Hugo
Aboites, La Jornada, 17/2/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Vicente Hugo Aboites Aguilar est
professeur et chercheur au département d’éducation et de communication de l’Universidad
Autónoma Metropolitana-Xochimilco (UAM-X). De 2014 à 2018, il a été recteur de
l’Université autonome de Mexico. Il est chroniqueur au journal La Jornada.
Auteur de plusieurs ouvrages, dont La medida de una nación : los primeros
años de la evaluación en México : historia de poder y resistencia (2012).
Il accompagne les luttes des enseignants et des étudiants depuis les années
1980.
Israël n’a pas réussi à vaincre le
Hamas, mais dans sa course folle à l’extermination du peuple palestinien, il
oblige le monde à vivre avec des niveaux de violence qui, jusqu’à récemment, n’étaient
réservés qu’aux États parias. Les actions militaires semblent même être
délibérément menées pour frapper la population civile. Une vidéo qui fait
actuellement le tour des médias sociaux montre Netanyahou il y a 20 ans, lors d’une
réunion, annonçant ce qui est aujourd’hui la réalité : « les Palestiniens
doivent être frappés durement », déclare-t-il devant le doute et l’étonnement
de ses auditeurs.
« Mais Israël serait critiqué par
tout le monde, par l’ONU », remarque une jeune femme. « Ce n’est pas
grave » ; « et par les USA », ajoute une autre. « Ils nous
soutiennent, la majorité (de la population) nous soutient », répond-il.
Maintenant que l’expérience est en cours, il est clair qu’elle a servi à
compliquer sérieusement le tableau, à délégitimer Israël et ses demandes et à
générer un ton global qui, comme jamais auparavant, favorise les solutions
violentes. Aujourd’hui, une douzaine de pays utilisent de plus en plus leur
puissance de feu respective.
Il y a un changement radical dans le
ton international auquel on ne peut plus répondre - comme le fait le
gouvernement mexicain - par des déclarations de neutralité libérale.
Avec 85 actions militaires en réponse
à la mort de trois de ses soldats qui faisaient partie d’un détachement
militaire hostile aux forces locales, la puissance militaire usaméricaine est
désormais l’un des discours prépondérants dans la région.
« Le bon ami du Mexique ». San Francisco Chronicle, 21/4/1914
Et aux USA, elle ravive des secteurs
très conservateurs et colore les relations avec d’autres pays, en particulier
le Mexique. Nous connaissons déjà, par exemple, l’initiative actuelle de
législateurs et même d’un candidat à la présidence de ce pays visant à
légaliser l’utilisation unilatérale de la force militaire au Mexique - drones,
missiles et bombardements - pour mettre fin à l’agression que sont censées
constituer des drogues comme le fentanyl.
Signe de l’intérêt que suscite le
sujet au-delà des législateurs, un document de source conservatrice usaméricaine
a récemment été publié, lequel, sur la base des expériences d’intervention
militaire contre le Mexique (depuis celles contre Huerta et Villa), fait une
analyse qui, sans aller jusqu’à affirmer qu’avec la législation actuelle le
gouvernement usaméricain pourrait mener une action de ce type, ne lui ferme pas
non plus définitivement la porte (Using
Force Against Mexican Drug Cartels: Domestic and International Law Issues).
Cet exemple montre que le climat belliciste ne s’arrête pas aux frontières et
ne se limite pas à des questions spécifiques.
D’autre part, à l’intérieur du
Mexique, tout semble indiquer que l’affaire Ayotzinapa ne sera pas
définitivement élucidée au cours de ce sexennat. Si tel est le cas, la demande
de solution sera alors confiées au prochain gouvernement, ce qui a une
implication historique et importante : que lorsque, pendant le mandat de six
ans de la présidente Sheibaum, militante universitaire et scientifique, on
célébrera en 2029 le 100e anniversaire de l’autonomie de l’UNAM (Université
nationale autonome du Mexique), il faudra se souvenir que cette
même date marquera aussi un siècle de répression meurtrière de l’État mexicain
contre les jeunes étudiant·es de ce pays, car c’était en 1929, à Santo Domingo,
qu’ont eu lieu les premiers passages à tabac et les premières charges violentes
des pompiers contre les assemblées, ainsi que les fusillades d’étudiants, qui
ont marqué depuis lors une politique d’État de fait qui a toujours été
particulièrement agressive contre les mobilisations et les revendications des
jeunes, jusqu’à la 4T ( Quatrième transformation).
Et depuis 1929, il n’y a pas eu un
seul sexennat au cours duquel des étudiants n’ont pas été battus, emprisonnés,
tués ou maintenus dans une situation de disparition non élucidée. Changer cela est
en soi crucial pour la transformation du pays et des relations de l’État avec
le secteur de l’éducation, mais aussi pour l’amélioration des relations à l’intérieur
et à l’extérieur de la société, c’est commencer à réduire la violence. Il ne
peut y avoir de transformation de l’éducation et de la société si nous ne commençons
pas par là. Un changement fondamental implique également une révision critique
des lois sur l’éducation qui contredisent directement - outre les droits du
travail des enseignants et des universitaires - les exigences du droit intégral
à l’éducation, gratuite et sans l’intervention d’agents privés à but lucratif
pour l’évaluation discriminatoire et partiale des institutions, des carrières,
des professeurs, des enseignants et des candidats.
Une révision qui laisse de côté l’insistance
sur la marchandisation des centres de recherche de l’enseignement supérieur,
des espaces qui sont le patrimoine public du pays et non une source et un
facteur de profit. En d’autres termes, le massacre d’élèves instituteurs d’Ayotzinapa
a été la réponse aux demandes populaires en matière d’éducation ; résoudre
cette affaire, c’est donc aussi faire un pas dans la transformation de fond de
l’éducation, qui se fait toujours attendre.
Allons-nous faire la guerre au Mexique ?
Tract de l’Union américaine contre le militarisme.
New York, 26 juin 1916
« On a dit que l’affrontement de Carrizal
était un simple incident et que le refus de Carranza d’autoriser les troupes
américaines à pénétrer plus avant dans le Mexique était en soi une cause de
guerre. L’HISTOIRE JUSTIFIERA PAS À CETTE
NATION d’entrer en guerre parce qu’une république voisine, ayant autorisé nos
troupes à pénétrer sur son territoire à la poursuite d’une bande de
hors-la-loi, a exigé que ces troupes n’aillent pas plus loin sur son territoire
après que la bande de hors-la-loi a été dispersée et que beaucoup d’entre eux ont
été tués.
Le fait que le Mexique soit
une petite nation [sic], déchirée par des révolutions récentes et qui traverse
actuellement une période de reconstruction, fait de notre respect scrupuleux de
ses droits une question d’honneur national. Nous pensons que si cette nation
choisit d’entrer en guerre plutôt que d’accepter l’offre de médiation faite par
les républiques latino-américaines et acceptée par le Mexique, ce sera une
tache dans l’histoire américaine. »