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16/03/2024

Rome, 16 mars 1978 : l’enlèvement d’Aldo Moro
Un événement historique qui n’en finit pas de faire jaser

Le 16 mars 1978, les Brigades Rouges enlevaient à Rome le politicien démocrate-chrétien Aldo Moro après avoir abattu ses cinq gardes du corps. Le 9 mai, le corps de Moro, exécuté, était retrouvé. L’effet de cet acte fut de mettre fin au projet de Compromis historique entre la démocratie-chrétienne et le Parti communiste, auquel Moro était attelé avec Enrico Berlinguer. 46 ans plus tard, cette affaire suscite toujours les passions, les polémiques et les hypothèses les plus farfelues, relevant de ce qu’en Italie on a appelé « dietrologia », un précurseur du « complotisme » ou du « conspirationnisme ». Ci-dessous 3 articles sur ce thème, traduits par Fausto Giudice, Tlaxcala

Enlèvement de Moro : les temps de l’histoire et ceux des faits divers

Paolo Persichetti, Insorgenze, 16/3/2024

Les charlatans de l’affaire Moro, ceux que Marco Clementi définit comme les « historiens de comptoir » ont rempli les rayons des librairies de leurs publications au cours des dernières décennies, ont publié des articles à profusion dans la presse (aujourd’hui encore, quelques-uns sont parus), ont réalisé des émissions de télévision, surtout l’émission de la RAI Report, mais le défunt Andrea Purgatori ne rigolait pas non plus : ils ont créé des commissions parlementaires surréalistes, dont la dernière a été la commission anti-mafia qui s’est achevée au cours de la dernière législature par un rapport de l’ancien magistrat Guido Salvini, à la suite des travaux de la précédente commission Moro 2, présidée par Giuseppe Fioroni. Parmi les charlatans, les membres de l’actuel gouvernement ne manquent pas d’exceller avec des déclarations aux agences. Ce fleuve d’hypothèses non étayées, de conjectures farfelues, de reconstructions bancales, explique Clementi, « reste toujours sur le terrain de la chronique, disséquant au millième chaque minute, heure et jour de l’enlèvement, se répétant à l’infini comme un disque rayé, échappant ainsi non seulement aux démentis mais plus encore au « temps historique », aux questions fondamentales qui seules peuvent aider à donner un sens et à comprendre l’affaire.

La bureaucratie de la mémoire

La responsable d’un fonds d’archives réputé sur le « terrorisme et les massacres des années 1970 » a récemment donné un cours de formation pour les enseignants du secondaire dans une université romaine, activité financée par la région du Latium. L’éminente spécialiste a raconté, au mépris des preuves historiques recueillies jusqu’à présent, qu’à Via Fani se trouvaient, le matin du 16 mars, pas moins de 30 brigadistes, soit près de trois fois le nombre de membres réguliers de la colonne romaine en activité à ce moment-là. Lorsqu’on lui demande d’expliquer comment ils ont pu s’échapper du site, étant donné que les voitures décrites par les témoins étaient toujours et seulement trois et qu’aucun bus n’a jamais été aperçu à proximité, elle répond qu’ils se sont enfuis à pied à travers les prés. Face à cette réponse étonnante (il n’y a pas de près près de la Via Fani...), une personne a voulu savoir si elle avait déjà été à Via Fani : la réponse a été « non ».

Les institutions ont créé une bureaucratie de la mémoire publique  à laquelle a été déléguée la fonction d’administration de la production publique sur l’histoire de ces années, avec des commissions chargées de l’ouverture des archives, de la gestion des portails d’information et de l’éducation culturelle. L’éminente responsable des archives dont nous parlons, membre à part entière de cet appareil, a dû confondre les 27 personnes, condamnées à divers titres pour l’enlèvement dans les quatre procès différents entre les années 1980 et 1990, avec les participants directs à l’action du 16 mars. Elle a dû penser que les 27 personnes s’étaient rassemblées ce matin-là dans la Via Fani et les rues adjacentes. En réalité, seuls neuf d’entre eux ont été indiqués au tribunal comme étant directement présents sur les lieux de l’embuscade. On sait aujourd’hui qu’il y en avait également un dixième, qui a toutefois été acquitté lors du procès mais condamné pour d’autres faits. Les 17 autres ont été jugés responsables pour d’autres raisons : parce qu’ils étaient membres de l’exécutif national [des BR] ou exerçaient des fonctions de haut niveau, ou parce qu’ils avaient géré la garde de l’homme enlevé dans la base carcérale de Via Montalcini, ou parce qu’ils auraient participé à certaines phases de l’enquête préparatoire. Aucun d’entre eux ne se trouvait  Via Fani. Pourtant, les charlatans de l’affaire Moro peuvent dire ce qu’ils veulent en toute impunité.


L’enlèvement d’Aldo Moro est l’obsession des « historiens de comptoir »

Marco Clementi, Domani, 15/3/2024

46 ans après l’embuscade de Via Fani, la recherche frénétique d’un détail qui pourrait changer le récit de l’enlèvement et du meurtre de Moro et de son escorte se poursuit. Mais trop souvent, ce sont des amateurs qui tentent de ramener cette histoire dans l’actualité

On ne cessera jamais de chercher une preuve, une contradiction, un élément de doute, capable de faire s’écrouler comme un château de cartes le récit diétrologique de l’enlèvement et de l’assassinat d’Aldo Moro et de son escorte (l’anniversaire de l’enlèvement tombant le 16 mars).

Les historiens, peut-on observer, devraient se réjouir : la recherche, en effet, ne peut s’arrêter et chaque nouvelle contribution ne peut qu’enrichir les précédentes. C’est théoriquement le cas. Dans la pratique, ce n’est pas toujours le cas : pensons au révisionnisme mis en œuvre en Russie sur l’histoire soviétique et la figure de Staline, pour ne citer qu’un exemple. Dans ce cas, les historiens ont été réduits au silence et la révision historique est devenue une affaire d’État.

En ce qui concerne l’affaire Moro et plus généralement l’histoire des Brigades Rouges (ou si l’on veut sa contre-histoire), le débat n’a souvent pas lieu entre historiens et cela pose un certain nombre de problèmes méthodologiques très sérieux.

On pourrait dire qu’il n’est pas bon de froncer les sourcils lorsqu’un journaliste écrit un livre d’histoire. En fait, certains journalistes ont étudié, écrit et analysé des questions historiques de manière très professionnelle, ouvrant de nouvelles perspectives de réflexion. Dans le cas de l’affaire Moro, cependant, cela s’est produit très rarement.

Un peuple d’historiens et de sélectionneurs

Chaque amateur de football s’est senti au moins une fois dans sa vie dans la peau d’un sélectionneur de l’équipe nationale. Tout un chacun a fait sa propre sélection, a critiqué les choix, les convocations et les changements, s’est dit que s’il avait été sur le banc de touche, le match se serait terminé différemment.

Dommage que personne n’ait jamais été appelé par la Fédération de foot pour entraîner l’équipe nationale. Pour entraîner, il faut une licence, il faut suivre des cours à Coverciano, etc. En un mot, il faut être un professionnel qui connaît le langage du terrain et qui a des dizaines d’années d’expérience. On ne s’improvise pas et surtout personne n’embauche des experts autoproclamés

Lorsqu’on discute d’histoire au comptoir (ou sur les médias sociaux), il est facile de perdre. Tout ce qui est dit est réfuté par des références vagues et des phrases hypothétiques par ceux qui argumentent non pas pour mieux comprendre, mais pour imposer leur thèse. Les arguments, même les plus précis, ne sont pas pris en considération. Au contraire, ils ne les écoutent pas du tout. C’est ainsi.

En ce qui concerne les sources (archives, bibliographies, essais, etc.), l’interlocuteur propose quelques articles de journaux ou, dans le meilleur des cas, un livre (même s’il est rempli d’absurdités, au moins, c’est un livre). Il connaît des détails dont il n’a jamais entendu parler, mais il est incapable de tenir un discours d’envergure sur, par exemple, la politique étrangère britannique au XIXe siècle, les relations entre l’Italie et l’Allemagne entre les deux guerres, la Shoah, le nationalisme, etc.

L’usage politique des mystères

Il en va de même pour l’affaire Moro. La production d’essais est pleine d’auteurs improvisés. Ils ont lu quelque chose, deviné une piste, trouvé quelques références (sans compter les mille autres) et se sont mis à écrire que les choses ne se sont pas passées comme elles le semblaient parce qu’il y avait ceci et cela et puis la CIA ou la ‘Ndrangheta, le KGB ou la P2 et Dieu sait qui d’autre.

Chaque fois que l’on a pris ces notes au sérieux et que l’on a cherché des preuves documentaires, on a fini par en démontrer l’imprécision. Lesquelles, d’ailleurs, reviennent même des années plus tard, de sorte que, les lecteurs ayant oublié (à juste titre) qu’une ou deux décennies plus tôt la question avait déjà été débattue, les chercheurs sont contraints de recommencer un jeu de l’oie sans fin où ils se retrouvent toujours à la case départ.

L’histoire ne fait aucun pas en avant et la chronique l’emporte toujours, disséquant un jour clé des 55 jours en heures, minutes et secondes, recherchant quel agent de la sécurité publique est arrivé plus tôt et lequel plus tard, qui était là et sinon comment l’a-t-il su, etc. etc. L’histoire est frappée au cœur par la chronique des faits divers et les chercheurs sont dépassés et marginalisés par les conjectures et l’usage politique des mystères.

Le caractère envahissant de la chronique des faits divers

Restent inévitablement les grandes questions de l’affaire Moro qui sont, en ordre épars, le rôle de l’Etat italien et sa préparation ou son impréparation, le rôle des partis, la stratégie des BR et la congruence de l’enlèvement de Moro avec l’histoire passée de l’organisation, la concomitance avec le procès de Turin, les réactions internationales, le rôle du Vatican, les réactions du mouvement, celles du monde ouvrier, les options pour le développement de l’affaire, les espaces de négociation, les conséquences politiques de l’enlèvement (voir le vote de confiance au quatrième gouvernement Andreotti, dont, jusqu’à la veille, le parti communiste ne voulait pas dans cette formation) et celles de l’assassinat de l’otage.

Il y aurait ensuite les procès, l’histoire des commissions d’enquête, l’association des victimes du terrorisme, la loi sur les repentis, la prison spéciale, la torture et quelques autres choses. Une histoire complexe, mais pas un puzzle, qui a un début, un développement et une fin.

Historiquement, ces 55 jours ont cessé d’avoir des conséquences politiques après les élections de 1979, lorsque le PCI est sorti vaincu des urnes après avoir été dans la majorité gouvernementale pendant un an et huit jours. Cela a ouvert la dernière saison de la première république qui a duré dix ans, avec des gouvernements dirigés par des laïcs pour la première fois depuis 1948 et le préambule de Carlo Donat-Cattin.

En 1989, avec la chute du mur de Berlin, tout change à nouveau et, historiquement, l’affaire Moro n’a plus rien à dire. L’opération Mains propres a encore bouleversé le tableau et Silvio Berlusconi a mis une pierre tombale sur le passé. L’affaire Moro a continué à compter pour les différents protagonistes et leurs consciences, mais il convient de ne pas s’attarder sur ce volet.

Quarante-six ans plus tard, la résurgence continuelle de mystères ramène à la une de l’actualité un événement historiquement clos depuis des décennies, empêchant la consolidation d’une discussion historiographique sur son importance. Ce qui, à terme, risque de transformer en farce l’une des plus grandes tragédies de notre histoire.

Marco Clementi (1965) est un historien italien de mère ukrainienne originaire du Donbass, formé à Rome et à Saint-Petersbourg, et traducteur du russe. Professeur à l’Université de la Calabre à Cosenza, il est entre autres co-auteur, avec Paolo Persichetti et Elisa Santalena de Storia delle Brigate Rosse. Vol. 1. Dalle fabbriche alla campagna di primavera, Roma, DeriveApprodi, 2017

NdT
Les réactions diétrologiques ont commencé dans les heures qui ont suivi l’enlèvement. Voir par exemple l’article de Robert Solé dans Le Monde du 18/3/1978, intitulé
Des brigades d'un rouge suspect : « Manipulés ! Et par qui ? […] Les Brigades rouges espèrent-elles provoquer des réactions en chaîne pour installer un pouvoir fort à Rome et ensuite le combattre par un soulèvement populaire ? Rien de cela n'est arrivé jusqu'à présent : la classe politique garde son sang-froid, et chaque fois qu'un corps est criblé de balles, les terroristes se coupent un peu plus de la population.

Beaucoup d'hommes politiques en concluent que ces Brigades d'un rouge suspect sont, à la fois, soutenues et manipulées. Ils ajoutent : par des services secrets étrangers. Que les plus hauts responsables de l'État y fassent allusion eux-mêmes est significatif. Officiellement, nul ne va plus loin. Mais, dans les conversations, outre l'inévitable C.I.A., on cite volontiers tel ou tel pays de l'Est, notamment la Tchécoslovaquie, en affirmant qu'une entreprise de " déstabilisation " est en cours, en Italie comme dans le reste de l'Europe occidentale. Reste à le prouver. Une chose est sûre : des centaines d'agents étrangers opèrent sur le territoire italien - et d'autant plus facilement que les services locaux du contre-espionnage sont en pleine réorganisation. »

Ci-dessous une petite histoire de la diétrologie.
« L’approche complotiste, “rétrologique” ou “ diétrologique” (italianisme forgé sur dietro qui signifie “ derrière”), consiste à expliquer les phénomènes de violence par le pouvoir occulte d’individus tirant les ficelles.  (Marc Lazar & Marie-Anne Matard-Bonucci, L’Italie des années de plomb, Paris, Autrement)

Quand le complotisme s’appelait diétrologie

Antonio Sgobba, il post, 8/2/2024

Dans l’Italie du siècle dernier, le complotisme s’appelait diétrologie. On peut se faire une idée de l’histoire de l’utilisation des deux termes grâce à Google Ngram Viewer, le service de Google qui mesure les occurrences de mots dans les livres publiés dans une langue donnée (le corpus de données est basé sur les livres numérisés jusqu’en 2019).

Le moment du dépassement est clairement identifié : 2015, année des campagnes électorales du Brexit et de Donald Trump. C’est à ce moment qu’après quarante ans de domination de la diétrologie, le conspirationnisme prend le devant de la scène. Le graphique montre le déclin manifeste, au cours de la dernière décennie, d’un mot qui pourrait sembler aujourd’hui une relique du XXe siècle.


J'y vois que dalle : j'ai besoin d'un diétrologue

 

Pourtant, le terme, avec sa patine vintage, survit encore aujourd’hui, même s’il est rarement utilisé. Il revient périodiquement à l’occasion des dernières spéculations sur l’affaire Moro, ou dans des contextes plus originaux : « Toutes les diétrologies sont ridicules », a déclaré Pier Silvio Berlusconi après l’affaire Giambruno. Toutes ? Il vaut la peine d’essayer de répondre à cette question depuis le début de cette histoire, c’est-à-dire depuis 1974, l’année où quelqu’un a écrit pour la première fois le mot “diétrologie” : l’année des massacres de Piazza della Loggia à Brescia et du train Italicus à San Benedetto Val di Sambro, dans la province de Bologne.

C’est le journaliste Luca Goldoni qui a inventé le néologisme : on le trouve pour la première fois dans un article de la troisième page du Corriere della Sera, publié le 10 avril 1974 (repris plus tard dans le livre È successo qualcosa ? Storie e preistorie di un anno). Goldoni se moque de la tendance, qui semble s’être accentuée précisément à cette époque, selon laquelle les Italiens en sont venus à se demander, pour chaque circonstance, « qu’est-ce qu’il y a derrière ». L’écrivain, quant à lui, se demande « si tout ce qui se passe aujourd’hui en Italie n’a pas fini par être derrière et s’il n’y a rien devant » (c’est moi qui souligne). Le terme n’a pas eu un succès immédiat, il a disparu pendant un certain temps.

Il est remonté à la surface quatre ans plus tard, le 8 octobre 1978, quelques mois après la mort d’Aldo Moro. Dans les pages de Il Giornale, le député libéral Egidio Sterpa – repubblichino [fasciste de la République de Salò] dans sa jeunesse, berlusconien dans la dernière phase de sa vie - commente la découverte, huit jours plus tôt à Milan, de caches des Brigades rouges dans lesquelles ont été trouvés des documents relatifs à l’enlèvement de Moro. L’article s’intitule La dietrologia. Sterpa écrit :

« La “diétrologie” nationale continue de faire rage. (Diétrologie - nous précisons pour le lecteur qu’il s’agit de la manie de toujours vouloir voir à tout prix derrière un fait, une intrigue, une manœuvre, bref, des faits inavouables). Or, le coup dur porté par les carabiniers à l’organisation des Brigades Rouges avec la découverte des planques de Milan, la saisie de documents importants et la capture de neuf terroristes, est aussi quelque chose qu’il faut utiliser à tout prix pour percer les secrets et les mystères du “Palais”. C’est ainsi qu’une polémique s’est déclenchée, en partie de mauvaise foi, en partie instrumentale, seulement dans de rares cas inspirée par le besoin de clarté... On parle d’“omissions” concernant le dossier sur l’affaire Moro trouvé dans la cachette de Milan. On va jusqu’à dire que le matériel trouvé a peut-être déjà été manipulé (...) Une émeute de rumeurs inquiétantes inonde à nouveau la vie politique italienne (...) Y a-t-il vraiment un secret d’État derrière cette affaire des “archives” des Brigades Rouges (...) On se demande alors quel est le sens de toute cette “diétrologie” ».

Le linguiste Ghino Ghinassi, auteur d’une des études les plus précises sur l’histoire du mot, a observé que « l’un des foyers de diffusion les plus importants et les plus vivants a probablement été l’environnement du Giornale ». Indro Montanelli lui-même a été l’un des principaux diffuseurs de l’expression : il l’a adoptée presque immédiatement et ne l’a plus jamais abandonnée. Deux exemples : le 12 mai 1984, à propos du rapport de la première Commission Moro, Montanelli accuse Leonardo Sciascia (Sciascia !) d’ « enorttillages diétrologiques ». Ou encore, la même année, le 18 décembre, il écrit : « Ce journal n’a jamais pris au sérieux les coups d’État dont, pendant des années, la presse à sensation et diétrologique a agité et continue de temps à autre à agiter le fantôme » - et il convient peut-être de noter ici que Montanelli lui-même, au début des années 1950, avait œuvré pour que les USA organisent un coup d’État en Italie en cas de victoire électorale des communistes.

Le graphique de Ngram montre également que l’histoire de la diétrologie est inévitablement liée à l’histoire de l’affaire Moro. Le pic d’utilisation de l’expression s’est produit en 1991, c’est-à-dire peu après le 9 octobre 1990, jour où, Via Monte Nevoso à Milan, le maçon Giovanni Bernardo, en démolissant un meuble en bois sous l’appui d’une fenêtre dans un appartement qui avait été un repaire des Brigades rouges, a découvert une cavité derrière un panneau de plâtre. Qu’y avait-il derrière ? Un sac contenant, entre autres, une chemise brune scellée avec du ruban adhésif, à l’intérieur de laquelle se trouvaient quatre cent dix-neuf pages photocopiées d’un tapuscrit : le mémorial d’Aldo Moro. Ce document montre que les soupçons d’omissions et de manipulations jugés insensés douze ans plus tôt étaient fondés.

Quelques jours plus tard, le 17 octobre, le Premier ministre Giulio Andreotti révélait qu’une structure militaire secrète liée aux services secrets usaméricains opérait en Italie depuis 1956, avec des fonctions anticommunistes explicites ; elle était connue sous le nom d’“opération Gladio”. L’historien Carlo Ginzburg commente ces faits dans son livre Le juge et l’historien (1991) : « En Italie, le terme “conspiration” est utilisé depuis une dizaine d’années dans des contextes essentiellement négatifs : on parle presque toujours de conspirations pour affirmer qu’elles n’existent pas, ou qu’elles n’existent que dans l’imagination débridée des “diétrologues” (terme de création plus récente, aux connotations encore plus clairement négatives). Il ne fait aucun doute qu’un grand nombre d’inepties ont été écrites, toujours et partout, sur les conspirations et les “diétrologues”, parfois avec des conséquences fatales. Pourtant, on ne peut nier que les complots existent ».

En fait, les premiers pas de la diétrologie semblent montrer un schéma : dès le début, l’étiquette est utilisée pour dénigrer ceux qui avancent des doutes, même si parfois, avec le temps, ces doutes se révèlent fondés. Les néo-fascistes sont derrière les massacres de Piazza della Loggia et de l’Italicus, les services secrets sont derrière les fuites des documents de l’affaire Moro, les putschistes en puissance sont derrière certains cercles ultra-conservateurs. Bref, il arrive que derrière certains faits se cachent réellement des intrigues, des manœuvres, d’autres faits inavouables. Ce n’est pas une “manie”, comme l’a dit Sterpa, c’est l’histoire de l’Italie.


Je me pose la question : ya qui derrière la nature ?

Le schéma ne change guère même avec “complotisme”, qui est une création encore plus récente, bien que l’on parle de “complot” en Italie depuis au moins 1679 (Dictionnaire De Mauro). Le mot “complotto” vient du français “complot” et était au départ simplement synonyme de “foule”, puis a été utilisé à la place de “conjuration” ou de “conspiration”, s’est répandu dans les années 1920 à travers l’expression “complot juif” et s’est répandu à l’époque de la guerre froide, comme l’a reconstitué Gianluca Lauta pour la revue Treccani.

Pour le mot “complotisme”, en revanche, il n’y a pas d’occurrences avant les années 1980, assurent les historiens de la langue italienne (j’ai consulté Lauta lui-même et Michele Cortelazzo, l’un des auteurs du Nuovo Dizionario Etimologico della Lingua Italiana Zanichelli). L’une des premières attestations remonte à 1982, dans une correspondance de Londres signée Mario Ciriello et publiée par La Stampa le 14 juillet, à propos d’un autre grand mystère de l’histoire italienne : la mort du banquier Roberto Calvi, survenue moins d’un mois auparavant : « Loin de s'affaiblir, la théorie du suicide semble s'être renforcée : nombreux sont ceux qui affirment que “les diétrologues et les  complotistes italiens  ont tenu l'assassinat de Calvi pour acquis dès le début”. Cela a créé une atmosphère qui a permis même à des voix autorisées de lancer les suppositions les plus extraordinaires ». Le journaliste utilise "diétrologie" et "complotisme" comme synonymes. Le schéma est le même : les diétrologues et les complotistes sont accusés de soutenir une thèse invraisemblable, même si, avec le temps, cette hypothèse conspirationniste trouvera une confirmation : Calvi a été assassiné, on ne sait pas par qui. Autre détail : la diétrologie et le complotisme sont présentées comme typiquement italiennes.

En effet, pendant longtemps, la diétrologie n’a semblé être qu’une spécialité locale : pendant des années, le discours politique italien à l’étranger est apparu obscur et impénétrable, notamment en raison de l’utilisation sans discernement du terme. « Il s’agit d’un mot intraduisible, inconnu dans toute autre langue, mais qui fait partie intégrante des idées reçues en Italie. Il est intraduisible parce qu’il manque, dans d’autres cultures, la conviction que la conduite politique est, toujours et partout, une affaire d’arrière-boutique, une conviction qui conduit à penser qu’en politique, ce qui est vu, ce qui est lu, ce qui est entendu n’est pas, ne peut pas être, la vérité, mais que derrière, en dessous, au-dessus, à côté, au-delà - en tout cas à un troisième niveau, voilé aux yeux de l’homme de la rue, se trouve la vraie vérité », écrivait en 2001 l’historien de la littérature italienne Joseph Farrell dans son essai La pietà, la carità e il sequestro Moro (in L’uomo solo. L’Affaire Moro de Leonardo Sciascia, édité par Valter Vecellio).

Ces dernières années, l’histoire s’est chargée de combler ce fossé. Le monde s’est peuplé d’êtres humains convaincus que la politique cache la vérité au commun des mortels, mais que l’on n’appelle plus des diétrologues mais des complotistes. Parfois, ils obtiennent même la majorité aux élections, mais l’étiquette est toujours utilisée de la même manière : le plus souvent avec une intention dérisoire ou dénigrante. Pourtant, au moins pour nous Italiens, l’histoire aurait dû nous apprendre qu’il peut être utile, dans certains cas, de les prendre au sérieux.

C’est aussi pourquoi il est utile de distinguer, comme le propose Wu Ming 1, les hypothèses de complot (spécifiques, réfutables, limitées dans le temps) et les fantasmes de complot (universels, irréfutables, éternels). Lorsqu’ils sont réels, les complots et les fantasmes conspirationnistes sont l’expression des difficultés du pouvoir politique à faire passer les aspirations et les tensions par les voies normales de la démocratie représentative.

« Le complot n’est qu’un cas extrême, presque caricatural, d’un phénomène beaucoup plus complexe : la tentative de transformer (ou de manipuler) la société », écrit encore Carlo Ginzburg dans Les batailles nocturnes (1989, fr. 2019). Et l’on sait que la fabrication et la découverte des complots sont déléguées à des institutions particulières : les services secrets. L’histoire de l’Italie est marquée depuis plus de vingt ans par des massacres, des tromperies, des dossiers et des chantages : « Un historien qui essaierait de déchiffrer cette affaire en renonçant préventivement à toute attitude “diétrologique” n’irait guère plus loin - si l’on entend par “diétrologie” une sobre défiance envers l’interprétation qui ne se contente pas de rester à la surface des événements et des textes », ajoutait Carlo Ginzburg en 1991.

Une historienne qui emprunte cette voie est, par exemple, Benedetta Tobagi qui, dans son essai Segreti e lacune. Le stragi tra servizi segreti, magistratura e governo (Secrets et lacunes. Les massacres entre les services secrets, la magistrature et le gouvernement), note qu’ « en raison d’usages et d’abus dans les médias et dans la publicité, des termes comme "occulte" ou "indicible" ont mauvaise presse. Il serait nécessaire de les récupérer et de les utiliser de manière circonstancielle, en clarifiant leur signification et leurs implications. En effet, en relation avec la politique et le pouvoir, ils ne sont pas simplement des expressions suggestives, mais renvoient à des concepts et à des questions spécifiques, qui sont souvent négligés ou traités avec méfiance dans la sphère historiographique, où ils sont facilement marqués de la lettre écarlate de "diétrologie" ou de "complotisme" ».

Par exemple, Tobagi rappelle que le magistrat qui avait enquêté le plus longtemps sur la P2 nous invitait à considérer le pouvoir occulte « non pas comme une reconstruction diétrologique d’un mystérieux centre de décision, mais comme la mise en place de facto d’une nouvelle dislocation des pouvoirs réels ». Bref, plutôt que de rire des diétrologues et des complotistes, il faut les étudier : « La capacité de reconstruire et d’analyser les actions et les récits du pouvoir politique et économique avec esprit critique, méthode et sérieux reste le meilleur antidote à la diffusion de la paranoïa conspirationniste », écrivait Tobagi. La prise de conscience de la dimension occulte et indicible du pouvoir sert précisément à contrer la prolifération incontrôlée des fantasmes conspirationnistes.

En effet, ces derniers ne circulent pas par hasard. Récemment, le philosophe espagnol Daniel Innerarity, dans son ouvrage La società dell’ignoranza. Sapere e potere nell’epoca dell’incertezza, a observé que c’est précisément lorsque la bataille politique se joue sur le terrain de la connaissance qu’émerge un « refus excentrique de la connaissance ». Une attitude qui s’exprime aujourd’hui sous la forme de la désinformation, du négationnisme ou encore des théories du complot. Des phénomènes typiques d’une société comme la nôtre, dans laquelle la connaissance est à la fois la source principale de l’innovation technologique et de la croissance économique et la ressource première de la politique. Phénomènes propres à une société opaque, dans laquelle certaines informations décisives ne sont accessibles qu’à un petit nombre, et où des institutions telles que les services secrets jouent un rôle déterminant.

Lorsque quelqu’un prend trop de pouvoir, on peut s’attendre à ce que quelqu’un d’autre résiste. C’est également la raison pour laquelle les théories du complot et les soi-disant « vérités alternatives » deviennent particulièrement virulentes. Il en va ainsi lorsque l’asymétrie entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas devient plus forte. En d’autres termes, les fantasmes de complot prolifèrent lorsqu’un déséquilibre de pouvoir coïncide avec un déséquilibre de connaissance. Et c’est peut-être là la réponse à ceux qui se demandent ce qui se cachait et se cache derrière la diétrologie.

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Antonio Sgobba (1983), journaliste, a été responsable des pages culturelles de IL, le magazine mensuel du journal Il Sole 24 Ore, et a collaboré avec La Lettura du Corriere della Sera, Wired, Pagina 99 et d’autres journaux. Depuis 2016, il travaille à la RAI de Milan et est l’un des présentateurs de TGR Petrarca - Le parole della cultura sur RAI 3. En 2017, il a publié Il paradosso dell’ignoranza da Socrate a Google (Le paradoxe de l’ignorance de Socrate à Google) et en 2020 La società della fiducia (La société de la confiance) chez Il Saggiatore. Son livre le plus récent s’intitule Sei scettico? Una filosofia antica per i tempi moderni (Tu es sceptique ? Une philosophie ancienne pour les temps modernes (Einaudi, 2023).

 

13/03/2024

GIANLUCA DI FEO
« La P2, la CIA et l'affaire Moro : il fallait le détruire, ils ne voulaient pas le libérer »
Roberto Jucci, le général des carabiniers italien chargé des missions secrètes

Gianluca Di Feo, la Repubblica, 4/3/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

A 98 ans, l’homme des missions secrètes parle : « Cossiga m’a chargé de l’unité d’intervention qui devait le libérer [Moro], mais le véritable objectif était de m’écarter. Mon plus grand regret est de ne pas avoir compris que j’étais instrumentalisé ».

« Mon plus grand regret dans l’affaire Moro est de ne pas avoir compris que j’étais instrumentalisé. Dans le sens où ils m’avaient mis dans un coin et m’avaient envoyé loin de Rome pour que je ne voie pas et ne puisse pas opérer... ». Le général Roberto Jucci vient d’avoir 98 ans et conserve une mémoire de fer : il se souvient de tout, de chaque détail de l’extraordinaire carrière qui l’a vu être un protagoniste de la première et de la deuxième République. Il a été à la tête du service de sécurité de l’armée, commandant des carabiniers, directeur de Raul Gardini [patron du groupe Ferruzzi, suicidé en 1993, NdT]  et de Romano Prodi, trésorier du parti de L’Olivier, président de la commission pour la réforme des services secrets, et enfin commissaire du gouvernement en Sicile et commissaire du gouvernement pour l’assainissement du fleuve Sarno. Il a dirigé des missions très secrètes en Libye, en Israël et en Chine. Il a entretenu des relations de confiance avec Giulio Andreotti, Francesco Cossiga, Bettino Craxi, Aldo Moro, Romano Prodi, Giovanni Spadolini et de nombreux autres dirigeants politiques : il jouit d’un énorme respect car il est considéré comme un homme des institutions. « Je n’ai jamais été entendu par les commissions parlementaires sur l’affaire Moro. Certes, je n’aurais pas pu changer de manière décisive les conclusions, mais j’aurais pu dire quelque chose et contribuer à la recherche de la vérité ».


Aldo Moro (1916-1978), prisonnier des Brigades Rouges

Quel poste occupiez-vous au moment de l’enlèvement de Moro ?

« Je n’étais qu’un général, mais mon expérience internationale m’a permis d’être sollicité lorsqu’il s’agissait de résoudre un problème sensible, par exemple en Libye après le coup d’État de Kadhafi, ou d’ouvrir un canal confidentiel pour les négociations entre les USA et la Chine dans les années 1970. En 1978, j’ai été nommé chef du deuxième département de l’état-major de l’armée chargé de la sécurité, plus connu sous l’acronyme “SIOS”.

Quelle est la mission que vous a confiée le ministre de l’intérieur Cossiga ?

« Il m’a demandé de créer une unité de l’armée qui pourrait intervenir pour libérer Moro lorsque sa prison serait découverte. Ils devaient opérer avec une précision millimétrique pour ne pas risquer la vie de l’otage. Il m’a donné une semaine de délai. J’ai pris les hommes du légendaire 9ème Régiment d’assaut de parachutistes « Colonel Moschin », j’ai acheté des armes sophistiquées en Grande-Bretagne et en Allemagne et je les ai fait s’entraîner sans relâche dans une base secrète à l’intérieur du domaine présidentiel de San Rossore. Cossiga me demandait sans cesse s’ils étaient prêts. Je lui ai répondu : « Monsieur le Ministre, venez voir par vous-même ». Sur le chemin de l’inspection, sans avertissement, les raideurs ont tendu une embuscade à son cortège et ont immobilisé l’escorte : Cossiga a eu une crise cardiaque ».

Jucci et Cossiga en 1989

Cossiga avait une grande confiance en vous : ne vous a-t-il pas appelé à rejoindre le Comité qui a géré l’enquête sur Moro ?

« Non. Et il ne m’a jamais dit de quoi ils discutaient. Ils ont dit à Cossiga de faire cette unité mais je ne sais pas s’ils l’ont fait pour m’éloigner du terrain à Rome. Car c’est ainsi que j’ai passé pratiquement tous les jours de l’enlèvement en Toscane, au domaine de San Rossore, pour mettre en place cette équipe qui n’est jamais entrée en action. J’allais à Rome pour faire mon rapport à Cossiga, je parlais à Ugo Pecchioli qui était le représentant du PCI et nous attendions qu’il sorte des réunions du Comité. Il m’interrogeait sur la préparation des raideurs ; avec Pecchioli, il faisait le point sur la situation. Ils me mettaient à l’écart. Et je ne sais pas si ça a été fait exprès. Car, à l’époque, une grande partie des dirigeants des institutions militaires étaient membres de la loge P2. Et sur cette loge, j’ai beaucoup de réflexions aujourd’hui : parce que la P2 était l’expression d’un groupe de pouvoir d’un pays étranger, ami certes, mais qui avait d’autres “intérêts” ».

Vous parlez des USA ?

« Des centres de pouvoir usaméricains qui opéraient également par l’intermédiaire d’éléments de la P2».

Croyez-vous que quelqu’un a suggéré à Cossiga de vous écarter ?

« Je n’ai aucune certitude à ce sujet, mais je constate qu’au sommet des états-majors se trouvaient divers éléments de la P2. Nous disposons d’une liste de la P2, celle que les juges Turone et Colombo ont saisie lors de la perquisition chez Licio Gelli, mais je suis convaincu que cette liste n’est pas complète. D’autres noms ont été gardés secrets, peut-être parce qu’ils auraient dû couvrir ceux qui figuraient sur la liste si l’organisation maçonnique avait été découverte. Il y avait des personnes sur la liste qui étaient très proches d’autres personnes qui n’apparaissaient pas sur la liste. Ça m’a toujours paru bizarre. Il suffisait d’examiner les carrières qu’ils ont parrainées pour s’en faire une idée... La P2 était un État dans l’État ! »

Avez-vous jamais rencontré Licio Gelli ?

« Jamais ».

Quels p2istes avez-vous connus ?

« Beaucoup de généraux et de préfets étaient de la P2. Je me souviens de Federico Umberto D’Amato : c’était une anguille, puisqu’il était vice-commissaire de police et qu’il régnait sur le bureau des affaires réservées du Viminal [ministère de l’Intérieur]. Quand, en 1986, je suis arrivé à la tête des carabiniers, je me suis rendu à Arezzo et j’ai demandé au commandant provincial des carabiniers ce qu’il en était de Gelli. Il m’a dit : « Ici, de nombreux responsables d’institutions étaient voulus par Gelli. Mon engagement le plus lourd a été de faire en sorte que Gelli reçoive des généraux le dimanche ». Je suis resté sans voix. Devant le remplacer pour une rotation normale, j’ai confié la tâche au chef de la sécurité du Commandement général [des carabiniers] : c’était un officier qui aspirait à des postes plus importants et qui ne comprenait pas pourquoi je l’avais envoyé là. Des années plus tard, je lui ai expliqué que je l’avais choisi parce qu’il était responsable de la sécurité au Commandement général et qu’il devait donc être considéré comme au-dessus de tout soupçon ».

Vous ont-ils demandé de rejoindre la P2 ?

« Non, jamais. Celui que j’ai toujours considéré comme un de leurs recruteurs, lorsqu’il me voyait, il changeait de trottoir. Ils me connaissaient bien. Pour entrer dans la P2, il fallait être volontaire et je ne pense pas l’avoir jamais été... Je n’ai jamais eu qu’un seul chef : le chef des institutions. Lorsque j’ai compris que Giovanni Spadolini, qui était devenu ministre de la Défense, pensait que, étant un ami d’Andreotti et de Cossiga, je pourrais ne pas lui être loyal, je lui ai dit : “Je n’ai qu’un seul patron, le ministre avec lequel je travaille” ».


Et avec Aldo Moro, quelle a été votre relation ?

« J’avais une affection filiale pour Moro. Je me souviens encore de la fois où je l’ai accompagné à la réunion avec Kadhafi pour discuter des conditions des Italiens en Libye et d’autres problèmes : le principal était l’importation de pétrole brut libyen à un prix spécial lorsqu’il était précieux, puisque le canal de Suez était bloqué. J’ai eu plusieurs conversations avec Moro, il me demandait souvent mon avis. Dans le communiqué de presse que j’ai rédigé après la rencontre avec Kadhafi, après m’avoir donné quelques directives, il a changé un mot et m’a demandé la permission de le faire. Quel homme, je n’en ai pas rencontré d’autres comme lui ».

Vous avez été le premier contact italien de Kadhafi...

« Au lendemain du coup d’État par lequel il a pris le pouvoir [1er septembre 1969, NdT], le chef des services secrets militaires, le SID [1966-1977], l’amiral Henke, m’a envoyé voir Kadhafi. Henke appréciait particulièrement notre travail commun. Je ne connaissais personne en Libye. En peu de temps, j’ai réussi à avoir un entretien avec Kadhafi et, quelques mois plus tard, à obtenir la rencontre entre lui et Moro qui a marqué l’histoire de l’Italie à cette époque. Pensez-y : j’ai menacé Kadhafi de débarquer en Libye. Un bluff : s’il avait dit “je vois”, je me serais retrouvé dans une situation très difficile. Il me croyait et me faisait confiance, il me demandait souvent conseil : je lui ai peut-être sauvé la vie ou le pouvoir avec l’opération Hilton [projet de renversement de Kadhafi organisé par le gouvernement britannique en 1970, fait échouer par Aldo Moro, NdT] qui a fait échouer un autre coup d’État. À partir de 1972, je n’ai plus eu cette relation avec Kadhafi, car le gouvernement m’a remplacé dans ces contacts. Je l’ai vu quatre fois pour des missions spéciales du gouvernement : la dernière fois en 1980 pour discuter de la libération des pêcheurs de Mazara del Vallo. Ensuite, je ne l’ai plus jamais revu : ni lui, ni ses collaborateurs ».

N’avez-vous pas eu l’idée d’approcher Kadhafi pour obtenir la libération de Moro ?

« Personne ne m’a demandé de le faire. Et je n’ai eu de contact avec Kadhafi que pour des missions qui m’ont été confiées par le gouvernement. Dans l’enlèvement de Moro, je n’étais pas un acteur, mais seulement un figurant ».

Si vous aviez été un acteur, qu’auriez-vous fait ?

« J’aurais certainement fait filer ceux qui sont allés porter les lettres de Moro à son secrétaire Freato et à d’autres personnes. J’aurais essayé de trouver des appuis dans les pays arabes qui auraient peut-être pu trouver un canal utile pour sa libération. J’aurais fait tout mon possible pour le sauver. Je n’aurais probablement pas réussi, mais j’aurais tout essayé ».

En 1978, notre appareil de sécurité manquait d’unités spécialisées. Y avait-il des équipes pour s’occuper des filatures ?

« Certainement. Lorsque j’ai rejoint le service, comme il n’y avait pas encore d’école interne, j’ai fait réaliser un vade-mecum opérationnel et des cours pour le personnel : pour la filature, j’ai utilisé les enseignements du Mossad israélien. Des dizaines d’hommes étaient préparés à cette tâche. Mes considérations concernent également la zone de Via dei Massimi, où vivaient de hauts prélats du Vatican et où il y avait un va-et-vient de brigadistes : elle était peut-être administrée par un responsable de l’IOR [la banue du Vatican], Monseigneur Antonello Mennini, dont on dit qu’il a confessé Moro pendant son emprisonnement. Un autre personnage qui aurait dû être filé ».

Pourquoi ces filatures n’ont-elles pas été ordonnées ?

« Il n’y a pas eu de coordination. Et malheureusement, nous nous sommes appuyés sur le groupe qui a conseillé Cossiga pour mener à bien les opérations. Cossiga était conseillé par un homme envoyé par les USA et par la commission composée en grande partie de p2istes. Tous des gens qui, à mon avis, voulaient que les choses se passent autrement que ce que tous les honnêtes gens demandaient. Il fallait détruire Moro politiquement et physiquement : si Moro avait survécu, la politique italienne aurait évolué différemment de ce qu’elle a fait. Je crois que Moro aurait pu être libéré si toutes les institutions avaient travaillé dans ce sens. Mais la mise en place d’un gouvernement, soutenu par Moro, formé par les communistes et les démocrates-chrétiens, s’est heurtée à l’opposition des USA et, pour d’autres raisons, à celle de l’ex-Union soviétique ».

L’avez-vous dit à Cossiga ?

« Cossiga a certainement agi de bonne foi en me confiant la tâche de préparer les raideurs parce qu’il tenait beaucoup à ce que, lors de la libération, Moro ne soit pas abattu. Il ne savait pas que cette unité n’entrerait jamais en action. Mais il voulait réaliser la libération, il voulait absolument sauver Moro : je n’ai aucun doute là-dessus ».

Mais vous étiez très proches, vous avez dû en discuter ...

« Après la mort de Moro, Cossiga a démissionné et a disparu. Quelques jours plus tard, j’ai appris où il se trouvait : il était enfermé dans un appartement près de la Piazza San Silvestro, un quartier-maître de la marine lui apportait de la nourriture. Je lui ai rendu visite à plusieurs reprises. Il me regardait, muet, pendant de longues minutes. Puis il me disait : « J’aurais peut-être pu faire plus ». Pour lui, c’était une obsession qui, je crois, l’a marqué à vie ».

 
Giulio Andreotti, alias "Il Professore" (1919-2013)

En avez-vous parlé à Andreotti ?

« Non, j’ai entretenu de très bonnes relations avec lui. C’était quelqu’un de très intelligent et d’impressionnant. Sa secrétaire m’appelait le soir pour un rendez-vous à sept heures le lendemain matin et me demandait de résumer un argument en dix minutes. Je travaillais des heures la nuit pour le préparer : dix ans plus tard, Andreotti sortait une feuille de papier et se souvenait encore de tout ce que j’avais peut-être oublié au cours de l’entretien. Cossiga lui-même avait une admiration craintive pour lui... ».

Revenons à ces « centres de pouvoir usaméricains qui opéraient par l’intermédiaire d’éléments de la P2 ». Vous étiez tenu en haute estime par les services de renseignements usaméricains : vous leur aviez même remis la source la plus importante sur les renseignements du Pacte de Varsovie...

« Ce n’était pas mon mérite : en 1968, ce général des services tchécoslovaques s’est présenté à Trieste. J’ai seulement réalisé à quel point il était précieux. J’avais du respect pour les USAméricains et ils m’ont toujours respecté. Dans cette coirconstance [l’enlèvement de Moro, NdT], je ne partageais manifestement pas leurs positions ».

Deux ans plus tard, ils vous ont demandé d’aider à libérer les otages usaméricains à Téhéran et vous avez obtenu de précieuses informations. Mais sur Moro, ils ne vous ont jamais consulté ?

« Je le répète : j’ai acquis la conviction que nous n’avions pas la même vision sur Moro ».

Tout le monde parle du rôle de la CIA, mais il y avait une forte présence du renseignement militaire usaméricain en Italie.

« Le renseignement militaire usaméricain a parfois opéré de manière très discutable : nous étions un allié loin de leur pays, avec des visions qui ne coïncidaient pas toujours. Et malheureusement, il y a eu des Italiens qui ont opéré en suivant leurs directives pour des objectifs qui n’auraient peut-être dû ni fixés ni envisagés ».

À quoi faites-vous référence ?

« Dans le cas de Gladio, par exemple, il fallait le faire, mais il fallait le faire différemment. Dans nos plans, en cas d’invasion, il était prévu que nous abandonnions une partie du territoire pour nous positionner sur des lignes plus défendables. Si quelqu’un a utilisé Gladio à d’autres fins, c’est sa responsabilité personnelle ».

En 1978, Moro n’a pas été retrouvé, tandis que quatre ans plus tard, la prison du général usaméricain James Dozier a été localisée et il a été libéré lors d’une opération éclair.

« Dans ce cas, ils voulaient le libérer ; dans l’autre, j’ai des doutes. Mais j’ajouterai que ni eux ni le KGB ne voulaient trouver Moro. Même les services soviétiques de l’époque suivaient les mêmes stratégies. Je me souviens de l’arrestation de Morucci et de Faranda au domicile de Giuliana Conforto, qui, après quelques mois, a été libérée bien que les crimes qui lui étaient imputés auraient peut-être exigé des peines plus lourdes. Qui était Giuliana Conforto ? La fille d’un agent du KGB de longue date, Giorgio Conforto, qui a toujours travaillé dans l’ombre pour l’un des marionnettistes de nos services, ce Federico Umberto D’Amato dont j’ai déjà parlé. A-t-on enquêté sur les raisons de ce traitement de faveur accordé à Giuliana Conforto ? »

Et vous, Général, où gardez-vous vos archives ?

« Je n’ai jamais pris une seule feuille confidentielle dans les bureaux que j’ai dirigés. J’ai tout ici, dans ma tête ».

 

Roberto Jucci, le général qui chuchotait à l’oreille des gouvernements

Gianluca Di Feo, la Repubblica, 17/1/2022  

Dans un livre, les souvenirs du militaire de 95 ans, impliqué dans des missions secrètes en Italie et à l’étranger : ils sont un miroir de l’histoire de notre pays

À 95 ans, le général à l’œil de glace conserve le regard et la mémoire qui ont fait de lui un protagoniste d’événements extraordinaires. Roberto Jucci a traversé tous les complots et toutes les révolutions, qu’ils soient internationaux ou nationaux, et il en est toujours sorti la tête haute : il est universellement considéré comme « un serviteur de l’État, doté d’une capacité unique à mener à bien des missions impossibles ». Comme lorsqu’il a été envoyé seul à Tripoli pour établir le contact avec les colonels qui venaient de prendre le pouvoir.

« J’ai dit à Kadhafi que j’étais un officier comme lui, un peu plus âgé et avec un peu plus d’expérience ». Ce fut le début d’un lien qui s’est poursuivi pendant des décennies : chaque fois qu’il y avait un problème avec la Libye, les gouvernements se tournaient vers Jucci. Il a finalement rassemblé ses souvenirs dans le volume Rivelazioni (éditions Porto Seguro) : l’autoportrait de l’homme qui, dans les moments les plus difficiles, a chuchoté à l’oreille de dizaines de présidents ce qu’il convenait de faire.

Un parcours qui commence en 1943, alternant entre une carrière de militaire et d’agent secret. En 1968, à Trieste, il accueille un général tchécoslovaque qui a fui Prague. Il l’interroge, réalise qu’il peut être précieux et le remet à la CIA : Jan Sejna était la source la plus importante de toutes pour le renseignement usaméricain. Les USAméricains le prennent en main : ils lui demandent même de les aider à libérer les otages de l’ambassade de Téhéran. Plus encore. En 1978, Jucci se rend à Pékin pour une autre mission top secrète : « Les Chinois voulaient que je serve d’intermédiaire pour faire connaître aux USA leur volonté de sortir de l’orbite russe ».

Le général est le cousin de l’épouse de Giulio Andreotti, ce qui ne nuit pas à sa réputation d’impartialité : de Bettino Craxi à Giovanni Spadolini, tous les chefs de gouvernement le tiennent en estime. Il dépeint les protagonistes de la Première République avec des anecdotes inédites. Comme la visite de Sandro Pertini dans sa ville natale de Savone : le président nouvellement élu exige d’utiliser un vol régulier et de loger dans une petite pension. Or, à l’insu de Pertini, tous les sièges de l’avion et toutes les chambres sont occupés par des hommes et des femmes de la police en civil. « Le président était satisfait de croire que sa sécurité était garantie par sa propre popularité : nous étions heureux de sa conviction et poussions un soupir de soulagement ».

Un thème qui revient souvent dans ces pages est l’enlèvement d’Aldo Moro, dont il était très proche. Le ministre de l’époque, Francesco Cossiga, lui ordonne de former une unité de « têtes de cuir » au cas où la « prison du peuple » serait localisée, pour y faire irruption. Jucci réunit donc quarante hommes du régiment de paras «  Col Moschin « et les soumet à des exercices rigoureux. Cossiga est impatient de connaître leur préparation. « Pour lui donner une expérience directe de l’entraînement, nous avons simulé son enlèvement et celui de son escorte dans la rue, la nuit. Il a eu très peur et j’ai craint pour sa santé ». Après l’épilogue de la Via Caetani [où le corps d’Aldo Moro a été retrouvé, NdT], Cossiga est choqué. « Avant d’entamer une conversation, il me regardait pendant un quart d’heure, sans dire un mot. Ensuite, le sujet était toujours le même : l’assassinat de Moro, ce qu’il avait fait pour l’empêcher, ce qu’il aurait pu encore faire et n’avait pas fait ».


Via Fani immédiatement après l’enlèvement d’Aldo Moro

Après son accession au Quirinal [palais présidentiel], Cossiga le nomme commandant général des carabiniers. Ce furent des années de grandes réformes, inspirées par une vision novatrice et une rigueur éthique. Lorsqu’il apprend que Fiat a augmenté le prix convenu pour les nouvelles voitures des carabiniers, Jucci s’y oppose. Il met Cesare Romiti à la porte. Puis il reçoit Gianni Agnelli : « Il m’a dit que si je n’acceptais pas, il aurait secoué le gouvernement. Je lui ai répondu que j’étais convaincu de mes raisons et que j’aurais demandé à la Cour des comptes d’intervenir. Je n’étais certainement pas dans les bonnes grâces du puissant avocat et à l’époque, c’était risué ». Malgré cela, le général établit une relation profonde avec Giovannino Agnelli, fils d’Umberto et héritier désigné à la tête de Fiat, qui s’est enrôlé dans les carabiniers. Il lui demande dans quelle région, à l’exception du Piémont, il souhaite aller. « Le jeune homme m’écrivit qu’il voulait une station inconfortable, en indiquant Pantelleria ».

Plus surprenante encore est sa relation personnelle avec Edoardo Agnelli, le fils de l’Avvocato, qu’il a rencontré lors d’un accident de voiture : « C’était un bon garçon. Nous nous sommes quittés en nous embrassant. Il m’a dit qu’il viendrait me voir souvent et c’est ce qu’il a fait ». Après avoir terminé son commandement en 1989, il entame une seconde vie. Romano Prodi le voulait à la tête d’une compagnie de l’IRI [Institut pour la reconstruction industrielle, holding publique  privatisée à la fin du siècle dernier, NdT]. Puis Raul Gardini – « l’un des hommes les plus intelligents que j’aie jamais rencontrés » - le fait entrer au conseil d’administration de Montedison. Après le début de Tangentopoli [« Bakchich-City », réseau de corruption révélé pr lio’pération Maisn Propres, NdT,] Gardini demande au général de convaincre Prodi de devenir administrateur délégué de Montedison. Il y a un déjeuner à trois et l’offre : « Prodi a répondu que même s’ils étaient de très bons amis, il ne pouvait pas accepter ». Dès cette époque, Jucci se voit souvent confier des affaires délicates. Le président du Sénat le charge « à titre personnel » de vérifier l’état économique d’une clinique romaine appartenant à Don Verzè, le dirigeant de l’hôpital San Raffaele. Une sorte d’inspection dans le domaine de la santé privée, où Don Verzè tente immédiatement de le corrompre : « J’ai eu l’impression qu’il y avait plus de jolies jeunes filles que d’infirmières... ». Il se rend compte qu’il s’est retrouvé au milieu d’une lutte entre deux groupes politico-entrepreneuriaux : l’un soutenant San Raffaele, l’autre le Campus bio-médical naissant de l’Opus Dei. Toute médiation est impossible et Don Verzè, vaincu, se retire de la capitale.

Jucci a vu le cœur des ténèbres du pouvoir et en a vécu les moments clés. En 1996, à la chute du gouvernement Dini, Lorenzo Necci, alors numéro un des chemins de fer, conçoit le projet d’un exécutif dirigé par Antonio Maccanico et soutenu par un nouveau mouvement centriste. « Necci me pria de rester près de Maccanico pour le choix des compagnons de voyage et l’organisation du nouveau parti ». Mais le plan échoue : « Lorsque Maccanico a été nommé, deux puissants lobbies maçonniques internationaux auraient pu s’affronter, et comme celui de Necci est sorti perdant, il devait probablement être l’agneau sacrifié ». Quelques mois plus tard, Necci est arrêté et quitte la scène publique.

Le début du troisième millénaire pour Jucci signifie une troisième vie, cette fois pour la défense de l’environnement. Envoyé en Sicile pour restaurer les réseaux d’eau, il se retrouve face à un monstre invincible : un labyrinthe de mafia, de politique, de magouilles et darriération qui gaspille l’eau et engloutit des fleuves d’argent public. La reconquête du Sarno, le fleuve le plus pollué d’Europe, est une tâche tout aussi ardue. Il se lance dans la charge contre les industriels en Ferrari qui se plaignent de la pauvreté, des camorristes, et surtout contre la bureaucratie qui paralyse tout. Il n’abandonne pas et en 2011, il accomplit sa dernière mission. À 85 ans, il peut enfin se reposer, même si des représentants de tous les partis continuent de frapper à sa porte en quête de conseils. Cela se produit encore aujourd’hui, dans la plus grande discrétion. Si le Big Old Man* évoqué par les complotistes existait vraiment, il ne pourrait que lui ressembler. « J’ai toujours été considéré comme un homme de l’ombre, qui sait tout des choses les plus sombres de l’État. Mais je suis tranquille, car j’ai agi pour le seul bien de mon pays ».

*NdT

Le 16 mars 1978, Steve Pieczenik, un psychiatre autoproclamé nommé sous-secrétaire adjoint au Département d’État par Henry Kissinger, et qui mériterait une série Netflix, est envoyé par le président Carter à Rome pour apporter aux services italiens on soit-disant savoir-faire en matière de négociations pour la libération d’otages. Lors d’une réunion, Mister Pieczenik lance aux pandores italiens : « You’ve to find the Big Old Man », « Vous devez trouver le Grand Vieil Homme », c’est-à-dire, dans le jargon des services de renseignement yankees, le quartier-général des BR, mais les fonctionnaires italiens, qui ne connaissaient pas l’expression, la prirent au pied de la lettre et commencèrent à chercher le « Grande Vecchio ». Une série de personnes furent successivement suspectes d’être ce fameux chef d’orchestre, notamment Giambattista Lazagna, ancien commandant partisan antifasciste, Toni Negri, Corrado Simioni etc.. Le Grande Vecchio a continué à vivre dans la sous-culture médiatico-populaire, mis à toutes les sauces. La thèse complotiste la plus en vogue aura été celle-ci : l’enlèvement de Moro aurait été une opération conçue par la CIA et le KGB main dans la main pour empêcher le Compromis historique que Moro était en train de négocier pour réaliser une alliance de gouvernement entre démocrates-chrétiens et communistes.

Gianluca Di Feo (Rome, 1967) est un journaliste italien spécialisé dans la criminalité organisée, la corruption, le trafic d’armes et les services secrets, thèmes auxquels il a consacré plusieurs livres. Il est directeur adjoint du quotidien La Repubblica. Il a auparavant travaillé au Corriere della Sera et à L’Espresso, dont il a aussi été directeur adjoint.