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06/09/2025

THE NEW YORK TIMES
Comment une mission top secrète de l’équipe de forces spéciales SEAL Team Six en Corée du Nord a échoué en 2019

Interrogé vendredi après-midi dans le Bureau ovale, Donald Trump a nié avoir connaissance des faits relatés ci-dessous : «Je ne sais rien à ce sujet. C’est la première fois que j’en entends parler». No comment [NdT]

L’opération de 2019, approuvée par le président Trump, visait à obtenir un avantage stratégique. Elle a provoqué la mort de civils nord-coréens désarmés.


Le président Trump et le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un entretenaient une relation erratique. Ils se sont rencontrés sur l’île de Sentosa à Singapour en 2018.
Photo Doug Mills / The New York Times

Dave Philipps et Matthew Cole, The New York Times, 5/9/2025
Julian E. Barnes, Adam Entous et Eric Schmitt ont contribué au reportage.

Traduit par Tlaxcala

Dave Philipps est correspondant national pour The New York Times, spécialisé sur la guerre, l’armée et les anciens combattants, couvrant le Pentagone.
Matthew Cole est un journaliste indépendant, auteur de Code Over Country: The Tragedy and Corruption of SEAL Team 6. Il a travaillé pour The Intercept et a été producteur d’enquêtes pour NBC News et ABC News.

Un groupe de Navy SEAL émergea de l’océan noir d’encre par une nuit d’hiver début 2019 et se faufila jusqu’à une côte rocheuse de Corée du Nord. Ils étaient en mission top secrète, si complexe et cruciale que tout devait se dérouler parfaitement.

L’objectif était de poser un dispositif électronique qui permettrait aux USA d’intercepter les communications du dirigeant nord-coréen reclus, Kim Jong-un, en plein cœur de pourparlers nucléaires de haut niveau avec le président Trump.

La mission avait le potentiel d’offrir aux USA un flux de renseignements précieux. Mais elle impliquait de placer des commandos usaméricains sur le sol nord-coréen — une manœuvre qui, si elle était découverte, pouvait non seulement faire échouer les négociations, mais aussi provoquer une prise d’otages ou une escalade du conflit avec un ennemi doté de l’arme nucléaire.

Le risque était tel qu’il exigeait l’approbation directe du président.

Pour cette opération, l’armée choisit l’escadron rouge de la SEAL Team Six — la même unité qui avait tué Oussama ben Laden. Les SEAL s’entraînèrent pendant des mois, conscients que chaque geste devait être parfait. Mais lorsqu’ils atteignirent, vêtus de combinaisons noires et de lunettes de vision nocturne, ce qu’ils pensaient être une côte déserte, la mission capota rapidement.

Un bateau nord-coréen surgit de l’obscurité. Des faisceaux lumineux balayèrent la surface de l’eau. Craignant d’avoir été repérés, les SEAL ouvrirent le feu. En quelques secondes, tous les occupants du bateau nord-coréen étaient morts.

Les SEAL se replièrent en mer sans avoir posé le dispositif d’écoute.

L’opération de 2019 jamais reconnue

L’opération de 2019 n’a jamais été publiquement reconnue, ni même évoquée, ni par les USA ni par la Corée du Nord. Les détails restent classifiés et sont ici rapportés pour la première fois. L’administration Trump n’a pas informé les principaux membres du Congrès chargés de superviser les opérations de renseignement, ni avant ni après la mission. Ce défaut d’information pourrait avoir constitué une violation de la loi.

La Maison-Blanche a refusé tout commentaire.

Ce récit s’appuie sur des entretiens avec deux douzaines de personnes, dont des responsables civils du gouvernement, des membres de la première administration Trump, ainsi que des militaires en activité ou anciens ayant connaissance de la mission. Tous se sont exprimés sous condition d’anonymat en raison du caractère classifié de l’opération.

Plusieurs d’entre eux ont dit vouloir discuter des détails de la mission parce qu’ils s’inquiétaient du fait que les échecs des opérations spéciales soient souvent dissimulés par le secret gouvernemental. Si le public et les décideurs ne prennent conscience que des succès médiatisés, comme le raid qui a tué Ben Laden au Pakistan, ils risquent de sous-estimer les risques extrêmes que prennent les forces usaméricaines.

L’opération militaire sur le sol nord-coréen, à proximité de bases usaméricaines en Corée du Sud et dans le Pacifique, risquait également de déclencher un conflit plus large avec un adversaire hostile, doté de l’arme nucléaire et fortement militarisé.

Le New York Times procède avec prudence lorsqu’il rend compte d’opérations militaires classifiées. Le journal a occulté certaines informations sensibles concernant la mission en Corée du Nord qui pourraient compromettre de futures opérations spéciales et missions de renseignement.

On ignore dans quelle mesure la Corée du Nord a pu découvrir des éléments sur la mission. Mais cette opération des SEAL constitue un épisode d’un effort de plusieurs décennies des administrations usaméricaines pour engager la Corée du Nord et limiter son programme nucléaire. Presque rien de ce qu’ont tenté les USA — ni les promesses de rapprochement, ni la pression des sanctions — n’a fonctionné.

En 2019, Trump entreprenait une démarche personnelle envers Kim, à la recherche d’une avancée que ses prédécesseurs n’avaient pas réussi. Mais ces pourparlers s’effondrèrent, et le programme nucléaire nord-coréen accéléra. Le gouvernement usaméricain estime désormais que la Corée du Nord possède environ 50 armes nucléaires et des missiles capables d’atteindre la côte ouest des USA. Kim a promis de continuer à développer son programme nucléaire de manière « exponentielle » afin de dissuader ce qu’il appelle les provocations usaméricaines.

Points aveugles

La mission des SEAL visait à corriger un angle mort stratégique. Depuis des années, les agences de renseignement usaméricaines avaient trouvé presque impossible de recruter des sources humaines ou d’intercepter des communications dans l’État autoritaire et refermé de la Corée du Nord.

Comprendre la pensée de Kim devint une priorité majeure dès l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche. Le dirigeant nord-coréen paraissait de plus en plus imprévisible et dangereux, et sa relation avec Trump oscillait de façon erratique entre lettres d’amitié et menaces publiques de guerre nucléaire.

En 2018, les relations semblaient s’orienter vers la paix. La Corée du Nord suspendit ses essais nucléaires et balistiques, et les deux pays entamèrent des négociations. Mais les USA n’avaient toujours que très peu d’informations sur les intentions de Kim.

Au milieu de cette incertitude, les agences de renseignement usaméricaines révélèrent à la Maison-Blanche qu’elles disposaient d’une solution au problème : un dispositif électronique nouvellement développé, capable d’intercepter les communications de Kim.

Le hic, c’est que quelqu’un devait s’infiltrer pour l’installer.


Trump et Kim se sont rencontrés à l’hôtel Métropole à Hanoï, au Vietnam, en février 2019.
Photo Doug Mills / The New York Times

La mission fut confiée à la SEAL Team 6 en 2018, selon des responsables militaires.

Même pour la Team 6, la mission allait être extraordinairement difficile. Habitués à des raids rapides en Afghanistan ou en Irak, les SEAL allaient devoir survivre pendant des heures dans une mer glaciale, échapper aux forces de sécurité sur terre, installer un dispositif technique avec précision, puis s’exfiltrer sans être détectés.

L’exfiltration était vitale. Au cours du premier mandat de Trump, les plus hauts responsables du Pentagone pensaient que même une petite action militaire contre la Corée du Nord pouvait provoquer des représailles catastrophiques de la part d’un adversaire disposant d’environ 8 000 pièces d’artillerie et de lance-roquettes pointés sur les quelque 28 000 soldats usaméricains stationnés en Corée du Sud, sans compter des missiles à capacité nucléaire pouvant atteindre les USA.

Mais les SEAL croyaient pouvoir réussir, car ils avaient déjà mené une opération similaire.

En 2005, des SEAL avaient utilisé un mini-sous-marin pour débarquer en Corée du Nord et repartir sans être repérés, selon des personnes informées de cette mission. L’opération de 2005, menée sous la présidence de George W. Bush, n’avait encore jamais été rendue publique.

Les SEAL proposaient de réitérer l’exploit. À l’automne 2018, alors que des négociations de haut niveau avec la Corée du Nord étaient en cours, le Commandement des opérations spéciales conjointes, qui supervise la Team 6, reçut l’autorisation de Trump de commencer les préparatifs, selon des responsables militaires. On ignore si l’intention de Trump était d’obtenir un avantage immédiat dans les négociations ou si l’objectif était plus large.

Le Commandement des opérations spéciales conjointes a refusé de commenter.

Le plan prévoyait que la marine infiltre un sous-marin nucléaire, long comme près de deux terrains de football (200 m.), dans les eaux proches de la Corée du Nord, puis déploie une petite équipe de SEAL dans deux mini-sous-marins, chacun de la taille approximative d’un orque, qui rejoindraient silencieusement le rivage.

Ces mini-sous-marins étaient des « sous-marins humides », ce qui signifiait que les SEAL y circulaient immergés dans une eau à 4 °C pendant environ deux heures, utilisant du matériel de plongée et des combinaisons chauffantes pour survivre.


Un sous-marin nucléaire usaméricain à missiles guidés participa à des exercices près d’Okinawa, au Japon, en 2021. Un sous-marin similaire transporta une équipe de Navy SEAL vers les eaux nord-coréennes en 2019.
Photo US Marine Corps / Département de la Défense

Près de la plage, les mini-sous-marins devaient libérer un groupe d’environ huit SEAL qui nageraient jusqu’à la cible, installeraient le dispositif, puis replongeraient discrètement dans la mer.

Mais l’équipe faisait face à une limitation majeure : elle s’engageait presque à l’aveugle.

Normalement, les forces d’opérations spéciales disposent de drones au-dessus de la zone de mission, transmettant une vidéo haute définition en direct, que les SEAL au sol et les responsables dans des centres de commandement éloignés utilisent pour diriger l’action en temps réel. Ils peuvent souvent écouter les communications ennemies.

En Corée du Nord, tout drone serait immédiatement repéré. La mission devait donc se reposer uniquement sur des satellites en orbite et des avions espions à haute altitude opérant dans l’espace aérien international, qui ne pouvaient fournir que des images fixes de faible résolution, selon des responsables.

Ces images arrivaient avec plusieurs minutes de retard, dans le meilleur des cas. Et elles ne pouvaient pas être transmises aux mini-sous-marins, car une seule communication cryptée risquait de révéler l’opération. Tout devait donc se dérouler presque sous un blackout total des communications.

Si quelque chose attendait les SEAL sur la côte, ils ne le sauraient que trop tard.

L’opération capote

La SEAL Team 6 s’entraîna pendant des mois dans les eaux usaméricaines et poursuivit ses préparatifs jusqu’aux premières semaines de 2019. En février, Trump annonça qu’il rencontrerait Kim pour un sommet nucléaire au Vietnam à la fin du mois.

Pour cette mission, la SEAL Team 6 s’associa avec l’équipe sous-marine d’élite de la Navy, le SEAL Delivery Vehicle Team 1, spécialisée depuis des années dans les opérations d’espionnage avec mini-sous-marins. Les SEAL embarquèrent sur le sous-marin nucléaire et mirent le cap vers la Corée du Nord. Quand le submersible atteignit l’océan ouvert et s’apprêta à entrer en blackout de communications, Trump donna son feu vert final.

On ignore quels facteurs Trump prit en compte en approuvant la mission des SEAL. Deux de ses plus hauts responsables de la sécurité nationale de l’époque — son conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, et le secrétaire à la défense par intérim, Patrick M. Shanahan — ont refusé de commenter cet article.

Le sous-marin approcha de la côte nord-coréenne et lança deux mini-sous-marins, qui rejoignirent un point à une centaine de mètres du rivage, dans des eaux claires et peu profondes.

Les planificateurs de la mission avaient tenté de compenser l’absence de vidéo en direct en passant des mois à observer les allées et venues dans la zone. Ils étudièrent les habitudes de pêche et choisirent un moment où le trafic maritime serait réduit. Le renseignement suggérait que si les SEAL arrivaient silencieusement au bon endroit, au cœur de la nuit en hiver, ils ne devraient rencontrer personne.

La côte nord-coréenne, photographiée en 2018, est fréquentée par de petits bateaux de pêche.
Photo. Ed Jones/Agence France-Presse/ Getty Images

La nuit était calme, la mer tranquille. Alors que les mini-sous-marins glissaient vers la cible, leurs capteurs confirmaient les informations de renseignement : la côte semblait déserte.

Les mini-sous-marins atteignirent le point où ils devaient se poser sur le fond marin. C’est là que l’équipe commit peut-être la première de trois petites erreurs, qui paraissaient anodines sur le moment mais qui pouvaient avoir condamné la mission.

Dans l’obscurité, le premier mini-sous-marin se posa au fond comme prévu, mais le second dépassa la zone et dut faire demi-tour, selon des responsables.

Le plan exigeait que les mini-sous-marins soient orientés dans la même direction. Mais après le demi-tour, ils pointaient en sens opposés. Le temps pressait, l’équipe décida donc de libérer le groupe de nageurs et de corriger ce problème plus tard.

Les trappes s’ouvrirent, et les SEAL — tous équipés d’armes intraçables, chargées de munitions tout aussi intraçables — nagèrent silencieusement jusqu’au rivage avec le dispositif d’écoute.

Tous les quelques mètres, les SEAL sortaient légèrement la tête de l’eau noire pour scruter les environs. Tout paraissait calme.

Ce fut peut-être une deuxième erreur. Flottant dans l’obscurité se trouvait un petit bateau. À bord, un équipage de Nord-Coréens, difficiles à détecter parce que les capteurs des lunettes de vision nocturne des SEAL repéraient surtout la chaleur, et que les combinaisons de plongée portées par les Nord-Coréens avaient été refroidies par l’eau glaciale.

Les SEAL atteignirent la côte, persuadés d’être seuls, et commencèrent à retirer leur équipement de plongée. La cible n’était qu’à quelques centaines de mètres.

De retour aux mini-sous-marins, les pilotes réorientèrent celui qui faisait face au mauvais côté. Avec les trappes de cockpit ouvertes pour la visibilité et la communication, un pilote lança le moteur électrique et fit pivoter l’engin.

C’était probablement une troisième erreur. Certains SEAL ont plus tard supposé que le sillage du moteur avait pu attirer l’attention du bateau nord-coréen. Et si l’équipage entendit un bruit d’eau, il put apercevoir la lumière provenant des cockpits ouverts des mini-sous-marins dans l’obscurité.

Le bateau commença à se diriger vers les mini-sous-marins. Les Nord-Coréens balayaient l’eau avec leurs lampes torches et parlaient comme s’ils avaient remarqué quelque chose.

Certains pilotes de mini-sous-marins expliquèrent plus tard lors de débriefings qu’à leurs yeux, observant depuis l’eau claire, le bateau paraissait encore à distance sûre, et ils doutaient qu’ils aient été repérés. Mais pour les SEAL sur la côte, dans la mer sombre et uniforme, le bateau semblait quasiment sur eux.

Un mini-sous-marin de la Navy, appelé SEAL Delivery Vehicle, lors d’un exercice en 2007. Des engins similaires furent utilisés lors de la mission de 2019.
Photo US Navy / Département de la Défense

Avec les communications coupées, impossible pour l’équipe à terre de consulter les pilotes sous-marins. Les faisceaux du bateau balayaient l’eau. Les SEAL ignoraient s’il s’agissait d’une patrouille de sécurité les traquant ou de simples pêcheurs, inconscients de la mission à haut risque en cours.

Un homme du bateau nord-coréen plongea dans la mer.

Si l’équipe côtière rencontrait des problèmes, le sous-marin nucléaire disposait d’un groupe de renforts SEAL avec des embarcations gonflables rapides. Plus au large, des aéronefs furtifs étaient positionnés sur des navires usaméricains, avec encore davantage de troupes des opérations spéciales prêtes à intervenir.

Les SEAL faisaient face à une décision critique, mais sans aucun moyen de discuter de la marche à suivre. Le commandant de mission se trouvait à des kilomètres, à bord du grand sous-marin. Sans drones ni communications, nombre des avantages technologiques sur lesquels comptent normalement les SEAL avaient disparu, laissant quelques hommes en néoprène, incertains de ce qu’il fallait faire.

Alors que l’équipe côtière observait le Nord-Coréen dans l’eau, le sous-officier le plus expérimenté sur place choisit une ligne de conduite. Sans un mot, il épaula son fusil et tira. Les autres SEAL firent instinctivement de même.

Compromission et fuite

Si les SEAL doutaient encore que leur mission ait été compromise avant d’ouvrir le feu, ils n’avaient plus aucune incertitude après. Le plan prévoyait que les SEAL abandonnent immédiatement s’ils rencontraient qui que ce soit. Les forces de sécurité nord-coréennes pouvaient déjà être en route. Il n’y avait plus de temps pour poser le dispositif.

L’équipe à terre nagea jusqu’au bateau pour s’assurer que tous les Nord-Coréens étaient morts. Ils ne trouvèrent ni armes ni uniformes. Tout indiquait que l’équipage — composé, selon les personnes informées, de deux ou trois personnes — était constitué de civils pratiquant la pêche sous-marine. Tous étaient morts, y compris l’homme tombé à l’eau.

Des responsables familiers de la mission affirmèrent que les SEAL tirèrent les corps dans l’eau afin de les dissimuler aux autorités nord-coréennes. L’un ajouta que les commandos percèrent les poumons des victimes avec des couteaux pour s’assurer que leurs corps couleraient.

Les SEAL regagnèrent les mini-sous-marins et envoyèrent un signal de détresse. Craignant que les commandos ne soient sur le point d’être capturés, le grand sous-marin nucléaire manœuvra en eaux peu profondes, tout près de la côte — une prise de risque majeure — pour les récupérer. Il prit ensuite la fuite vers le large.

Tout le personnel militaire usaméricain s’en sortit indemne.

Immédiatement après, des satellites espions usaméricains détectèrent une forte activité militaire nord-coréenne dans la zone, selon des responsables usaméricains. La Corée du Nord ne fit aucune déclaration publique sur ces morts, et les responsables usaméricains affirmèrent qu’il n’était pas clair si les Nord-Coréens avaient jamais compris ce qui s’était passé et qui en était responsable.

Le sommet nucléaire au Vietnam eut lieu comme prévu à la fin février 2019, mais les pourparlers s’achevèrent rapidement sans accord.

En mai, la Corée du Nord avait repris ses essais de missiles.

Trump et Kim se rencontrèrent une dernière fois en juin dans la zone démilitarisée entre les deux Corées. Ce fut un moment de télévision spectaculaire, avec Trump franchissant même brièvement la frontière vers le Nord. Mais la rencontre ne produisit guère plus qu’une poignée de main.

Dans les mois qui suivirent, la Corée du Nord tira plus de missiles qu’au cours de toute autre année précédente, y compris certains capables d’atteindre les USA. Depuis, selon les estimations usaméricaines, la Corée du Nord a accumulé 50 ogives nucléaires et de la matière pour en produire environ 40 de plus.

Un bilan inégal

La mission avortée des SEAL entraîna une série de révisions militaires durant le premier mandat de Trump. Elles conclurent que le meurtre de civils avait été justifié selon les règles d’engagement, et que l’échec de la mission résultait d’un enchaînement malheureux de circonstances imprévisibles et inévitables. Les conclusions restèrent classifiées.

L’administration Trump ne révéla jamais l’opération ni ses conclusions aux dirigeants des commissions clés du Congrès chargées de superviser les activités militaires et de renseignement, selon des responsables gouvernementaux. Ce faisant, l’administration aurait pu violer la loi fédérale, a affirmé Matthew Waxman, professeur de droit à l’Université Columbia et ancien responsable de la sécurité nationale sous le président George W. Bush.

Waxman a expliqué que la loi contient des zones grises qui laissent aux présidents une certaine marge de manœuvre quant aux informations transmises au Congrès. Mais pour les missions les plus conséquentes, l’obligation d’informer tend à être plus forte.

« Le but est de s’assurer que le Congrès n’est pas tenu dans l’ignorance quand des choses majeures se déroulent », dit Waxman. « C’est exactement le type d’opérations qui devrait normalement être signalé aux commissions, et sur lesquelles  ces commissions s’attendent à être informées. »

Beaucoup des personnes impliquées dans la mission ont ensuite été promues.

Mais l’épisode inquiéta certains responsables militaires expérimentés, au courant de l’opération, car les SEAL ont un bilan inégal qui, depuis des décennies, est largement occulté par le secret.

Les unités d’opérations spéciales d’élite se voient régulièrement confier les tâches les plus difficiles et dangereuses. Au fil des années, les SEAL ont enregistré de grands succès, notamment l’élimination de chefs terroristes, des sauvetages spectaculaires d’otages et l’opération contre Ben Laden, qui ont forgé une image quasi surhumaine auprès du public.

Mais pour certains militaires ayant travaillé avec eux, les SEAL ont la réputation de concevoir des missions excessivement audacieuses et complexes qui tournent mal. La première mission de la Team 6, lors de l’invasion de la Grenade en 1983, en est un exemple parlant.

Le plan consistait à sauter en parachute dans la mer, foncer vers la côte en bateaux rapides et placer des balises pour guider les forces d’assaut vers l’aéroport de l’île. Mais l’avion des SEAL décolla en retard ; ils sautèrent de nuit dans des conditions orageuses, chargés d’équipements lourds. Quatre SEAL se noyèrent, et les embarcations des autres chavirèrent.

L’aéroport fut ensuite pris par des Rangers de l’armée usaméricaine, parachutés directement sur la piste.


Des troupes usaméricaines surveillant l’aéroport de Point Salines après l’invasion de la Grenade en 1983. La mission inaugurale de la SEAL Team 6, visant l’aéroport principal de l’île, tourna très mal.
Photo Associated Press

Depuis, les SEAL ont monté d’autres missions complexes et audacieuses qui se sont effondrées, au Panama, en Afghanistan, au Yémen et en Somalie. Lors d’une mission de sauvetage en Afghanistan en 2010, des SEAL de la Team 6 tuèrent accidentellement, à la grenade, l’otage qu’ils tentaient de libérer, puis induisirent leurs supérieurs en erreur sur les circonstances de sa mort.

En partie à cause de ce bilan, le président Barack Obama limita les missions d’opérations spéciales à la fin de son second mandat et renforça la supervision, réservant les raids complexes de commandos à des situations extraordinaires, comme les sauvetages d’otages.

La première administration Trump annula bon nombre de ces restrictions et réduisit le niveau de délibération nécessaire pour les missions sensibles. Quelques jours après son entrée en fonction en 2017, Trump court-circuita en grande partie le processus décisionnel établi pour approuver un raid de la Team 6 contre un village au Yémen. Cette mission laissa 30 villageois et un SEAL morts, et détruisit un avion de 75 millions de dollars.

Lorsque le président Joseph R. Biden Jr. succéda à Trump, la gravité de la mission en Corée du Nord attira un regain d’attention. Son secrétaire à la Défense, Lloyd J. Austin III, ordonna une enquête indépendante, confiée au lieutenant-général à la tête du bureau de l’inspecteur général de l’armée.

En 2021, l’administration Biden informa les principaux membres du Congrès des conclusions, selon un ancien responsable gouvernemental.

Ces conclusions restent classifiées.

06/08/2025

JORGE MAJFUD
Hiroshima et Nagasaki : 80e anniversaire du plus grand attentat terroriste de l’histoire


Jorge Majfud, 08/06/2025

Traduit par Tlaxcala

Le numéro du magazine Time du 13 août 1945 cite Truman : « Il y a seize heures, un avion américain a largué une bombe sur Hiroshima, une importante base militaire japonaise. Cette bombe avait une puissance équivalente à 20 000 tonnes de TNT... C’est une bombe atomique. C’est un avantage de la puissance fondamentale de l’univers ; ce qui a été accompli est la plus grande réussite de la science dans toute son histoire... [...] nous sommes désormais prêts à détruire plus rapidement et plus complètement toutes les entreprises productives que les Japonais possèdent sur leur sol... s’ils n’acceptent pas nos conditions, ils peuvent s’attendre à une autre pluie de feu, comme cette terre n’en a jamais vu ». 


À Londres, Winston Churchill évoque également ces prouesses scientifiques : « Nous devons prier pour que cette horreur conduise à la paix entre les nations et que, au lieu de causer des ravages incommensurables dans le monde entier, elle devienne la source éternelle de la prospérité mondiale ».

En couverture de son numéro du 20 août, le même magazine accueillait le lecteur avec un grand disque rouge sur fond blanc et un X barrant le disque. Ce n’était pas la première bombe atomique de l’histoire larguée sur une population humaine, mais le soleil ou le drapeau du Japon. À la page 29, dans un article intitulé « Awful Responsibility » (« Une terrible responsabilité »), le président Truman traçait les lignes de ce qui allait devenir plus tard le passé. En homme de foi, comme toujours lorsqu’il est placé au pouvoir par Dieu, Truman reconnaissait : « Nous rendons grâce à Dieu que cela nous soit arrivé avant nos ennemis. Et nous prions pour qu’Il nous guide afin que nous l’utilisions selon Sa volonté et Ses desseins ». Dans l’inversion sémantique du sujet et de l’objet, « cela » fait référence à la bombe atomique qui « nous est tombée dessus » ; par « nos ennemis », il fait évidemment référence à Hitler et Hirohito ; par « nous », il fait référence à nous, les protégés de Dieu.

En réalité, la barbarie du feu avait commencé bien avant. Le général LeMay avait été le cerveau qui avait planifié le bombardement de plusieurs villes japonaises, telles que Nagoya, Osaka, Yokohama et Kobe, entre février et mai 1945, trois mois avant les bombes atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki.

Dans la nuit du 10 mars, LeMay ordonna de larguer 1 500 tonnes d’explosifs sur Tokyo à partir de 300 bombardiers B-29. 500 000 bombes tombèrent entre 1 h 30 et 3 h du matin. 100 000 hommes, femmes et enfants moururent en quelques heures et un million d’autres personnes furent gravement blessées. Précurseurs des bombes au napalm, des gelées enflammées qui collaient aux maisons et à la chair humaine furent testées avec succès. « Les femmes couraient avec leurs bébés comme des torches enflammées sur le dos », se souvient Nihei, une survivante.

Lorsque la guerre était décidée et terminée, une semaine après les bombes atomiques, des centaines d’avions usaméricains ont largué des dizaines de milliers de bombes sur différentes villes du Japon, faisant des milliers de victimes supplémentaires, vouées à l’oubli. Le général Carl Spaatz, euphorique, proposa de larguer une troisième bombe atomique sur Tokyo. La proposition ne fut pas retenue car Tokyo avait déjà été réduite en ruines depuis longtemps et n’existait plus que sur les cartes en tant que ville importante.

L’Empire japonais avait également tué des dizaines de milliers de Chinois lors de bombardements aériens, mais ce n’étaient pas les Chinois qui importaient à l’époque. En fait, ils n’ont jamais compté et avaient même été interdits d’entrée aux USA par la loi de 1882. Le même général Curtis LeMay répétera cette stratégie de massacre aveugle et à distance convenable en Corée du Nord et au Vietnam, qui fera des millions de morts parmi les civils, comme s’ils n’étaient que des fourmis. Tout cela pour une bonne cause (la liberté, la démocratie et les droits de l’homme).

Peu après les innombrables bombardements sur des civils innocents et sans défense, l’héroïque général LeMay reconnaîtra : « Si nous avions perdu la guerre, j’aurais été condamné comme criminel de guerre ». Au contraire, tout comme le roi Léopold II de Belgique et d’autres nazis de Hitler promus à des postes élevés au sein de l’OTAN, LeMay a également été décoré à plusieurs reprises pour ses services à la civilisation, notamment par la Légion d’honneur, décernée par la France.


Rien de nouveau. Le récit des faits n’est pas seulement destiné à la consommation nationale. Il est exporté. Dans le port de Shimoda, un buste du capitaine Matthew Perry rappelle et rappellera, pour les siècles à venir, le lieu et la date où le capitaine usaméricain a libéré le commerce du Japon au XIXe siècle à la force des canons et a rendu possible la volonté du dieu de ces chrétiens si particuliers. Un siècle plus tard, en 1964, le même gouvernement japonais a décerné l’Ordre du Soleil levant au général Curtis LeMay pour ses services à la civilisation. Quelle a été sa contribution ? Le général LeMay a innové dans les tactiques militaires pendant la Seconde Guerre mondiale en bombardant sans discernement une demi-douzaine de grandes villes japonaises en 1945. Quelques mois avant les célèbres bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, cent mille civils ont péri en une seule nuit à Tokyo sous une pluie d’autres bombes américaines. LeMay a reconnu : « ça ne me gêne pas de tuer des Japonais ».

Bien sûr, tout ne s’est pas passé comme il le souhaitait. Des années plus tard, il recommanda au jeune président inexpérimenté Kennedy de lancer quelques bombes atomiques sur La Havane afin d’éviter un mal plus grand. Kennedy n’était pas d’accord. Quelques décennies plus tard, lors d’une des premières conversations sur le sujet de Cuba, Alexander Haig, nouveau secrétaire d’État, déclara au président Ronald Reagan : « Donnez-moi l’ordre et je transformerai cette île de merde en un parking vide ».

En 1968, le général Curtis LeMay sera candidat à la vice-présidence pour le parti raciste et ségrégationniste appelé Parti indépendant des USA. Il obtient un score - respectable pour un troisième parti -  de 13,5 % des voix. En 2024, il aurait pu facilement remporter la victoire au sein du parti démocrate-républicain.

Après le plus grand acte terroriste de l’histoire, les gouvernements japonais ne lésineront pas sur les excuses pour le crime d’avoir été bombardés de toutes les manières possibles et sans pitié.



15/03/2025

EDWIGE DANTICAT
Le sort des migrants détenus à Guantánamo
Photomaton

Au début des années 1990, des réfugiés et des demandeurs d’asile haïtiens ont été détenus sur la base dans des conditions épouvantables. Leur expérience peut donner un avant-goût de ce qui va se passer.

Edwidge Danticat, The New Yorker, 9/3/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Edwige Danticat (Port-au-Prince, 1969) est une romancière usaméricaine d’origine haïtienne.
Bibliographie

 



Un demandeur d’asile haïtien se tient près d’une clôture barbelée alors qu’il est détenu à la base navale de Guantánamo Bay. Photo Steven D. Starr / Corbis / Getty

Ninaj Raoul a gardé certaines images gravées dans sa mémoire de ses voyages à la base navale usaméricaine de Guantánamo Bay. Mme Raoul, cofondatrice et directrice exécutive de Haitian Women for Haitian Refugees, un groupe de défense des immigrants basé à Brooklyn, a servi d’interprète pour des demandeurs d’asile haïtiens emprisonnés à Guantánamo au début des années quatre-vingt-dix. Lors de ses nombreuses visites, se souvient-elle, la base était toujours brûlante. Il n’y avait pas d’arbres à proximité, seulement des rangées et des rangées de tentes de couleur beige et vert olive érigées sur du ciment et entourées de hangars d’aéroport, de toilettes portables, de barbelés et de tours de garde. La plupart des tentes étaient très peu aérées et les gens y étaient entassés comme des sardines. Certains détenus étaient accompagnés de leurs enfants. D’autres avaient été séparés d’eux. Il n’y avait guère d’intimité, si ce n’est celle que les gens obtenaient en accrochant des draps entre les lits de camp. Le camp était infesté de souris, l’air était rempli de mouches et les détenus étaient trempés, même à l’intérieur des tentes, lorsqu’il pleuvait. Des iguanes rôdaient à l’intérieur du périmètre, ainsi que des rongeurs de la taille d’un chat, appelés “rats-bananes”. J’ai demandé à Raoul de partager ses souvenirs récemment à la lumière de la directive émise par Donald Trump le 29 janvier, ordonnant d’agrandir le Migrant Operations Center de Guantánamo pour en faire un centre de détention de trente mille lits. Des scènes similaires à celles qu’elle décrit ont été capturées par des photojournalistes qui ont visité la base à cette époque. Leur travail, dont une sélection est présentée ici, semble aujourd’hui préfigurer ce qui va se passer.

Situé sur la côte sud-est de l’île de Cuba, Guantánamo est le site où les troupes usaméricaines ont débarqué pour la première fois pendant la guerre hispano-usaméricaine, en 1898. Les USA ont obtenu l’accès à la base en 1903, grâce à un accord d’après-guerre faisant pression sur les Cubains pour qu’ils cèdent une partie de leur territoire en échange de leur indépendance. Après le coup d’État de septembre 1991 contre le premier président démocratiquement élu d’Haïti, Jean-Bertrand Aristide, des dizaines de milliers de personnes ont fui sur des bateaux bondés pour échapper à l’armée haïtienne, dont certains chefs avaient été formés aux USA. Alors que les Cubains étaient considérés comme fuyant des persécutions politiques, les Haïtiens étaient généralement étiquetés comme des migrants économiques, ce qui les rendait moins susceptibles de se voir accorder l’asile rapidement, si jamais il leur était accordé. Pour passer le temps, les détenus regardaient les montagnes au loin et jouaient au football et aux dominos. Ils chantaient, priaient et attendaient, parfois pendant des mois.


 Photo Jeffrey Boan / AP

12/03/2025

JORGE MAJFUD
La culture supérieure : celle du leader ou celle du malfrat ?

 Jorge Majfud, 9/3/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala


Le 4 mars 2025, lors d’un discours à l’université d’Austin, le PDG milliardaire de Palantir, Alex Karp, a fait une déclaration dans le plus pur style du XIXe siècle : « Je ne pense pas que toutes les cultures soient égales [...] Ce que je dis, c’est que cette nation [les USA] est incroyablement spéciale et nous ne devrions pas la considérer comme égale, mais comme supérieure ». Comme nous l’avons détaillé dans le livre Plutocracia: Tiranosaurios del Antropoceno (2024) et dans plusieurs émissions de télévision, Karp est membre de la secte de la Silicon Valley qui, avec le soutien de la CIA et de la corpoligarchie de Wall Street, promeut le remplacement de la démocratie libérale inefficace par une monarchie patronale.

 

Maintenant, “notre nation, notre culture” est supérieure en quoi ? En efficacité pour envahir, asservir, opprimer d’autres peuples ? Supérieure en fanatisme et arrogance ? Supérieure dans la psychopathologie historique des tribus qui se croient élues par leurs propres dieux (quel hasard) et, loin d’être une responsabilité solidaire avec les « peuples inférieurs », cela devient automatiquement une licence pour tuer, voler et exterminer les autres ? L’histoire de la colonisation anglo-saxonne de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique n’est-elle pas l’histoire de la spoliation des terres, des biens et l’exploitation obsessionnelle d’êtres humains (Indiens, Africains, métis, blancs pauvres) qui étaient considérés comme des instruments de capitalisation plutôt que comme des êtres humains ? De quoi parlons-nous lorsque nous parlons de « culture supérieure » de cette manière, avec ces affirmations aveugles et avec un contenu religieux mystique caché mais fort, comme l’était la Destinée Manifeste ?

 

Non seulement nous avons répondu à ça dans les journaux il y a un quart de siècle, mais nous avons également mis en garde contre le fascisme qui allait tuer ce fier Occident, lequel se plaint maintenant que ses ennemis le tuent, comme l’a dit Elon Musk il y a quelques jours auparavant. L’un de ces longs essais, écrit en 2002 et publié par le journal La República d’Uruguay en janvier 2003 et par la Monthly Review de New York en 2006, s’intitulait « Le lent suicide de lOccident ».

 

Cette idéologie de l’égoïsme et de l’individu aliéné comme idéaux supérieurs, promue par Adam Smith au XVIIIe siècle et radicalisée par des écrivains comme Ayn Rand et des présidents de puissances mondiales comme Donald Trump et des marionnettes néocoloniales comme Javier Milei, s’est révélé pour ce qu’il est : un suprémacisme pur et dur, une pathologie cannibale pure et dure. Le racisme et le patriotisme impérialiste sont tous deux des expressions de l’égolâtrie tribale, dissimulées dans leurs contraires : l’amour et besoin de survie de l’espèce.


Pour donner une touche d’intellectualisme à leur justification, les idéologues de la droite fasciste du XXIe siècle recourent à des métaphores zoologiques telles que celle du mâle alpha. Cette image est basée sur la meute de loups des steppes où un petit groupe de loups suit un mâle qui les sauvera de la faim et du froid. Une image épique qui séduit les millionnaires qui n’ont jamais souffert ni de la faim ni du froid. Pour les autres, qui ne sont pas millionnaires mais qui se sentent menacés par les classes inférieures (voir « Le paradoxe des classes sociales »), le mâle alpha est la traduction idéologique d’une catharsis du privilégié historique qui voit ses droits spéciaux perdre l’adjectif « spécial » et devenir de simples droits, un substantif nu. En d’autres termes, ils réagissent avec colère à la perte éventuelle de droits spéciaux de genre, de classe, de race, de citoyenneté, de culture, d’hégémonie. Tous les droits spéciaux justifiés comme au XIXe siècle : nous avons le droit d’asservir les Noirs et d’exploiter nos colonies parce que nous sommes une race supérieure, une culture supérieure et, pour cette raison même, Dieu nous aime et déteste nos ennemis, que nous devons exterminer avant qu’ils n’aient la même idée, mais sans nos bons arguments.

 

Ironiquement, l’idée d’être « élu par Dieu » ou par la nature n’incite pas les fanatiques à prendre soin des « humains inférieurs », comme ils le font pour leurs animaux de compagnie, bien au contraire : le destin des inférieurs et des faibles doit être l’esclavage, l’obéissance ou l’ extermination. S’ils se défendent, ce sont des terroristes.

 

La dernière version de ces suprémacismes qui commettent autant de génocides en Palestine ou au Congo avec une fierté et une conviction fanatiques, tout comme ils diabolisent les femmes qui revendiquent l’égalité des droits aux USA a récemment trouvé sa métaphore explicite dans l’image du mâle alpha du loup des steppes. Cependant, si nous prêtons attention au comportement de ces animaux et d’autres espèces, nous verrons une réalité beaucoup plus complexe et contradictoire.

 

Le professeur de l’université Emory, Frans de Waal, l’un des experts les plus reconnus dans l’étude des chimpanzés depuis des décennies, s’est chargé de démolir ce fantasme. L’idée du mâle alpha provient des études sur les loups dans les années 40, mais, non sans ironie, de Waal lui-même a déploré qu’un homme politique usaméricain (le très conservateur président de la Chambre des représentants, Newt Gingrich) ait popularisé son livre La politique du chimpanzé (1982) et le concept de mâle alpha, pour de mauvaises raisons.


Les mâles alpha ne sont pas des brutes, mais des leaders conciliateurs. « Les mâles alpha chez les chimpanzés sont populaires s’ils maintiennent la paix et apportent l’harmonie au groupe ». Lorsqu’un véritable leader tombe malade (cas mentionné du chimpanzé Amos), il n’est pas sacrifié, mais la prise en charge de ses soins est assurée par le groupe.

09/02/2025

FRED KAPLAN
Le rebootage du Pentagone pour la guerre du futur


Fred Kaplan, The New York Review , 27/2/2025

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Fred Kaplan rédige la rubrique War Stories pour Slate et est l’auteur de sept livres, dont The Insurgents : David Petraeus and the Plot to Change the American Way of War, qui a été finaliste du prix Pulitzer 2014. Son dernier livre, A capital calamity  est un roman satirique.

L’intégration de la volonté d’innovation de la Silicon Valley dans les contrats de défense a été un processus lent, mais la guerre en Ukraine a incité les entreprises technologiques à se lancer dans le secteur de la guerre.

Livre recensé

Unit X: How the Pentagon and Silicon Valley Are Transforming the Future of War (Unité X : Comment le Pentagone et la Silicon Valley sont en train de transformer le futur de la guerre)
 
par Raj M. Shah et Christopher Kirchhoff
Scribner, 319 p., $30.00

En 2006, Raj Shah était capitaine dans l’armée de l’air usaméricaine et pilotait un avion de chasse F-16 pendant la phase d’insurrection de la guerre d’Irak. Peu après le début de son service, il a remarqué un problème avec l’écran d’affichage de son cockpit : le signal des satellites GPS lui permettait de voir une carte du terrain, mais il n’y avait pas de point ou d’icône mobile pour indiquer sa position par rapport aux coordonnées au sol. Parfois, lors de missions près de la frontière entre l’Iran et l’Irak, il ne pouvait pas savoir quel pays il survolait. C’était une situation dangereuse : à 500 km/h, une minute perdue du mauvais côté de la frontière pouvait le mettre à portée des armes de défense aérienne iraniennes.

De retour dans sa caserne, Shah possédait un ancien PC de poche appelé iPAQ, qui lui permettait de jouer à des jeux vidéo. Il l’a chargé de cartes numériques et l’a attaché à son genou pendant qu’il volait. Le logiciel de ce gadget à 300 dollars lui permettait de voir où il se trouvait - des informations de base que les gadgets de son avion à 30 millions de dollars ne pouvaient pas lui fournir.

Shah a soudain réalisé à quel point la Silicon Valley avait pris de l’avance sur les plus grandes entreprises de défense du pays dans certains aspects vitaux des prouesses technologiques. Il a également compris que cela représentait un danger pour la sécurité nationale : l’armée usaméricaine a longtemps conservé un avantage sur ses adversaires grâce à sa supériorité technologique. Les logiciels commerciaux, comme le traqueur de son iPAQ, étaient disponibles dans le monde entier ; à un moment donné, peut-être bientôt, les USA perdraient leur avantage et pourraient perdre la prochaine guerre.

18/08/2023

Mohammad Mossadegh, Premier ministre de l’Iran, 1951-1953 : une biographie

The Mossadegh Project, 3/10/2013

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

“Je mets ma confiance dans le soutien du peuple iranien. C’est tout.”
Mossadegh

 

 

Mohammad Mossadegh est né le 16 juin 1882 à Téhéran. Son père, Mirza Hedayat Ashtiani, était ministre des Finances de l’Iran et sa mère, Najm al-Saltaneh, était étroitement liée à la dynastie régnante Kadjar (1789-1925). Quand il avait 10 ans, son père est décédé, le laissant avec sa seule sœur, plus jeune, à la charge de sa mère.

En reconnaissance des services rendus par son défunt père à la couronne, le monarque Nasir al-Din Shah lui a donné le titre de “Mossadegh al-Saltaneh”. Des années plus tard, lorsqu’un système de carte d’identité nationale a été introduit en Iran, il a choisi le nom de famille de Mossadegh, qui signifie “vrai et authentique”.

 

La carrière de Mossadegh commence à l’âge exceptionnellement jeune de 15 ans, lorsqu’il est nommé, toujours en l’honneur de son père, Mostofi (chef des finances) de la province du Khorasan. Tout en s’intéressant à la science moderne, il pratique divers sports et apprend à jouer du Tar, un instrument à cordes traditionnel persan.

 

À 19 ans, il épouse Zia al-Saltaneh, une princesse kadjar, qu’il considère comme “la personne que je chéris le plus après ma mère”. Le couple aura trois filles - Zia Ashraf, Mansoureh et Khadijeh - et deux fils, Ahmad et Gholam-Hossein.

 

Mossadegh n’avait que 21 ans lorsque les habitants d’Ispahan l’ont élu au Majlis (Parlement iranien) pour les représenter. Cependant, comme il n’avait pas l’âge légal requis, il a retiré son nom de la liste des candidats. Au cours du mouvement constitutionnaliste de 1905-1911, Mossadegh a participé activement aux événements qui ont conduit à l’établissement d’une monarchie constitutionnelle en lieu et place du régime monarchique arbitraire.

 

Mossadegh a étudié les sciences politiques à Téhéran et, en 1909, il a poursuivi ses études à Paris. Pendant son séjour à Paris, il a commencé à ressentir une faiblesse et une fatigue extrêmes et a été contraint d’abandonner ses études et de rentrer en Iran. Tout au long de sa vie, il a été accablé par ce problème persistant, mieux connu aujourd’hui sous le nom de “syndrome de fatigue chronique”. Plus tard, il retourne en Europe et étudie le droit à l’université de Neuchâtel, en Suisse. En juin 1913, il devient le premier Iranien à obtenir un doctorat en droit et rentre en Iran un jour seulement avant le début de la Première Guerre mondiale.


En 1912

 

Peu après son retour en Iran, Mossadegh fait l’objet d’une accusation malveillante de la part d’un rival politique. Cette accusation infondée l’a tellement bouleversé qu’il est tombé malade et a eu de la fièvre. Sa mère, connue pour avoir fondé l’hôpital de bienfaisance Najmieh à Téhéran, a remarqué qu’il était malheureux et lui a dit qu’elle aurait préféré qu’il étudie la médecine plutôt que le droit. Quiconque étudie le droit et se lance dans la politique doit être prêt à subir toutes sortes de calomnies et d’insultes, lui dit-elle, mais “la valeur d’une personne dans la société dépend de ce qu’elle endure pour le bien du peuple”. Dans ses mémoires, Mossadegh a écrit que ces paroles de sagesse l’avaient préparé à la vie qu’il avait choisie et qu’à partir de ce moment-là, plus il était confronté à des épreuves et à des insultes, plus il était prêt à servir le pays.

 

Mossadegh accepte un poste au sein du gouvernement en tant que secrétaire adjoint du ministère des Finances, où il tente de lutter contre la corruption et fait condamner plusieurs personnes. En 1919, il choisit de s’exiler en Suisse pour protester contre un accord entre le gouvernement et la Grande-Bretagne qu’il jugeait très inquiétant. La principale disposition de cet accord consistait à confier à des conseillers britanniques la supervision de l’armée et des systèmes financiers iraniens. Craignant le pire pour l’Iran, il a mené une campagne fébrile contre cet accord en Europe et a écrit à la Société des Nations pour demander de l’aide dans cette affaire. Mossadegh est rentré en Iran après le rejet de l’accord par le Majlis.

 

La réputation de Mossadegh en tant qu’homme politique honnête, juste et concerné l’avait précédé lors de son retour en Iran. Lors de ses déplacements dans la province du Fars, il est accueilli chaleureusement par les habitants et se voit proposer de devenir leur gouverneur, ce qu’il accepte. Après quelques mois, il démissionne de ce poste pour protester contre le coup d’État de 1920 à Téhéran, inspiré par les Britanniques, qui aboutira à l’établissement de la dynastie Pahlavi en 1925. Il occupe cependant le poste de ministre de la Justice dans le gouvernement du Premier ministre Ghavam, puis devient ministre des Affaires étrangères. En 1923, Mossadegh a été élu au 5e  Majlis et a commencé son opposition historique à l’établissement de la dynastie Pahlavi par Reza Khan, soutenu par les Britanniques et alors Premier ministre de l’Iran. Il prévoyait le retour de la dictature en Iran, “lorsqu’un seul homme sera à la fois roi, Premier ministre et magistrat !”

 

Comme Mossadegh l’avait prédit, la vie sous le règne tyrannique de Reza Shah était dure et oppressive ; en fait, le climat politique était devenu si insupportable qu’il avait de bonnes raisons de craindre pour sa vie. En 1928, il se retire volontairement de l’activisme social et politique et se retire dans son village d’Ahmad-Abad, situé à une centaine de kilomètres de Téhéran. Pendant cette période, qui a duré plus d’une décennie, il a passé son temps à lire et à cultiver la terre, menant des expériences pour améliorer la production agricole et partageant les connaissances acquises avec les autres agriculteurs du village.

 

Le 26 juillet 1940, la police de Reza Shah débarque à l’improviste au domicile de Mossadegh, fouillant et saccageant sa maison. Bien qu’aucune preuve incriminante n’ait été trouvée contre lui, il est emmené à la prison centrale de Téhéran. Mossadegh est interrogé et, sans être informé des charges qui pèsent sur lui, transféré dans la forteresse de Birjand (ville du nord-est de l’Iran). Conscient du sort réservé à de nombreux autres qui ont osé s’opposer à l’arbitraire de Reza Shah, il s’attend à être tué.

 

Le coup le plus dur porté à Mossadegh par son emprisonnement a été l’effet qu’il a eu sur sa fille de 13 ans, Khadijeh, qui avait été témoin de l’arrestation brutale de son père et de son transfert forcé à la prison de Birjand. La très sensible Khadijeh a été profondément traumatisée et a passé le reste de sa vie dans des hôpitaux psychiatriques. Mossadegh a déclaré plus tard que cette tragédie était la punition la plus cruelle qui pouvait lui être infligée.

 

Reza Shah libère Mossadegh de la prison de Birjand en novembre 1940 et le transfère à Ahmad-Abad, “pour y vivre jusqu’à sa mort”. Un an plus tard, son assignation à résidence prend fin lorsque les Britanniques forcent l’abdication de Reza Shah et que son fils de 22 ans, Mohammad Reza, monte sur le trône.

 

Ayant repris ses activités politiques, Mossadegh est élu avec un soutien écrasant pour représenter Téhéran au 14e  Majlis en 1944. Pendant son mandat au Majlis, Mossadegh s’est battu avec passion pour l’indépendance politique et économique de l’Iran vis-à-vis des étrangers, notamment en s’attaquant à l’accord pétrolier très injuste conclu avec l’Anglo-Iranian Oil Company, un objectif pour lequel il a reçu un soutien populaire écrasant.

 

L’histoire contemporaine de l’Iran est liée au pétrole, une source d’énergie très recherchée par l’Occident, depuis 1901, date à laquelle des droits exclusifs de 60 ans ont été accordés à William Knox D’Arcy, un sujet britannique, pour la prospection et l’exploitation du pétrole dans les provinces méridionales de l’Iran. En 1908, le pétrole a été découvert et l’Anglo-Persian Oil Company a été créée. Juste avant le début de la Première Guerre mondiale en 1914, le gouvernement britannique a acheté 51 % des actions de la compagnie. Les Britanniques ont ainsi créé une tête de pont et pratiquement colonisé le sud-ouest de l’Iran, s’immisçant directement et indirectement dans les affaires politiques du pays tout entier. L’APOC a triché sur les maigres 16 % versés à l’Iran et a traité les travailleurs pétroliers iraniens avec mépris et racisme dans leur propre pays. La situation a atteint son paroxysme en juillet 1946, lorsque quelque 6 000 travailleurs pétroliers iraniens se sont mis en grève à Agajari. Leur affrontement avec les troupes gouvernementales a fait plus de 200 morts et blessés.

 

Mossadegh envisageait un Iran indépendant, libre et démocratique. Il pensait qu’aucun pays ne pouvait être politiquement indépendant et libre s’il ne parvenait pas d’abord à l’indépendance économique. Selon lui, “l’aspect moral de la nationalisation du pétrole est plus important que son aspect économique”. Il a cherché à renégocier et à parvenir à une restitution équitable et juste des droits de l’Iran, mais s’est heurté à l’intransigeance de la compagnie. Pour mettre fin à 150 ans d’ingérence politique britannique, d’exploitation économique et de pillage des ressources nationales de l’Iran, Mossadegh a organisé la nationalisation de l’industrie pétrolière.

 

Mossadegh a présenté pour la première fois l’idée de la nationalisation à la Commission du pétrole mandatée par le Majlis le 8 mars 1951. Le lendemain, le Front national, une coalition de plusieurs partis, a organisé un grand rassemblement sur la place Baharestan devant le Majlis pour soutenir la nationalisation du pétrole. À la veille du Nouvel An iranien, le 20 mars 1951 [29 Esfand 1329], le projet de loi du Front national pour la nationalisation du pétrole reçoit l’approbation finale du Sénat, quelques jours seulement après avoir été approuvé à l’unanimité par les députés du Majlis. Un mois plus tard, le Dr Mohammad Mossadegh a été nommé au poste de Premier ministre, qu’il a remporté avec les voix de près de 90 % des représentants présents.


Mossadegh porté en triomphe par la foule après la nationalisation de l'Anglo-Iranian


Le différend entre l’Iran et l’Anglo-Iranian Oil Company (AIOC), qui a été démantelée, se poursuit sans qu’aucune solution ne se profile à l’horizon, ce qui accroît les tensions entre l’Iran et la Grande-Bretagne. Le gouvernement britannique impose des sanctions économiques à l’Iran et le menace d’une attaque militaire. En juin 1951, le gouvernement iranien découvre un réseau d’espionnage britannique qui révèle les activités subversives d’un grand nombre de politiciens et de journalistes iraniens, y compris des communistes qui reçoivent des pots-de-vin du gouvernement britannique et de l’AIOC.

 

Le gouvernement iranien réagit en fermant le consulat britannique. Le gouvernement britannique réagit en rappelant son ambassadeur, Francis Shepherd, à Londres. En octobre 1951, le Premier ministre Mohammad Mossadegh se rend à New York pour défendre personnellement le droit de l’Iran à nationaliser son industrie pétrolière devant le Conseil de sécurité des Nations unies. Le gouvernement britannique, en quête de soutien, avait porté sa cause devant les Nations unies pour qu’elle soit entendue. Mossadegh a fait une présentation spectaculaire et réussie, démontrant que les bénéfices pétroliers de la Grande-Bretagne pour la seule année 1950 étaient supérieurs à ce qu’elle avait versé à l’Iran au cours du demi-siècle précédent.

 

Mossadegh s’est ensuite rendu à Washington, où il a rencontré le président Harry S. Truman. Sa visite a été largement couverte par les journaux, les magazines, la télévision et les films d’actualités. À son retour en Iran, en novembre 1951, il s’est arrêté à l’aéroport Farouk du Caire, en Égypte, où il a été accueilli par des milliers d’admirateurs qui ont scandé “VIVE MOSSADEGH” et “VIVE L’IRAN”. Au cours de sa visite de quatre jours, le roi d’Égypte, le premier ministre, le cabinet et d’autres dignitaires ont honoré Mossadegh personnellement, et un dîner de gala a été organisé en son honneur par la municipalité du Caire. En janvier 1952, Mossadegh est nommé homme de l’année par le magazine Time, sa deuxième couverture par Time en l’espace de 7 mois.

 

L’HOMME DE L’ANNÉE
"Il a huilé les rouages du chaos" [sic]
TIME Magazine, 7 janvier 1952

 

En juin 1952, Mossadegh se rend à La Haye, aux Pays-Bas, et présente près de 200 documents à la Cour internationale concernant la nature hautement exploiteuse de l’AIOC et l’étendue de son intervention politique dans le système politique iranien. « Il n’y a pas de critère politique ou moral à l’aune duquel la Cour puisse mesurer son jugement dans le cas de la nationalisation de l’industrie pétrolière en Iran », a-t-il affirmé, et « nous n’accepterons en aucun cas la juridiction de la Cour sur ce sujet. Nous ne pouvons pas nous placer dans la situation dangereuse qui pourrait résulter de la décision de la Cour ». Le verdict sera annoncé plus tard et Mossadegh retournera à Téhéran après avoir gagné le respect des juges.

 

De retour en Iran, les conditions économiques et de sécurité se détériorent rapidement, aggravées par les activités de plus en plus subversives des puissances étrangères et de leurs agents. Lors d’une réunion en juillet 1952 avec le jeune monarque Mohammad Reza Shah, qui dirigeait l’armée, Mossadegh a demandé le contrôle des forces armées, ce qui lui a été refusé. En réponse, Mossadegh a immédiatement présenté sa démission en tant que Premier ministre.

 

Le lendemain, le Shah, à la demande des gouvernements britannique et usaméricain, nomme Ghavam Saltaneh au poste de Premier ministre. Ghavam Saltaneh adopte une ligne dure, ce qui ne fait qu’attiser la colère de la population qui était descendue dans la rue pour soutenir Mossadegh. Lors de la plus grande manifestation de rue, le 20 juillet 1952 (30 Tir 1331), les forces de sécurité affrontent violemment les manifestants, faisant des centaines de victimes. Le Shah, constatant l’ampleur du soutien de la population à Mossadegh, s’est alarmé et a changé de cap. Il nomme Mossadegh à la double fonction de Premier ministre et de ministre de la Défense, comme le permet la Constitution. Le même jour, la Cour internationale de La Haye se prononce en faveur de l’Iran, estimant qu’elle n’est pas compétente dans l’affaire du différend pétrolier. Le Conseil de sécurité des Nations unies rejette ensuite la plainte britannique contre l’Iran. Mossadegh est alors au sommet de son pouvoir et de sa popularité, salué comme un héros non seulement en Iran, mais aussi dans l’ensemble du Moyen-Orient.

 

En tant que dirigeant de l’Iran, Mossadegh a parrainé des lois pour un “gouvernement propre” et des systèmes judiciaires indépendants, a défendu la liberté de religion et d’affiliation politique, et a promu des élections libres. Il a mis en œuvre de nombreuses réformes sociales et s’est battu pour les droits des femmes, des travailleurs et des paysans. Un fonds a été créé pour financer des projets de développement rural et aider les agriculteurs. Conformément à sa politique d’“équilibre négatif”, une idée qui a contribué à la formation du mouvement des non-alignés, Mossadegh a également refusé d’accorder une concession pétrolière à l’Union soviétique. Plus important encore, Mossadegh a contribué à favoriser une autosuffisance nationale qui n’a jamais été égalée en Iran depuis son mandat : il a équilibré le budget, augmenté les productions non pétrolières et créé une balance commerciale. Sa politique s’est souvent heurtée à l’opposition du Shah, des généraux de l’armée, des principaux religieux, des propriétaires terriens, du parti Toudeh (communiste) et des gouvernements britannique et usaméricain. Néanmoins, Mossadegh a toujours pu compter sur le soutien du peuple.

 

Entretemps, les Britanniques ont continué à saper l’autorité de Mossadegh en incitant à la division dans le pays, en renforçant l’embargo mondial sur l’achat de pétrole iranien, en gelant les avoirs iraniens et en menaçant l’Iran d’une invasion par la constitution d’une force navale dans le golfe Persique. Toutes ces tentatives ayant échoué, la Grande-Bretagne a conclu que “Mossadegh doit partir” par tous les moyens nécessaires. En collaboration avec la CIA, ils ont fomenté un coup d’État pour renverser le gouvernement démocratiquement élu.

 

Le 15 août 1953, avec la participation du Shah et de ses collaborateurs iraniens, un plan élaboré par la CIA sous le nom de code “Opération Ajax”, dirigé par Kermit Roosevelt, a été mis en œuvre, mais il n’a pas réussi à déloger Mossadegh du pouvoir. Lors de la deuxième tentative, le 19 août 1953, [28 Mordad 1332] le gouvernement a été violemment renversé. Mossadegh échappe à la capture, mais sa maison est envahie, pillée et incendiée. Le lendemain, Mossadegh se rend aux autorités et est emprisonné. Au cours de cet épisode sanglant, plusieurs centaines de personnes ont été tuées ou blessées. Les partisans de Mossadegh ont été arrêtés, emprisonnés, torturés ou même assassinés. Le ministre des Affaires étrangères de Mossadegh, le Dr Hossein Fatemi, est entré dans la clandestinité mais a été capturé quelques mois plus tard. Il a été battu, poignardé 5 fois par Shaban Jafari, un ancien catcheur surnommé “Sans cervelle” et, après un simulacre de procès, exécuté par un peloton d’exécution. Le règne de la terreur avait commencé.



Jugé comme traître par un tribunal militaire, le 19 décembre 1953, Mossadegh déclare :

« Oui, mon péché - mon grand péché... et même mon plus grand péché - est d’avoir nationalisé l’industrie pétrolière iranienne et d’avoir mis fin au système d’exploitation politique et économique du plus grand empire du monde. ...Au prix de ma vie et de celle de ma famille, au risque de perdre ma vie, mon honneur et mes biens. ...Avec la bénédiction de Dieu et la volonté du peuple, j’ai combattu ce système sauvage et épouvantable d’espionnage international et de colonialisme.

 

« […] Je suis bien conscient que mon destin doit servir d’exemple à l’avenir dans tout le Moyen-Orient pour briser les chaînes de l’esclavage et de la servitude aux intérêts coloniaux ».

Mossadegh est déclaré coupable de trahison. Il est placé à l’isolement pendant trois ans, puis assigné à résidence jusqu’à la fin de sa vie dans son village ancestral d’Ahmad-Abad. Le 5 mars 1967, Mohammad Mossadegh meurt à l’âge de 85 ans, un an et dix mois après le décès de celle qui fut son épouse bien-aimée pendant 64 ans.