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Affichage des articles dont le libellé est 11 Septembre 1973. Afficher tous les articles
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19/09/2023

JUAN PABLO CÁRDENAS S.
Chili : Kissinger, la droite indécrottable et la gauche boboriche

Juan Pablo Cárdenas S., Política y Utopía, 18/9/2023
Traduit par Fausto Giudice
, Tlaxcala

Cinquante ans après le coup d’État de septembre 1973, au-delà des justes hommages rendus au Chili et dans le monde à Salvador Allende, nous avons tous eu l’occasion d’observer la tension que cet anniversaire national et mondial produit toujours au sein de la droite.

Ricardo, El Mundo, 13/9/2023

Bien que les années passées nous apportent de plus en plus de preuves que le renversement a été conçu et organisé par Henry Kissinger et le gouvernement usaméricain sous Nixon, curieusement, ce fait a été ignoré par les actes officiels, bien que cette fois-ci il y ait eu des reconnaissances fortes de la part de Washington.

En particulier lorsque la Maison Blanche a dévoilé de nouveaux documents secrets concluants qui révélaient un certain nombre d’actions et de contributions en millions de la CIA visant à déstabiliser le gouvernement de l’Unité populaire afin d’installer Pinochet à la tête de notre pays à l’issue d’une opération criminelle et terroriste.

Bien entendu, les dirigeants chiliens actuels ne sont pas disposés à mettre l’accent sur  la responsabilité de l’impérialisme usaméricain dans des dizaines de coups d’État sur notre continent et dans le monde. Et encore moins d’exiger que les cerveaux usaméricains soient envoyés dans notre pays pour y être jugés en tant que séditieux et assassins.

Ce serait certainement trop demander que l’impunité ne prévale pas à cet égard, de sorte que les dirigeants usaméricains actuels et futurs bénéficient de l’immunité pour continuer à mener des opérations criminelles visant à renverser les gouvernements de toute tendance politique qui mettent en péril les intérêts usaméricains.

Avec le coup d’État de 1973, la puissance impériale a clairement indiqué que ses efforts ne se limitaient pas à la lutte contre les gouvernements de gauche, mais aussi contre tout régime qui propose des changements substantiels en faveur de la justice sociale susceptibles d’affecter ses investissements à l’étranger.

Il y a cinquante ans, un gouvernement démocratiquement élu a été renversé pour imposer un régime néolibéral qui a annulé les acquis démocratiques et sociaux, par exemple la nationalisation du cuivre et la réforme agraire.

Nous trouvons inacceptable que cette année, il n’y ait pas eu non plus de condamnation large et sévère des actions des USA. Cela s’explique par la complicité de la droite et des entités politiques qui ont promu le coup d’État.

Et maintenant, ce qui est encore pire, c’est le silence éhonté de la gauche néolibérale, c’est-à-dire de ces socialistes, démocrates-chrétiens et autres pour lesquels c’est un honneur de serrer la main du secrétaire d’État usaméricain lui-même, qui a atteint 100 ans d’existence sans reproche de la part de ceux qui ont observé et même subi dans leur propre chair les violations des droits humains également encouragées par Washington.

17/09/2023

RAÚL ZIBECHI
Un demi-siècle après le coup d'État : le Chili, un laboratoire pour ceux d’en haut comme pour ceux d’en bas

Raúl Zibechi, La Jornada, 8/9/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le coup d'État du 11 septembre 1973 contre le gouvernement de Salvador Allende a marqué un tournant profond dans l'histoire récente. Les États-nations ont été entièrement remodelés par les classes dominantes, le néolibéralisme s'est installé, mettant fin au processus industriel de substitution des importations, et les mouvements d'en bas n’ont plus pu fonctionner de la même manière. Ces changements, il  convient de les évaluer.


Manuel Loayza

Sous le régime militaire d'Augusto Pinochet, les forces armées ont écrasé l'organisation ouvrière, imposant un terrorisme d'État contre tout dissident et, en particulier, contre les travailleurs. Elles ont réussi à refonder le capitalisme chilien, en éliminant l'ancienne industrie et en approfondissant l'accumulation par spoliation. Les relations de travail ont été complètement remodelées en faveur des patrons, puisqu'il n'y avait pas d'opposition ouvrière organisée.

Le néolibéralisme s'est nourri de la violence contre les secteurs populaires qui, avec l'aide de technocrates et d'économistes connus sous le nom de Chicago Boys, ont transformé le Chili en un grand laboratoire où les privatisations (à l'exception de l'entreprise de cuivre, dont les bénéfices sont allés aux forces armées), un nouveau système de retraite privé et des initiatives qui ont condamné la classe ouvrière au chômage et à la faim ont été pratiqués à la main.

Les salaires ont baissé de manière retentissante dans le monde entier.

Deux chercheurs du Program on Race, Ethnicity and the Economy de l'US Economic Policy Institute ont étudié 85 ans d'histoire du salaire minimum. Leur conclusion est lapidaire : « Sans mécanisme en place pour l'ajuster automatiquement à la hausse des prix, la valeur réelle du salaire minimum fédéral a progressivement diminué, atteignant en 2023 son niveau le plus bas depuis 66 ans » (source).

Cette année, le salaire minimum vaut 42 % de moins qu'à son apogée en 1968, et 30 % de moins que lors de sa dernière augmentation, il y a 14 ans, en 2009. « Cette perte significative de pouvoir d'achat signifie que le salaire minimum fédéral actuel est loin d'être un salaire décent », concluent les chercheurs.

La troisième question est celle des transformations de l'action collective. Le centre du mouvement social chilien s'est déplacé des usines vers les poblaciones [quartiers populaires périphériques, souvent des bidonvilles autocontstruits sur des terrains occupés, NdT] qui, depuis 1983, ont été au centre de la résistance à la dictature lors de mémorables journées de protestation. Des pratiques collectives de survie, les ollas comunes [pots communs, soupes populaires autogérées] que l'on théorisera plus tard sous le nom d'“économie solidaire”, s'y sont développées. Le mouvement des pobladores passe de la résistance à l'insurrection.


1983 : "Pinocchio escucha, ándate a la chucha"= " Pinocho [jeu de mots entre Pinochet et Pinocchio] écoute, va t'faire foute" [pour que ça rime aussi en français]

La première manifestation a eu lieu le 11 mai 1983, à l'appel des travailleurs du cuivre et dans des quartiers comme La Victoria, où des barricades ont été érigées, des affrontements avec les carabiniers et les militaires ont eu lieu et plusieurs personnes ont été tuées. En représailles, 5 000 maisons ont été perquisitionnées et toutes les personnes âgées de plus de 14 ans ont été arrêtées.

14/09/2023

OLEG YASINSKY
Les larmes de crocodile à l’occasion du cinquantenaire du coup d’État militaire au Chili

Oleg Yasinsky, Politika, 11/9/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le grand écrivain portugais José Saramago, en visite au Chili quelques années après le retour à une démocratie timide et craintive, toujours sous la tutelle de Pinochet, avait déclaré :

“Ici, les morts ne sont pas morts et les vivants ne sont pas vivants.”

Chaque année, quand arrivait le mois de septembre, quand des milliers de bougies étaient allumées dans tous les coins du Chili pour rendre hommage aux disparus, je repensais à cette phrase qui, à mon avis, expliquait mieux ce qui se passait dans le pays que des centaines de livres d’analyse et de critique sociale, bons ou mauvais.

En traversant une fois le désert d’Atacama, nous nous sommes perdus parmi ses énormes étoiles et distances tracées sur les routes infinies qui, comme des aiguilles, traversent le paysage aride peint il y a des millions d’années par des fleuves préhistoriques et des fonds marins qui n’existent plus.

Ce sont des lieux qui ressemblent à un décor spécialement créé pour l’apparition de vaisseaux extraterrestres, de dinosaures ou de tout autre fruit de notre pauvre imagination.

Dessin de Carlos Ayress Moreno, 1974



Dessin d’Enrique Olivares Aguirre

Nous sommes arrivés à un endroit qui n’existait pas sur les cartes. Il s’agissait de l’ancienne salpêtrière de Chacabuco, qui a cessé d’exister au début du siècle dernier et qui, en 1973, a été transformée par la dictature en le plus grand camp de concentration du pays.

Il n’y avait là qu’une seule personne, un ancien prisonnier politique. Il était devenu le gardien de la mémoire de cette cité fantôme. Lorsque les militaires se sont retirés, ils ont fait sauter les installations et les traces de leurs crimes. Puis, année après année, des pilleurs sont revenus pour voler tout ce qui était vendable dans les maisons et les baraquements abandonnés derrière les barbelés qui subsistaient.

Notre interlocuteur était retourné au cœur du désert pour s’occuper de ce qui restait de sa mémoire et de celle de son pays. Il nous a montré la rue Karl Marx, comme les prisonniers politiques appelaient l’allée principale entre les baraquements où ils vivaient.

Il nous a raconté la rumeur qui s’est répandue parmi eux après la première observation d’“OVNI”, qui abondaient dans ces cieux. « Ce sont les Russes qui sont venus nous sauver », disaient-ils. Et tant d’autres anecdotes de l’époque. Je suis retourné le voir plusieurs fois par la suite. Il était toujours seul, de plus en plus triste, de plus en plus vieux et alcoolique, jusqu’à ce qu’il meure dans un abandon total.

Le désert chilien est une machine à remonter le temps. En tant qu’endroit le plus sec de la planète, il conserve les vestiges du passé, où ce qui s’est passé il y a un siècle est indiscernable de ce qui s’est passé hier. Les corps des personnes tuées par la dictature sont également trop bien conservés. Sur les cadavres momifiés, on peut voir, après plusieurs décennies, non seulement les impacts de balles, mais aussi les traces des tortures les plus sauvages.

Le nouvel État chilien, gouverné par les socialistes et les démocrates-chrétiens, réconciliés pendant la dictature par amour du pouvoir, ne s’est jamais préoccupé de préserver l’histoire et la mémoire de ces temps passés, mais a voulu renforcer l’“image du pays” basée sur le modèle social hérité du pinochetisme et abandonner au plus vite son statut de “tiers-monde” latino-américain pour faire partie du “monde développ”".

13/09/2023

SERGIO RODRÍGUEZ GELFENSTEIN
Chili : célébrations en clair-obscur

Sergio Rodríguez Gelfenstein, Blog, 12/9/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

J’écris cette semaine depuis le Chili où j’ai participé à un séminaire international organisé par la municipalité de Recoleta, la Fundación Constituyente XXI et d’autres organisations pour marquer le 50e anniversaire de la chute au combat du président Allende et de l’intronisation de la dictature fasciste civile et militaire qui s’est installée dans ce pays pendant 17 ans.




Une atmosphère sombre plane sur un pays qui n’a pas réussi à surmonter la division et la confrontation imposées par la dictature. Cette date a fait l’objet de “célébrations ambivalentes” : certains se sont souvenus d’Allende, de ses actes, de sa loyauté envers le peuple et de son immolation héroïque pour défendre la démocratie, tandis que d’autres ont rappelé avec jubilation l’irruption violente des forces armées qui ont “libéré le Chili du cancer marxiste”.

Entretemps, le gouvernement s’est effacé, organisant une commémoration élitiste dépourvue de la participation massive que méritaient la date et le président Allende. La rhétorique antérieure du président Boric, assumant une neutralité honteuse, se réfère à la théorie controversée des “deux démons” qui rend Allende et la dictature également responsables du coup d’État.

Il ne peut en être autrement si l’on tient compte du fait que le Chili a un président faible, lâche, timide, hésitant et pusillanime, ce qui est exploité par la droite la plus récalcitrante pour passer à l’offensive et maintenir le peuple dans un immobilisme paralysant qui a commencé le 15 novembre 2019 lorsque les élites du pouvoir, dont Boric, ont signé un accord de gouvernance de coupole [sic] qui a immobilisé la protestation sociale qui avait mis Piñera et son gouvernement “dans les cordes” et était sur le point de le défenestrer,. Il faut dire que, malheureusement, la pandémie a aussi joué son rôle.


Boric a bénéficié de cet accord que beaucoup au Chili considèrent comme une trahison du peuple et une décision en faveur des hommes d’affaires et de la droite. Comme à la fin des années 1980, les pouvoirs occultes du pays ont eu recours à une issue médiatisée qu’ils pouvaient contrôler et gérer à leur guise afin d’éviter une alternative qui ferait du peuple le protagoniste et le moteur des transformations et qui conduirait le Chili à un véritable rétablissement de la démocratie, aujourd’hui légalement limitée par une constitution approuvée frauduleusement pendant la dictature.

L’accord du 15 novembre, qui a ensuite porté Boric à la présidence, a donné une continuité au modèle économique néolibéral et a approfondi la démocratie répressive imposée par ses prédécesseurs. La loyauté de Boric envers les USA est absolue. Son alignement surprenant sur Washington dans le conflit ukrainien est l’expression d’une décision semblable à celle d’un chien qui exécute les ordres de son maître. Même Pinochet avait fait preuve de plus d’autonomie en matière de politique étrangère.

Tout cela a conduit le gouvernement à minimiser la date et à la transformer en une célébration à huis clos dans un palais de la Moneda entouré de centaines de policiers et de rues vides et muettes, absentes du peuple qu’Allende a défendu jusqu’à la dernière minute de sa précieuse vie.

Les commémorations les plus importantes ont eu lieu dans la municipalité de Recoleta, où le maire Daniel Jadue [communiste, qui avait perdu les élections primaires pour le candidat de gauche au profit de Boric, NdT], son équipe et d’autres organisations populaires et sociales ont pris en charge la commémoration d’Allende dans sa véritable dimension, générant un véritable festival culturel et un grand débat d’idées pour contribuer au processus de formation politique nécessaire pour que le Chili retrouve le chemin d’une véritable démocratie participative avec un protagonisme populaire.


En ce qui me concerne, je faisais partie d’un panel au siège de la Confédération nationale des travailleurs municipaux de la santé (Confusam), un syndicat combatif de travailleurs de la santé, qui passait en revue les politiques publiques de l’Unidad Popular.  On m’a demandé de faire une présentation sur la politique internationale du gouvernement populaire et sur la pensée internationaliste du président Allende.

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De même, dans le cadre des événements organisés à Recoleta, j’ai eu l’occasion de présenter les différents niveaux d’analyse du conflit en Ukraine afin d’expliquer les répercussions internationales et la transformation que cet événement a sur le système international et le passage d’un modèle atlantiste à un modèle dont l’axe est le grand espace eurasien.

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Document annulant l'inscription de l'étudiant Ilia Rodríguez.
Gelfenstein, 2 mois après le coup d'État au Chili. Son crime : "Lors de la cérémonie inaugurale du 5 novembre, il s'est exprimé de façon grossière en se moquant de l'acte tenu dans la cour du lycée, au cours duquel hommage est rendu à la patrie et l'Hymne national est chanté"

Mais l’événement le plus émouvant et le plus beau auquel j’ai pu assister a été une réunion au lycée Andrés Bello où j’étudiais au moment du coup d’État de septembre 1973. Là, nous nous sommes souvenus et avons dévoilé une plaque portant les noms de six camarades du lycée assassinés et d’un disparu par la dictature. En parcourant les couloirs et les cours de l’école où j’ai commencé ma formation scolaire et politique de militant révolutionnaire, j’ai pu me remémorer ce jour fatidique, il y a 50 ans.

Alors que ces commémorations ont lieu, le pays est en proie à un nouveau piège de la droite que le président, son gouvernement et les partis qui le soutiennent observent comme des moutons du pouvoir qui dirige le pays. D’une main de maître, la droite fasciste élabore une nouvelle constitution si réactionnaire, si rétrograde et si conservatrice que même des secteurs allant de la droite un peu moins cavernicole à la gauche pro-gouvernementale ont appelé à son rejet, ce qui - il faut le dire - est encourageant au vu de l’énorme régression que représenterait l’approbation d’une constitution médiévale au XXIe siècle.

Mais l’essentiel est que cela finira par valider et légitimer la constitution actuelle de Pinochet, qui donne une continuité à un système d’économie néolibérale, de démocratie restreinte et de justice "dans la mesure du possible".

Plus d’ombres que de lumières ont été observées dans cette commémoration, bien que les dernières paroles du président Allende, qui n’ont jamais perdu leur validité, seront toujours entendues : « […] d’autres hommes surmonteront ce moment gris et amer où la trahison veut s’imposer. Continuez à savoir que tôt ou tard s’ouvriront les grandes avenues où les hommes libres passeront pour construire une société meilleure. Vive le Chili, vive le peuple, vive les travailleurs ! »

➤Images extraites de la BD Les années Allende, par Rodrigo Elgueta et Carlos Reyes, éditions Otium, 2019

JUAN PABLO CÁRDENAS S.
Allende, cinquante ans après

Juan Pablo Cárdenas S., Política y Utopia, 11/9/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 Cinquante ans ont passé et les idées du président Allende sont toujours pleinement valables au Chili comme en Amérique latine et dans une bonne partie de ce que l'on appelle le tiers-monde. Il y a des années, à Guadalajara, nous avons eu la chance de voir un magnifique enregistrement de ce discours devant les professeurs et les étudiants de sa prestigieuse université où le président chilien récemment élu a exposé sa pensée, qui était certainement révolutionnaire dans ses objectifs, ainsi que sans précédent dans sa promesse d'apporter des changements en matière de démocratie et de liberté.


Discours prononcé par Salvador Allende à l'université de Guadalajara, Mexique, le 2 décembre 1972
PDF en espagnol
Extrait en français

Un discours magistral où, en plus de défendre ses convictions, il a appelé les jeunes étudiants à s'atteler à une tâche qui, bien sûr, dépasse l'action d'un seul gouvernement ou d'une seule génération. Un discours prononcé dans la chaleur de ses valeurs inébranlables, sans recours à un texte ou à un aide-mémoire, démontrant comme souvent son grand talent et son verbe brillant. Un ensemble de propositions visant à ce que nos pays se réapproprient la propriété et la gestion de leurs richesses fondamentales, consolidant ainsi la souveraineté qui nous a été léguée par nos libérateurs, puis bafouée par l'impérialisme usaméricain. Dans notre cas, il s'agissait de la volonté de nationaliser, en plus, nos grandes mines de cuivre et de donner une valeur ajoutée à ces tonnes de métal qui partaient et continuent aujourd'hui à partir à l'étranger et dans lesquelles il est également possible de découvrir de l'or, de l'argent, du molybdène et d'autres matières premières importantes.

Il voulait aussi récupérer la souveraineté populaire dans nos campagnes ravagées par les grandes propriétés et l'exploitation de millions de paysans qui pouvaient à peine survivre avec leur salaire de misère. Diversifier notre production agricole, moderniser l'agriculture, mais surtout faire en sorte que ceux qui cultivent la terre en soient propriétaires et méritent de vivre dans des logements décents, afin que leurs enfants aient accès à une alimentation suffisante et à une éducation libératrice.

Promouvoir, bien sûr, la réforme de l'éducation à tous les niveaux, afin de rendre l'enseignement obligatoire pour les enfants et de permettre non seulement aux enfants des riches mais aussi aux Chiliens des classes moyennes et populaires d'accéder à l'université, alors que moins d'un pour cent d'entre eux avaient cette possibilité à l'époque.  En même temps, ils étaient déterminés à prendre des mesures importantes pour la formation continue des adultes et des travailleurs, où les niveaux d'analphabétisme étaient effrayants. À tel point qu'aujourd'hui encore, on reconnaît que plus de 50 % de notre population ne comprend pas ce qu'elle lit, ainsi que plus de 15 % des étudiants de l'enseignement supérieur.

La proposition d'Allende incluait également la possibilité d'entreprendre une réforme constitutionnelle qui modérerait le présidentialisme excessif et chercherait sérieusement à mettre fin au matabiche et autres pratiques qui empêchaient l'accès du peuple au Parlement et aux municipalités. Convoquer, dans les plus brefs délais, une Assemblée constituante pour rétablir notre cadre institutionnel, qui était en soi un simulacre, dans lequel le pouvoir de l'argent et des médias définissait l'agenda politique, économique, social et culturel du pays.

Un renversement annoncé

Personne ne peut désormais ignorer qu'avant que Salvador Allende ne prenne ses fonctions de chef d'État, des préparatifs étaient en cours à Washington pour déstabiliser son gouvernement et le remplacer par un autre qui serait docile aux intérêts impérialistes. Peu à peu, les énormes ressources allouées à l'encouragement de l'action séditieuse des grands corps nationaux, à l'encouragement du coup d'État de la droite politique et d'autres partis d'opposition, qui ont été décisives pour encourager les traîtres militaires et justifier les premières violations des droits humains, ont fait leur œuvre. Ce rôle est honteusement revenu aux démocrates-chrétiens, un parti qui promouvait jusqu'alors des changements en faveur de la justice sociale, mais dont les principaux dirigeants ont succombé à la corruption par Kissinger, de la Maison Blanche et du Pentagone. On est également au fait des millions de dollars alloués au journal El Mercurio, propriété d'Agustín Edwards, qui, en plus d'être un putschiste, était également vice-président de Pepsi Cola. Un individu abominable qui a conservé son pouvoir intact, voire l'a accru, tout au long de la période post-dictature, charmant les gouvernements successifs de la soi-disant Concertación Democrática, de la Nueva Mayoría et, bien sûr, de la droite elle-même, qui est revenue à La Moneda à deux reprises entretemps.

Les promesses d'Allende se sont même concrétisées pendant son bref gouvernement, comme la nationalisation des grandes mines de cuivre, la remise de milliers d'hectares de terres aux paysans et l'introduction de changements significatifs dans le système éducatif, ce qui a également été fortement combattu par les opposants qui ont été appelés à participer aux élections législatives qui ont suivi le triomphe de l'Unidad Popular et au cours desquelles, malgré tout, la gauche est redevenue la première majorité, en dépit des campagnes de terreur promues et financées également par les USA et le pouvoir économique national.

Bien que nous ne l'ayons pas du tout prévu à l'époque, le 11 septembre 1973 a été le jour du bombardement criminel de La Moneda, dans lequel les forces armées, poussées par la droite et l'impérialisme, ont joué le rôle principal, et dans lequel, dès la première heure, des centaines ou des milliers d'opposants ont été criblés de balles, les premiers camps de détention et de torture ont été créés, tandis que des milliers d'autres Chiliens ont été arrêtés et torturés lorsqu'ils ne parvenaient pas à s'enfuir en exil. Il s'agit sans aucun doute d'un processus sans précédent de trahison et d'insoumission à l'ordre établi, respecté par Allende jusqu'à sa dernière heure, au cours duquel la démocratie et les changements entrepris en faveur de la rédemption des opprimés ont volé en éclats en quelques heures.

Nous savons déjà que le corps du président a quitté La Moneda sans que l'on sache avec certitude s'il s'est réellement suicidé ou s'il a été assassiné par les premiers officiers qui sont entrés dans le palais présidentiel. Cela ne change pas vraiment le caractère criminel de l'attentat, même si les militaires, la droite et d'autres secteurs se sont efforcés, avec la complicité de certains juges, d'établir le suicide comme la vérité officielle. Une “vérité officielle” qui permettrait à Pinochet de recevoir la reconnaissance diplomatique de nombreuses nations qui, dit-on, n'auraient pas été en mesure de le faire si le président déchu avait été assassiné.

Entre parenthèses, certains ont été convaincus qu’il avait été assassiné après qu'un capitaine de l'armée a témoigné devant un groupe de détenus qu'il avait lui-même tiré sur la tempe du président et qu'il s'était vanté d'avoir exhibé la montre de ce dernier comme un trophée. Il existe plusieurs écrits et témoignages sur le sujet, ainsi qu'un documentaire du cinéaste Miguel Littín.

La chose la plus importante à enregistrer maintenant dans cette commémoration historique est le respect que l'exemple d'Allende, sa conséquence politique, sa trajectoire démocratique et sa résolution héroïque de payer de sa vie la loyauté de son peuple, comme il l'a promis dans son discours final, méritent dans tous les secteurs, ainsi que dans le monde entier.

Son gouvernement, l'Unité Populaire et la conduite de ses partis sont encore aujourd'hui une source de controverses et d'attaques de bas étage par ceux qui ont été ses opposants et qui continuent aujourd'hui à être des militants de droite. Cependant, personne ou presque n'ose le discréditer moralement et sa figure reste, 50 ans plus tard, celle du président et du leader politique le plus apprécié par le peuple chilien. À tel point qu'une étude intéressante réalisée en 2008 par Televisión Nacional (avec des centaines de témoignages recueillis auprès d'historiens, de journalistes et de divers intellectuels) a conclu que pour la grande majorité nationale, Allende est la figure la plus pertinente de notre histoire républicaine, égale ou supérieure à l'hommage rendu à nos pères de la nation, et supérieure au prestige de Pablo Neruda, Gabriela Mistral, Violeta Parra, Alberto Hurtado et d'autres Chiliens éminents.

Validité permanente

En ce sens, et malgré tout ce qui s'est passé, 50 ans, ce n’est vraiment rien. Les idées d'Allende sont toujours aussi présentes dans les manifestations qui réclament du pain, de la justice et de la liberté. Surtout lorsqu'elles insistent sur la récupération des gisements de cuivre et maintenant sur l'exploitation du lithium et d'autres ressources. Lorsque les enseignants défilent et paralysent leurs activités pour exiger plus de ressources pour l'éducation publique, ainsi que le paiement de la dette historique que l'État leur doit depuis tant d'années. Tandis que des centaines d'enseignants languissent sans récupérer ce droit qui leur a été arraché et leur dignité.

Les revendications actuelles en faveur d'un système de santé qui garantisse des soins adéquats à tous les Chiliens vont dans le même sens. La dictature et les gouvernements qui lui ont succédé ont consolidé l'opprobre du système privé des ISAPREs [sociétés d’assurances santé privées, au nombre de 13, NdT], qui refuse des soins adéquats aux pauvres et à la classe moyenne, en présentant de longues listes d'attente pour les soins médicaux, où il est avéré que, seulement au cours du dernier semestre, plus de 19 000 Chiliens qui avaient besoin d'opérations chirurgicales urgentes sont morts. Allende, en tant que médecin, soutiendrait sans aucun doute ces demandes aujourd'hui, ainsi que la fin des infâmes AFP [sociétés privées d’administration des fonds de pension ayant substitué en 1981 le système par répartition par un système par capitalisation, NdT] qui gèrent les cotisations de millions de travailleurs qui, à la fin de leur vie, reçoivent des pensions misérables et se voient obligés de continuer à travailler. Un système également privatisé par la dictature et qui a même fait l'objet de compliments à l'époque de la soi-disant transition vers la démocratie, où, en réalité, ceux qui ont intégré ces gouvernements ont fini par être enchantés par le néolibéralisme, le capitalisme sauvage et les inégalités provoquées par le marché. Sauf, bien sûr, quelques exceptions minimes, malgré les origines socialistes, social-chrétiennes ou social-démocrates de leurs protagonistes.

Il est parfaitement logique d'assurer qu'Allende soutiendrait aujourd'hui la lutte héroïque du peuple mapuche pour la reconnaissance de ses droits à l'autodétermination, la récupération de ses territoires occupés et la pleine reconnaissance de son patrimoine culturel. Tout cela ne sera possible qu'en neutralisant l'action écocide, par exemple, des entreprises forestières qui se sont emparées de la région. Le défunt président n'aurait certainement pas pu consentir à la militarisation de l'Araucanie imposée par des gouvernements se prétendant héritiers d'Allende, à la judiciarisation des causes de notre peuple fondateur et aux assassinats habituels et répétés de membres de la communauté, ainsi qu'à la répression qui s'abat aujourd'hui sur ceux qui, jusqu'à très récemment, étaient reconnus comme des leaders et même des héros par les partis et mouvements autoproclamés de gauche. Il est bien connu que ce qui se passe dans le sud du pays est très similaire aux événements tragiques de la soi-disant Pacification de l'Araucanie, il y a plus d'un siècle, dont les principaux auteurs sont encore reconnaissables dans les noms de rues et d'espaces publics. Même si la statue du général Cornelio Saavedra a été arrachée de son socle par des manifestants en 2020 et jetée dans la rivière Lumaco. Tout aussi récemment, le monument au général Baquedano, qui s'est également distingué dans ce sombre épisode d'usurpation des terres mapuches, a contraint les autorités à le retirer de la Plaza Italia, en plein centre de notre capitale.

Le peuple chilien a l'intuition qu'Allende serait aujourd'hui le leader qu'il a été des revendications socio-économiques de son époque.  Son nom est également reconnu comme celui e l'un des principaux combattants de notre époque. Lorsque l'inégalité sociale prévaut et que la marginalisation et le manque d'opportunités expliquent le développement de phénomènes tels que la criminalité et le trafic de drogue, des fléaux que même les politiciens qui se disent progressistes pensent qu'il faut combattre avec plus de pouvoirs pour la police, plus d'armes dissuasives et des peines punitives même pour les mineurs qui commettent des délits. Aujourd'hui, ils sont donc à nouveau tentés d'envoyer de plus en plus de militaires dans les rues et les villes du nord et du sud. Une fois de plus, ils sont au bord d'une nouvelle et juste explosion sociale, sans aucune autre pandémie en vue pour la contenir, comme cela s'est produit, empêchant ce qui était un effondrement institutionnel imminent.

“La gauche unie ne sera jamais vaincue” est l'un des slogans les plus connus et celui qui a été le plus longtemps brandi sur les banderoles des avant-gardes dans leurs mobilisations. Il ne fait aucun doute que c'était aussi l'aspiration et la réussite d'Allende lorsqu'il est arrivé au gouvernement et qu'il a pu devenir le porte-drapeau de la gauche, après la mesquinerie qui s'est manifestée entre partis pour obtenir une plus grande hégémonie dans l'influence sur les décisions présidentielles. Cependant, il est plus qu'évident que ce sont les controverses entre socialistes, communistes et autres qui ont affaibli le gouvernement de l'Unité Populaire et, dans une large mesure, encouragé le coup d'État. Comment ne pas se rappeler que, depuis le cœur même de la gauche, Allende a été qualifié de “social-démocrate” et accusé de défendre la démocratie “bourgeoise” par des dirigeants qui, pendant qu’Allende mourait à La Moneda, se cachaient déjà dans des ambassades et renonçaient à toute tentative de résistance au déchaînement militaire !

En disant cela, nous n'avons pas l'intention de justifier l'action des séditieux, qui ont commencé à comploter son renversement avant que ces contradictions ne se manifestent. Pour eux, Allende ne devait être renversé qu'en raison de sa proposition programmatique et de la possibilité que son expérience soit reproduite dans d'autres pays appartenant à la zone d'influence des USA, en pleine guerre froide. Il faut donc reconnaître que sa tentative de gagner le soutien de l'Union soviétique et du monde socialiste de l'Europe de l'Est a été vaine.

Ce qui est grave, c'est que cinquante ans après sa mort, la situation de la gauche chilienne n'a fait qu'empirer par rapport au slogan cité plus haut, et aujourd'hui le panorama est franchement désastreux quand les référents avant-gardistes se multiplient dans toutes sortes de collectifs et d'associations dont les idéologies et les intentions sont pratiquement incompréhensibles pour le pays. Des entités qui ne comptent généralement pas plus d'une centaine de militants actifs et qui manquent de pratiques démocratiques internes pour définir leurs dirigeants et leurs propositions. Une flopée de sigles, qui ne sont rien d'autre que des noms bizarres, composent le soi-disant Frente Amplio [Front Large], ainsi que l'autoproclamé socialisme démocratique. Tous exhibent leurs querelles à travers les médias, alors qu'ensemble ils n'ont pas été capables de remplir un théâtre ou un stade avec leurs adhérents et sympathisants depuis longtemps.

Il ne fait aucun doute que le principal objectif de ces camarillas est de placer leurs partisans inconditionnels au sein de l'appareil d'État et d'accéder aux ministères et aux sous-secrétariats, où les quotas sont le dénominateur commun. Et quand ils n'y parviennent pas, ils créent des fondations et d'autres entités pour recevoir des millions du Trésor public qui, bien sûr, servent à financer leurs ambitions électorales et, accessoirement, leur enrichissement illicite. Nous savons déjà que parmi tous les épisodes de corruption politique, la justice enquête actuellement sur la destination de quelque 30 milliards de pesos [= 30 millions d’€]. Ce qui est reconnu comme la fraude la plus grave contre le trésor national de toute la période post-dictature.


Le problème de la gauche :
-Sur le fond on est d'accord
-Mais d'innombrables nuances nous séparent

L'avantage de la droite:
-D'innombrables nuances nous séparent
-Mais sur le fond on est d'accord

Pour la consolation de cette gauche qui se dégrade et s'effrite, la droite souffre d'une atomisation similaire, tout comme les multiples scissions de la Démocratie chrétienne, du PPD et d'autres organisations qui, selon les sondages, obtiennent moins de trois ou quatre pour cent du soutien populaire. Le parti le plus voté est le Parti républicain d'extrême droite, mais avec moins de 5 % du soutien électoral.

Sans parler de la responsabilité politique qui doit être attribuée aux partis en ce qui concerne la disparition des anciennes références syndicales. De la faible importance aujourd'hui de la Central Unitaria de Trabajadores, ainsi que des associations professionnelles qui ont été à l'avant-garde de la lutte contre la dictature. Toutes ces organisations se morfondent dans la lutte de leur caudillisme interne et sont confrontées à des scandales de corruption qui se déclenchent précisément lorsqu'elles doivent “négocier” avec les gouvernements en place le montant du salaire minimum et l'application de certaines lois sur le travail.

Allende grandit définitivement dans la mémoire du peuple chilien, bien qu'il soit systématiquement ignoré par les dirigeants politiques et sociaux qui se réclament de lui. Tout cela s'explique par le manque d'idées et de programmes d'action et, surtout, par l'absence de médias qui favorisent le débat idéologique et la prise de conscience des Chiliens, en particulier des plus jeunes.

Il est bien connu que la lutte contre l'oppression de Pinochet a impliqué des organisations sociales et politiques spontanées, mais aussi les médias, dont la mission était de dénoncer les abus de la dictature et de promouvoir le retour à la démocratie. Au début, les timides efforts journalistiques ont gagné en influence et ont eu le mérite d'enregistrer toutes les horreurs commises contre la dignité humaine et les droits du peuple au sein de la dictature. Cependant, même aujourd'hui, on suppose que toutes ces références ont été exterminées par les premiers gouvernements de la Concertation, lorsque d'obscurs personnages comme Edgardo Boeninguer, Enrique Correa et d'autres ministres et opérateurs de La Moneda ont décidé qu'il serait trop risqué d'avoir des journaux, des magazines et des stations de radio qui pourraient exiger la réalisation des promesses faites par les nouvelles autorités et, ce faisant, déstabiliser les militaires, ainsi qu'embarrasser les grands hommes d'affaires pinochétistes qui ont pris leur place dans la nouvelle démocratie. D'ailleurs, dans l'impunité la plus totale en ce qui concerne les entreprises et les ressources de l'État accaparées sous la protection du tyran et du voleur qui gouvernait de facto.

Le temps nous a donné raison lorsque nous avons constaté que des missions diplomatiques envoyées en Europe ont averti les gouvernements qu'ils devaient s'abstenir de toute aide aux médias chiliens et au monde prolifique des organisations sociales et de défense des droits humains. Une demande sans doute écoutée par les pays qui soutenaient ces médias et envisageaient même de leur accorder une aide définitive et substantielle qui servirait à les consolider pendant la prétendue démocratie à venir. Malheureusement, la realpolitik s'est imposée à ces pays qui voulaient désormais faire des affaires dans notre pays et accéder à nos richesses naturelles. Tout cela se passait, rappelons-le, pendant que le gouvernement de Patricio Aylwin effaçait les dettes d'El Mercurio, de La Tercera et d'autres médias, tout en renouvelant les contrats publicitaires de plusieurs millions de dollars avec l'État qui les soutenait alors que leur déclin était imminent. Ces mêmes contrats publicitaires ont également été refusés à la presse indépendante qui, sans aucun doute, aurait continué à s'opposer à l'impunité et à plaider en faveur d'une démocratie solide et de ces réformes économiques et sociales, dont beaucoup sont encore en suspens aujourd'hui. Tout comme ils auraient dénoncé les premiers actes de corruption qui sont aujourd'hui si répandus dans notre vie politique.

S'il est vrai que ces médias indépendants et dignes ont réussi à briser le blocus de l'information imposé par la dictature, nous devrions aujourd'hui être reconnaissants et applaudir le fait qu'il existe un nombre infini de sites web libres sur l'internet, ce qui rend très difficile pour la classe politique de continuer à commettre ses inepties, et maintenant même la presse de droite elle-même est incapable de les éviter.

Des centaines de milliers, voire des millions de Chiliens vivent aujourd'hui dans le désenchantement, à cause de ce qui aurait pu être et n'a pas été. Nous sommes déçus par la trahison idéologique et la corruption morale de ceux qui ont accédé au gouvernement de notre nation. Nous craignons que le pays ne soit à nouveau au bord de l'effondrement et que les heures amères de notre coexistence ne reviennent. Mais ce sur quoi nous sommes d'accord et qui nous anime est  le fait que, malgré tout, les idées et les objectifs de Salvador Allende sont toujours valables et que son nom est un cri et un ferment d'espoir.

12/09/2023

Chili, le coup d’État et les gringos, par Gabriel García Márquez (1974)

 Gabriel García Márquez, Alternativa, 1974
Original
Traduit par Tlaxcala, 11/9/2023

Ce texte, publié en 1974, reste d’actualité car il explique avec simplicité et clarté, en particulier pour la jeune génération, la chute du gouvernement Allende et désigne les exécutants directs et indirects du coup d’État.

Fin 1969, trois généraux du Pentagone ont dîné avec quatre officiers militaires chiliens dans une maison de la banlieue de Washington. L’hôte était alors le colonel Gerardo Lopez Angulo, attaché aérien à la mission militaire chilienne aux États- Unis, et les invités chiliens étaient ses collègues des autres armes. Le dîner était organisé en l ’honneur du directeur de l’école d’aviation chilienne, le général Toro Mazote, arrivé la veille pour une visite d ’étude. Les sept soldats ont mangé de la salade de fruits, du rôti de bœuf et des petits pois, bu les vins chaleureux de leur lointaine patrie méridionale où les oiseaux brillaient sur les plages tandis que Washington faisait naufrage dans la neige, et parlé en anglais de la seule chose qui semblait intéresser les Chiliens à ce moment-là : les élections présidentielles de septembre prochain. Au dessert, l’un des généraux du Pentagone a demandé ce que ferait l’armée chilienne si le candidat de gauche Salvador Allende remportait les élections. Le général Toro Mazote lui répond : « Nous prendrons le palais de la Moneda en une demi-heure, même si nous devons y mettre le feu ».

L’un des invités était le général Ernesto Baeza,  ’actuel directeur de la sécurité nationale du Chili, qui a mené l’assaut contre le palais présidentiel lors du récent coup d’État et qui a donné l’ordre d’y mettre le feu. Deux de ses subordonnés de l’époque sont devenus célèbres le même jour : le général Augusto Pinochet, président de la junte militaire, et le général Javier Palacios, qui a participé à la dernière échauffourée contre Salvador Allende. Le général de brigade aérienne Sergio Figueroa Gutiérrez, actuel ministre des travaux publics, et ami proche d’un autre membre de la junte militaire, le général d’aviation Gustavo Leigh, qui a donné l’ordre de bombarder le palais présidentiel à l’aide de roquettes, était également présent à la table. Le dernier invité était l ’actuel amiral Arturo Troncoso, aujourd’hui gouverneur naval de Valparaíso, qui a procédé à la purge sanglante des officiers progressistes de la marine et a déclenché le soulèvement militaire aux premières heures du 11 septembre.

Ce dîner historique fut le premier contact du Pentagone avec les officiers des quatre armes chiliennes. Au cours d’autres réunions successives, tant à Washington qu’à Santiago, il a été convenu que les militaires chiliens les plus dévoués à l’âme et aux intérêts des États-Unis prendraient le pouvoir en cas de victoire de l’Unité Populaire aux élections. Ils l’ont planifié à froid, comme une simple opération de guerre, et sans tenir compte des conditions réelles au Chili.

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28/08/2023

Le coup d'État militaire contre Salvador Allende vu par un général chilien
Extraits du livre Un ejército de todos, de Ricardo Martínez Menanteau

La Jornada, 27/8/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Avant même sa présentation officielle, le livre Un ejército de todos, écrit par le général à la retraite Ricardo Martínez Menanteau, commandant en chef de l'armée chilienne entre 2018 et 2022, a déjà provoqué des remous au sein de la direction militaire du pays. Le 50e anniversaire du coup d'État qui a renversé le président Salvador Allende et instauré la dictature sanglante d'Augusto Pinochet est un moment délicat pour la coexistence entre les dirigeants civils et l’establishment militaire, qui n’a jamais reconnu la responsabilité des militaires dans ce chapitre atroce de l'histoire chilienne.


Le Corps des généraux et amiraux (retraités) a adressé il y a quelques jours une lettre au président Gabriel Boric pour lui signaler que les activités commémoratives du 11 septembre “sont en train de provoquer une plus grande division parmi nos compatriotes” et affirme : « nous ne pouvons pas garder un silence coupable devant tant d'agressivité et de dénigrement des forces militaires et policières qui ont effectivement participé - sans l'avoir cherché ni voulu - à la rupture institutionnelle de 1973 », laquelle « semble avoir été réalisée unilatéralement par les Forces armées, oubliant que ses causes n'ont jamais été générées dans les casernes ».

Au grand dam de ses compagnons d'armes, Martínez Menanteau - un homme qui a rejoint l'armée à l'âge de 15 ans et l'a quittée après en avoir été le plus haut commandant - lancera un livre unique ce mardi à l'Aula Magna de l'Université catholique de Santiago, « Conçu à l'origine comme un document destiné à sauver et à renforcer l'éthique militaire au sein des forces armées », il « vise à revaloriser l'image de l'armée aux yeux du public » et à « contribuer, 50 ans après la rupture de notre coexistence nationale, à l'indispensable réunion de tous les Chiliens », selon la présentation de l'ouvrage. Cependant, Un ejército de todos constitue une reconnaissance crue et sans précédent, formulée de l'intérieur des forces armées, de certaines des plus graves violations des droits humains, de la légalité et de l'honneur militaire perpétrées par les porteurs d’uniformes.

En raison de la pertinence et de l'intérêt de cette perspective unique, à la veille du 50e  anniversaire du coup d'État du 11 septembre 1973, La Jornada offre à ses lecteurs, en exclusivité pour le Mexique, quelques extraits de Un ejército de todos, avec l'aimable autorisation de l'éditeur JC Sáez.- La rédaction de La Jornada


René Schneider, chef de l'armée chilienne, assassiné peu avant que Salvador Allende ne soit déclaré président.

Assassinat du général Schneider

En mai 1970, le commandant en chef [le général René Schneider] a défini une politique qui devait guider la conduite de l'armée. Elle s'inscrivait dans la continuité de l'approche institutionnelle historique du respect de la Constitution de la République, que la presse a appelé jusqu'à aujourd'hui la “doctrine Schneider”. Elle réaffirme un précepte fondamental de l'armée, qui est de soutenir et de respecter la charte fondamentale du pays.

Lorsqu'on lui a demandé quel était l'objet de ces candidatures, le commandant en chef a répondu : « Notre doctrine et notre mission consistent à respecter et à soutenir la Constitution politique de l'État. Conformément à celle-ci, le Congrès est le maître et le souverain dans le cas mentionné et notre mission est de veiller à ce qu'il soit respecté dans sa décision » (interview au journal El Mercurio, 8 mai 1970).

Cet engagement en faveur de la Constitution lui a coûté la vie. Deux jours avant l'accord entre la Démocratie chrétienne et l'Unité populaire au Congrès pour l'élection de Salvador Allende, le 22 octobre 1970, alors que le commandant en chef de l'armée se rendait à son travail, un groupe d'individus d'extrême droite a encerclé le véhicule, tirant plusieurs coups de feu sur le général, qui est décédé quelques jours plus tard à l'hôpital militaire, compte tenu de la gravité de ses blessures.

L'assassinat du général Schneider a impliqué des civils et des militaires actifs et retraités, qui auraient été soutenus par la Central Intelligence Agency (CIA) des USA.

En ce qui concerne la participation de cette entité étrangère, il convient de souligner que le 18 octobre de cette année-là, des communications ont fait état de l'envoi d'armes et de munitions en provenance des USA, arrivées à l'ambassade des USA au Chili et destinées à être utilisées pour l'enlèvement du commandant en chef de l'armée.

Dans l'une des notes de la CIA, il est indiqué que « la neutralisation de Schneider sera une condition préalable essentielle au coup d'État militaire, car il s'oppose à toute intervention des forces armées pour empêcher l'élection constitutionnelle d'Allende ».

Les armes fournies par la CIA auraient été livrées à un groupe d'officiers chiliens dirigé par les généraux Camilo Valenzuela et Roberto Viaux, qui ont joué le rôle principal dans la planification et la direction du groupe qui a attaqué et tué le général Schneider.


Carlos Prats est mort avec sa femme Sofía Cuthbert dans un attentat à Buenos Aires.

Nomination du général Prats comme commandant en chef

Après l'assassinat de Schneider, le président Frei Montalva a nommé l'officier qui le suivait dans l’ordre d’ancienneté, le général Carlos Prats, une décision qui a ensuite été ratifiée par le président Allende.

Il est important de souligner qu'après les élections de septembre 1970 et dans la période précédant son assassinat, les généraux Schneider et Prats, ainsi que les commandants en chef de la marine et de l'armée de l'air, ont été autorisés par le président de la République et son ministre de la défense à fournir des conseils techniques aux groupes parlementaires qui négociaient la réforme constitutionnelle connue sous le nom de statut des garanties démocratiques, à fournir des conseils techniques aux groupes parlementaires négociant la réforme constitutionnelle connue sous le nom de Statut des garanties démocratiques, qui établit à l'article 22 que « la force publique est constituée uniquement et exclusivement des forces armées et du corps des carabiniers, institutions essentiellement professionnelles, hiérarchisées, disciplinées, obéissantes et non délibératives. Ce n'est qu'en vertu d'une loi que l'on peut fixer l'effectif de ces institutions. L'incorporation de ce personnel dans les forces armées et les carabiniers ne peut se faire que par l'intermédiaire de leurs propres écoles institutionnelles spécialisées, à l'exception du personnel destiné à exercer des fonctions exclusivement civiles ».

Cette réforme reflétait deux objectifs inhérents aux armées du monde : la défense du monopole de l'usage des armes et le souci des carrières professionnelles initiées par leur formation dans les écoles mères.

L'assassinat du général Schneider a été un événement triste et funeste et un affront à l'éthique militaire. Il est clair que lorsque des officiers de haut rang perdent leurs références éthiques et conspirent avec des activistes politiques fanatiques pour des causes fondées sur un patriotisme erroné, en fin de compte, c'est l'armée qui subit des dommages qu'il sera très difficile de réparer. Un officier général enseigne toujours à ses troupes et est un phare, même s'il ne s'en rend pas compte. Son exemple est une référence et dans ce cas, il s'agit d'une honte pour l'institution, même si le crime lui-même a été commis par des civils.

Cet assassinat ignoble a non seulement abrégé l'existence d'un commandant en chef en exercice, mais a également détruit la vie d'un soldat exemplaire dans le respect et la défense des institutions démocratiques de la république.

Face à ce crime, il est également condamnable que, dans les années qui ont suivi, les commandants institutionnels n'aient pas honoré sa mémoire, sans aucune explication. Ce n'est qu'à la fin du gouvernement militaire que son nom a été progressivement mis en valeur. Sa figure a été politiquement justifiée par des secteurs qui ont défendu des positions opposées, ce qui a certainement influencé cette inaction institutionnelle.

Incorporation du personnel militaire dans les cabinets politiques

Suite à la grave crise politique, économique et sociale qui a commencé à se développer sous le gouvernement de l'Unité Populaire, le président Allende, pour tenter de renverser la situation, a nommé un cabinet comprenant des membres des forces armées, connu sous le nom de cabinet “civilo-militaire”. Quelques mois plus tard, il a mis en place un cabinet dit de “sécurité nationale” avec les commandants en chef institutionnels. Sa mission consistait essentiellement à contrôler les actions subversives en cours et à rétablir l'ordre public.

Avec cette décision présidentielle, soutenue par certains membres de l'Unidad Popular et contestée par d'autres, les forces armées, une fois de plus dans l'histoire du pays, ont été reconnues comme garantes de la normalité institutionnelle, ce qui n'était rien d'autre que la confirmation du rôle latent susmentionné, puisqu'avec cette mesure, elles étaient à nouveau impliquées dans la situation politique, après 40 ans d'exercice strictement militaire et de marginalisation par rapport à la politique contingente.

Cependant, l'implication des forces armées n'était pas seulement de nature ministérielle, puisqu'elle s'étendait également aux entreprises d'État. En effet, dans une quarantaine d'organismes, tels que la CORFO [Corporación de Fomento de la Producción, Société de promotion de la production], la Commission de l'énergie nucléaire et d'autres, il y avait une représentation militaire [...].

La participation militaire au gouvernement de l'Unité Populaire a eu deux lectures au sein de l'institution militaire : l'une qui donne un rôle délibératif aux forces armées en plaçant les commandants en chef et les officiers généraux dans des fonctions ministérielles, et l'autre qui prouve la subordination militaire à l'Exécutif, dans ce cas précis pour éviter la confrontation violente résultant des grèves et pour garantir des élections normales en mars 1973, afin de respecter l'institutionnalité.


Le “Tanquetazo”

En juin 1973 se déroule l'épisode connu sous le nom de “Tanquetazo”, un soulèvement du 2e  Régiment blindé, une unité dans laquelle il y avait du mécontentement, en particulier parmi ses jeunes officiers, qui avaient des contacts avec des civils de Patria y Libertad, un groupe d'extrême droite qui incitait à un soulèvement militaire. La situation a été maîtrisée par le général Prats et les protagonistes de ce mouvement ont été accusés de soulèvement et de manquement aux devoirs militaires. Une fois de plus, un groupe de militaires a été instrumentalisé par des mouvements politiques qui cherchaient à s'imposer par les armes. Une fois de plus, l'ethos militaire a été dépassé par des événements politiques extérieurs à l'institution.

Il est très important de souligner la position du général Prats dans la période turbulente qui a suivi l'assassinat du général Schneider et sa confirmation dans ses fonctions par le président Salvador Allende.

Le général Prats publia un document intitulé “Définition doctrinaire institutionnelle”, dans lequel il soulignait, entre autres, ce qui suit :

« (...) La fonction de l'armée est exclusivement professionnelle ; c'est la même que celle fermement maintenue dans le passé, ratifiée par le général Schneider dans les moments critiques des événements nationaux et confirmée par le commandant en chef soussigné depuis qu'il a pris ses fonctions ».

Plan de régulation de l'organisation de l'armée en temps de paix

Pendant son commandement, le général Prats a entrepris diverses actions pour améliorer la cohésion spirituelle et l'endoctrinement du personnel de l'armée, par le biais d'un programme de visites aux unités dans tout le pays, expliquant la pensée institutionnelle et profitant de l'occasion pour s'informer sur le moral et les besoins les plus urgents du personnel.

Parallèlement, il se concentre sur la réalisation du “Plan de régulation de l'organisation de l'armée en temps de paix”, basé sur le “Plan d'acquisitions” élaboré par le général Schneider, dont l'objectif est d'accroître les capacités opérationnelles de l'armée en la dotant d'équipements modernes.

Il se préoccupe aussi particulièrement de l'égalisation des salaires des militaires avec ceux des autres institutions des forces armées. Il promeut la réforme constitutionnelle de l'article 22 qui établit que les forces armées sont “professionnelles, disciplinées, hiérarchisées, obéissantes et non délibératives”, approuvée le 9 janvier 1971.

Prats propose au gouvernement une loi accordant le droit de vote aux sous-officiers des forces armées de la nation, qui est adoptée en 1972. Il a promu la loi 17.798, qui établissait le type d'armes devant faire l'objet d'un contrôle, les sanctions pour la création et le fonctionnement de milices armées, la possession ou le port d'armes interdites, et l'entrée non autorisée dans les locaux militaires et policiers, entre autres. Cette initiative juridique n'a jamais abouti, compte tenu de la polarisation du pays.

La Chambre des députés en appelle aux forces armées

Face à la crise qui sévit, le 22 août 1973, la Chambre des députés lance un appel à l'implication des forces armées dans la crise politique. Cet appel d'une fraction du Congrès réaffirme le rôle latent attribué aux Forces armées que nous avons défendu.

Comme on peut le constater, les institutions armées ont été confrontées en 1973 à deux situations extrêmement critiques qui allaient marquer l'avenir, principalement celui de l'Armée.

Ces convulsions atteignent l'institution elle-même, qui est affectée par les bouleversements sociaux que connaît le pays. Celles-ci sont accentuées par des événements tels que la manifestation des femmes d'officiers devant le domicile du commandant en chef, qui aboutit finalement à sa démission pour éviter les divisions internes.

La crise politique, économique, sociale et institutionnelle de la période 1970-1973 a conduit les forces armées à prendre une décision extrême, sans précédent au cours du siècle, qui a consisté à déposer le président de la République et à prendre en charge le gouvernement du pays, autrement dit à réaliser un coup d'État (pronunciamiento militaire).

Les droits humains sous le gouvernement civilo-militaire (1973-1990)

Le 11 septembre 1973, le haut commandement des forces armées et des forces de sécurité décide de réaliser un coup d'État contre le gouvernement du président Salvador Allende et de prendre la direction du pays en raison de la grave crise qui s'est déclenchée. Cette étape historique, dont les répercussions se font encore sentir aujourd'hui, marque le début d'une nouvelle étape institutionnelle en matière de doctrine militaire et de droits humains.

Ce contexte exceptionnel a obligé les membres de l'armée à concentrer leurs années de formation et leurs valeurs sur des activités inédites et diverses, le tout dans une atmosphère nationale de grande tension et de polarisation. L'armée a dû déployer son personnel pour couvrir toutes les fonctions requises, des plus hautes charges aux tâches les plus simples, en recourant même à l'utilisation de réservistes dans les premiers temps. Certains ont été affectés à des tâches gouvernementales, d'autres ont été commissionnés pour des activités de renseignement national ou politique (non militaire), et un troisième groupe, la majorité, a poursuivi ses tâches militaires de routine.

Ce compte rendu ne tente pas d'analyser au cas par cas ce qui s'est passé, mais plutôt de mettre en lumière les événements qui ont remis en question - et dans de nombreux cas violé - certains préceptes moraux, individuels et institutionnels et les principes de la responsabilité militaire.

L'auto-exil du général Prats

Le 15 septembre 1973, à l'aube, l'ancien commandant en chef de l'armée, le général Carlos Prats, a été transporté à Portillo à bord d'un hélicoptère Puma. Ensuite, dans sa voiture privée et escorté par une patrouille militaire, il est arrivé à Caracoles où, après avoir accompli les formalités douanières correspondantes et pris congé de l'escorte, il a remis une lettre adressée au général Augusto Pinochet, dont les principaux paragraphes indiquaient : « L'avenir dira qui s'est trompé. Si ce que vous avez fait apporte le bien-être général au pays et que le peuple sent réellement qu'une véritable justice sociale est imposée, je me réjouirai d'avoir eu tort de chercher si ardemment une solution politique pour éviter le coup d'État. Je vous suis reconnaissant pour les facilités que vous m'avez accordées pour me permettre de quitter le pays ».

Les exigences imposées à un officier général ou supérieur dépassent de loin celles imposées à ses subordonnés. Sa responsabilité est très élevée, car une décision ordonnant à un subordonné d'effectuer une tâche peut modifier l'interprétation de la valeur de ce dernier. En effet, l'exercice d'une valeur dans des circonstances extrêmes peut être soumis à un certain degré d'interprétation.

Un élément fondamental du maintien de la discipline militaire est que les ordres donnés par un supérieur doivent être légaux, d'où l'impératif qu'ils soient exécutés par les subordonnés. L'ordonnance générale de l'armée précise que la discipline dans les relations entre militaires n'est pas un acte de soumission, mais au contraire un acte de réflexion profonde, par lequel les subordonnés abandonnent une partie de leur liberté d'action pour permettre à un commandant d'accomplir une mission dans le cadre d'un code légal, réglementaire et professionnel. Un subordonné est donc obligé d'obéir aux ordres émanant d'un supérieur, bien qu'il soit doté de la capacité de représenter à ses supérieurs les conséquences d'ordres incorrects, illégaux ou injustes.

Dans les pages du livre Ejército de Chile : Un recorrido por su historia, il est clairement et explicitement indiqué : « Les violations des droits de l'homme qui se sont produites au cours de cette période et auxquelles ont participé des membres de l'armée - qu'elles soient la conséquence d'actes dérivés de l'obéissance due, d'un usage disproportionné de la force, d'excès individuels ou d'actions fortuites - ont été une blessure profonde infligée au devoir militaire ».

 

La Caravane de la mort

L'un des épisodes les plus condamnables en matière de droits humains sous le gouvernement militaire a été la visite du général Sergio Arellano Stark et de sa suite dans différentes garnisons du nord et du sud du pays en octobre 1973, dans le but supposé de “réviser et d'accélérer les procès” des prisonniers politiques. Cette expédition, connue à ce jour sous le nom de “Caravane de la mort” a laissé derrière elle la trace douloureuse d'exécutions massives, de dizaines d'individus sortis des prisons, sommairement abattus, sans avoir bénéficié du droit à une procédure régulière. La mission de ce général peut être décrite comme une tâche parfaitement planifiée depuis Santiago, exécutée selon un programme identique dans chaque ville, avec un comportement très indiscipliné de ses membres pour intimider le personnel subordonné dans les unités et pour donner des conseils voilés et déguisés sur le terrain sur la manière de procéder avec l'“adversaire”.

Le général responsable, agissant en sa qualité de “délégué du commandant en chef de l'armée”, s'est délibérément tenu à l'écart des lieux des fusillades, distrayant les commandants de régiment dans des activités sans importance, tandis que des membres de son entourage sortaient des personnes des prisons et les abattaient ou ordonnaient à des membres de l'unité de le faire, impliquant intentionnellement le personnel du régiment dans de fausses cours martiales.

Les faits et le dossier judiciaire confirment que la mission du général Arellano était d'accélérer les procédures dans les lieux où les commandants auraient fait preuve de faiblesse après le 11 septembre 1973 (“commandants pusillanimes”, selon ses propres termes). Mais sur le plan juridique, cela n'était pas possible, car la délégation ne comptait pas de conseiller juridique dans ses rangs. Dans cette situation dramatique, les capitaines, lieutenants et sous-officiers n'avaient d'autre choix que d'exécuter les ordres de leurs supérieurs sous la menace d’être déférés cour martiale.

Il ne faut pas oublier que le haut commandement de l'époque avait déclaré, par le décret-loi n° 5 du 12 septembre 1973, que l'état de siège décrété pour cause de troubles intérieurs, compte tenu des circonstances que connaissait le pays, devait être considéré comme un “état ou temps de guerre” aux fins de l'application des sanctions prévues par le code de justice militaire et d'autres lois pénales, ce qui signifiait que le non-respect des ordres par les militaires pouvait constituer un motif suffisant pour être fusillé.

Lors d'une confrontation entre le général Arellano et le capitaine Patricio Díaz au sujet des exécutions à Copiapó, le général nie catégoriquement avoir ordonné l'exécution de prisonniers politiques, tandis que le capitaine déclare que "...la raison qui me pousse le plus à dire que le major Haag (commandant du régiment d'Atacama à Copiapó) exécutait des ordres supérieurs est que les 16 exécutions à Copiapó ont eu lieu exactement pendant la période de séjour de mon général Arellano et de sa suite dans la garnison. En complément de ce qui a été dit, je tiens à préciser que ni avant ni après la présence de mon général Arellano à Copiapó, aucun détenu n'a été exécuté...» Ce qui précède confirme clairement que sa tournée dans chacune des villes où des meurtres ont été commis a été le résultat d'un ordre exprès de cette autorité.

Le statut du général Arellano en tant que “délégué du commandant en chef de l'armée” lors de cette tournée a été très important et décisif pour les résolutions adoptées, car il représentait en sa personne l'autorité du commandant en chef de l'armée devant les commandants militaires qui le recevaient dans les différentes garnisons.

 Cette délégation implique une grande responsabilité de la part de celui qui transmet ce pouvoir à un subordonné, en l'occurrence le général Pinochet, et de la part de celui qui le reçoit de l'utiliser avec le plus grand jugement, la plus grande responsabilité et la plus grande justice, le général Arellano.

On peut donc en déduire qu'il y a eu un comportement antérieur visant à susciter la peur et à impliquer les membres de toutes les unités visitées, en leur confiant la responsabilité de se confronter aux parents des personnes touchées et en laissant ainsi les jeunes officiers et sous-officiers de ces régiments comme la face visible des exécutions.

Les actions du général Arellano étaient absolument contraires à l'honneur militaire. En outre, il n'avait aucune considération pour ses subordonnés, ce que confirme la déclaration du juge Juan Guzmán Tapia lui-même, chargé de l'enquête judiciaire sur ces crimes, lorsqu'il raconte ce qui s'est passé à Copiapó en réponse à un ordre donné par le général Arellano, (...) « cependant, les deux sous-lieutenants ont représenté l'ordre, c'est-à-dire qu'ils se sont opposés à son exécution. Nonobstant, une fois l'ordre représenté, ils ont de nouveau été contraints de s'y conformer, car s'ils ne le faisaient pas, ils seraient jugés militairement pour les crimes de trahison et d'insubordination, crimes perpétrés “en temps de guerre” et passibles de la peine de mort » (...). Il en découle que le général susmentionné n'était pas responsable des conséquences de ses actes. Quant aux officiers chargés d'exécuter les ordres, ils ont tous deux été poursuivis et purgent actuellement leur peine à Colina I. Ainsi, Arellano n'a jamais répondu de ce qui s'est passé sous son commandement, ce qui lui a valu la répudiation des personnes concernées et de toute l'institution.

En résumé, ces événements dramatiques ont causé des dommages irréversibles à la population en raison des condamnations à mort arbitraires sans procédure régulière, ordonnées par un général de l'armée, et une grave atteinte à l'image de l'institution militaire, certains de ses membres ayant été contraints de tirer sur des civils sous la menace de la mort, alors même que certains d'entre eux purgeaient déjà des peines.

Enfin, il est important de mentionner que le type d'ordres que le général Arellano a reçu du commandant en chef de l'armée n'a jamais été clarifié ; en revanche, ses performances lui ont valu une promotion au sein de l'institution, par résolution du commandant en chef.

Assassinat du général Prats

Outre les crimes de la Caravane de la mort et d'autres qui se sont produits, l'assassinat de l'ancien commandant en chef, le général Carlos Prats, et de son épouse, Sofía Cuthbert, qui a eu lieu en septembre 1974 dans la ville de Buenos Aires et dont certains membres de la DINA ont été tenus pour responsables, a été également un crime lâche, cruel et répréhensible, ainsi qu'une honte institutionnelle. Bien qu'il ait été perpétré par un organisme de sécurité n'appartenant pas à l'armée, la plupart des personnes condamnées par les tribunaux étaient des membres de l'institution.

Selon le dossier d'enquête, l'agent de la DINA Michael Townley, de nationalité usaméricaine, a placé un engin explosif dans la voiture de Prats et, le 30 septembre 1974, à 00h50, il l'a fait exploser à l'aide d'un dispositif télécommandé au moment où le couple rentrait chez lui, provoquant la mort instantanée des deux personnes.

Des années plus tard, le 5 juin 2009, le commandant en chef de l'armée, Óscar Izurieta, a fait une déclaration sur cette situation lors de l'inauguration du camp militaire de San Bernardo, [il a dit] à propos du général Carlos Prats : « ... l'armée chilienne, son commandant en chef et les milliers d'hommes et de femmes qui la composent, condamnent publiquement la bassesse de cette action et désavouent les auteurs d'un crime aussi ignoble, ainsi que les personnes indifférentes qui n'ont pas apporté leur réconfort et leur soutien aux filles d'un commandant en chef assassiné... ». Il a ajouté : « ... si la participation d'anciens militaires à ces deux crimes est confirmée par une sentence exécutoire, un acte du plus grand déshonneur aura été commis. De plus, si l'attentat contre la vie du général Prats est déjà une atteinte à l'honneur militaire, la mort de son épouse constitue un outrage à notre culture militaire et à la notion de famille à laquelle nous tenons tant... ».

Les détenus disparus

Les plus de 1 000 détenus qui ont disparu pendant le gouvernement militaire constituent l'une des pages les plus sombres des violations des droits humains au cours de cette période et représentent une plaie ouverte dans l'âme nationale.

Ne pas avoir remis les corps des victimes au moment de leur mort et ne pas l'avoir fait des années plus tard lorsque les enterrements ont été effectués dans des fosses clandestines dans le cadre d'une opération décidée par le commandant et approuvée par les commandants supérieurs de l'époque représente un grave affront à l'éthique militaire et un affront très douloureux pour les familles touchées.

C'est aussi, et à juste titre, l'un des facteurs les plus déterminants dans les accusations portées aujourd'hui encore contre l'armée par les différentes organisations de défense des droits humains.