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21/12/2023

JORGE MAJFUD
Mais tout ça, c’est la faute de ces emmerdeurs de gauchards
L’araignée et les mouches

Jorge Majfud, 20/12/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

En raison de la guerre de l'OTAN en Ukraine et du blocus de la Russie qui en découle, les sanctions contre le Venezuela se sont un peu relâchées au cours de l'année 2023. Les sanctions, les blocus et le harcèlement des USA et de l'Union européenne se sont radicalisés il y a dix ans et ont mis fin à une longue période de croissance économique et de réduction de la pauvreté dans ce pays, ce que la propagande a réussi à vendre comme un échec historique. Ce n'est pas une coïncidence si l'hyperinflation historique du Venezuela est tombée à 185 % par an, ce qui est inférieur au taux atteint par l'Argentine cette année.


Comme nous le répétons depuis des années, les dettes (inflationnistes) des néo-colonies sont nécessaires pour les maintenir dans un état de nécessité productive, ce qui est très similaire à la logique qui se reproduit dans ces mêmes sociétés entre les travailleurs qui arrivent à peine à joindre les deux bouts et une oligarchie qui les diabolise comme “parasites de l'État” lorsqu'ils reçoivent un quelconque subside ou lorsqu'ils sont déjà foutus et qu'ils ne peuvent plus porter de sacs de ciment.

À cause de ces dettes éternelles, les néo-colonies sont obligées de produire, d'exporter et d'acheter des dollars pour “honorer leurs engagements”. En même temps qu’on exige de ces colonies la “responsabilité fiscale”, on oublie aux USA que nous sommes les champions de l'irresponsabilité fiscale, avec des déficits et des dettes pharaoniques qui ne cessent de croître, mine de rien. Qui peut nous malmener et nous bloquer, alors que nous avons l'armée la plus puissante du monde ? Historiquement inefficace pour toute guerre, mais toujours puissante pour harceler les autres et, plus encore, pour forcer notre population à se saigner davantage au nom d'une terreur inoculée par les médias - des réactions à nos propres interventions qui, lorsqu'elles ne suffisent pas, sont inventées avec davantage de provocations ou d'attaques sous faux drapeau.

Alors qu'une économie impériale est inévitablement très productive, la nôtre est basée sur la consommation (70 %) et non sur la production. En fait, nous n'avons pas besoin de produire beaucoup ; nous n'avons même pas besoin de payer des impôts pour rembourser les dettes du gouvernement, un instrument des entreprises qui attisent les guerres partout où cela est nécessaire pour maintenir le déficit croissant de l'État et les transferts massifs de capitaux de la classe ouvrière vers leurs coffres insatiables à Londres et à Wall Street.

Les dollars ont été inventés de toutes pièces, même plus sous forme de papier. Bien sûr, on peut imprimer des dollars, mais on ne peut pas imprimer de la richesse. L'impression massive d'une monnaie mondiale est un moyen d'extraire la valeur d'autres régions qui la détiennent comme réserve ou comme épargne personnelle. Si l'inflation n'explose pas dans le pays qui l'imprime, c'est parce qu'une grande partie de cette inflation est exportée.

Il s'agit également d'un instrument d'extorsion. Si un pays n'est pas endetté, il doit l'être. C'est ce qu'avait reconnu le tout nouveau ministre argentin, Luis Caputo, lorsqu'en 2017 il a assuré que le retour au FMI et le prêt massif reçu « nous permet de laisser plus de place au secteur privé ; il n'y a pas de signe de crise ; c'est préventif ; c'est la première fois qu'un gouvernement [celui de Mauricio Macri] fait des choses comme ça, préventives... »

L'endettement massif, comme celui de l'Argentine, est inflationniste, presque autant que le blocage du crédit et des marchés au Venezuela (par les champions du marché libre), parce qu'ils obligent ces pays à imprimer de la monnaie ou à s'abstenir d'investir dans leur propre société. Aujourd'hui, le fait qu'en Argentine, les néolibéraux aient à nouveau nationalisé (étatisé) les dettes privées est une nouvelle insulte à l'intelligence du peuple - bien sûr, il n'était pas nécessaire d'avoir une grande intelligence non plus ; un peu de mémoire suffisait.

Désigner l'impérialisme mondial comme la cause première des grandes crises économiques et sociales ne signifie pas déresponsabiliser ses administrateurs nationaux. Et surtout, les bradeurs bien de chez nous. Cela ne signifie pas non plus qu'il faille ériger un pays en modèle pour les autres. Bien sûr, il est inutile de clarifier ce point. La pensée cavernicole ne mourra jamais, car elle est efficace comme peu d'autres : « Cuba oui ou Cuba non », « Salvador oui ou Salvador non » ; « Vous vivez aux USAA et vous critiquez son gouvernement, pourquoi n'allez-vous pas vivre au Venezuela ? » ; « Si vous critiquez le massacre de Gaza, pourquoi n'allez-vous pas vivre en Iran ? » ; "si vous critiquez le massacre de Gaza, pourquoi n'allez-vous pas vivre en Iran" ; « Si vous défendez tant les immigrés, pourquoi ne les emmenez-vous pas dormir dans la chambre de votre fils ? » ; « Si vous défendez tant les homosexuels, pourquoi ne couchez-vous pas avec l'un d'entre eux ? » Bref, la dialectique classique de l'ivrogne qui commence à perdre l'euphorie du dernier verre.


 Autre erreur classique : la décontextualisation historique et géopolitique de toute réalité. Pour les libertariens affranchis (néolibéraux), le monde est aussi plat qu'une pizza. Il n'y a pas de classes sociales, pas de nations hégémoniques. Il n'y a pas d'empires ni de parasites oppresseurs. Tout ce qui se passe dans un pays, en particulier dans un pays périphérique, est purement et simplement la faute de de ces emmerdeurs de gauchards. Les gouvernements font la différence, pour le meilleur ou pour le pire, mais ils ne sont pas les seuls à décider de leur propre contexte, comme peut le faire celui d’un pays capitaliste situé au centre. C'est-à-dire un pays impérial - hégémonique, si le mot empire heurte les sensibilités.

À une époque, le capitalisme a fonctionné pour une grande partie des Européens et des USAméricains, mais le même capitalisme (plus radical, plus libéré) n'a jamais fonctionné pour le Honduras, le Guatemala, l'Inde ou le Congo. Au contraire, parce qu'être une puissance impériale et extractive, l'araignée qui tisse sa toile et domine depuis le centre, ce n'est pas la même chose que d'être l'une des mouches dans la toile. Historiquement, les pays non alignés ont subi des sanctions économiques et financières, voire militaires (invasions, coups d'État, assassinats de leurs dangereux dirigeants, attentats sous fausse bannière, tous bien documentés), qui ont ensuite été traduits en “échecs” que la propagande impériale a vendus et vend comme des démonstrations que les idéologies alternatives “ne fonctionnent jamais” et autres clichés similaires propagés par les médias mondiaux, par les agences secrètes et, surtout, par les majordomes créoles, qui se sont toujours chargés de reproduire à l'infini les idéologies parasitaires des esclavagistes et des oligarchies coloniales.

C'est tout. Nous insistons sur ces points depuis des décennies. Dans certains livres, comme Moscas en la telaraña, nous avons exposé ces mêmes idées de manière plus complète et, à mon avis, plus claire, et je n'insisterai donc pas davantage ici. Mais il est nécessaire de rappeler (et de répéter ad nauseam) les aspects les plus simples qui sont stratégiquement oubliés. Toujours. Comme, par exemple, qu'il n'y a pas de développement sans indépendance économique ; qu'il n'y a pas d'indépendance sans union des non-alignés ; qu'il n'y a pas de voies propres sans indépendance culturelle ; que la périphérie n'est qu'une réalité géopolitique, pas nécessairement philosophique et culturelle...

Des choses simples que les empires du Nord se sont chargés, au cours des derniers siècles, de détruire à tout prix. Tout cela au nom de la liberté et de la prospérité - tout ce que les mouches répètent lorsqu'elles sont disséquées par l'araignée salvatrice.

 



19/12/2023

A. RUGGERI /M. VIETA
Javier Milei a su capter le mécontentement d’une nouvelle classe ouvrière informelle

Andrés Ruggeri et Marcelo Vieta, Jacobin, 14/12/2023
Original :
Javier Milei Has Tapped Into the Discontent of a New, Informal Working Class
Español:
Milei captó el descontento de la clase trabajadora informal

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Andrés Ruggeri (Buenos Aires, 1967) est anthropologue social (UBA) et dirige depuis 2002 le programme Facultad Abierta, une équipe de la faculté de philosophie et de lettres de l’UBA qui soutient, conseille et effectue des recherches sur les entreprises détenues par les travailleurs. Dans le cadre de ce programme, il a coordonné quatre enquêtes nationales sur les entreprises récupérées et plusieurs projets universitaires de volontariat et d’extension, ainsi que la création en 2004 du centre de documentation sur les entreprises récupérées qui fonctionne au sein de la coopérative Chilavert Artes Gráficas. Il est l’auteur et le co-auteur de plusieurs ouvrages spécialisés sur le sujet et a donné des conférences et des cours dans plusieurs pays d’Amérique latine, d’Europe et d’Asie. Depuis 2007, il coordonne l’organisation de la rencontre internationale L’économie des travailleurs ? , qui a déjà eu deux éditions en Argentine, une au Mexique et une autre au Brésil, ainsi qu’une rencontre européenne en France. Il est également l’auteur du livre Del Plata a La Habana. América en bicicleta, dans lequel il raconte son voyage de 1998 à travers l’Amérique latine en solidarité avec la révolution cubaine. Par la suite, il a fait le tour du monde à vélo tandem en traversant 22 pays du tiers-monde avec sa compagne Karina Luchetti. Il enseigne également un séminaire spécialisé en anthropologie et en histoire (UBA) et dirige la revue Autogestión Para otra economía.  Articles en plusieurs langues. @RuggeriAndres1

Marcelo Vieta est professeur associé au sein du programme d’éducation des adultes et de développement communautaire de l’université de Toronto. Il est l’auteur de Workers’ Self-Management in Argentina et coauteur de Cooperatives at Work. Bibliographie

Le plus surprenant dans l’élection du libertarien d’extrême droite Javier Milei en Argentine, c’est qu’il a recueilli une grande partie du vote de la classe ouvrière. Sa capacité à répondre aux inquiétudes du secteur précaire en pleine expansion dans le pays devrait être un signal d’alarme pour la gauche.

Le président argentin Javier Milei arrive pour un service interreligieux à la cathédrale métropolitaine après la cérémonie d’investiture présidentielle le 10 décembre 2023 à Buenos Aires, Argentine. (Marcos Brindicci / Getty Images)

Le “phénomène Milei” en Argentine a commencé à prendre de l’ampleur lorsque l’homme politique d’extrême droite a remporté une victoire inattendue lors des primaires présidentielles du mois d’août. Aujourd’hui, Javier Milei est le premier anarcho-capitaliste et libertarien autoproclamé à diriger une grande économie nationale.

Économiste de formation, Milei s’est d’abord fait connaître en tant que personnalité brûlante de la télévision et des médias sociaux, encline à des tirades misogynes et truffées de jurons. L’entrée officielle de Milei dans la politique argentine s’est faite peu de temps après, en 2021, lorsqu’il a remporté un siège au Congrès national. Adepte de longue date du sexe tantrique, dévot des gourous néolibéraux Friedrich von Hayek et Milton Friedman, et propriétaire de plusieurs mastiffs anglais clonés qu’il appelle ses "enfants à quatre pattes", Milei a proclamé quelques heures après avoir battu son adversaire péroniste que “tout ce qui peut être entre les mains du secteur privé sera entre les mains du secteur privé”.


Milei a en tête l’ensemble des 137 entreprises publiques argentines, telles que l’entreprise publique d’énergie Yacimientos Petrolíferos Fiscales (YPF), le vaste réseau de médias publics du pays (Radio Nacional, TV Pública et l’agence de presse Télam), les services postaux et la compagnie aérienne nationale Aerolineas Argentinas. Il a également laissé entendre qu’il démantèlerait le système de santé publique argentin et qu’il privatiserait une grande partie des systèmes d’enseignement primaire et universitaire, y compris l’institution de recherche de l’enseignement supérieur financée par l’État. Milei a également courtisé les capitaux usaméricains pour procéder à l’extraction non réglementée des importantes réserves de lithium et de gaz de schiste du pays. Plus impudemment peut-être, il a promis de se débarrasser de la Banque centrale argentine, de dollariser l’économie (à l’instar de l’Équateur, du Salvador et du Zimbabwe), de libéraliser les marchés et de lever les contrôles stricts des changes du pays.

Ces propositions néolibérales sont certes choquantes mais ne sont pas nouvelles en Argentine. José Martinez de Hoz, ministre de l’Économie de la dictature sanglante de Jorge Videla à la fin des années 1970, et Domingo Cavallo, ministre de l’Économie de Carlos Menem dans les années 1990 néolibérales, ont lancé des politiques économiques tout aussi régressives. En fait, Roberto Dromi, ministre des Travaux publics de Menem, avait clamé presque mot pour mot le même message il y a plus de trente ans : “Rien de ce qui appartient à l’État ne restera dans les mains de l’État”.


Le “plan tronçonneuse” de Milei (plan motosierra, sa version du "drainage du marais" de Trump) sera probablement contesté dans les deux chambres du congrès du pays, où sa coalition “La liberté avance” est minoritaire. Néanmoins, les menaces de mesures d’austérité peuvent très bien être mises à exécution par des décrets présidentiels, et nombre d’entre elles seront sans aucun doute mises en œuvre. À long terme, les résultats seront dévastateurs pour l’Argentine.

Bien que, là encore, ces mesures ne soient pas sans précédent. Dans les années 1990, l’administration Menem a supervisé la vente massive d’actifs publics, l’arrimage du peso au dollar (de fait, un programme de dollarisation) et la libéralisation des marchés, le tout à l’enseigne du contrôle de l’inflation et de l’austérité. Ces mesures ont finalement conduit à un chômage massif (officiellement plus de 20 %), à des taux records de précarité et d’indigence (plus de la moitié de la population), à la délocalisation d’une grande partie de la capacité de production de l’Argentine, à la prise de contrôle de l’économie nationale par les multinationales et à des troubles sociaux extrêmes.

La victoire de Milei suggère que le souvenir de ces années s’est estompé pour une grande partie de l’électorat argentin, qui est accablé par un taux d’inflation de plus de 185 % pour 2023 et une forte augmentation de l’insécurité, alimentée par les infos quotidiennes et les médias sociaux.


Marcelo Spotti

Les mois à venir montreront jusqu’où le nouveau gouvernement de Milei sera capable de faire avancer son programme néolibéral et s’il conservera le soutien de la population au fur et à mesure que les mesures annoncées seront mises en œuvre. La réponse des secteurs populaires historiquement militants de l’Argentine pourrait être décisive. Ce qui est certain, c’est que pour l’opposition politique et la plupart des travailleurs, le chemin à parcourir sera rude.

“Nous n’avons rien vu venir !”

La véritable nouveauté du programme ultranéolibéral de Milei réside peut-être dans sa franchise. Les nouveaux ministres et porte-parole du gouvernement ont déjà averti les Argentin·es qu’ils·elles devaient se préparer à des jours d’austérité. Milei a également déclaré qu’il répondrait à toute forme de protestation sociale par des mesures répressives extrêmes, rappelant ainsi les jours les plus sombres de la dictature civico-militaire.

L’une des grandes surprises de la victoire de Milei en novembre est qu’elle a bénéficié du soutien des secteurs de la classe ouvrière argentine traditionnellement orientés à gauche : 50,8 % des électeurs salariés, 47,4 % des retraités, 50,9 % des électeurs du secteur informel, 52,3 % des ouvriers et près de 30 % de la base péroniste traditionnelle ont voté pour Milei. Outre les 25 à 30 % d’électeurs constituant la base de droite de Milei, environ 53 % des moins de 30 ans, et les votes transférés de la droite traditionnelle et de la classe supérieure qui ont soutenu la coalition Juntos por el Cambio de Mauricio Macri et Patricia Bullrich, cet électorat a permis à Milei de remporter une victoire confortable.

Pourtant, malgré le succès retentissant de Milei lors des primaires d’août et du second tour de novembre - sans parler de sa notoriété médiatique de longue date - la ligne qui circule dans les sphères politiques et intellectuelles argentines est la suivante : “nous n’avons rien vu venir”. C’était le point de vue officiel du gouvernement de gauche sortant d’Alberto Fernández et du candidat en lice Sergio Massa. La campagne perdue de Massa a tenté de rabaisser Milei au rang de caricature politique, mais en vain.

Ignorée par l’establishment politique et médiatique, la coalition d’extrême droite de Milei marque le durcissement de changements socio-économiques qui n’ont eux-mêmes reçu que peu d’attention. En y regardant de plus près, l’inflation persistante et aiguë sans réponse efficace du gouvernement, les défis continus liés à la pandémie, l’influence croissante des médias sociaux et la polarisation marquée du discours politique ont fait de la montée d’une personnalité comme Milei - la version argentine de Jair Bolsonaro ou Donald Trump - un phénomène prévisible.

L’éléphant que personne n’a vu

La question est de savoir pourquoi le “plan tronçonneuse” de Milei a trouvé un écho parmi les pauvres et les travailleur·ses argentin·es, qui souffriront le plus de ses politiques.

L’une des explications est que Milei arrive au sommet d’une vague néolibérale qui, depuis des décennies, érode l’État-providence et la base industrielle traditionnellement solide de l’Argentine (comme en témoigne le fait qu’entre les années 1950 et 1970, l’Argentine a connu de longues périodes de plein emploi). Cette vague néolibérale s’est accompagnée d’une adhésion totale à une rationalité économique qui semblait autrefois étrangère au sens commin argentin.

Pendant l’administration néolibérale de Mauricio Macri, de 2015 à 2019, il est devenu courant en Argentine de parler des “éléphants qui nous ont dépassés”, en référence aux politiques socio-économiques régressives mises en œuvre par le macrisme. Ces politiques comprenaient une dette massive financée par le Fonds monétaire international, une inflation élevée et une fuite des capitaux, que les médias du pays ont pour la plupart ignorées ou dissimulées. Cependant, il y avait un autre éléphant dans la pièce que beaucoup n’ont pas reconnu : la forte croissance du secteur du travail informel et précaire, qui existait en dehors de toute organisation syndicale ou de tout programme social gouvernemental. Le secteur informel, important et en pleine croissance, a été remarquablement absent du débat public argentin pendant une dizaine d’années, toujours considéré par les économistes et les dirigeants politiques comme un phénomène passager, sans représentation et dépourvu de voix politique. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’une personnalité comme Milei ne commence à utiliser un langage qui résonne dans ce nouveau secteur de la classe ouvrière.

Composé de travailleur·ses de l’économie parallèle, de freelances, de travailleur·ses occasionnels et de travailleur·ses des services, ce secteur a connu une croissance exponentielle pendant la pandémie. Alors que de nombreux·ses Argentin·es ont souffert pendant les périodes de confinement strict qui ont duré presque toute l’année 2020 et jusqu’en 2021, la pandémie a frappé de plein fouet ce nouveau groupe de travailleur·ses informel·les et sans contrat, car beaucoup ont continué à travailler sans bénéficier des protections sociales dont jouissent les autres secteurs.

Officiellement connu sous le nom d’Aislamiento Social, Preventivo y Obligatorio (isolement social, préventif et obligatoire, ou ASPO), le mandat de confinement national a mis en évidence les contradictions et les complexités liées au fait de devoir choisir entre prendre soin de la santé publique et prendre soin de l’économie. Le gouvernement d’Alberto Fernández est arrivé au pouvoir en décembre 2019, quelques mois seulement avant que la pandémie n’oblige la nouvelle administration à adopter un ensemble de mesures telles que l’ATP (aide au travail et à la production) - des subventions salariales pour les travailleurs du secteur formel afin d’éviter les licenciements et les fermetures d’entreprises - et l’IFE (revenu familial d’urgence), une garantie de revenu destinée aux travailleurs les plus précaires et les plus au chômage.

Le gouvernement a cependant mal calculé le nombre de bénéficiaires de l’IFE, puisque onze millions de personnes ont demandé des fonds qui n’étaient prévus que pour trois à quatre millions de personnes. Tout en grevant considérablement le budget national, le gouvernement Fernández a finalement accordé l’IFE à dix millions de personnes. À l’époque, on a supposé que le gouvernement Fernández avait commis un oubli, au pire, ce qui a donné du crédit aux accusations d’incompétence administrative. En réalité, le nouveau gouvernement n’avait pas vu à quel point la structure du tissu social et de la main-d’œuvre argentine s’était fondamentalement transformée et détériorée pendant les années néolibérales du macrismo.

Les politiques ultérieures du gouvernement Fernández, reprises dans la campagne de Sergio Massa, ont continué à ignorer le nouveau travailleur informel. Au cours des quatre dernières années, la politique sociale a ciblé les deux groupes de travailleurs les plus importants et les plus visibles d’Argentine : les travailleurs salariés et les segments de ce que l’on appelle en Argentine "l’économie populaire", alignés sur le syndicalisme de mouvement social d’organisations telles que l’UTEP (Union des travailleurs de l’économie populaire), qui sont officiellement autorisées à recevoir et à redistribuer aux travailleurs informels les subventions gouvernementales et les plans de travail pour la sécurité sociale. Outre l’erreur de calcul de l’IFE, les exclusions de l’administration Fernández ont montré l’existence de vastes secteurs de la classe ouvrière non inclus dans l’un ou l’autre des deux groupes.

Ce groupe d’exclus se compose d’un éventail diversifié de travailleurs non enregistrés, ou en negro, qui ne bénéficient d’aucune prestation de sécurité sociale, et de ce que l’on appelle les monotributistas, une catégorie hétéroclite qui regroupe les entrepreneurs indépendants, les travailleurs des microentreprises, les petits entrepreneurs qui ne génèrent pas suffisamment de revenus pour figurer dans le système fiscal national, diverses professions libérales, et les entrepreneurs précaires de l’État, entre autres. Cette dernière catégorie comprend également les travailleurs domestiques, les travailleurs des plateformes associées à des applications de livraison comme Uber et Rappi, les artisans indépendants, les vendeurs de rue, les jeunes qui oscillent entre des emplois de courte durée et mal rémunérés, et les freelances. Il y a également un plus petit nombre de travailleurs coopératifs qui, parce qu’ils n’ont jamais été considérés comme entretenant une relation de travail distincte, tombent également sous le régime fiscal monotributista.

Si nous analysons plus en détail ce groupe, nous constatons que, loin d’être une minorité, il représente une part considérable de la population active argentine, qu’il est en grande majorité jeune et que, à l’exception des travailleur·ses domestiques, il est essentiellement composé d’hommes. Beaucoup de ces travailleurs se sont sentis ignorés par l’essentiel des politiques publiques argentines. Par exemple, pendant la pandémie, alors que nombre d’entre eux ne pouvaient pas travailler ou devaient le faire dans des conditions dangereuses, ils n’ont pas bénéficié de l’ATP et ont été largement exclus de l’IFE. En tant que monotributistas ou travailleurs en negro, ils continuent d’être exclus de la plupart des filets de sécurité sociale argentins.

Susceptibles de faire l’objet d’une campagne médiatique dénonçant la gestion de la pandémie par le gouvernement, socialement inhibés par les mesures de confinement et chroniquement sous-payés, les conditions étaient réunies pour que les rancœurs se développent. Pour la grande majorité de ces travailleurs, l’État n’était pas seulement absent, il les avait oubliés, alors même qu’ils étaient considérés comme “essentiels” et qu’ils livraient la nourriture et les biens consommés par les “ayant droit” confinés.

Comme dans pratiquement tous les aspects de la vie sociale, la pandémie a exacerbé et accéléré des tendances existantes qui émergeaient déjà plus lentement et et de manière plus hésitante. L’éléphant du travail informel a échappé à tout le monde, au gouvernement comme à l’opposition. Il a été ignoré jusqu’à ce que le phénomène Milei attire l’attention. Et Milei lui a rendu la pareille en reconnaissant son désespoir et en capitalisant sur ses sentiments.

Un prolétariat divisé contre lui-même

Les transformations de la structure sociale apparaissent progressivement et mettent du temps à se manifester jusqu’au jour où elles semblent exploser. Ce n’est pas la première fois qu’une telle explosion se produit en Argentine. Dans les années 1940, l’intensité du soutien de la classe ouvrière à Juan Domingo Perón a surpris les classes dirigeantes, l’intelligentsia, la gauche et Perón lui-même. Le triomphe de Raul Alfonsín en 1983 pour le retour de la démocratie a été un autre moment de ce type. La révolte de masse qui a secoué l’Argentine les 19 et 20 décembre 2001 est également apparue comme un ouragan soudain, impossible à arrêter et sans destination précise. L’Argentine se trouve aujourd’hui dans une situation similaire : le mécontentement des masses est palpable, tout comme le besoin d’espoir et de sauveur. Mais pourquoi Milei représente-t-il un tel sauveur pour tant d’Argentins ? Comment se fait-il qu’une utopie d’extrême droite séduise aujourd’hui une grande partie de la classe ouvrière ?

L’attrait de Milei pour ces secteurs désenchantés et en colère de la classe ouvrière réside dans un discours combinant des solutions radicales (voire magiques), un ennemi facile et un avenir imaginaire : une fiction déséquilibrée qui promet une nouvelle vie en se débarrassant de l’État et de la "caste politique" qui a trop longtemps ignoré les travailleurs et les pauvres et les a laissés se débrouiller tout seuls. Le discours de “rupture” de Milei est basé sur une idéologie de néolibéralisme extrême dont le but ultime, pour paraphraser David Harvey, est la reconstitution du pouvoir de classe. Alors qu’auparavant les méchants de cette idéologie étaient l’État-providence et le communisme, de nouveaux mandataires sont à portée de main. Pour le macrismo, c’était le populisme du kirchnerismo, le mouvement associé au péronisme de gauche de Néstor et Cristína Fernández de Kirchner. Pour Milei, comme pour Bolsonaro, il s’agit d’un socialisme et d’un communisme flous qui mêlent les centristes et les gauchistes les plus radicalisés.

Ce qui rend ce nouveau néolibéralisme d’extrême droite unique, c’est que son idéologie est trop grossière pour les classes aisées, qui veulent la domination mais aussi la prévisibilité pour leurs intérêts commerciaux. Le message de Milei n’est pas un discours préparé pour la classe d’affaires, même si Milei lui-même pense qu’il l’est, et même si de nombreux entrepreneurs et biznessmen se sont bouché le nez et ont voté pour Milei à la fin. En réalité, Milei articule un discours nihiliste pour le nouveau prolétariat contre lui-même et ses propres intérêts.

Ce nihilisme s’explique par l’impuissance du gouvernement d’Alberto Fernández à satisfaire, ne serait-ce que nominalement, les attentes sociales élevées qui l’ont porté au pouvoir en 2019. L’inefficacité de l’administration sortante peut être liée à plusieurs facteurs : ses objectifs non atteints de “gouvernement tranquille” (gobierno tranquilo) ; le factionnalisme permanent qui l’a immobilisé, créant une opposition interne souvent plus dure que l’opposition officielle ; et ses aspirations ratées à négocier des accords avec l’opposition et les principaux secteurs économiques. Dans l’ensemble, l’administration Fernández a été marquée par un manque d’acuité théorique et politique qui s’est révélé lorsqu’elle n’a pas su répondre aux problèmes structurels de la nouvelle configuration sociale de l’Argentine.

Bien entendu, il ne s’agit pas d’un problème propre à l’Argentine. Les parallèles entre Milei et Trump, Bolsonaro, l’extrême droite européenne, et d’autres partisans de l’extrême droite latino-américaine, comme le Chilien José Kast et le Colombien Rodolfo Hernández - deux personnalités qui ont failli accéder au gouvernement lors des dernières élections - montrent que l’Argentine n’est pas l’exception, mais la nouvelle règle.

No Future ?

La capacité de Milei à exploiter la frustration d’une grande partie de la société argentine n’absout pas le gouvernement sortant et le projet politique associé au kirchnerismo. Comme dans d’autres pays où l’autoritarisme s’est installé, la gauche a été incapable de communiquer un projet alternatif convaincant à une grande partie de la classe ouvrière qu’elle prétend représenter. Trop souvent, nous, les gens de gauche - en Argentine et dans le monde - n’avons pas réussi à proposer autre chose qu’un retour aux “bons moments”, en ignorant que pour les plus marginalisés, cette période n’a jamais été si bonne que cela. Qu’il s’agisse du progressisme tiède ou de la gauche radicale, nous avons été tellement occupés à défendre les victoires passées que nous avons rarement offert des propositions claires et complètes de futurs alternatifs.

La gauche argentine ne peut apparemment qu’offrir plus de la même chose - ce qui est précisément ce que Milei et ses partisans ont effectivement reformulé comme la cause de tous les maux. Il n’y a pas de projet, et encore moins de discours alternatif, pour les perdants de la réalité socio-économique actuelle. Même l’“économie populaire” et les perspectives autrefois prometteuses du syndicalisme de mouvement social semblent trop conservatrices pour les secteurs informels ciblés par Milei, son apologie de programmes de travail ressemblant trop aux corvées auxquelles les travailleurs indépendants et informels, les freelances, les employé·es de maison et les travailleur·ses des plates-formes veulent échapper.

Si nous ne parvenons pas à articuler un projet visant à améliorer les revenus, les conditions de vie et les capacités productives de tou·tes les travailleur·ses, les solutions actuellement proposées par les organisations représentant la classe ouvrière argentine ne seront jamais suffisantes. Si la gauche ne parvient pas à construire et à communiquer efficacement un projet transformateur qui donne de l’espoir aux rangs croissants du prolétariat émergent, le mieux que nous puissions faire est d’attendre l’échec de cette dernière vague d’autoritarisme d’ultradroite, qui aura sans aucun doute un coût social, économique, politique et culturel intolérable.

05/07/2023

LUIS CASADO
L’inflation

Luis Casado, Politika, 5/7/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

“Qui me prête une échelle
pour monter sur la croix
et enlever les clous
à Jésus de Nazareth ?

Antonio Machado

 

Si je vous demande ce qu’un mathématicien étudie ou sait, vous me répondez : « Les mathématiques ! » Si je demande de qui s’occupe un médecin, la réponse est : « De la santé de ses patients ». Si je demande ce que sait ou de quoi s’occupe un économiste... j’attends la réponse.

À l’origine, la question centrale de ce que l’on a appelé l’économie politique portait sur la répartition des richesses créées par les efforts de tous. Vous souvenez-vous d’avoir lu ou entendu quelque chose à ce sujet récemment ?

Un économiste explique que les “facteurs de production”, c’est-à-dire le travail et le capital, doivent être rémunérés de manière à ce que la production soit attrayante et ait un sens. Depuis l’abolition de l’esclavage, il existe une lutte que Marx a appelée « lutte des classes » : les détenteurs du travail et du capital tentent d’obtenir la meilleure rémunération possible.

Il est facile de comprendre que si la rémunération du capital augmente, celle du travail diminue et vice versa. Le « surplus » qui reste après le paiement de la rémunération du travail et du capital - surplus que l’on appelle aussi profit - est ajouté à la rémunération du capital. Connaissez-vous un entrepreneur qui partage le profit avec ses travailleurs ?

Améliorer le “taux de rentabilité” est l’obsession du capitaliste. Augmenter son salaire est l’obsession du travailleur. Pendant ce temps, en fonction de l’état de la demande, les prix de tel ou tel produit - pétrole, cuivre, grilles de barbecue, etc.- montent ou beissant. En tout cas, c’est ce que dit un économiste...

Aurel

À Rostov, par exemple, le prix des billets d’avion pour la Turquie a été multiplié par dix lorsque les troupes mercenaires d’Evgueni Prigojine - Wagner - se sont emparées de la ville. Le coût de production d’un tel service n’avait pas changé, mais la “demande”, imposée par les oligarques russes, a provoqué cette hausse.

Shakespeare, dans sa pièce Vie et mort du roi Richard III, raconte que, vaincu à la bataille de Bosworth (1485), Richard III, désespéré de s’enfuir et de sauver sa vie, prononça la célèbre phrase : « Un cheval, un cheval, mon royaume pour un cheval ». L’inflation du prix des chevaux à l’heure des comptes  fut grave…

Une hausse généralisée des prix est un phénomène appelé “inflation”, dont il est utile de connaître les causes. Il est alors plus facile de s’attaquer à l’inflation pour la réduire ou l’éliminer. Certains (Irving Fisher, Milton Friedman, les monétaristes) ont prétendu que l’inflation provient d’un excès de monnaie en circulation. Cet excès génère une augmentation de la demande de biens et de services. Si la production de ces biens et services n’augmente pas en même temps, il y a inflation.

Lorsque les banques centrales augmentent les taux d’intérêt, elles le font pour réduire la demande de monnaie, et donc l’inflation. Elles parviennent généralement à provoquer une baisse de l’activité productive, voire une récession et une hausse du chômage... alors que l’inflation est toujours là, merci.

Dans les années 1980, la masse monétaire a augmenté plus que la production, et il n’y a pas eu d’inflation. Dans les années 1990, elle a augmenté au même rythme que la production, et il y a eu de l’inflation. Lorsque la crise de 2008 a éclaté, les banques centrales ont émis de la monnaie en quantités industrielles, souvenez-vous de l’assouplissement quantitatif, et il n’y a pas eu d’inflation. Les taux d’intérêt des banques centrales sont tombés à zéro, et ont même été négatifs : elles ont payé pour emprunter !

L’augmentation de la masse monétaire n’est pas miraculeusement transférée dans les poches des citoyens. Lorsque les Banques centrales ont connu leur diarrhée monétaire à partir de la crise de 2008, la seule chose qui a augmenté, c’est le prix des actifs financiers. Et à cela, le populo n’a pas participé, c’est clair pour vous ?

Il arrive généralement, c’est la chose la plus fréquente, que les prix augmentent... sauf les prix du travail : les salaires restent à leur niveau et leur “pouvoir d’achat” diminue. Pas besoin de s’appeler Marx pour comprendre que dans ce cas la demande baisse... Pourtant, l’“inflation” continue. Pourquoi ?

Certains prétendent que l’inflation est toujours la manifestation de conflits dans la répartition des richesses générées par les efforts de tous, ou en d’autres termes, que le but de l’“inflation” est de réduire la rémunération du travail, en augmentant la rémunération du capital. Les gens sont méchants...

Il n’échappera pas à votre sagacité que lorsque les banques centrales augmentent les taux d’intérêt, le coût de location du capital augmente. Pour rembourser et toucher sa part de profit, l’entrepreneur doit obtenir un taux de rendement plus élevé... et le seul moyen - nous l’avons déjà vu - est de réduire la rémunération du travail. Ou... d’auimenter ses prix, ce qui revient à peu près au même.

Il faut préciser que ceux qui mesurent l’“inflation” forcent un peu les statistiques. La presse française titrait il y a quelques jours que l’inflation annuelle était tombée à un peu plus de 4 %. Alléluia ! Mais, et c’est un grand mais, elle omettait de préciser que l’inflation alimentaire (qui représente une part importante des revenus des pauvres) était montée à 14 %...

L’indice “inflation” est un agrégat qui comprend les produits de base (loyer, nourriture, etc.) et les produits et services de luxe. Ce sont ces derniers qui ont baissé... Capisc ? Si vous n’achetez pas une Porsche tous les ans ou si vous ne partez pas en vacances à Tahiti, vous ne vous rendez pas compte que l’inflation s’est modérée. Un travailleur qui vit et travaille à Barcelone (pour ne citer qu’un exemple), ne paie que la moitié de son salaire en loyer. Le reste est consacré à l’essentiel : la nourriture, le transport et deux ou trois autres choses.

John Maynard Keynes (1883 - 1946), le célèbre économiste anglais, a prouvé que les théories monétaristes sont un leurre. Les faits lui ont donné raison.

Aujourd’hui encore, avec l’inflation, les familles modestes subissent un effet inattendu de la relativité einsteinienne : le temps s’allonge et il est de plus en plus difficile de joindre les deux bouts. Le pire, disait Coluche, ce sont les 30 derniers jours....

En résumé, l’inflation produit ce que les économistes patentés appellent “la reconstitution des marges des entreprises”, qui obtiennent une plus grande part du gâteau, réduisant celle qui revient aux pauvres bougres.

Les Banques Centrales, qui connaissent la chanson, prennent le taureau par les cornes : augmenter les taux d’intérêt, pour lutter contre l’inflation, produit, comme on l’a dit, une récession, donc du chômage, et par conséquent un excès de travail sur le marché du travail, ce qui détermine ce qu’on appelle la “modération salariale” ou la baisse des salaires, qui contribue à améliorer la rémunération du capital. C’est-y pas beau, l’’économie?

Dans un récent travail réalisé en France par un patriote nommé Philippe Askénazy (Paris Sciences Economiques, CEPREMAP, IZA), dans le cadre d’une conférence organisée par l’Institut National de la Statistique (INSEE), on peut lire ce qui suit :

« À priori, la répartition de la valeur ajoutée ou la répartition primaire des revenus semble une notion simple. Pour un euro de richesse créée, les travailleurs reçoivent A de rémunération et le reste, 1-A, rémunère les capitalistes".

A = Part du travail = Rémunération du travail / Valeur ajoutée.

 « En France, la répartition de la valeur ajoutée entre le capital et le travail est au centre de controverses récurrentes depuis au moins 20 ans. La baisse de la part du travail au milieu des années 1980 a donné lieu à deux interprétations très différentes. D’une part, il ne s’agit que d’un retour à la “normalité” historique et internationale qui ne nécessite aucune intervention particulière. D’autre part, ce recul serait le résultat d’une déformation durable qui soulignerait un déséquilibre pouvant appeler un rééquilibrage en faveur du travail et de la demande (Timbeau, 2002) ou un dysfonctionnement des institutions, en particulier de la régulation du marché du travail (Blanchard, 2005) ».

Graphique : part du travail dans la valeur ajoutée en France (source : Piketty).

Le même ouvrage d’Askénazy souligne ce qui suit :

« La question du partage ne se limite pas à la France, l’effondrement de la part du travail aux États-Unis pose également la question d’une relance de la dynamique salariale au sein même de l’administration Bush ».

Par pitié, et dans l’intérêt de mon temps et de la longueur de cette note, je n’inclus pas ici les données du Chili. Cela ne m’empêchera pas de le faire plus tard.

L’important, pour l’instant, est de comprendre les raisons qui ont déclenché le processus inflationniste et les remèdes miraculeux que les banques centrales nous proposent, remèdes qui se révéleront pires que le mal.

De nombreux économistes de renom affirment haut et fort que la hausse des taux d’intérêt n’est pas la solution à l’inflation et qu’elle n’aboutira qu’à une nouvelle récession.

Surprenez-moi !