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07/06/2024

FRANCO “BIFO” BERARDI
Amalek : traumatisme, ténèbres et loups travestis

Avertissement : cet article contient deux vidéos de rappeurs israéliens appelant au génocide. Personnes sensibles s’abstenir.

 Franco “Bifo” Berardi, il disertore, 5/6/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

« Va maintenant et frappe Amalek. Vouez à la destruction tout ce qui leur appartient. Tu ne les épargneras pas et tu feras mourir hommes et femmes, enfants et nourrissons, bœufs et brebis, chameaux et ânes » (1 Samuel 15.2-3)

 Dans les ténèbres

« Ces gens méritent de mourir, ils méritent une mort douloureuse, une mort atroce, et au lieu de ça, ils s'amusent sur la plage », déclare sur la chaîne Canal 12 Yehuda Shlezinger, correspondant pour les affaires religieuses d’ Israel Hayom, un journal israélien de droite à grand tirage, après avoir vu une photo de deux Palestiniens se baignant dans la mer sur une plage de Gaza. « Nous avons besoin de beaucoup plus de vengeance, d'un fleuve de sang gazaoui ».

« Ce serait bien », écrit Meghan Stack, auteure d'un article publié dans le New York Times sous le titre “The View Within Israel Turns Bleak, « ce serait bien si M. Shlezinger était une figure marginale ou si les Israéliens étaient scandalisés par ses fantasmes sanglants. Mais malheureusement, ce n'est pas le cas ».

L'article de Meghan est rempli d'informations que je qualifierais de choquantes si nous n'étions pas habitués à l'horreur : « En février, selon un sondage, une majorité d'Israéliens s'oppose à l'envoi de nourriture et de médicaments à Gaza ».

Meghan Stack rapporte que certains musiciens rappeurs, très écoutés par les jeunes Israéliens, appellent à l'anéantissement et prêchent qu'il n'y aura pas de pitié pour les rats qui seront exterminés dans leurs terriers.


 De nombreux magasins affichent des produits sur lesquels on peut lire : « Achevez-les » [Finish them]. Cette phrase, Nikki Haley l'a inscrite sur une bombe destinée à tuer des enfants palestiniens.

Traduction littérale de ces deux mots : « Exterminez-les ».

Comment Israël en est-il arrivé là ?

Israël a été dès le début une construction artificielle que seule la violence armée pouvait soutenir, mais ce n'est qu'au cours des dernières années qu'il s'est complètement transformé en une machine d'extermination qui, après le 7 octobre, a montré son visage repoussant, que tout le monde, mais vraiment tout le monde dans le monde, regarde maintenant avec horreur.

Il est clair qu'il s'agit d'un collapsus psychotique partagé par toute une population, un effondrement qui, à mon avis, prélude à la désintégration de l'entité sioniste.

L'effondrement est certainement dû à l'atrocité de l'attentat du 7 octobre qui, dans sa cruauté, a obligé les Israéliens à prendre conscience que l'endroit où ils se trouvent, l'endroit où les Européens ont réussi à les piéger, avec la complicité du sionisme, loin d'être un endroit sûr, est l'endroit le plus dangereux au monde pour les juifs. Un piège, une continuation de la machine de mort que le nazisme a construite pour les Juifs d'Europe.


Le retour traumatique du refoulé

Avant le 7 octobre, les Israéliens vivaient, dans le refoulement plus cynique, dans une zone d'intérêt similaire à celle que Jonathan Glazer raconte dans son film sur le quartier situé en face du camp d'Auschwitz, habité par les hiérarques nazis et leurs familles.

Vient ensuite le traumatisme du 7 octobre, que l'on peut techniquement qualifier de pogrom*, mais qui est aussi un acte de guerre d'une puissance symbolique gigantesque, comme l'a été le 11 septembre.

À Manhattan, ce jour-là, on a pris conscience (jusque-là étouffée) que les jours de l'Occident étaient comptés, parce que la supériorité technique sur laquelle reposait la suprématie blanche touchait à sa fin, et que dix-neuf garçons islamiques fanatiques pouvaient apprendre à piloter un avion et à démolir des gratte-ciels.

Après le 7 octobre, le suprémacisme blanc et le sionisme se sont retrouvés face à un monde assoiffé de vengeance et devenu ingouvernable.

Les jours de la suprématie blanche sont comptés parce que le monde dominé s'est doté des outils techniques pour mener à bien l'attaque de la métropole, et parce que le voile du refoulement est désormais déchiré. À jamais.

Source : Ministère des Affaires étrangères palestinien (avec les dates de reconnaissance pour chaque pays)

La question palestinienne est le test décisif de ce renversement des rapports de force à l'échelle planétaire. Regardez la carte : quels sont les pays qui reconnaissent l'État palestinien et ceux qui ne le reconnaissent pas. Et vous aurez la preuve que les sionistes blancs sont une minorité encerclée. Les assiégés sont surarmés, et l'armée est la seule supériorité qui leur reste. Cela ne durera pas éternellement, mais la guerre en Ukraine est en train de la briser pour de bon.

Le retour du refoulé est traumatisant : pour revenir à la lumière (ténébreuse), le refoulé produit une violence égale à la violence subie.

Par conséquent, après le 7 octobre, Israël a réagi d'une manière dangereuse pour tous ceux qui l'entouraient, mais mortelle pour lui.

Essayons d'imaginer selon quelles lignes se déroulera le conflit interne en Israël.

Otage des racistes de la droite fasciste au pouvoir, Netanyahou devra répondre non seulement de ses fautes personnelles, mais aussi de sa responsabilité dans la tragédie du 7 octobre et dans le génocide qui a fait d'Israël un monstre.

Il devra répondre de son choix d'utiliser le Hamas contre l'unité palestinienne, puis d'ignorer l'existence du Grand Refoulé de Gaza pour se concentrer sur ses propres affaires, et enfin de déclencher une guerre qui était perdue d'avance à partir du moment où il a déclaré que son objectif était d'éliminer le Hamas.

Je ne sais rien de la situation militaire du Hamas, et je ne doute pas qu'il ait été affaibli (je suppose que pour cent civils tués, au moins un aura été un combattant du Hamas). Mais le nombre de personnes qui attendent de s'enrôler dans le Hamas pour venger la mort de leur mère ou de leur cousin est sûrement dix fois supérieur au nombre de personnes tuées.

Je crains que le conflit interne en Israël ne soit pas seulement politique. Dans les jours qui ont suivi le 7 octobre, le gouvernement israélien a distribué des armes à ses citoyens pour se défendre. Ces armes seront utilisées dans la guerre civile qui pourrait bientôt ensanglanter Israël, lorsque la crise psychotique sera suivie d'un effondrement dépressif et d'une horreur de soi.

Mais qui est cet Amalek ?

Dans l'un de ses discours, Netanyahou a cité Amalek, un personnage biblique qui revient dans les chansons des rappeurs nazis-sionistes, mais aussi dans les délires néo-bibliques qui circulent dans le discours public israélien.

Mais qui est cet Amalek ?

Lorsque les Hébreux se libèrent de l'esclavage subi pendant des générations en Égypte et se dirigent vers la terre promise, ils sont attaqués par une tribu qui s'est installée en leur absence dans le désert du Néguev, les Amalécites.

Amalek était un petit-fils d'Ésaü, ennemi acharné de son frère Jacob pour de vulgaires questions d'héritage. De plus, il était le chef, le patriarche, le démon qui dirigeait cette tribu.

La Bible en parle, ce livre effrayant qui a toujours contribué à façonner l'esprit occidental selon les traits stylistiques d'une obsession meurtrière.

La mythologie d'Amalek est toujours restée à l'arrière-plan de l'histoire juive, une projection imaginaire incarnée dans la personne des persécuteurs du peuple juif, de l'empereur Titus au hetman cosaque ukrainien Khmelnitski, jusqu'à Hitler et jusqu'à Sinwar, le chef militaire du Hamas.

Nommer Amalek est dangereux et ne doit pas être fait à la légère. Riccardo Paredi, chercheur à l'Université américaine de Beyrouth, écrit à ce sujet :

"Dans l'histoire d'Amalek, un premier aspect vraiment unique se distingue. Comme nous le lisons également dans le passage cité par Netanyahou, la Bible hébraïque ordonne à deux reprises aux Israélites d'“effacer” la mémoire (zekher) d'Amalek. Le trope biblique du “souvenir” - en particulier de la transmission d'un enseignement divin de génération en génération - est bien connu (l'impératif zachor apparaît 169 fois dans la Bible hébraïque). Et il s'agit d'un rappel paradoxal. Avec un tel commandement, “l'incohérence est inévitable” : n'oublie pas d'effacer la mémoire de ton ennemi. N'oublie pas d'oublier. Mais comment peut-on oublier quelque chose dont on a ordonné de se souvenir ? Et comment se fait-il que Dieu garantisse d'effacer la mémoire d'Amalek, alors que Moïse parle d'un Dieu qui combattra Amalek de génération en génération" (Riccardo Paredi : Rappelle-toi d’oublier . Amalek ou la nécessité de passer du mythe au doux).

L'État d'Israël a été fondé dès le départ sur l'obsession vindicative de la mémoire. Bien sûr, on pourrait en dire autant de n'importe quel État-nation, car les nations naissent toujours d'une déformation obsessionnelle de la mémoire, mais dans le cas d'Israël, l'obsession biblique du zekher s'est soudée de manière psychotique au traitement du traumatisme de l'Holocauste.

En 2018, l'État laïque d'Israël s'est transformé en “État-nation des Juifs” : le nationalisme et le fondamentalisme sont devenus la force dirigeante, achevant la lente transformation socioculturelle de la population israélienne : depuis les années 1990, les intellectuels, les étudiants et les personnes orientées dans un sens laïque ou socialiste ont abandonné le pays, pour être remplacés par une masse venue des pays du bloc soviétique en voie de désintégration, et dont le but était d'occuper des terres, sans poser les problèmes de conscience qui avaient accompagné les Juifs d'Europe dans la première partie du siècle. D'ailleurs, les fanatiques font beaucoup d'enfants, alors que ceux qui ne sont pas obsédés par l'identité en font peu. C'est pourquoi Israël, État colonial par essence, est devenu le monstre nazi que le monde entier a vu à l'œuvre ces derniers mois.

Netanyahou est le produit de cette mutation et, en même temps, il est l'expression la plus claire du cynisme qui découle de la fusion du colonialisme raciste avec le fondamentalisme religieux. Dans ce contexte, il faut comprendre le langage avec lequel Netanyahou a jeté de l'huile sur le feu du 7 octobre, conscient qu'en exacerbant la guerre, il pouvait repousser le moment du bilan devant les tribunaux et devant le monde.

Riccardo Paredi écrit plus loin :

« Si l'on interprète le commandement divin de manière littérale et fondamentaliste, comme le fait Netanyahou, “l'effacement de la mémoire d'Amalek de sous le ciel”, sous peine de sa propre défaite, est une obligation divine. En termes modernes, Dieu ordonne de commettre un génocide ».

L'Etat d'Israël étant né sur l'hypertrophie de la mémoire, il ne peut que reconnaître dans l'autre toujours la figure d'Amalek.

Quiconque désapprouve l'État d'Israël est un Amalek, c'est-à-dire un ennemi des Juifs.

« Amalek hait les Juifs et, s'il est habile, il transforme la haine en simple désapprobation, en critique politique, culturelle ou religieuse. La haine se déguise en pacifisme, en défense des droits de l'homme, en neutralité. Elle devient un circuit fermé » (https://cabala.org/articoli/amalek.htm)

Cette obsession bien fondée fait des Palestiniens la dernière incarnation des Amalécites. Comme eux, ils ont profité de l'absence (bimillénaire) des Juifs pour occuper une partie de leur terre.

Au nom de la mémoire, ou plutôt au nom du mythe, le sionisme a prétendu déloger ces Amalécites en ne reconnaissant pas leur existence. Ils les ont enlevés, effacés, cachés derrière un mur, internés dans des camps de concentration, éliminés avec des armes à feu.

Mais le 7 octobre, les personnes enlevées reviennent sur le devant de la scène et désormais, quoi qu'il arrive, elles ne pourront plus être effacées.

À moins de mener un génocide à la perfection, en éliminant physiquement quelques millions de personnes, Israël ne peut pas gagner, étant donné les prémisses avec lesquelles le lâche criminel Netanyahou a commencé la guerre de Gaza, qui n'est pas une guerre mais une extermination (pour l'instant imparfaite).

Je crois donc que la fin d'Israël a commencé, et cela peut être très douloureux, jusqu'à ouvrir la porte à un danger extrême, parce qu'Israël est l'endroit le plus dangereux au monde pour les Juifs, et aussi parce que le monde n'oubliera pas leur arrogance inhumaine.

AstraZeneka, par ISTUBALZ

Le loup n'est pas mort

Pour défendre l'entité sioniste colonialiste et raciste, les Israéliens ont commis une autre infamie qui leur sera peut-être la plus fatale. Ils se sont alliés aux pires antisémites qui soient, aux racistes chrétiens de la droite républicaine usaméricaine, aux fascistes européens, etc. Ensemble, ils ont banalisé l'accusation d'antisémitisme, utilisé cette accusation très grave comme une arme, comme un chantage, comme une insulte de comptoir.

Ils sont allés jusqu'à accuser d'antisémitisme le juge de la Cour internationale de justice, ils sont allés jusqu'à accuser d'antisémitisme les intellectuels juifs qui protestent contre le génocide.

Ils n'auraient pas dû le faire car il n'est pas prudent de crier au loup quand il n'y a pas de loup.

Les étudiants qui brandissent le drapeau palestinien dans les universités usaméricaines ne sont pas des loups (beaucoup d'entre eux sont juifs). Mais cela ne signifie pas que les loups ont disparu et ne réapparaîtront jamais.

Le loup a mis son beau costume, sa cravate, il se cache chez les républicains trumpistes qui crient vive Israël, il se cache chez les fascistes italiens ou espagnols qui envoient la police tabasser les étudiants propalestiniens.

Mais comme le dit le proverbe, un léopard ne peut pas changer ses taches, et l'antisémitisme est voué à refaire surface tôt ou tard.

Il est facile de prédire que l'inhumanité du comportement israélien engendrera une vague de haine qui, pour l'instant, prend la forme de protestations pacifiques, mais qui, demain, se transformera presque certainement en une nouvelle persécution des Juifs.

Israël est la création d'un groupe de sionistes à courte vue, mais c'est surtout la création des Européens, qui ont saisi l'occasion offerte par les sionistes pour se débarrasser des Juifs. Après avoir tué six millions d'entre eux, les Européens ont ensuite prétendu être devenus amis des Juifs et les ont vomis hors d'Europe.

Vomi n'est pas une expression de moi, mais d'Amos Oz.

« On peut peut-être se consoler en se disant que si les Arabes ne veulent pas de nous ici, les peuples européens, eux, n'ont pas la moindre envie de nous voir peupler à nouveau l'Europe. Et comme le pouvoir des Européens est de toute façon plus fort que celui des Arabes, il y a des chances qu'ils nous laissent ici de toute façon, qu'ils obligent les Arabes à digérer ce que “l'Europe” essaie de vomir ». (Une histoire d’amour et de ténèbres, p. 402 de l’édition italienne).

Ils les ont donc vomis et envoyés dans un désert plein de dangers. Les Juifs vomis par les Européens ont servi d'avant-poste occidental dans la région qui fournit du pétrole au monde depuis des décennies. Mais la haine suscitée par Israël avec cette extraversion du traumatisme subi pourrait alimenter une vague de véritable antisémitisme, et alors la donne pourrait changer, et les fascistes européens, les trumpistes yankees pourraient se lasser d'avoir à défendre ces Juifs qu'ils n'ont jamais cessé de haïr.

Il sera alors inutile de crier au loup.

NdT

*Qualifier l’opération Toufan Al Aqsa de « pogrom » me semble relever du non-sens et même du contresens, concession de l’auteur à la doxa occidentale dominante, qui ne fait qu’amplifier la hasbara israélienne. Rappelons que pogrom (« dévastation » en russe) a désigné les émeutes contre des quartiers et des établissements juifs dans l’ancien Empire russe et en Roumanie, entre 1880 et 1920, au cours desquelles une populace, tolérée, encouragée et même encadrée par des milices paramilitaires (les « Cent-Noirs ») et/ou par la police secrète (l’Okhrana), se déchaînait contre les minorités juives désarmées. Le 7 octobre 2023 a, en revanche, vu une force militaire régulière (dotée d’un commandement, d’uniformes et de règles d’engagement) venue d’un territoire soumis à un siège militaire depuis 17 ans attaquer des bases militaires et des kibboutz paramilitaires hébergeant des hommes et des femmes armé·es chargé·es de surveille ce territoire. Il appartiendra à la justice internationale de déterminer si les dommages collatéraux de cette opération relèvent de crimes de guerre, à défaut d’être des « pogroms », une catégorie qui n’a aucune définition juridique. On peut en revanche parler de pogroms pour qualifier certaines attaques de colons juifs armés contre des habitants palestiniens désarmés en Cisjordanie, par exemple à Huwara en février 2023. [FG]

"Gaza, c'est Auschwitz avec les caméras de télé". Et, pourrait-on ajouter, le Ghetto de Varsovie avec whatsapp et telegram, Dachau avec tiktok et Treblinka avec X

 

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