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27/09/2024

Conclusions du premier congrès de l'Internationale antifasciste (IA), Caracas, septembre 2024

Congrès mondial contre le fascisme, le néofascisme et autres expressions similaires
Centre des congrès Simón Rodríguez
La Carlota. Caracas Venezuela
10 et 11 septembre 2024

 Original español
English version
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

CONCLUSIONS DU PREMIER CONGRÈS DE L'INTERNATIONALE ANTIFASCISTE (IA)

L'événement a réuni plus de 1 200 participants de 97 pays, en particulier d'Amérique latine, d'Afrique, d'Asie et du Moyen-Orient.

Avec quatre discours d'ouverture et huit panels, l'événement a réuni plus de 30 intervenants.

Mouvements sociaux, féministes, de jeunesse et culturels, intellectuels et universitaires, syndicats et partis politiques, personnalités, organisations indigènes, collectifs de droits humains, organisations des peuples du monde.

L'internationalisme pour la défense de la vie humaine et de la planète ne peut être dissocié de la lutte pour la paix, la justice sociale et les droits de l'homme, ni de la lutte antifasciste, anticapitaliste, anticolonialiste, antipatriarcale et anti-impérialiste, basée sur les principes du socialisme du 21e Siècle.

Le fascisme du 20e Siècle

Le fascisme du 20e Siècle est apparu en réponse à une série de crises économiques, sociales et politiques qui ont secoué l'Europe après la Première Guerre mondiale.

Première Guerre mondiale. Dans ce contexte de désespoir et de désillusion à l'égard des démocraties libérales, des mouvements autoritaires tels que le fascisme italien et le nazisme allemand ont trouvé un terrain fertile.

Les deux mouvements partageaient une haine viscérale du communisme et du socialisme et utilisaient la peur de « l'ennemi intérieur » pour consolider leur pouvoir.

Les mouvements fascistes du 20e Siècle présentaient des caractéristiques communes : nationalisme exacerbé, autoritarisme, anticommunisme, antilibéralisme, militarisme, violence, propagande et contrôle des médias, suprémacisme racial et anti-intellectualisme.

Ces éléments ont permis de consolider un pouvoir absolu, en utilisant la censure, la propagande et la répression comme outils clés.

Le néofascisme numérique du 21e Siècle

Nous assistons à une profonde transformation de la structure du capitalisme mondial, une phase que l'on peut qualifier de capitalisme numérique.

Une nouvelle phase capitaliste néofasciste marquée par la concentration croissante du pouvoir entre les mains d'une nouvelle aristocratie financière et technologique qui contrôle de vastes ressources économiques et domine les technologies de l'information et de la communication.

En 2022, les 10 hommes les plus riches du monde possédaient plus de richesses que les 3,1 milliards de personnes les plus pauvres. Les 10 % les plus riches de la population mondiale reçoivent 52 % du revenu mondial, tandis que la moitié la plus pauvre n'en reçoit que 8,5 %.

La moitié la plus pauvre de la population mondiale possède 2 % de la richesse totale du monde, tandis que les 10 % les plus riches en possèdent 76 %.

Selon Forbes, il y a 141 milliardaires de plus en 2024 qu'en 2023 et 26 de plus que le record établi en 2021.

Le nombre de milliardaires en 2024 est supérieur au record établi en 2021. En outre, les milliardaires sont plus riches que jamais  auparavant, avec une valeur totale de 14 200 milliards de dollars.

Montée du néofascisme numérique :

Ce contexte de développement d'une nouvelle phase capitaliste a donné lieu à l'émergence d'idéologies extrémistes liées aux intérêts de cette nouvelle aristocratie financière et cette nouvelle aristocratie financière et technologique, représentée par des personnages comme Elon Musk, Mark Zuckerberg et Jeff Bezos qui opèrent aux côtés de laboratoires d’idées, d'organisations multilatérales, d’ONG, d’entreprises militaires (Academi, Erick Prince), des paramilitaires et des cartels de trafiquants de drogue, liés à des réseaux de partis politiques de droite et d'extrême droite.

Aristocratie financière et technologique :

Selon le classement Forbes :

Bernard Arnault : propriétaire de LVMH, avec 75 marques dans l'industrie de la mode et des cosmétiques (Louis Vuitton, , Sephora et autres). Fortune : 233 milliards de dollars.

Elon Musk : cofondateur de six entreprises, dont l'entreprise automobile Tesla et l'entreprise aérospatiale SpaceX. Il a également racheté le réseau social Twitter (rebaptisé X) en octobre 2022. Patrimoine : 195 milliards de dollars.

Jeff Bezos : fondateur du géant du commerce électronique Amazon, propriétaire de The Washington Post et de Blue Origin, une société aérospatiale qui développe des fusées. Richesse : 194 milliards de dollars.

Mark Zuckerberg, propriétaire de Meta (où il a fusionné les plateformes Facebook, Instagram et WhatsApp, entre autres). Poids net : 177 milliards de dollars.

Larry Ellison, PDG, directeur de la technologie et cofondateur du géant de logiciels Oracle. Poids net : 141 milliards de dollars

Nouvelle phase et néofascisme

Ce néofascisme se distingue des phases précédentes par la place centrale qu'il accorde au contrôle des technologies de pointe, qui remodèlent les relations sociales, politiques et économiques.

Des technologies telles que l'internet des objets, l'intelligence artificielle, les réseaux 5G et 6G, le métavers, les nanotechnologies et la robotique ont transformé les plateformes numériques en « nouvelles usines », où le capital exploite les loisirs et le temps de repos, en les transformant en temps de production.

Cette révolution technologique a colonisé tous les aspects de notre vie, transformant radicalement la façon dont nous vivons et travaillons, dont nous sommes en relation les un·es avec les autres et dont nous participons à la vie politique.

Idéologies extrémistes :

Montée des figures néo-fascistes dans le monde entier, articulée autour de l'autoproclamée « Alt-Right » mondiale et de l'idéologie néo-réactionnaire  (NRX). Ils rendent ici hommage à des personnages comme Benjamin Netanyahou (Israël), Donald Trump (USA), Giorgia Meloni (Italie), Santiago Abascal (Espagne), Javier Milei (Argentine), Maria Corina Machado (Venezuela), Nayib Bukele (Salvador), Jair Bolsonaro (Brésil), Volodimir Zelensky (Ukraine), Marine Le Pen (France).

Ces dirigeants utilisent des discours populistes pour légitimer des régimes qui favorisent la répression des mouvements sociaux, la xénophobie, le racisme, la violence politique et la violation des droits humains.

La peur, la terreur et l'insécurité sont utilisées pour justifier les plans de coup d'État et les politiques antidémocratiques.

Ces politiques ont pour effet d'aggraver les plans anti-démocratiques et les politiques répressives, tout en creusant le fossé de l'inégalité économique et en garantissant le pillage des ressources.

Intolérance et discours de haine :

Le néofascisme, en tant que nouvelle phase du fascisme, perpétue et approfondit la violence contre les femmes et la diversité, en exacerbant les inégalités structurelles générées par le capitalisme, le racisme et le patriarcat.

Ce système d'oppression se traduit par la disparition forcée de dirigeants politiques et de militantes féministes, ainsi que dans les taux élevés de féminicides, des stratégies qui visent à discipliner les femmes et les hommes, et à les empêcher d'exercer leur droit à la liberté d'expression.

Ce système d'oppression se reflète dans la disparition forcée de dirigeantes politiques et de militantes féministes, ainsi que dans les taux élevés de féminicides, des stratégies visant à discipliner et à réduire au silence celles qui luttent pour la justice sociale.

La féminisation de la droite et l'utilisation de figures féminines par les fascismes et les néofascismes sont des tactiques conçues pour manipuler et légitimer des politiques réactionnaires.

Dans ce contexte, il est crucial d'articuler globalement un programme populaire, révolutionnaire, anti-patriarcal, anticapitaliste, anti-raciste, anticolonialiste, antisioniste et antifasciste,

Ce n'est qu'ainsi qu'il est possible de rejeter les politiques qui promeuvent l'exclusion, le racisme et la xénophobie comme outils de domination.

Réseaux sociaux et guerre cognitive :

Nous vivons à une époque où les technologies numériques jouent un rôle central.

Les réseaux sociaux et les plateformes médiatiques sont l'arène centrale de la manipulation des perceptions et de l'aliénation sociale.

Ce que l'on appelle la « quatrième révolution industrielle » favorise l'appropriation et l'utilisation des développements scientifiques et technologiques à des fins de fragmentation des sociétés et la guerre cognitive, par le biais d'algorithmes qui cherchent à perpétuer la domination d'une élite mondiale dont l'épicentre se situe en « Occident ».

Réseaux sociaux et guerre cognitive :

La vie en ligne, marquée par la dissociation émotionnelle, facilite le désengagement des effets de ses propres actions, servant souvent de passerelle vers la violence dans la réalité.


Les laboratoires d’idées et les centres de recherche, organisés en réseaux mondiaux, utilisent des dispositifs numériques pour mener des campagnes d'influence, avec des messages segmentés qui affectent la subjectivité individuelle et collective.

Nécessité de rendre visible et de traiter l'aggravation des problèmes de santé mentale.

Incidence des troubles anxieux et dépressifs, des addictions, de l'apathie et du suicide des jeunes.

Importance de la construction et de l'articulation d'outils pour que les jeunes puissent faire face à la manipulation des plateformes numériques, par la réflexion critique et la lutte collective.

Les jeunes et la guerre cognitive :

Le néo-fascisme numérique cherche à dépolitiser les jeunes générations à travers l'utilisation d'écrans, la promotion de l'individualisme et de l'hyperfragmentation sociale, le consumérisme irrationnel la méritocratie et la négation de l'historicité.

Les nouvelles technologies sont utilisées pour la propagande et la désinformation de masse, et pour la construction d'une société de désinformation de masse, et pour la construction d'un ennemi intérieur qui devient un « Nous contre eux », en exploitant la peur et la déshumanisation de nos semblables.

On tente de les éloigner de leurs identités culturelles et patriotiques, des valeurs communautaires et de l'attention portée à la vie. L'objectif est de fragmenter le tissu social et d'éloigner les jeunes des luttes collectives, en affaiblissant leur capacité à répondre aux injustices du système.

Néocolonialisme 2.0 :

Le modèle de mort que le capitalisme approfondit dans cette nouvelle phase se reflète dans le génocide sioniste et fasciste contre Gaza. Cela a entraîné une escalade du conflit au Moyen-Orient, avec un « axe de résistance » qui lutte en première ligne en solidarité avec le peuple de Palestine.

Jour après jour, le peuple palestinien résiste, soutenu par des liens de solidarité internationale face au régime fasciste qui cherche à écraser sa dignité et à effacer son existence, incarné par la figure du Premier ministre sioniste Benjamin Netanyahou. Il est essentiel de comprendre et de rendre visibles les liens entre le sionisme et le fascisme, en identifiant ses nouvelles expressions, dans le cadre de la reconnaissance de l'ennemi commun des peuples du monde.

Néocolonialisme 2.0 :

L'intervention impérialiste de l'OTAN en Ukraine, avec le soutien des puissances occidentales, a transformé le pays en un champ de bataille géopolitique. Dans ce scénario, Volodymir Zelensky est apparu comme un pion de l'impérialisme.

En Afrique, le néocolonialisme européen connaît une période de lourdes défaites. Les peuples du monde voient avec enthousiasme l'émergence de la Confédération des États du Sahel, entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso.

En Amérique latine et dans les Caraïbes, les attaques dirigées contre la République bolivarienne du Venezuela, ainsi que les récentes tentatives de coup d'État dans les républiques sœurs du Honduras, de la Colombie et de la Bolivie, témoignent d'une offensive néofasciste et néocoloniale dans la région.

Néocolonialisme 2.0 :

La guerre économique fait régner la violence dans plusieurs pays, notamment à Cuba et au Venezuela. En Argentine, la brusque accession de Javier Milei à la présidence est un phénomène néo-réactionnaire dans le cadre de la nouvelle structure économique et politique mondiale.

Les armées irrégulières, liées au trafic de drogue, sont un véritable drame dans certaines régions du Mexique, de la Colombie, de l'Équateur et de ce que l'on appelle le « triangle nord » de l'Amérique centrale -Guatemala, Honduras et Salvador.

Mais toute la région souffre de l'augmentation de la violence liée au trafic de drogue.


L'Internationale antifasciste (IA)

La nécessité de créer une Internationale antifasciste pour coordonner les efforts des mouvements sociaux et politiques en défense de la démocratie populaire et proactive, de la justice sociale et des droits humains à l'échelle mondiale.

Ce front collectif de lutte ne doit pas seulement affronter le néfoascisme dans les sphères politiques, de la rue et idéologiques, mais il doit aussi utiliser l'espace numérique et les outils technologiques pour contrer la manipulation de l'information et la guerre multidimensionnelle et cognitive en cours.

L'Internationale antifasciste en tant qu'espace d'articulation des luttes anticapitalistes, antiimpérialistes, antipatriarcales et antiracistes.

Consolider une offensive coordonnée qui promeut les valeurs de justice sociale, de paix, de souveraineté et d’ autodétermination des peuples.

Solidarité mondiale et luttes territoriales :

La proposition de construire une Internationale antifasciste inclut la création d'agendas sectoriels, de sections régionales et nationales, ainsi que de multiples réseaux de solidarité mondiale pour faire face à la résurgence du fascisme.

Cela implique une articulation internationale des stratégies de lutte, impliquant tous les acteurs politiques, sociaux, culturels, féminins, toutes les organisations politiques, sociales, culturelles, féministes, syndicales et culturelles aux quatre coins de la planète.

Il est essentiel de comprendre ce capitalisme numérique et ses nouvelles formes d'exploitation du travail et du savoir humain. Le temps libre commun est désormais un nouveau champ d'extraction de la plus-value.

Sections par région et par pays : construire des agendas concrets dans les cinq continents pour faire face à la menace du fascisme.

 

19/07/2023

HERNÁN CANO
Sergio Rodríguez Gelfenstein, combattant au Nicaragua : « Le 19 juillet 1979 a été le plus beau jour de ma vie »

 

Hernán Cano, Sputnik Mundo, 18/7/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Hernán Cano est un journaliste argentin basé au Venezuela bolivarien. https://www.instagram.com/hernancanoperiodista/

43 ans après la victoire de la Révolution sandiniste, cet écrivain, chercheur et analyste politique vénézuélien a raconté dans une interview à Sputnik sa participation au Front Sud, avec un contingent internationaliste envoyé de Cuba par Fidel Castro. De même, il détaille comment, après le triomphe contre la dictature de Somoza, ce lieutenant des Forces armées révolutionnaires (FAR) s'est attelé à la tâche de créer l'armée nicaraguayenne. La vie de Sergio Rodríguez Gelfenstein est associée dès sa naissance à la révolution socialiste. De père guérillero, il fait ses premiers pas en politique avec le triomphe de Salvador Allende au Chili, jusqu'à ce que la dictature d'Augusto Pinochet mette fin à l'expérience de l'Unité Populaire avec le bombardement du Palais de La Moneda et un putsch sanglant. Rodríguez Gelfenstein a été lieutenant dans les FAR cubaines, combattant internationaliste au Nicaragua, bâtisseur de l'armée nicaraguayenne, et plus tard ambassadeur du Venezuela dans ce pays, dans l'un des rares moments où la terre de Sandino a eu un peu de paix. En dialogue avec Sputnik, ce chercheur et écrivain raconte avec passion les événements survenus il y a exactement 43 ans, lorsque le dirigeant cubain Fidel Castro lui proposa, ainsi qu'à un groupe de combattants latino-américains, la mission d'aller combattre au Nicaragua, ce qu'il accepta ,inspiré par la maxime guévariste de « combattre l'impérialisme où qu'il soit ».

Sergio Rodríguez Gelfenstein interviewé par Sputnik à Caracas - Photo Hernán Cano, Sputnik Mundo

Depuis ce jour, le Nicaragua est une collection de souvenirs indélébiles, éternels, d'un bonheur énorme qui exige un engagement continu envers la révolution. « Tout comme nous avons Bolívar, le Nicaragua a Sandino, et cela crée une empreinte, une façon d'être et de se regarder », dit Rodríguez Gelfenstein.

Et il rappelle que « ce n'est pas à Playa Girón que la première défaite de l'impérialisme en Amérique a eu lieu, mais au Nicaragua, lorsque le général Augusto César Sandino a expulsé l'armée d'invasion yankee ». Aujourd'hui, quatre décennies après ces années turbulentes, « le Nicaragua, Cuba et le Venezuela ont formé, non pas un axe du mal, mais un triangle qui poursuit la tradition de la lutte anti-impérialiste" » souligne-t-il.

Sergio Rodríguez Gelfenstein : Fidel nous a dit que l'équilibre au Nicaragua devait être rompu par le Front Sud.

- Quel est votre lien avec la révolution sandiniste ?

- Mon père a été emprisonné dans le stade national du Chili après le coup d'État contre Salvador Allende. Il est ensuite parti au Pérou et n'a pas pu rentrer au Venezuela car il avait des affaires en cours datant de l'époque où il était dans la guérilla. Dans ces conditions, après plusieurs offres, il a choisi de partir à Cuba. J'avais 17 ans, et quand je suis arrivé à La Havane, j'ai demandé une formation militaire, et avec un groupe de camarades chiliens, parce que j'étais aussi chilien, nous avons reçu une formation militaire dans l'armée régulière cubaine. C'était une époque où presque tous les soldats cubains partaient en mission internationaliste, par exemple en Afrique, et beaucoup d'entre nous ont demandé à être envoyés dans l'une de ces missions, mais Fidel, dans son infinie sagesse, nous a dit non, que nous devions attendre, que le temps viendrait pour nous, que nous n'étions pas des Cubains.

- Excusez-moi de vous interrompre, étiez-vous un officier des forces armées cubaines ?

- Oui, à l'époque, j'étais lieutenant, j'étais à la tête d'une batterie d'artillerie et j'avais la responsabilité de 64 soldats, de 6 obusiers de 122 mm, et je remplissais mes fonctions comme tout officier régulier de l'armée cubaine. C'était en 1979, j'avais 22 ans.

20/12/2021

FREDERIC WEHREY
Maroc : les multiples répercussions de la rébellion du Rif (1921-1926)

Frederic Wehrey (bio), The New York Review of Books, 18/12/2021

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Comme il se doit pour un mouvement anticolonial qui a créé le modèle de ceux qui ont suivi, la révolte berbère des années 1920 se répercute aujourd'hui sur un siècle d'histoire.

Une gravure représentant Abdelkrim Al Khattabi à cheval dirigeant les rebelles du Rif contre les forces espagnoles, Maroc, années 1920 ; Apic/Getty Images

Un soir d'octobre dernier, je suis monté dans un bus à Rabat, la capitale marocaine, pour un voyage d'une nuit vers la côte méditerranéenne. Après plusieurs heures, nous grimpions dans les montagnes du Rif, le véhicule gémissant et se balançant dans les virages en épingle à cheveux. Le Rif est une chaîne de montagnes relativement récente - géologiquement plus jeune que les sommets plus connus de l'Atlas et moins grandiose - qui s'élève à pic depuis la mer au nord, mais qui s'abaisse en escarpements doux au sud.

Dans la pénombre du clair de lune, le paysage paraissait assez inquiétant : des massifs imposants tapissés de maquis, des bosquets de cèdres et de sapins, et des ravins profonds entourés de rochers calcaires. Il n'était pas difficile de comprendre comment, il y a cent ans, ce terrain a fait naître la peur dans le cœur des jeunes conscrits de l’Espagne, qui gouvernait le nord du Maroc en tant que protectorat, alors qu'ils étaient confrontés à une insurrection féroce du peuple amazigh indigène, également connu sous le nom de Berbères.

« La pire guerre, au pire moment, dans le pire endroit du monde », a écrit un journaliste espagnol à propos du conflit de cinq ans connu sous le nom de guerre du Rif.

Les combats ont commencé au début du mois de juin 1921, lorsque des tribus rifaines ont tendu une embuscade à un petit contingent de forces espagnoles sur un affleurement rocheux de la frange nord du Rif, le mont Ubarran. Rétrospectivement, cet engagement n'était que l'escarmouche initiale d'une bataille beaucoup plus importante et, du point de vue espagnol, catastrophique, qui s'est déroulée un mois plus tard dans et autour du village voisin d'Annual (accentuation de la dernière syllabe). Le désastre d'Annual, comme on l'appelle aujourd'hui en Espagne, a entraîné la mort d'au moins 13 000 soldats espagnols, infligée par seulement 3 000 Rifains. Pendant dix-huit jours, les combattants ont assiégé des soldats espagnols mal entraînés et des troupes indigènes dans des avant-postes ensablés, les privant de vivres et d'eau - certains soldats ont dû boire leur urine - et les abattant à coups de fusil ou de poignard alors qu'ils se repliaient pêle-mêle vers l'enclave espagnole de Melilla. Le commandant espagnol sur le terrain, un célèbre général imprudent du nom de Manuel Fernández Silvestre, a péri dans la mêlée, peut-être par suicide. Sa dépouille n'a jamais été retrouvée.

 

Le campement espagnol à Annual après sa prise par les Rifains, Maroc, 21 juillet 1921. Photo12/UIG via Getty Images

 C'est la pire débâcle militaire de l'histoire moderne de l'Espagne et sans doute la plus grave défaite qu'une armée coloniale européenne ait subie sur le continent africain, dépassant même la déroute de l'armée italienne à la bataille d'Adoua en Éthiopie en 1896. Ses conséquences se sont propagées en Afrique du Nord, en Méditerranée et en Asie, atteignant même les USA, où elle a suscité la sympathie du public pour la cause rifaine et électrisé les panafricanistes noirs usaméricains tels que les disciples de Marcus Garvey. Le centenaire d’Annual en juillet de cette année est passé pratiquement inaperçu dans le monde anglophone, mais il reste une grande source de fierté pour les Amazighs des montagnes du Rif, un héritage troublant pour la monarchie marocaine et un traumatisme national persistant en Espagne.