Parmi les nombreuses images de la situation tragique de Valence, l’une d’entre elles m’a frappé par sa valeur symbolique. Il s’agit d’un amoncellement de voitures entre les immeubles, dans une étroite rue en pente de la ville espagnole ; empilées au hasard, comme si elles avaient été entassées dans une grande casse automobile, précédées et entremêlées de poubelles, elles sont regardées avec incrédulité, étonnement et résignation par les personnes qui se trouvent à sa base. Mais il s’agissait en fait de voitures neuves, garées le long des rues de la ville et entraînées vers le bas par la furie de l’eau qui s’était abattue pendant quelques heures et qui, en une seule journée, avait dépassé la quantité d’eau qui, en règle générale, tombe en un an.
Je dis « en règle générale », mais la règle n’est plus respectée désormais, sauf, approximativement, dans la quantité totale de précipitations qui, dans la zone méditerranéenne, arrivent sous des formes différentes que par le passé : peu de neige (mais quand elle arrive, elle est abondante), beaucoup de fortes pluies (qui mouillent souvent les gens plus par le bas que sur la tête en raison de la force avec laquelle elles tombent), beaucoup de grêle et de nombreux phénomènes divers tels que des tornades, des ouragans, des éclairs en quantités jamais vues auparavant. Les images sont frappantes parce qu’elles concernent la destruction des signes de « notre » civilisation occidentale: voitures, autoroutes, supermarchés avec garages souterrains, villes couvertes de béton et d’asphalte, systèmes d’alerte électronique, la structure de la gouvernance. Tout ce qui a explosé en Espagne n’était pas « arriéré » et un vestige d’un système économique industriel obsolète ; au contraire, c’était le fruit de ce que notre civilisation a de mieux à offrir, y compris le mécanisme de consommation des services liés à notre vie. Progressivement, nos villes (l’Espagne n’est pas différente de l’Italie ou de l’Allemagne) ont abandonné la construction de services sociaux (hôpitaux, écoles, administrations) pour devenir des centres de repos (immenses quartiers dortoirs) et de tourisme de consommation rapide. Ce ne sont plus les vacances de la bourgeoisie naissante du XVIIIe siècle que Goldoni décrivait dans sa Trilogie de la villégiature, mais les vacances au pas de course que l’on prend le week-end, en dormant dans les chambres d’hôtes qui ont remplacé les maisons des centres historiques en provoquant la « gentrification » (transformation des quartiers populaires des centres historiques en structures haut de gamme ou commerciales) ou encore dans les bus verts phosphorescents qui sillonnent l’Europe de long en large.
Pour en revenir à la catastrophe espagnole, conséquence évidente du changement climatique, elle n’est pas très différente des catastrophes italiennes de ces dernières années, si ce n’est par l’ampleur des dégâts et des morts. En outre, la faible ampleur des catastrophes italiennes étaient dues au hasard, à la nature pédoclimatique des localités touchées, à la structure hydrographique et à la répartition de la population, et non aux structures socio-économiques existantes. En effet, il y a le paradoxe que les forces politiques de gouvernement - centrales et locales - des deux États, inversement réparties, ont accumulé le même échec et montré la même incapacité à « prévoir » et à « gouverner » le désastre. S’il n’était pas tragiquement criminel Si l’attitude des fascistes espagnols cassant des voitures et en tabassant des dirigeants n’était pas tragiquement criminelle, elle serait risible : qu’ont fait leurs petits copains du gouvernement central en Italie ? Ont-ils été beaucoup plus capables ? Ont-ils changé les choses maintenant qu’ils gouvernent ce pays ? En réalité, l’idéologie industrialiste qui guide nos élites (qu’elles soient de gauche ou de droite) est la même et elle est en faillite. L’industrie et ses institutions : les associations professionnelles, les syndicats, les coopératives, les structures - étatiques ou privées - qui guident l’éducation, la santé, les secours et les urgences, ont toutes échoué, et en substance ce n’ était pas leur faute. Il est désormais clair que la catastrophe de 2005 USA - les inondations en Louisiane causées par l’ouragan Katrina, avec 1 392 morts et 125 milliards de dollars de dégâts - malgré la responsabilité considérable de l’administration Bush, n’était que partiellement due à l’incapacité administrative et à l’idéologie économique particulière qui croyait au progrès illimité fourni par le marché. La réalité d’aujourd’hui confirme l’incapacité de toute idéologie (socialiste ou capitaliste) à avoir une relation positive avec l’environnement, puisqu’elles placent l’industrie et le marché (social ou du capital) au-dessus de la relation de coopération entre les êtres vivants, du respect de leurs différents besoins, de la prise en compte des temps et des modes de relation avec la Nature. Nous avons déjà écrit que les eaux ont leur propre chemin et que leur respect est un impératif, indépendant de notre époque et de nos structures sociales.
Ce n’est pas un hasard si l’une des vidéos sur la catastrophe espagnole montre la petite ville d’Almonacid de la Cuba sauvée des eaux par un barrage construit en bordure de la localité pendant l’empire romain, il y a deux mille ans (et qui, heureusement, n’a pas été démoli au cours des siècles suivants).
De plus, les connaissances que nous acquérons ne nous ouvrent pas les yeux sur situation réelle. Le phénomène de la DANA (Depresión Aislada en Niveles Altos - dépression isolée à niveau élevé, ou gouttefroide), que j’avais déjà mentionné en parlant des inondations en Romagne dans un article précédent (ici) est bien connu, à tel point qu’il est expliqué avec des mots simples, accessibles même aux administrateurs, dans un spectacle amusant de Giobbe Covatta « 6 degrés » qui présente ironiquement l’effet de l’augmentation future de la température de notre planète. L’Agenda 2030 a été créé dans le but d’éviter ou au moins de réduire tout ce qui est en train de se produire.
Il n’y a pas de solutions alternatives, les politiques foncières doivent être modifiées et nous devons dire adieu au symbole du progrès : la voiture alimentée par des combustibles fossiles. Comment construire cet avenir ? Il y a une image qui, au milieu de la douleur, nous redonne de l’optimisme : face à la situation d’abandon que tant de vivants (hommes et animaux) ont vécue en Espagne, en Italie, au Maroc, au Bangladesh, face au pillage auquel certains ont été tentés de se livrer, il y a des milliers d’hommes (et d’animaux) qui ont travaillé en coopération ; équipés d’outils rudimentaires, ils ont œuvré pour sauver et reconstruire. Les anges de la boue que nous avons vus à Florence après les inondations de 1966 ont été vus en Romagne et à Valence, et opèrent dans un esprit de coopération dans toutes les autres parties du monde, ridiculisant les énormes progrès technologiques qui sont censés changer nos vies, mais qui en réalité ne les améliorent en rien.
Soixante ans plus tard, ce sont toujours les mains, la pelle et l’esprit de solidarité qui donnent de l’espoir au monde.
Je crois que lorsqu’on parlera un
jour de cette période de l’histoire de l’humanité, on parlera d’une époque où les
images éphémères régnaient et les « apparences » primaient sur la réalité des
faits. Lorsque la réalité reprendra le dessus sur l’apparence, on parlera d’une
période où l’hypocrisie prévalait dans les relations internationales, à tel
point que les causes et les effets des actions des gouvernements de l’époque
étaient dissimulés dans les documents signés.
Parallèlement au G7, se tenait sur l'île d'Ortigia une expo de promotion du Made in Italy baptisée "DiviNation" où Giorgina et son ministre Lollobrigida ont fait leur show
Cette prémisse était nécessaire
pour recadrer les résultats de la réunion du G7 de l’agriculture, l’une des
nombreuses qui marquent chaque année les relations entre les États les plus
puissants de la planète. Elle s’est déroulée dans un climat d’incertitude, tant
en ce qui concerne la situation géopolitique que la situation spécifique de l’agriculture.
Pour tout dire, les participants à la réunion étaient l’expression de
gouvernements démissionnaires, démis ou nouvellement formés pour la plupart des
États (pensons aux récentes élections en France ou à celles à venir aux USA) et
n’étaient pas en état de prendre des engagements concrets. Comme ces réunions
ont lieu tous les ans, la réunion italienne aurait été l’occasion de faire un
travail de couloir, de développer les connaissances des nouveaux participants
et de conclure par d’éventuels engagements concrets avec les autres.
Au lieu de cela, on a préféré en
faire un cirque Barnum, en l’associant à une autre foire commerciale, comme l’ont
souligné de nombreux organes de presse, avec un effet promotionnel qui, dans
les intentions des organisateurs, aurait renforcé l’image du Made in Italy.
Personnellement, j’ai de sérieux
doutes quant aux résultats futurs, en particulier parce que les conditions
climatiques et de marché dans le secteur agricole ne sont pas parmi les plus
favorables et sont combinées à des conditions géopolitiques qui ont conduit à
certaines crises de marché et à la détérioration des conditions alimentaires
dans certaines régions de la planète.
Tout cela parce que le monde
poursuit la guerre globale « en morceaux », renforçant la pratique actuelle qui
consiste à déclencher des attaques non pas contre les armées adverses, mais
contre la population du camp opposé, en semant la terreur. Dans ces camps, les
malheureux habitants sont coupables de vivre là et sont souvent tués sous
prétexte que « l’ennemi les utilise comme boucliers humains ». Dans cette lente
mais inexorable escalade, d’autres pratiques guerrières détestables, utilisées
dans le passé, telles que le siège et l’affamement de l’ennemi - aujourd’hui
appelées par euphémisme « crises humanitaires » - sont mises en œuvre.
Pendant ce temps, les pays du G7,
tout en discutant de l’agriculture, se déchargent de toute responsabilité
directe et tentent de trouver la « quadrature du cercle » entre l’augmentation
de la productivité (et donc de la consommation d’énergie) d’une part, et la
réduction de la pollution et la lutte contre le changement climatique d’autre
part.
Le communiqué publié à l’issue
des travaux ne dit rien de nouveau sur ce que toutes les grandes institutions
internationales (ONU, FAO, OCDE) disent depuis des années sur la relation entre
faim / protection de l’environnement / développement socio-économique. Le G7
arrive bon dernier en admettant cette relation, selon laquelle il semble
évident qu’il ne sera pas possible d’éliminer la faim dans le monde si cela ne
se fait pas en parallèle de la protection de l’environnement et du
développement socio-économique.
Mais depuis une décennie, l’Agenda
2030 a été mis en place, qui a placé cette relation à la base de ses objectifs,
signé par tous les pays de l’ONU, mais tous les États sont à la traîne dans
leur réalisation et les résultats que l’on pensait possibles en 2030 sont
toujours repoussés.
Le communiqué de clôture du G7 ne
laisse rien transparaître de cet échec global. Le ton déclamatoire du
communiqué cache en réalité un manque d’action et dans les commentaires de la
plupart des médias italiens, on vante la nature même du document, véritable
manifeste de l’agriculture que nous voulons : rentable, résiliente, équitable
et durable. Mais ils omettent de noter ce que la rigueur des données montre :
depuis 1970, si une partie du monde a été libérée de la faim, ce n’est pas
grâce à l’intervention des grandes puissances et des institutions économiques
qu’elles dirigent, mais grâce à l’effort que la Chine a fait en interne pour
amener le pays à ce qu’il est aujourd’hui. Pour le reste, l’aide apportée aux
pays dans le besoin a été anéantie par le changement climatique et les guerres.
On ne sait pas dans quelle mesure
la transformation industrielle de l’agriculture dans les pays dits « pauvres »
a été un vecteur d’amélioration ou, peut-être, d’affaiblissement structurel
supplémentaire face aux changements géopolitiques. Mais un minimum d’autocritique,
sous la forme d’un changement des méthodes et de la voie adoptée jusqu’à
présent dans les relations avec les autres pays (notamment en Afrique), aurait
été nécessaire, ne serait-ce que pour réduire la distance politique qui existe
aujourd’hui entre les sept puissances et le reste du monde.
Par exemple,
toutes les motions déposées à l’ONU sur les conflits impliquant la Russie et
Israël, votées par les sept grands et visant à condamner l’agression et le
terrorisme, ont vu 35 États africains voter systématiquement contre ; un signe
de dissidence à l’égard des politiques développées par les « grands » pays qui,
malheureusement, tend à augmenter.
Comment pensez-vous impliquer
tous les pays africains dans des relations économiques stables s’ils ont vu
précisément dans les deux conflits - en Russie et au Moyen-Orient - la cause
principale de la hausse des prix du pétrole, qui est à son tour la cause
principale de la hausse des prix des denrées alimentaires ? Et comment veut-on
augmenter la capacité d’autosuffisance alimentaire si le changement climatique
oblige à abandonner de nombreux territoires sur les différents continents et
que le développement économique dépend du mécanisme d’exportation ?
Dans de
nombreux pays dits pauvres, les produits agricoles et la main-d’œuvre sont les
seuls produits commercialisés. Mais lorsque les sécheresses réduisent la
production agricole et que les politiques des pays riches empêchent l’entrée
légale sur le marché du travail, comment sommes-nous censés améliorer les
relations entre les nations et les conditions économiques générales ? Trop d’inconnues
se cachent derrière le mécanisme d’aide au développement mentionné dans le
document. Un petit exemple est la contradiction entre la protection des
produits italiens et la nécessité d’ouvrir le marché et la production
agroalimentaire aux produits des pays tiers, en premier lieu africains et
ukrainiens, qui suscite la révolte de nos agriculteurs.
Les pays touchés par la crise
climatique sont souvent les plus pauvres et, si l’on regarde les autres, ce
sont les régions les moins riches des pays industrialisés qui sont les plus
touchées par la crise. La crise climatique dans les régions riches est
facilement déguisée en faible croissance du PIB : si le monde dans son ensemble
n’est plus en mesure de « croître », c’est parce que l’exploitation des
ressources et des terres a atteint ses limites, mais vous ne trouverez pas cela
dans le communiqué. On dit que l’enfer est
pavé de bonnes intentions...
Les
aliments biologiques n’utilisent pas d’intrants chimiques, préservent la
fertilité des sols et sont plus respectueux du bien-être des animaux.La méthode de l’agriculture
biologique protège l’environnement, les écosystèmes et la biodiversité, en
favorisant un modèle culturel et de développement qui valorise les ressources
naturelles en évitant la surexploitation des sols, de l’eau et de l’air.La
production alimentaire durable et la sécurité alimentaire sont garanties par la
stratégie « de la ferme à la fourchette » de l’UE.
Cependant, il existe
certaines contradictions dans la production d’aliments biologiques : par
exemple, certains additifs alimentaires sont permis et autorisés alors qu’on ne
peut ignorer que plusieurs d’entre eux provoquent une hypersensibilité chez les
jeunes consommateurs - même si les données sur les causes spécifiques et
multiples des allergies ne sont pas certaines - et masquent les
caractéristiques intrinsèques du produit alimentaire liées aux qualités
organoleptiques (texture, couleur, arôme, palatabilité [appétibilité], etc.).Et ce, dans un contexte où les conditions de santé de la population ne
cessent de se dégrader (surpoids, obésité, hypertension et maladies
cardiovasculaires, diabète et cancer).C’est pourquoi l’évolution des
produits biologiques doit s’orienter, sinon par la loi, du moins sur une base
volontaire, vers une production excluant la présence d’additifs, comme le
recommande la pratique de référence Uni/Acu
57:2019.
Les
nouveautés et les changements surviennent souvent à l’occasion d’événements
considérés comme mineurs et de faits qui ont une apparence de routine
administrative. À mon avis, ce qui s’est passé dans le secteur biologique au
début du mois d’août, avec la création de ConfagriBio, l’association de Confagricoltura
[Confédération générale de l’agriculture italienne] dédiée à l’agriculture
biologique, est l’un de ces événements qui signalent un changement en cours. Je
le dis en connaissance de cause, car je suis le secteur biologique depuis les
années 1970 et je suis membre d’une association (ACU) qui est depuis sa
création, lorsqu’elle s’appelait Agrisalus,
membre de l’IFOAM, la Fédération
internationale des mouvements d’agriculture biologique, Je crois que l’agriculture
et le secteur biologique en particulier ont besoin de signaux novateurs ; le
fait qu’ils soient donnés par des entreprises qui ont joué un rôle, pour le
meilleur ou pour le pire, dans l’introduction d’innovations dans l’agriculture,
confirme le poids de la décision. En effet, Confagricoltura, une association
qui a fait de la « culture d’entreprise » l’outil directeur de ses
activités de production, a décidé en premier lieu de créer une section dédiée à
l’agriculture biologique, et Paolo Parisini, un entrepreneur agricole dont le CV
comprend la présidence de la Federazione Nazionale Prodotto Bio (Fédération
nationale des produits biologiques), a été nommé président de l’association
nouvellement créée.
Pour
comprendre le sens que revêt dans le panorama agricole et dans l’histoire du
secteur une nouvelle association regroupant des entreprises qui ont grandi dans
la logique du marché, il faut se souvenir du passé, lorsque l’écologisme et ses
domaines voisins (dont l’agriculture biologique) semblaient n’être qu’une
entrave à l’avancée du progrès industriel. Je viens d’une région du sud de l’Italie
- les Pouilles - qui a vécu tout cela de près, lorsque le plus grand centre
sidérurgique d’Europe a été construit à Tarente, inauguré en novembre 1964,
après que la réforme agraire et le plan vert du gouvernement italien eurent mis
en production une grande partie des terres asséchées de la même zone (l’arc
ionien-Tarente), qui avaient perdu leur disponibilité en eau et leur importance
économique potentielle au profit de l’industrie sidérurgique. Aujourd’hui, à la
tête d’un secteur d’entreprises biologiques, se trouve un ressortissant de la
première région de production agroalimentaire qui a connu, avec l’inondation de
la Romagne, un désastre écologique et productif de même ampleur, conséquence du
manque d’intérêt de la plupart des institutions pour la région, suivi d’un
désastre économique dû aux politiques économiques gouvernementales « inadéquates
» pour le rétablissement des activités dans les zones touchées. L’association
peut représenter, comme l’indique le communiqué de presse, « la
valorisation et la diffusion de l’agriculture, de la zootechnie et de l’aquaculture
biologiques et des pratiques agricoles connexes, ainsi que la promotion de la
recherche, de l’expérimentation et du transfert de technologie.L’accent
est mis en particulier sur l’extension de la production biologique dans les
zones intérieures et les zones protégées, afin de soutenir le développement
économique, social et environnemental de ces zones ».
Ce sont des mots qui
pourraient sembler rhétoriques s’ils n’étaient pas reflétés de manière adéquate
dans l’activité pratique. C’est à cela que l’on mesurera la valeur de cette
association et que l’on verra si elle réussit à donner, comme je l’espère, un
coup de fouet au secteur biologique. Reposant sur une position d’image, le
secteur biologique l’a vu s’effriter au fil du temps sous les coups de boutoir
de l’inflation et des règles administratives (italiennes notamment) qui
semblent faites pour empêcher le secteur de décoller. Car l’agriculture
biologique a des potentialités dans tous les secteurs productifs : de l’alimentation
à la santé, à l’équilibre écologique, à la restauration de l’environnement,
mais elle semble enfermée dans une cage dont on l’empêche de sortir. Cette cage
s’identifie à des aspects économiques (l’avantage des aides étant substantiel
pour permettre à la production conventionnelle de résister à la concurrence), à
des aspects administratifs qui pénalisent surtout la diffusion d’une certification
transparente et lisible pour le consommateur, et au changement climatique.
Phil Umbdenstock
Nous n’irons
pas loin si la nouvelle association se contente de répéter les plaintes que d’autres
associations ont formulées depuis des années et qui ont amené les consommateurs
à les considérer comme injustifiées, face à une situation générale de souffrance
de la population et de baisse des revenus. En revanche, si l’on s’attaque aux
aspects structurels qui ont empêché l’agriculture biologique d’être le moteur
du renouvellement du système de production, une voie différente s’ouvrira. Il
me semble paradoxal qu’un type d’agriculture comme l’agriculture biologique,
qui utilise moins d’intrants énergétiques, obtient de meilleurs prix et
présente une meilleure qualité intrinsèque des produits, ne trouve pas le soutien
des administrateurs et des entreprises et ne puisse pas devenir un banc d’essai
pour la création d’un système d’entreprise différent dans la région. Car donner
moins d’engrais chimiques et moins de pesticides est bon pour le palais comme
pour l’environnement et prolonge la conservation d’une grande partie des
produits, surtout si l’on greffe sur ces productions des économies circulaires
qui ne sont encore aujourd’hui que des slogans.
Si nous analysons la base des
investissements, des orientations et de la diversification nécessaires au
changement climatique, nous constatons que dans les entreprises biologiques, il
y a une meilleure prédisposition au changement et une plus grande résilience.
Je ne vois pas pourquoi le PNRR [Plan
national de relance et de résilience] n’en a pas tenu compte et pourquoi
les plans de cohésion ne trouvent pas des moyens opérationnels d’utiliser ces aides
que le bio offre. Je pense qu’une nouvelle association, au cœur du système
commercial, peut être en mesure d’utiliser ces possibilités.
Dans chaque
secteur économique, il y a toujours une partie qui anticipe la nouveauté et c’est
différent selon les périodes. Par exemple, dans les années 1990, lorsque la
concurrence et le marché ont semblé s’imposer, le système des marques locales
(codifié dans l’UE par le règlement CEE 2081/92 pour les AOP et IGP - à l’exclusion
des vins et spiritueux) est devenu un système de plus en plus important,
capable de garantir l’image du produit et son uniformité au consommateur et de
permettre aux producteurs locaux d’affronter les marchés de l’UE et mondiaux.
La dynamique d’évolution de ce secteur s’est ralentie avec la transformation
des marchés mondiaux. La vente de produits locaux est de plus en plus liée à
des systèmes de marketing et d’image et de moins en moins à la qualité réelle
des produits eux-mêmes, qui, à son tour, devient de plus en plus chère à
obtenir. On pourrait dire que le marché se détruit avec le temps si la logique
reste uniquement celle du profit, et c’est l’une des contradictions que la
société industrielle a produites lorsqu’elle a remplacé la société médiévale.
Ce n’est pas pour rien que je parle de ce type d’aliments et de deux époques
différentes, car les périodes de transition se déroulent selon certaines
caractéristiques qui se répètent généralement après des siècles et qu’il faut
savoir saisir. Aujourd’hui, l’agriculture conventionnelle est au point mort, à
la fois en raison de la réduction de la production due à l’intensification des
intrants qui ne s’accompagne plus d’une augmentation de la production, et en
raison de l’incapacité à répondre de manière flexible au changement climatique.
Le système des AOP/IGP était interne à ce type d’agriculture et ce n’est pas un
hasard si la production biologique, réglementée encore plus tôt - règlement
(CEE) n° 2092/91 - n’a bénéficié que d’un soutien partiel et a été considérée
comme présentant un intérêt moindre sur le plan de la production. L’agriculture
biologique peut manifester son potentiel dans un système d’entreprise qui s’oriente
vers des économies circulaires, qui donne la priorité à la qualité sur la
quantité, qui prévoit la reconstruction des connaissances en agriculture avec l’utilisation
de l’agroécologie. Nous attendons de voir comment cette nouvelle association
agira. Comme el dit le proverbe, « si ce sont des roses, elles fleuriront ;
si ce sont des épines, elles piqueront ».
NdT
Environ 10%
des terres agricoles dans l’UE, soit 16 millions d’hectares, sont cultivées
biologiquement. Les trois pays de tête sont la France, l’Espagne et l’Italie,
avec respectivement 17,4%, 16,6% et 13,7%. 5 des 75 millions de bovins (6,6%)
sont élevés biologiquement, la Grèce, l’Autriche et la Suède venant en tête. En France, l'équivalent de Confagricultura, la FNSEA, dispose de sections bio et édite un "bulletin bio". Mais elle a émis un communiqué de prison de position face au Programme ambition bio 2027 du Ministère de l'Agriculture qui semble signifier un "bioexit" [lire ici]
Le 19 juin 2024, à l’hôpital San Camillo de Rome,
Satnam Singh, un jeune homme de 31 ans d’origine indienne, est décédé des
suites de très graves blessures subies sur son lieu de travail, une ferme de
Borgo Santa Maria, dans la province de Latina. Quelques jours seulement avant
sa mort, à la suite d’un accident dans le champ où il travaillait, Satnam a
perdu un bras, sectionné par une machine à ensacher les récoltes. Selon les
résultats de l’autopsie, publiés le 24 juin, Singh est mort d’une hémorragie et
aurait probablement pu être sauvé si son employeur avait appelé les secours
plus tôt. En effet, au moins une heure et demie se serait écoulée entre le
moment de l’accident et l’appel au 112. Satnam Singh n’avait pas de permis de
séjour et était exploité à la ferme, avec sa femme, au moins douze heures par
jour, sans contrat régulier.
Je pense que tout le monde a entendu parler, au
moins en termes généraux, de l’histoire tragique de Satnam Singh, un ouvrier
indien décédé dans la campagne de Latina à la suite d’un accident de travail et
du chemin de croix qui a suivi avec l’abandon de son corps “en morceaux” devant
sa maison.
Cette tragédie, qui horrifie tout le monde et
jette le discrédit sur le système agricole italien, est emblématique de tout ce
contre quoi nous luttons en exigeant la mise en œuvre de l’Agenda 2030 de l’ONU.
Elle est emblématique de toutes les revendications et de toutes les batailles
que nous avons menées pour construire les objectifs de l’Agenda et ensuite les
vérifier à travers des indicateurs qui évaluent leur progression au fil des
années ; elle est emblématique de la nécessité de lier les droits, les secteurs
productifs et l’environnement à la société qui y travaille, pour limiter le
changement climatique et ses effets ; elle est emblématique du fait qu’il n’y a
pas de tragédies qui ne soient pas liées de manière souvent dramatique à l’évolution
de la planète.
Bras volés par l'agriculture, par Manuel De Rossi
Commençons par un élément qui est une métaphore du
côté négatif du développement industriel, relatif à la sécurité au travail.
Enfants, nous avons ri en regardant le film de Charlie Chaplin Les temps
modernes, lorsque l’ouvrier est avalé par la machine et commence son voyage
à l’intérieur de celle-ci.C’est ce qui
est arrivé à Luana D’Orazio à Prato, avalée par l’ourdisseur, la machine qui
démêle les fils du tissu et aspire la personne qui y travaille si sa main se
trouve sur les fils ; c’est ce qui est arrivé à la campagne à Satnam Singh
parce que, si la machine qui débarrasse le sol des couvertures qui permettent
de protéger les cultures ne ramasse pas le plastique qui s’est enfoncé dans le
sol, il faut s’en éloigner pour éviter qu’elle ne vous attrape le bras.Mais ce qui rend encore plus odieux les
décès liés au travail survenus dans les campagnes, c’est le contexte et, avec
lui, la trame des réactions qui ont conduit inexorablement à l’issue tragique.
Les conditions de travail dans les campagnes sont indignes, mais elles sont
acceptées, et l’invisibilité des personnes qui vivent de ce travail, de leurs
familles, de leurs conditions de vie, est encore plus grande que l’invisibilité
des crimes qui se cachent dans la boîte de tomates pelées ou de légumes que
nous achetons.
Le
Parlement européen, lors de la dernière session plénière de la législature à
Strasbourg, a approuvé la réforme de la politique agricole commune. Les députés
ont donné leur feu vert au projet de loi avec les amendements techniques
proposés par le Comité spécial de l’agriculture du Conseil et approuvés par la
Commission de l’agriculture du Parlement. Le règlement doit maintenant être
approuvé par le Conseil européen. La révision de la PAC modifie les règles
relatives à trois exigences de conditionnalité environnementale auxquelles les
agriculteurs doivent se conformer pour bénéficier d’un financement. Elle donne
également plus de souplesse aux États membres pour accorder des dérogations aux
règles en cas de problèmes d’application et de catastrophes naturelles. Les
petites exploitations de moins de 10 hectares seront exemptées de contrôles et
de sanctions en cas de non-respect de certaines normes. Les États membres
disposeront également d’une plus grande marge de manœuvre dans l’application du
ratio de prairies permanentes par rapport aux terres agricoles supérieur à 5 %
qu’en 2018. (ITALPRESS)
L’hypothèse
de réforme de la Politique agricole commune (PAC) 2023/2027 proposée par la
Commission européenne dans le cadre d’une procédure d’urgence a été adoptée par
le Parlement européen, à la fois pour donner un signal au monde agricole en
révolte et pour éviter de renvoyer les décisions à « après les nouvelles
élections parlementaires ». On attend maintenant des gouvernements qu’ils
ratifient ce qui a été proposé au Conseil, afin que le nouveau règlement entre
en vigueur à la « fin du printemps », comme le souhaite le cabinet de
Frau Von Der Leyen. Il s’agit d’une question qui concerne de très près les
citoyens de l’UE, même si les seuls à qui elle s’adresse semblent être les
agriculteurs (une petite minorité), car elle a une incidence sur le calendrier
du secteur agricole, sa transformation sous l’effet du changement climatique et
le coût des denrées alimentaires.
Même les
administrations des différents pays se livreront à une analyse intensive pour
comprendre les effets des changements introduits à la suite de la protestation,
qui sera suivie d’un travail de contact avec les services de la Commission pour
évaluer l’efficacité de la réforme elle-même. Toutefois, les ajustements
nécessaires et les modifications éventuelles ne changeront pas les orientations
qui viennent d’être votées, mais concerneront le plan stratégique de chaque
pays. Ainsi, même dans un cadre communautaire, une ligne d’intervention
distincte sera maintenue pour chaque pays, afin de mieux adapter les politiques
à la situation spécifique, mais aussi, disons-le, pour éviter de créer une
situation de malaise généralisé qui déclenche, comme aujourd’hui, des
protestations et des révoltes. C’est l’effet le plus évident de la contestation
généralisée : chaque pays s’organisera pour développer une politique agricole
commune qui prévoira, bien sûr, des mailles plus larges que l’actuelle.
Mais quels
sont les changements dans la réforme qui vient d’être approuvée ?
Tout d’abord,
un lot de consolation a été donné aux protestataires : à l’exemption temporaire
pour 2024 de maintenir des terres en friche s’ajoute l’élimination complète du
quota minimum de terres arables pour les zones non productives jusqu’en 2027. L’illusion
que l’exploitation des 5 % supplémentaires de terres non cultivées permettra
aux entreprises de joindre les deux bouts ne contribuera pas à couvrir les
dommages causés par la culture intensive des terres (en particulier des terres
marginales). Mais comme ces coûts pèsent sur l’ensemble de la société et pas
seulement sur les agriculteurs, on a l’illusion de les rendre moins visibles.
Le vainqueur de la contestation est le rapport de force politique actuel, qui
voit la protection de l’environnement comme une option facultative et non comme
un outil de base. Mais « le temps est un bon bougre » et les nœuds
vont se défaire, surtout si les consommateurs font entendre leur voix
(actuellement très faible) et si les forces environnementales sont convaincues
qu’il est perdant de parler de protection de l’environnement sans parler aussi
du revenu des producteurs et de la protection des consommateurs.
Pour
contrebalancer la fin de l’environnementalisme agricole, la Commission a
envisagé que les États membres mettent en place un éco-régime offrant un
soutien aux agriculteurs « pour maintenir une partie des terres
cultivables dans un état non productif » ou pour créer de nouveaux
éléments de paysage, y compris des exemptions spécifiques pour la couverture du
sol, les jachères et le travail du sol. En résumé, pour ne pas contrarier ceux
qui estiment que le respect de la nature et des cycles saisonniers est
productif, des possibilités de sortie sont prévues pour les situations qui « risquent
d’être contraires à leurs objectifs ». C’est une façon de parvenir à des
compromis qui satisfont les forces environnementales et les entrepreneurs qui
ont investi dans le changement et la diversification de l’agriculture, surtout
si la sécheresse ou d’éventuelles inondations balayent les illusions de revenus
tirés de l’intensification des cultures. Il n’est venu à l’esprit de personne
que l’augmentation de l’utilisation des terres pourrait également accroître les
effets des catastrophes naturelles. La Commission s’efforce de proposer des
solutions pour les situations catastrophiques qui devraient se répéter au fil
du temps.
Les
changements les plus significatifs, susceptibles de nous donner le véritable
signe de la réforme, sont ceux relatifs à la réduction des contrôles et des
sanctions pour les exploitations de moins de 10 hectares, à partir du décompte
statistique, selon lequel cette mesure affecterait 65 % des bénéficiaires mais
seulement 10 % de la superficie agricole de la Communauté. Nous aurions préféré
une sélection parmi les différents contrôles et parmi les sanctions qui peuvent
être éliminés, en respectant les indicateurs que l’Agenda 2030 de l’ONU utilise
pour envisager un avenir pour la planète.
En outre,
nous aurions préféré qu’un décompte similaire soit effectué pour la
distribution des fonds communautaires, qui voit encore, trente ans après la
réforme Mac Sharry, 80 % des fonds déboursés au détriment de 20 % des
exploitations. Les réformes qui se sont succédé depuis lors jusqu’à aujourd’hui
n’ont pas modifié cet aspect, véritable nœud (et gangant) de toute réforme, et
nous ne pensons pas que celle qui est en cours d’application modifiera ces
rapports de force qui sont actuellement à l’avantage des moyennes et grandes
exploitations. L’absence de contrôle combinée à la possibilité d’une culture
plus intensive ne rendra pas les petites exploitations plus compétitives, et
dans les zones où elles représentent une entité significative (souvent des
zones particulièrement perturbées), le début de l’absence de contrôle et une
plus grande exploitation du sol entraîneront une augmentation probable de la
perturbation hydrogéologique à laquelle elles sont soumises.
Que dire ?
La réforme n’ira pas à l’encontre des tendances actuelles du marché alimentaire
mondial ; au contraire, elle favorisera la spéculation et les variations de
prix induites par les guerres et le changement climatique. La tendance à
réduire le nombre d’exploitations et à les incorporer encore plus au système
agroalimentaire voit dans la réforme actuelle un outil cohérent et les
agriculteurs se rendront bientôt compte que le fait d’avoir apparemment plus d’initiative
et de liberté d’action est une pieuse illusion, même si les contraintes et les
contrôles sont supprimés. Le contrôle substantiel par les bas prix du marché
mondial et les dettes de gestion sont les outils appropriés pour cela, des
outils que la réforme actuelle ne remet pas en question.
Pour les
consommateurs, la réforme actuelle de la PAC n’apporte rien d’autre que de
vagues principes généraux, et les faibles revenus (un problème particulièrement
important en Italie) pousseront les consommateurs à acheter les produits les
moins chers, de moindre qualité et, en général, produits à l’étranger. Pour
nous, l’image de la faillite de la réforme actuelle est déjà claire d’emblée.
Elle n’a été lancée que pour bloquer les protestations et continuer à mettre en
œuvre la véritable réforme agricole mondiale qui passe sous le radar. Cette
dernière sera mise en œuvre en contrôlant la biodiversité par le biais de
brevets et le système de production par le biais de la technologie et du
contrôle du système financier et des chaînes d’approvisionnement, si les
guerres le permettent.
Seule l’union des forces
environnementalistes et consuméristes sera en mesure de nous offrir des
perspectives différentes.
Ci-dessous
2 textes exprimant le point de vue de l’Association italienne des Consommateurs
Usagers (ACU) sur les questions soulevées par la « révolte des tracteurs ».
Le premier est du président national de l’ACU, Gianni Cavinato, expert agricole et
technologue alimentaire et le second de Gianfranco Laccone, agronome et membre
de la présidence de l’association.-Fausto Giudice, Tlaxcala
La
protestation européenne et nationale des agriculteurs soulève le couvercle
d'une cocotte-minute, sur la dynamique des prix des denrées alimentaires à la
consommation, qui ne sont pas linéaires et cohérents avec l'évolution des
revenus de ceux qui travaillent la terre.
Ainsi,
de même que le travail agricole est sous-payé et que les denrées alimentaires
issues de la terre ne sont pas suffisamment rémunérées par les acteurs de la
distribution, de même le surplus de prix induit par les achats des
consommateurs finaux ne revient pas aux producteurs agricoles.
Le fossé entre les consommateurs et les agriculteurs se creuse d'année en
année.
L'alliance
des consommateurs avec les agriculteurs peut inverser la direction de ce décalage.
Ce processus social est sous-tendu par la valorisation de la qualité
intrinsèque des produits de la terre. Cela permet de “peser” le produit non
seulement en fonction de son contenu nutritionnel et de sa sécurité sanitaire,
mais aussi en fonction de son intégration des éléments essentiels de
l'environnement.
Tout
cela est techniquement possible et se traduit par une prime décisive pour les
producteurs agricoles, un avantage fondamental pour les consommateurs, en
termes de santé, de soins de santé préventifs et de réduction des dépenses de
santé publiques et privées.
Le
gouvernement italien et les institutions européennes, s'ils le souhaitent,
peuvent faciliter et initier cette voie, qui pourra être consolidée lors de la
prochaine législature de l'UE, dans le cadre d'une réforme partagée de la PAC.
Depuis
l'après-midi du 15 février, journée de lutte qui a vu plusieurs manifestations dans la capitale italienne, les tracteurs semblent devenir un élément du paysage italien, placés aux différents points
névralgiques du réseau routier. Les piquets se sont se sont multipliés, les organisations qui les réalisent aussi (montrant une division progressive mais aussi un protagonisme des réalités locales), toutes demandant une rencontre avec le ministre à la recherche d'une interlocution qui semble toutefois vaine.
Ce que le gouvernement pouvait
donner, à mon avis, il l'a donné avec le projet de loi de finances, et les
revendications ne seront pas satisfaites (sauf par de petites reconnaissances)
si des alliances et des soutiens durables ne sont pas articulés. D'autre part,
les dix points du programme de lutte initial ont été remplacés au fil des jours
par diverses plates-formes qui, au lieu de clarifier les alternatives, les ont
embrouillées en ajoutant des détails. Si ces derniers permettaient d'identifier
l'association qui les proposait, ils n'ont pas permis d'approfondir les raisons
de la lutte. Le résultat a été que les agriculteurs, sans aucune distinction
entre eux, reçoivent une solidarité générique de la part de la population qui
voudrait dépenser moins pour l'alimentation et consommer des aliments locaux de
meilleure qualité, mais qui, sans avoir d'alternatives concrètes, dépense en
fonction de ses moyens. La situation que nous constatons est la recherche d'un
meilleur prix pour tous : les agriculteurs cherchent donc à produire pour
l'exportation ou pour une consommation de « niche » (produits
diététiques, biologiques ou de haute qualité) qui obtiennent de meilleurs prix
sur les marchés et les consommateurs achètent ce qu'ils peuvent se permettre,
principalement des produits médiocres à bas prix et importés, au grand dam de
la propagande sur le « Made in Italy ».
La demande de soutien des
agriculteurs ne peut se limiter à l'appel et la contribution des consommateurs
ne pourra pas se faire sans une base commune d'action. La première base commune
nécessaire est la convergence des prix, entre ce que les consommateurs peuvent
payer et le revenu que les agriculteurs demandent en compensation de leur
travail. C'est le point clé que les plateformes n'abordent toujours pas et qui
a peu de chance d'entrer dans les négociations officielles, car il remet en
cause les fondements du soi-disant « libre marché » et les règles que
la Politique Agricole Commune (PAC) s'est données depuis la réforme Mac Sharry,
en acceptant d'entrer dans le système du marché international. Il faut demander
une réforme de la PAC qui rétablisse certains critères abandonnés, à savoir le
travail nécessaire à la production et la protection du prix à la production
contre les coûts, protégeant ainsi le revenu, et demander un prix de marché à
la consommation qui soit équitable pour l'acheteur.
Pour en revenir aux revendications,
si l'on compare les différentes plateformes actuelles aux 10 points initiaux du
programme, il est clair que la critique de l'environnementalisme a été
dévalorisée, dépassée par les vrais problèmes de la crise économique et des
coûts de production insoutenables. Le Green Deal tant critiqué n'est resté que
sur le papier, et le prochain Parlement européen aura d'autres priorités, à
commencer par les guerres à terminer et la reconstruction à entamer en Ukraine
et en Palestine, sans parler des mutations industrielles et de la crise
climatique qui s'annonce, que l'on préfère traiter comme un problème de
sécurité et d'ordre public (lutte contre les migrants, assurance et
indemnisation des dégâts causés par les catastrophes, contrôle de la faune et
de la flore sauvages, qui semblent être les ennemis à combattre et non les
réservoirs de ressources à exploiter).
Mais la protection de
l'environnement et l'utilisation de moyens peu polluants ne sont pas des
aspects étrangers à la formation des prix à la production et des coûts
agricoles. Les agriculteurs qui ont réduit l'utilisation des moyens techniques
et pratiqué l'agroécologie n'ont pas connu les crises constantes des autres agriculteurs
; en particulier, ceux qui ont pratiqué l'agriculture biologique, après avoir
surmonté la phase initiale de reconversion nécessaire, ont mieux vécu de leurs
revenus que ceux qui ont poursuivi l'augmentation de la production et la
modernisation constante des structures.
On peut se demander si la théorie
du marché qui fait de la protection de l'environnement un objet de profit ne
fait pas partie intégrante du système de ruine du monde agricole et si les
agriculteurs n'ont pas été poussés à critiquer la dimension environnementale
pour éviter de critiquer l'industrie qui domine les campagnes.La lutte contre les parasites, qui s'est
achevée - après tout - par la défaite de la technique qui les a vus revenir
toujours sous de nouvelles formes, est un exemple concret de la façon dont les
territoires de monocultures (souvent monoclonales) sont la grande table dressée
pour le banquet des phytoparasites et pour celui du système industriel qui
fournit les moyens de production et distribue les produits destinés à la
consommation.
En France, région qui semble
aujourd'hui moins impliquée dans la révolte qui secoue le continent, le débat
sur la transformation de l'agriculture paysanne en agriculture industrielle a
des origines anciennes : Henri Mendras a publié en 1967 un essai au titre
significatif, “La fin des paysans”. Dans cet essai, depuis les années
60, on pointe du doigt la modernisation continue du secteur agricole et
l'abandon des cycles de production comme base d'une alimentation correcte,
c'est-à-dire qu'on en arrive à une agriculture sans paysans, à une société sans
histoire et sans passé, qui invite à produire pour consommer toujours plus.
En ce qui concerne le contenu des
plateformes, Dario Casati, dans un article intelligent au titre sarcastique « La
grande guerre des tracteurs a fini à Sanremo" »publié
sur le site de l'Accademia dei Georgofili*, saisit les trois aspects
fondamentaux sur lesquels elles se fondent : les objectifs commerciaux, les
objectifs économiques et la soi-disant « question du juste prix ». Si
nous partageons largement les aspects de l'analyse, les raisons de la rébellion
des agriculteurs dans le monde méritent une analyse plus approfondie : il n'est
pas utile de sauver les conducteurs de la machine agricole chancelante
européenne, et italienne en particulier, pour leur sens apparent des
responsabilités, sans parler de la fin des représentations réduites à des
bureaux de comptabilité et de conseil aux entreprises et du manque d'idées de
ceux qui gouvernent l'agriculture.
Mais c'est dans le « juste
prix » que se trouve la clé de l'ouverture à la société d'un combat
aujourd'hui limité au secteur agricole. Dans son article, Casati identifie le
concept de « juste » comme étant éthique et non économique, en
situant le moment où le prix devient juste pour l'acheteur et le vendeur dans
le prix du marché, résultat de la libre concurrence. À cette vision, il est
nécessaire d'ajouter les aspects qui font de l'agriculture non seulement
l'instrument de la production alimentaire, mais aussi l'instrument du
réaménagement de l'environnement et de la lutte contre le changement
climatique, en incluant dans le produit les aspects sociaux et environnementaux
qui le rapprochent davantage d'un service que d'un lieu de production. Dans le
cas contraire, la formation des prix se réduit à un jeu de parties sans temps
ni histoire.Ce n'est pas un hasard si
l'ACU a lancé le slogan « juste prix - juste revenu », où le juste
prix est largement déterminé par la capacité de la demande (pas l'agrégat
analysé par Keynes, mais celui des consommateurs qui vivent dans une société
spécifique, à une époque spécifique, qui ont une mémoire et une histoire) et le
juste revenu est largement déterminé par l'offre (qui n'est pas non plus
abstraite, mais composée de producteurs avec la culture, l'histoire, la mémoire
qui se déversent dans la production). Il n'y a pas de frontières claires entre
le prix et le revenu et leur détermination est le résultat du pacte social
auquel ils sont liés et du niveau de démocratie qu'il exprime. Aujourd'hui, le
pacte social qui a transformé l'agriculteur en rouage d'une société
industrielle qui exigeait des aliments pour le marché (en quantité toujours
plus grande et de qualité toujours plus faible) tout en offrant un bien-être
(souvent limité à quelques-uns) s'est rompu. Il faut reconstruire le pacte en
retirant du marché l'agriculture qui est un fait social, un service qui produit
de la nourriture mais aussi quelque chose d'autre qui n'est pas quantifiable en
valeur monétaire. En tant que service, elle est vouée à la « défaillance
du marché », selon la définition économique du résultat obtenu par
l'application des politiques de marché aux services.
Mais même si l'on voulait se
limiter à la valeur de la production du point de vue du consommateur, il
faudrait partir du besoin humain en nutriments (voir Apports nutritionnels et
énergétiques de référence, LARN en italien) et de la nécessité de couvrir le
besoin quotidien en protéines (biologiquement nécessaires). Pour ce faire, on
peut faire diverses combinaisons, choisir la sienne, jusqu'à remplacer
totalement les protéines animales. La combinaison classique et scientifiquement
documentée de l'apport de céréales et de légumineuses permet d'atteindre
l'objectif recherché.
En ce qui concerne le prix payé par
les consommateurs, on peut se demander combien coûte une unité de protéine au
consommateur ? Quels sont les avantages et les risques (y compris
environnementaux) de ce processus de production-consommation ? Etc. En résumé,
il s'agira de prouver que la consommation de céréales/légumineuses est bonne
pour la santé et l'environnement, d'autant plus que des rotations sont
utilisées pour cultiver ces cultures (une technique de culture dont les
tractoristes et autres ne veulent pas, mais qui est à la base de la production
biologique). Ce jeu de calcul pour une durabilité avancée permettrait de calculer
« facilement » le bon prix - le bon revenu.
La conclusion
d'un pacte entre consommateurs et producteurs et l'approfondissement de ces
bases techniques sont certainement plus importants que la création d'une table
technique initiée sur la PAC actuelle qui, en tant que table technique, ne
remettra pas en cause les politiques existantes et ne fera, peut-être, que les
rendre moins indigestes.
NdT
*L’Académie
des Georgophiles [amis de l’agriculteur, du grec georgos, agriculteur] fondée à
Florence en 1753 et dédiée à l’étude de l’agriculture. Devise : « Prosperitati
Publicae Augendae » [Pour augmenter la prospérité publique]