Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
(À la mémoire de Duncan Livingston)
Un célèbre journaliste mexicain avait observé que le Chili était le pays des euphémismes, car nous sommes habitués à appeler les choses par un autre nom et nous n’utilisons pas les vrais adjectifs pour décrire par exemple les actes de corruption pure et simple. Ainsi, aujourd’hui encore, certains préfèrent appeler la dictature pinochétiste Gouvernement militaire, tout comme le coup d’État de 1973 a été connu pendant des années sous le nom de “pronunciamiento militaire”.
Les livres d’histoire continuent d’appeler la guerre et le génocide d’État contre le peuple mapuche (1851-1883) “pacification de l’Araucanie” : son coût en vies humaines est estimé à 60-70 000 indigènes, auxquels des milliers d’hectares ont été arrachés pour être distribués à des colonisateurs nationaux et étrangers. Une vaste dépossession qui a duré plusieurs décennies et dont les territoires sont toujours dominés par des entreprises forestières et agricoles privées.
Les gouvernements post-dictature ont fait quelques efforts pour restituer une partie des territoires usurpés aux Mapuches, mais il ne fait aucun doute que ce processus a été trop lent et qu’il a épuisé la patience des peuples natifs de la région. Personne ou presque n’ignore, en tout cas, que la lutte des Mapuches pour récupérer leurs terres ancestrales est juste, même si les derniers gouvernements ont censuré la radicalité de leurs actions pour récupérer ce qui leur a toujours appartenu.
Le gouvernement de Gabriel Boric a décidé de prolonger les états d’exception dans la macro-zone sud du pays, tout en mobilisant des milliers de militaires pour, par euphémisme, imposer “l’État de droit” dans ces régions secouées par la violence, les sabotages contre les entreprises usurpatrices et la récupération de leurs propriétés ancestrales.
Depuis la militarisation de la zone et la reconnaissance de l’incapacité des carabiniers à imposer seuls l’“ordre public”, nous vivons une nouvelle guerre interne. La confrontation de l’État avec les différents référents politiques de ce qui est considéré comme une nation qui aspire à récupérer ce qui lui a été enlevé, ainsi qu’à se donner des formes d’autonomie politique et administrative.
Héctor Llaitul
en prison avec la version espagnole de L’An V de la Révolution algérienne
de Frantz Fanon
Parmi ces organisations figure la Coordination Arauco Malleco (CAM), dont le principal dirigeant est emprisonné et fait l’objet de poursuites en vertu de la législation antiterroriste. On ne peut ignorer le fait que de nombreux dirigeants actuels reconnaissaient la pleine légitimité de la CAM et de son principal dirigeant, Héctor Llaitul. Cette appréciation a changé depuis l’arrivée à La Moneda des leaders étudiants qui ont marché avec les Mapuches dans les mobilisations sociales.
Pour les nouvelles autorités, aujourd’hui, Llaitul et ses partisans sont qualifiés de terroristes par le ministère de l’Intérieur et les militaires comme les policiers ont obtenu le droit de tuer s’ils le jugent nécessaire pour défendre les entreprises et les propriétaires privés menacés par l’action des rebelles ou des insurgés mapuches. Le CAM est même accusé d’actes tels que le vol de bois et certains incendies criminels, dont on craint à juste titre qu’ils soient souvent le fait des hommes d’affaires de la région eux-mêmes.
En ce sens, il y a déjà une longue histoire de victimes de montages policiers qui ont affecté les membres de la communauté du Wallmapu et les prisons se remplissent de détenus qui aujourd’hui, par le biais de grèves de la faim, demandent un traitement pénitentiaire digne et la reconnaissance de la jurisprudence internationale en ce qui concerne les minorités indigènes.
La répression brutale n’est pas reconnue comme un acte de guerre contre un groupe ethnique qui, bien sûr, a dû s’armer et recourir à des actes de violence pour faire reconnaître ses droits et persuader les entreprises de quitter la région afin que leurs territoires soient restitués à leurs propriétaires légitimes et ancestraux. Il faut également reconnaître que la cause mapuche est soutenue par de nombreux Chiliens et groupes du nord au sud du pays qui sont prêts à collaborer à leur résistance et à apporter des ressources pour faire face à l’occupation militaire.
Cela explique pourquoi, au cours des derniers mois, l’état d’urgence et les mouvements de troupes n’ont pas eu l’effet escompté par les dirigeants actuels et ont, au contraire, contraint les Mapuches à la lutte armée, au sabotage et à d’autres actions qui constituent un véritable scénario de guerre qui ne veut pas être reconnu comme tel et qui devrait l’être à l’avenir. Surtout si l’on tient compte du fait que, depuis cinq siècles, la lutte des Mapuches n’a jamais cessé et que leurs convictions n’ont jamais pu fléchir. Surtout maintenant que des millions de personnes dans ce pays reconnaissent leur identité mapuche, avec sa langue, ses valeurs et ses drapeaux. Et maintenant, des deux côtés de la Cordillère des Andes, tout un peuple qui se reconnaît comme frères et sœurs, attend de se rassembler et de revendiquer sa reconnaissance et ses droits.
Malheureusement, la nouvelle génération d’hommes politiques, sur ce sujet comme sur d’autres, ne fait rien d’autre que de prolonger les politiques et les mauvaises pratiques de leurs prédécesseurs au gouvernement. Et nous pouvons y observer un discours plus radical, même, que celui des dirigeants de la droite et du centre.
Si l’on parle tant actuellement du risque d’une nouvelle Explosion sociale, il serait bon de noter que cette fois-ci, c’est dans le sud que la mèche du mécontentement général pourrait s’allumer.