Alberto Freile, TVE, 20/1/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
- TVE interviewe le leader du Front Polisario
alors que sa réélection est votée au Congrès.
- Ghali critique le soutien de l’exécutif espagnol
au plan marocain d'autonomie du Sahara.
Brahim Ghali doit être réélu au poste de
secrétaire général du Front Polisario, qui tient depuis vendredi dernier son 16e
congrès, le premier depuis la rupture du cessez-le-feu avec le Maroc en 2020.
Une équipe de TVE s’est rendue au Sahara pour rencontrer ‘Ghali avant sa
réélection, lors d'une réunion au cours de laquelle le Polisario a approuvé
l'intensification de la lutte armée contre le Maroc. Avec lui, nous discutons
de la possibilité d'une solution négociée pour le Sahara occidental, de la
position du gouvernement espagnol et de la situation du conflit.
QUESTION : Quelles sont les conclusions auxquelles
est parvenu jusqu'à présent ce congrès, dont le slogan est l'intensification de
la lutte armée contre le Maroc ?
RÉPONSE : Nous avons progressé, nous avons adopté
tous les documents présentés au Congrès, il reste les lettres et les
recommandations à adopter par le Congrès.
Q : Pensez-vous, vous ou les participants au
Congrès, qu'il y a encore de l’espace, qu'une solution négociée pour le Sahara occidental
est encore possible dans le cadre de la communauté internationale et des
Nations Unies ?
R : Le Front Polisario et tous ses militants n'ont
jamais fermé la porte aux négociations et à une solution politique et pacifique
au conflit. Mais malheureusement, notre adversaire, notre ennemi, n'a pas la
même position. Il manque l’esprit et la volonté politique pour trouver une
solution juste et définitive qui respecte le droit international. Nous,
Sahraouis, sommes attachés à notre cause, à nos droits, nous sommes déterminés
à continuer la lutte. Cela ne signifie pas que nous fermons la porte aux
négociations, que nous ne considérons pas que les Nations Unies et la
communauté internationale doivent assumer cette responsabilité pour parvenir à
une solution juste et définitive qui permette au peuple sahraoui de décider de
son avenir.
Q : Quelle est votre opinion sur la position du
gouvernement espagnol, qui considère maintenant l'option marocaine d'autonomie
pour le Sahara occidental sous la souveraineté de Rabat comme l'option la plus
sérieuse, réaliste et crédible ?
R : Tout simplement, je suis d'accord avec
l'opinion publique espagnole. Pour nous, c’est la deuxième trahison du peuple
sahraoui en moins de 50 ans. Malheureusement, ce n’st pas ce que le peuple
sahraoui attendait, c’est frustrant, surtout pour ceux qui ont passé des mois au
sein de familles espagnoles, frustrant pour le peuple sahraoui, qui a toujours
considéré les peuples de l'État espagnol comme des amis, solidaires, qui
considèrent que la trahison de 75 et 76 ne doit pas se répéter.
Malheureusement, ce n'était pas le cas ; c’est un autre coup de poignard dans
le dos du peuple sahraoui et des peuples de l'État espagnol.
Q : Que devrait-il se passer pour recomposer les
relations avec le gouvernement espagnol, avec le parti au pouvoir, le PSOE ? Il
y a un cycle électoral imminent en Espagne et je ne sais pas si vous considérez
qu'un changement politique pourrait vous être bénéfique.
R : Nous ne nous mêlons pas des problèmes internes
de l’Espagne, nous nous intéressons à la position de l'État espagnol qui, pour
normaliser les relations, doit rectifier sa position. Elle doit s'aligner sur
la légalité internationale et sur la responsabilité historique, morale et
légale de l’État espagnol envers la cause du peuple sahraoui.
Q : Cette guerre, cette fin du cessez-le-feu avec
le Maroc il y a un peu plus de deux ans, semble se dérouler dans un contexte
beaucoup plus technologique que la guerre qui a eu lieu entre 1975 et 1991. Je
ne sais pas si vous vous considérez comme désavantagés. Comment gérez-vous ce
conflit ?
R : L'histoire se répète. Nous n'étions pas dans
un rapport de force en 1975, ni en 1976, ni même hier. Il y a un déséquilibre
des forces, un mouvement de libération nationale et une armée d'invasion
équipée de tous les moyens, mais nous nous adapterons à la demande et à la
nouvelle situation qu’exige le type de guerre auquel nous sommes confrontés.
Q : Le Front Polisario reconnaît un certain nombre
de victimes depuis la fin du cessez-le-feu, un nombre inférieur à une centaine.
Dans le cas du Maroc, ce conflit n’existe pas, il ne reconnaît pas les blessés,
il ne reconnaît pas les pertes. Je ne sais pas ce que vous pensez qu'il devra
se passer pour que cette dynamique change et que l'on parle ouvertement de
cette guerre.
R : Je pense qu'officiellement l’État marocain
essaie d'ignorer cette réalité. Mais il faut aller voir les familles des
victimes. Les pertes numériques, tant matérielles qu'humaines, sont
considérables. Le dernier exemple est celui du 17 janvier 2023. 30 soldats
marocains se sont fait exploser et ont perdu la vie sur place, 30. C’est le
dernier chiffre que je peux donner, il y a eu des chiffres au cours des deux
dernières années qui ont été supérieurs et inférieurs à ce chiffre. Il y a des
victimes, et les familles marocaines elles-mêmes en sont bien conscientes.
Q : Ce Congrès qui a lieu a pris plus de temps que
prévu. Nous savons qu'il y a au moins un autre leader qui a l'intention de se
présenter au secrétariat général, Bashir Mustafa Sayed. Y a-t-il des positions
différentes dans l'organisation sur les mesures à prendre dans un avenir
immédiat ?
R : Non, il n'y a pas de différences sur les
objectifs. C’est une démocratie, une vraie démocratie. Je pense que nous avons
dépassé les autres démocraties, sur des questions comme les partis politiques
et les éléments du débat national. C’est leur droit.
Q : Dans cette nouvelle stratégie militaire, je
voudrais vous demander si vous envisagez des attaques au-delà de ce que nous
connaissons comme le mur marocain, et d’aller au-delà du territoire le plus
contesté jusqu'à présent.
R : Ce que je peux vous dire, c’est que nous
devons nous adapter au slogan du 16e Congrès à l'avenir.
Q : Dans quelle mesure pensez-vous que ce système
de corruption présumé au Parlement européen impliquant le Maroc a nui à vos
intérêts ?
R : Je pense que le Parlement européen devrait
revoir tous les accords approuvés et signés avec le Maroc au cours des 6-7
dernières années, surtout depuis 2019, je pense, même si je n’n suis pas
absolument sûr, qu'ils sont affectés par cette corruption.
Q : Il y a eu trois décennies sans confrontations
ouvertes entre le Maroc et le Front Polisario. Vous étiez dans cette guerre
entre 75 et 91. Maintenant ils ont repris les armes. Je ne sais pas quel est
votre sentiment personnel sur le fait que, de votre point de vue, il faille
retourner à la lutte armée.
R : Eh bien, en toute honnêteté, ce n’est pas ce
que l'on attendait. Nous nous sommes engagés dans un processus en 1991 en
croyant que nous avions affaire à un monde juste, un monde qui respecte ses
engagements, un monde qui respecte la légalité internationale. Trente ans nous ont montré le contraire. C’est frustrant.
La communauté internationale et les Nations unies
étaient censées honorer cet engagement envers elles-mêmes, envers l'histoire et
envers le peuple sahraoui. Mais malheureusement ce ne fut pas le cas, ils ont
prolongé nos souffrances, ils auraient pu se limiter à 1992, nous sommes
presque 32 ans plus tard, le peuple sahraoui est toujours victime et la
communauté internationale regarde ailleurs. C’est
décevant.