qui négociait. En frappant au Qatar, il a montré qu’il ne respectait même pas ceux qui cherchent à obtenir un accord. »


Fumée s’élevant après les explosions survenues dans la capitale qatarie Doha, le 9 septembre 2025. Photo Jacqueline Penney / AFPTV / AFP via Getty Images.

Désinformation et bilan humain

Quelques minutes après les frappes, les réseaux sociaux furent inondés de comptes pro-israéliens affirmant que : Khalil Al-Hayya avait été tué, ainsi que Khaled Mechaal et Zaher Jabbarin.

Netanyahou se félicita publiquement de frappes visant « les chefs terroristes du Hamas ».

Mais Hamdan découvrit rapidement qu’aucun dirigeant majeur n’avait été tué. « Ils ont concentré les frappes sur l’endroit où ils pensaient que la réunion se tenait », explique-t-il. « Mais ils ont échoué. »

En réalité, les frappes tuèrent Hammam Al-Hayya, fils du Dr Khalil Al-Hayya, son secrétaire personnel, trois assistants et gardes du corps ainsi qu’un officier de sécurité qatari.

L’armée israélienne tira entre 10 et 12 missiles sur le complexe, détruisant les bureaux administratifs et l’appartement de la famille Al-Hayya. L’épouse du dirigeant, sa belle-fille et ses petits-enfants furent blessés.

Hamdan dut annoncer lui-même la mort de son fils à Al-Hayya. Ce dernier, qui avait déjà perdu un autre fils — Osama — tué dans une frappe israélienne en 2014, a perdu de nombreux membres de sa famille dans le génocide en cours.

Dans une déclaration publique empreinte de dignité, Al-Hayya affirma ensuite : « La douleur de perdre mon fils, mon compagnon, le directeur de mon bureau et les jeunes autour de moi, c’est une douleur immense. Nous ne sommes pas faits de fer ou de pierre. Nous pleurons nos martyrs, nos familles, nos frères. Mais ce que je vois chaque jour — les tueries, la tyrannie, les assassinats, la destruction à Gaza — me fait oublier ma douleur personnelle. Parce que je sens qu’ils sont tous comme mes propres enfants. »

Une frappe motivée par les négociations

Bien qu’Israël justifie publiquement la frappe de Doha au nom du 7 octobre, la réalité était toute autre : Il s’agissait d’éliminer l’équipe de négociation du Hamas au moment exact où elle examinait une nouvelle proposition usaméricaine.

Dans les jours précédant les frappes, l’administration Trump avait transmis au Hamas, via les médiateurs qataris, un texte présenté comme une nouvelle initiative de cessez-le-feu.
Ce document exigeait notamment la remise immédiate de tous les captifs israéliens — vivants et morts — détenus à Gaza.

Du point de vue du Hamas, cette “offre” ressemblait à un piège : elle était vague, elle n’engageait pas clairement Israël à mettre fin au génocide, elle ne garantissait aucune levée du siège ou retrait militaire.

Le Hamas se souvenait aussi qu’en mai, Trump avait renié une promesse similaire faite lors d’un échange visant à libérer le soldat usaméricano-israélien Edan Alexander.

Funérailles à Doha

Les funérailles furent organisées dès le lendemain, dans la capitale qatarie. Elles rassemblèrent une foule nombreuse : diplomates, responsables politiques, membres de la diaspora palestinienne, journalistes, et figures du mouvement national.

Le cercueil du fils de Khalil Al-Hayya — Hammam — fut porté en tête du cortège, suivi de ceux des quatre membres du Hamas tués dans la frappe, ainsi que celui de l’officier de police qatari. Les dirigeants du Hamas, visiblement éprouvés, prononcèrent des discours de deuil et de résilience.
Ils insistèrent sur le fait que l’attaque ne briserait pas la volonté palestinienne de poursuivre les efforts diplomatiques pour mettre fin à la guerre — malgré l’évidence que l’objectif israélien était précisément d’éliminer la délégation chargée de négocier.


Funérailles à Doha du fils de Khalil Al-Hayya, de quatre membres du Hamas et d’un officier qatari tués lors de la frappe israélienne. Photo Diwan de l’Émirat du Qatar / Anadolu via Getty Images

Le Hamas avait accepté un accord avant les frappes israéliennes

Le 18 août — soit trois semaines avant la tentative d’assassinat de Doha — les factions palestiniennes avaient déjà accepté un accord de cessez-le-feu élaboré par les USA et Israël.

Cet accord, appelé “cadre Witkoff”, du nom de l’émissaire spécial usaméricain Steve Witkoff, comportait 13 points. Il incluait :

  • un cessez-le-feu de 60 jours,
  • la reprise de l’aide humanitaire,
  • la libération de la moitié des captifs israéliens, vivants ou morts,
  • la possibilité de prolonger la trêve pendant que les négociations se poursuivaient.

Pour les dirigeants palestiniens, il s’agissait d’un compromis difficile, mais acceptable, afin de stopper l’hécatombe à Gaza. Mohammad Al-Hindi, chef de la délégation du Jihad islamique, raconte : « Trump pensait que le Hamas ne remettrait jamais vingt captifs d’un seul coup. Nous avons consulté toutes les factions et décidé d’accepter l’accord Witkoff. »

Des concessions palestiniennes majeures

Dans l’accord du 18 août, les Palestiniens avaient accepté :

  • la libération immédiate de huit captifs le premier jour,
  • l’absence de calendrier clair pour le retrait israélien du corridor de Philadelphie,
  • une zone tampon israélienne plus profonde que ce qu’ils avaient exigé,
  • la possibilité d’un accord même sans garantie que la guerre cesserait complètement.

Selon un haut responsable qatari, le Hamas avait accepté 98 % de ce que les USA et Israël réclamaient.

Pourtant…

Israël ne répondit jamais. Les USA firent porter la faute au Hamas

Lorsque les Palestiniens annoncèrent qu’ils acceptaient l’accord, Israël ne donna aucune réponse officielle.

Au lieu de cela :

  • les responsables usaméricains déclarèrent que le Hamas bloquait les négociations,
  • l’armée israélienne accéléra les bombardements,
  • Israël annonça une nouvelle offensive terrestre imminente,
  • les médias israéliens affirmèrent que les Palestiniens « refusaient la paix ».

Al-Hindi : « Ils ont donné à Israël une excuse pour intensifier les frappes et prétendre que nous refusions un accord — alors que nous l’avions accepté. »

22/11/2025

Le “traitement” israélien pour un adolescent gravement malade : des menaces de déportation vers Gaza

Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz, 21/11/2025
Traduit par Tlaxcala


Yamen Al Najjar, avec sa mère Haifa, devant l’hôpital Makassed à Jérusalem-Est, où il est soigné.

Yamen Al-Najjar, un adolescent de 16 ans atteint d’une grave maladie sanguine, est hospitalisé à Jérusalem-Est depuis deux ans. Cette semaine, Israël a tenté de le déporter à Gaza, où sa famille vit sous une tente après la destruction de leur maison. Sa mère est certaine qu’il ne survivrait pas un seul jour s’il y était renvoyé.

À 5 heures du matin, lundi, Yamen Al Najjar, 16 ans, était censé quitter son lit dans le service de médecine interne de l’hôpital Makassed à Jérusalem-Est, où il vit depuis deux ans avec sa mère, rassembler ses peintures et ses quelques vêtements, et retourner dans la bande de Gaza dévastée où il a grandi.
Quelques jours plus tôt, l’hôpital avait informé tous deux qu’Israël avait décidé d’expulser la plupart des Gazaouis hospitalisés ici vers la bande. Selon l’ONG Médecins pour les droits humains, des dizaines d’autres devaient être expulsés avec lui : environ 20 patients et leurs accompagnants du centre médical Sheba, à Ramat Gan ; 60 patients atteints de cancer et leurs accompagnants de l’hôpital Augusta Victoria à Jérusalem-Est ; et 18 patients et accompagnants de Makassed.
À la dernière minute, après un reportage de CNN, la décision a été suspendue – on ne sait pour combien de temps.

Yamen est né et a grandi à Khan Younis, un garçon en bonne santé avec un désir presque inné de peindre. En septembre 2017, il a souffert d’une blessure au nez et a saigné sans interruption pendant 21 jours. Des hémorragies se sont également produites dans son système digestif, et il souffrait d’hématomes sous-cutanés à divers endroits du corps.
Les services médicaux de Gaza n’ont pas pu établir de diagnostic et, après environ trois mois, Yamen a été transféré à Makassed, où l’on a découvert qu’il souffrait de la maladie de von Willebrand, qui affecte la capacité du sang à coaguler. La vie de Yamen – et celle de sa mère – a été bouleversée, mais ce n’était pas la fin de leurs épreuves.

Nous les avons rencontrés cette semaine dans un jardin municipal sale et négligé près de l’hôpital, au milieu de la misère de Jérusalem-Est. La mère du garçon, Haifa, élégante et charmante, oscille entre rires et larmes, et refuse de révéler son âge. Rien dans son attitude ne laisse deviner qu’elle partage un lit d’hôpital avec son fils depuis plus de deux ans, ni qu’elle n’a pas de maison. Elle et son mari, Ramzi, 50 ans, avocat travaillant pour l’Autorité palestinienne, ont quatre enfants – Yamen est le plus jeune.

Haifa et Yamen Al-Najjar à l’hôpital. Après que les médecins de Gaza n’ont pas pu établir de diagnostic, il a été transféré à Jérusalem-Est.

Yamen fait plus que son âge, avec de cheveux noirs épais, bien qu’un début de moustache signale qu’il reste un adolescent. Il porte des lunettes épaisses aux verres sombres depuis que sa vision a été affectée par la maladie. Il transporte un sac en plastique contenant des peintures et des feuilles de papier.
À peine assis sur un banc métallique du jardin, Yamen se met à créer une peinture acrylique aux couleurs vives, avec l’aide occasionnelle de sa mère, elle aussi peintre amateur. À la fin de notre conversation, il aura terminé son tableau du jour – une œuvre frappante et magnifique.

En décembre 2017, après le diagnostic, Yamen a été transféré à l’hôpital universitaire Hadassah à Aïn Karem, Jérusalem. Sa mère raconte l’histoire avec vivacité, se souvenant de chaque date, chaque nom de maladie et chaque symptôme.
Dans les mois suivants, ils se sont rendus à Hadassah tous les trois mois pour des examens ; les trajets depuis Gaza se passaient sans problème et l’état du garçon était stable. Mais en 2020, de nouveaux symptômes graves sont apparus, apparemment sans lien avec sa maladie d’origine. Sa température corporelle chutait brutalement à 32-33 °C, et sa tension sanguine à 70/40, voire moins.
Une IRM réalisée à l’hôpital d’amitié turco-palestinienne à Gaza a montré des dommages au thalamus. Il a été transféré à l’hôpital arabe Istishari à Ramallah, où l’on a également diagnostiqué une atteinte de son hormone de croissance. Puis il a été transféré pour traitement au service d’hématologie de Sheba, où il revenait tous les trois mois avec sa mère pour des contrôles.
Les résultats de ses tests ont été envoyés à des centres médicaux aux USA et au Canada, mais aucune maladie n’a encore été identifiée. L’étape suivante consistait à réaliser des tests génétiques sur toute la famille – puis est arrivé le 7 octobre 2023.

Ce jour-là, Yamen était patient à l’hôpital ophtalmologique St. John de Jérusalem-Est, en raison de problèmes de vision. Le lendemain, il a recommencé à saigner et a été transféré à Makassed. Quelques jours plus tard, il a été transféré à Sheba puis renvoyé à Makassed. Il s’y trouve depuis lors. Pendant que sa mère parle, sa peinture progresse : il a déjà peint le ciel et un champ en bleu et vert intenses, et commence maintenant à peindre la silhouette d’un jeune ou d’un homme. Nous le découvrirons plus tard.


Haifa et Yamen. Pendant notre conversation, le dessin de Yamen progresse – il peint un ciel et un champ en bleu et vert vifs.

Son état se détériore, dit sa mère. Sa température corporelle descend sous les 32 degrés et sa tension chute à 60/23. Elle fait des cauchemars où celle-ci tombe à zéro. Il souffre de douleurs articulaires, d’éruptions cutanées et d’enflures. Il dort 18 heures par jour et le moindre effort l’épuise. Rien de tout cela n'est visible alors qu'il est assis sur le banc, entièrement absorbé par sa peinture.

Depuis quelques semaines, depuis le cessez-le-feu à Gaza, lui et sa mère ont été avertis que leur temps ici touchait à sa fin. Ils ont commencé à chercher un pays qui accepterait de les recevoir et de fournir des soins à Yamen. En janvier dernier, il devait se rendre avec des dizaines d’enfants blessés à Abou Dhabi pour traitement, mais le cessez-le-feu s’est effondré, les combats ont repris et la bande a de nouveau été scellée.

Haifa a contacté des organisations, dont l’OMS, PHR, la Croix-Rouge internationale, le Croissant-Rouge des Émirats et du Qatar, et d’autres. L’OMS a reconnu la gravité de son état, mais aucun pays n’a accepté de l’accueillir. Ses deux oncles, en exil en Grande-Bretagne et en Turquie, ont tenté d’aider, sans succès.
Les 22 000 enfants grièvement blessés dans la guerre à Gaza ont la priorité, dit-elle, même si l’état de Yamen n’est pas moins dangereux. Elle comprend aussi que sa situation serait meilleure s’il avait un diagnostic clair.

Dimanche dernier, il a été annoncé que tous les patients gazaouis, à l’exception des cas les plus graves, seraient renvoyés. Haifa a été rassurée, pensant que Yamen faisait partie des cas graves. Mais deux jours plus tard, on lui a annoncé que Yamen serait expulsé dans les deux jours – jeudi dernier.
Mercredi, on leur a dit que l’expulsion était repoussée à lundi matin, à 5 heures.
Elle a compris qu’elle devait agir vite pour renverser cette décision et sauver son fils. Pour la première fois, elle s’est tournée vers les médias internationaux. Abeer Salman, productrice et journaliste à CNN, a publié l’histoire et, immédiatement après, dimanche, la famille a été informée que leur expulsion était reportée sine die.


Les tentes des familles déplacées à Muwasi cette semaine. Lorsque l’armée israélienne est entrée à Khan Younis, la famille de Yamen a dû fuir à Muwasi sans rien. Photo  Mahmoud Issa / Reuters

C’est une vie dans l’angoisse, sous un nuage sombre et menaçant. « Yamen ne survivra pas un seul jour à Gaza », nous dit sa mère, des larmes apparaissant sur ses joues pour la première fois – vite essuyées. « Son seul péché est d’être né à Gaza. »
À présent, elle l’aide à achever sa peinture. Yamen a peint un homme tenant une branche d’arbre, avec des papillons voletant au-dessus. Sa mère ajoute un ou deux papillons. Ces dernières semaines, il peint beaucoup de papillons, dit-elle. Elle-même peint souvent des femmes tristes.
L’une des œuvres de Yamen, un dessin en noir et blanc datant de quelques semaines, montre un garçon agenouillé, du sang coulant de son doigt, une fleur poussant d’une terre fissurée, des maisons désolées en arrière-plan. Il a dit à sa mère que c’est ainsi qu’il imagine le retour à Gaza, avec son doigt blessé.

En réponse à une demande de Haaretz, le Coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires (COGAT) a déclaré :
« Contrairement aux affirmations, la coordination pour le retour des résidents de Gaza soignés en Israël vers la bande n’a été effectuée qu’après avoir reçu le plein consentement de chaque patient et de sa famille, conformément à leurs souhaits. Les patients ont commencé leur traitement en Israël avant la guerre et, en raison de la fermeture des points de passage, leur retour n’a pas été possible jusqu’à présent, bien qu’ils aient terminé leurs soins. Le processus a été coordonné professionnellement, avec la sensibilité requise, et en toute transparence avec toutes les parties concernées. »
En d’autres termes, une « déportation volontaire ». Difficile de croire que des dizaines de patients et leurs proches souhaitent réellement rentrer dans une Gaza dévastée et ensanglantée, où il ne reste aucun hôpital fonctionnel et où nul ne sait s’ils ont encore une maison.

Concernant Yamen, une source au COGAT a déclaré ne connaître aucun plan pour l’expulser. Pourtant, Yamen et sa famille affirment qu’ils ont déjà été informés deux fois de préparer leurs affaires pour une expulsion imminente, dont encore ce lundi. Dans les deux cas, l’administration de l’hôpital leur a dit agir sur instruction du COGAT.

Après l’article de CNN, une ONG sud-africaine a exprimé sa volonté d’aider à lui trouver un lieu de traitement dans ce pays, mais rien encore n’a abouti. Pour Haifa et Yamen, il est vital que Yamen puisse être soigné quelque part et aussi retrouver, après plus de deux ans, son père, ses sœurs et son frère.
La ligne téléphonique entre eux est ouverte presque en permanence, malgré les difficultés de connexion dans la zone de tentes de Muwasi où la famille vit. Ramzi et le frère de Yamen, Yusef, ont été blessés dans un bombardement.
Le 8 octobre 2023, la famille a quitté sa maison à Khan Younis et s’est installée dans sous tente dans la cour d’une école servant d’abri pour déplacés. Mais le site a bientôt été bombardé et la tente a pris feu. Pendant quelques jours, ils ont dormi dans la rue, jusqu’à pouvoir acheter une nouvelle tente et la monter à Rafah, où ils sont restés jusqu’en juin 2024.

Lorsque l’armée israélienne a envahi Rafah, ils ont dû fuir vers Muwasi. Ils ont tout laissé derrière eux et acheté une nouvelle tente. Lors du cessez-le-feu en janvier dernier, ils ont tenté de revenir aux ruines de leur maison. Une pièce se tenait encore debout, alors ils l’ont entourée de bâches plastifiées et s’y sont installés. Mais lorsque le danger s’est accru, ils ont dû fuir de nouveau et retourner à Muwasi avec une autre tente.

À quelle fréquence parlez-vous à votre famille ? demandons-nous.
« Chaque fois qu’ils se disputent et crient, ils appellent », dit Haifa. Et Salman, la journaliste, proche de la famille, ajoute en riant : « Et ça arrive souvent. » Ils se battent dans la tente de Muwasi pour une tranche de pain, une place sur un matelas, pour savoir qui se lavera ou qui aura quelque chose à boire, dit Haifa. Elle dit à chacun qu’il a raison.
Il y a eu de longs jours sans aucun contact, et tous deux vivaient dans la terreur. Haifa appelait quiconque elle connaissait à Gaza pour retrouver son mari et ses enfants, et écoutait chaque bulletin d’information, tremblante. « C’était une période très dure », dit-elle, et les larmes reviennent. Son mari avait besoin d’un déambulateur les premiers mois après sa blessure. Son cœur s’arrêtait à chaque mention de bombardements ou d’incendies à Muwasi.

Quand Yamen est éveillé, il peint ou joue en ligne à des jeux vidéo avec ses oncles en Turquie et à Londres. La vie à l’hôpital est difficile. « Il n’y a ni intimité, ni confort », dit Haifa, encore souriante.
Depuis qu’il a 3 ans, Yamen gardait tous ses jouets dans leurs boîtes d’origine. Lorsque son père et ses frères et sœurs ont dû quitter la maison le 8 octobre, tous les jouets ont été laissés derrière. Son père lui a demandé quel jouet sauver, et Yamen lui a dit d’emporter un jeu de cartes doré. Elles ont survécu jusqu’à ce que la famille doive fuir de la tente à Rafah, puis ont été perdues aussi.
Le personnel de l’hôpital remplace désormais la famille, dit Haifa, mais elle essaie de ne pas trop s’y attacher, sachant qu’ils devront partir. La semaine dernière, quand elle a appris l’expulsion, elle s’est dit qu’elle avait finalement fait ce qu’il fallait. Tout ce qu’elle veut maintenant, c’est que Yamen reçoive le meilleur traitement possible et que la famille soit réunie. Il saigne presque chaque jour, dit-elle, ce qui le plonge dans la dépression.

Maintenant, il a fini sa peinture et l’a signée en bas.