Phrase du jour Quote of the day

Je ne connais pas dans l'histoire de l'humanité, dans l'histoire du droit de la guerre, d'armées qui prennent autant de précautions et qui soient autant surveillées par des juges, bien assis dans leurs fauteuils, qui jugent quelques affaires par an, qui n'ont pas grand-chose à faire, je suis désolée de le dire - je vais peut-être être attaquée par ces juges - et qui doivent arrêter des priorités. Et la priorité, ce n'était vraiment pas d'attaquer M. Netanyahou. Est-ce que vous connaissez, j'aimerais bien le savoir, une armée qui, au monde, d'abord mobilise sa population, des jeunes de 19 ans, de 20 ans, qui sont tués pour défendre leur patrie, qui devraient être soutenus ? Deuxièmement, qui font des appels téléphoniques, qui lancent des tracts, qui demandent aux populations qui les préviennent à l'avance. Est-ce que vous croyez, puisque c'est une condition des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, est-ce que vous croyez vraiment que c'est de manière intentionnelle, c'est-à-dire est-ce qu'il y a vraiment l'intention d'affamer les Gazaouis, et de tuer des civils ? L'intentionnalité est partie intégrante des crimes qu'a jugés la Cour pénale internationale.

Noëlle Lenoir, avocate à la Cour, ancienne ministre française des Affaires européennes, sur Répliques, la causerie au coin du feu de l’académicien Alain Finkielkraut, 29/6/2024

20/06/2024

JUDY MALTZ
“Papy plaque Mamie” : une nouvelle exposition à New York brise le mythe du “gentil mari juif”


Judy Maltz, Haaretz, 19/6/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Pendant une soixantaine d’années à partir du début du XXe siècle, le Bureau national des désertions a traqué aux USA et à l’étranger les maris juifs qui avaient abandonné leur femme et leur famille. Une nouvelle exposition permet d’en savoir plus sur cette agence quasiment de détectives méconnue.

Runaway Husbands, Desperate Families: The Story of the National Desertion Bureau

NEW YORK - Nathan Goldfarb, un horloger qui vivait à Manhattan avec sa femme et ses deux enfants, était tombé amoureux d’une pensionnaire qui louait une chambre dans la maison familiale. Après que sa femme Lena les a surpris au lit, Goldfarb et sa maîtresse se sont enfuis en Californie, où ils ont rejoint une communauté pratiquant l’amour libre.

La maîtresse finit par le quitter pour un autre homme et, après avoir été menacé d’arrestation pour s’être introduit chez elle, Nathan retourne à Lena la queue entre les jambes.

Portrait de Jacob Rosenbloom et article du journal Forverts de juillet 1912 montrant un groupe de maris partis sans laisser d'adresse

Abraham Meyerson et sa femme Fannie ont connu une fin moins heureuse. Découpeur de tissus dans une usine de Chicago, Abraham abandonne sa femme et ses quatre enfants et s’enfuit sur la côte ouest, où il se met en ménage avec une autre femme.

C’est la deuxième femme et la deuxième famille qu’il abandonne. Bien qu’il ait finalement été retrouvé et qu’il ait accepté de verser une pension alimentaire à Fannie, les archives montrent qu’il n’a pas toujours respecté cet engagement.

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Cours de citoyenneté pour les immigrants juifs à la Hebrew Sheltering and Immigrant Aid Society of America [Société hébraïque d’hébergement et d'aide aux immigrants d’Amérique] dans le Lower East Side de New York, février 1920. Photo : Institut YIVO pour la recherche juive

Ces histoires et bien d’autres de maris juifs fugueurs font partie d’une exposition spéciale, inaugurée cette semaine à l’Institut YIVO pour la recherche juive à Manhattan, consacrée à une agence peu connue appelée le Bureau national des désertions.

Créé pour retrouver les milliers d’hommes juifs qui ont abandonné leurs femmes et leurs familles lors de la grande vague d’immigration vers les USA au tournant du siècle, il a fonctionné du début des années 1900 jusqu’aux années 1960 [en 1955, il a changé de nom, devenant Family Location Services, Services de localisation pour les familles, NdT]

« Nous aimons tous considérer la vague d’immigration juive en Amérique comme une immense success story », note Eddy Portnoy, directeur des expositions à YIVO. « Mais il y a aussi eu de nombreux cas comme celui-ci, où Zeidie [Papy en yddish] a plaqué Bubbie [Mamie en yidish] ».

Le Bureau national des désertions a été mis en place par le Jewish Board of Family and Children’s Services [Office juif de service aux familles et aux enfants], créé il y a 150 ans et qui est l’une des plus grandes agences de santé mentale et de services sociaux de l’État de New York.

Les orphelinats juifs figuraient parmi les principaux services fournis à ses débuts. À l’époque, les dirigeants de l’office n’arrivaient pas à comprendre pourquoi le nombre d’orphelins juifs avait commencé à augmenter avec la grande vague d’immigration. Une enquête a révélé que de nombreuses femmes déposaient leurs enfants dans les orphelinats parce qu’elles ne pouvaient plus subvenir à leurs besoins après avoir été abandonnées par leurs maris.

Un marché sur Hester Street, un quartier juif du Lower East Side de New York, dans les années 1900. Photo : Institut YIVO pour la recherche juive

« Nous avons commencé à verser des allocations hebdomadaires pour empêcher ces mères d’abandonner leurs enfants. Mais nous nous sommes rendu compte qu’il fallait trouver une meilleure solution au problème, et c’est pourquoi la NDB a été créée », raconte Jeffrey Brenner, directeur général du Jewish Board.

Tactiques de name and shame |mise au pilori]

Le bureau, qui fonctionnait comme une agence quasiment de détectives traquant les maris en fuite à travers les USA, mais aussi à l’étranger, publiait les photos d’identité des hommes disparus dans une rubrique quotidienne du journal en yiddish Forverts (En avant, The Forward) dans le cadre de sa tactique de “name and shame” (nommer et faire honte).

Au cours de ses décennies d’existence, l’agence a suivi plus de 18 000 cas de conjoints disparus. Mais la plupart de ces histoires sont restées secrètes en raison des lois sur la protection de la vie privée. À l’occasion de son 150e  anniversaire, le Jewish Board a proposé que les archives du Bureau national de la désertion, qui avaient été remises il y a plusieurs années à YIVO, soient communiquées au public.


ALPAGUÉ : Benjamin Weinstein, l’un des milliers d’hommes juifs traqués par le Bureau national de désertion (date non précisée) entre les années 1900 et 1960. Photo : Institut YIVO pour la recherche juive

« Il existe un mythe qui s’est perpétué au fil des ans, selon lequel les Juifs étaient des immigrants modèles, que nous nous sommes tirés d’affaire par nos propres moyens et que nous étions autonomes », explique Brenner. « Nous pensons que l’histoire réelle est beaucoup plus compliquée et que ce n’est pas une bonne chose de peindre l’histoire en rose ».

L’exposition, qui sera visible jusqu’à l’automne, comprend des documents et des objets provenant des dossiers des maris fugueurs, notamment des demandes d’aide auprès du bureau, des photos et des dossiers juridiques.

Sur deux colonnes de la salle d’exposition, on trouve les nombreuses réponses figurant sur ces formulaires de demande comme « raison de la désertion ». Parmi les plus inhabituelles : « L’épouse a refusé de se prostituer ». « N’aimait pas Baltimore ». « Croyait avoir une femme en Russie ». Et « Maudit par l’épouse ».


Graphique montrant les causes d’abandon déclarées par les maris juifs entre 1911 et les années 1930. Photo : Institut YIVO pour la recherche juive

De fait, un graphique accroché au mur, basé sur des informations provenant de milliers de dossiers, montre que la première cause de désertion par les maris juifs - en fait, avec peu de concurrence - est « une autre femme ».

Le phénomène des maris juifs fugueurs avait atteint de telles proportions épidémiques au tournant du XXe siècle qu’un médium basé dans le Lower East Side, connu sous le nom de Professeur Abraham Hochman, est devenu célèbre pour sa capacité à fournir des informations aux épouses sur leur localisation. Le sous-titre d’un article de 1903, inclus dans l’exposition et publié dans le Buffalo Evening News, chante ses louanges en notant : « Le professeur Hochman a un œil magique auquel les époux défaillants ne peuvent échapper ».

En tant qu’historien, le directeur général de YIVO, Jonathan Brent, n’a pas été surpris par certaines des histoires peu recommandables révélées dans la nouvelle exposition. Mais il pense que de nombreux visiteurs - peut-être moins bien informés de l’histoire juive usaméricaine du début du XXe siècle - pourraient très bien l’être.


Une photographie du mari volage Morris Frankel devant le magasin où il était employé à Cleveland, Ohio. Son cas a été mis en lumière dans le journal yiddish Forverts en juin 1915. Photo : Institut YIVO pour la recherche juive

« Quiconque a étudié l’histoire autrement que comme un simple mythe comprend que les histoires décrites dans ces documents sont normales parce que les gens sont des gens, et que le peuple juif, en particulier, avait des problèmes particuliers », explique-t-il.

« Cela ne remet pas complètement en cause l’histoire triomphaliste de l’immigration juive et toutes les réussites de la vie juive en Amérique. Mais cela replace certainement ces succès dans le contexte d’une grande souffrance, d’incertitude, de dislocation et de désorientation sociale et émotionnelle ».

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