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24/11/2022

HAIDAR EID
Réflexions depuis Gaza après les élections israéliennes

 

Haidar Eid, Palestine Chronicle, 21/11/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Lorsque mes étudiants réfugiés me demandent ce que signifie “l’orientalisme”, je leur dis de regarder Israël. Les préjugés, les fantasmes et les clichés racistes véhiculés par le sionisme à propos des Palestiniens et des Arabes, ainsi que l’abus colonial de pouvoir et la domination d’une culture autoproclamée supérieure sur une autre.

Petit déjeuner à Gaza, par Antonio Rodríguez, Mexique

Comme le système inhumain de l’apartheid sud-africain avant lui, l’Israël de l’apartheid est incapable de comprendre la souffrance des Palestiniens et la nature de son oppression des habitants de Gaza. Cela fait partie de ce que le regretté Edward Said appelle “blâmer la victime”.

Rien ne justifie le vol des terres et des souvenirs intimes d’autres personnes. C’est un crime contre lhumanité : c’est immoral et contraire à l’éthique. C’est pourquoi le colonialisme de peuplement en Palestine doit être condamné. Il est temps que la communauté internationale déclare illégales toutes les organisations qui soutiennent les colonies et le colonialisme de peuplement en Palestine.

Dans son ouvrage révolutionnaire Politics of Dispossession, reprenant l’argument de Ghassan Kanafani dans Returning to Haifa, Edward Said écrit de manière très convaincante :

« La question à poser est de savoir combien de temps l’histoire de l’antisémitisme et de l’Holocauste en particulier peut être utilisée comme une barrière pour exempter Israël des arguments et des sanctions à son encontre pour son comportement envers les Palestiniens, arguments et sanctions qui ont été utilisés contre d’autres gouvernements répressifs, comme celui de l’Afrique du Sud. Combien de temps encore allons-nous nier que les cris de la population de Gaza sont directement liés aux politiques du gouvernement israélien et non aux cris des victimes du nazisme ? »

                                            Politics of Dispossession, p. 172

Il est révélateur de la mentalité israélienne officielle que le siège génocidaire de la bande de Gaza n’ait jamais semblé s’inscrire dans la stratégie globale de l’État juif. Et maintenant, nous avons Benjamin Netanyahou qui fait un retour triomphal avec ses alliés fascistes, Ben Gvir et Bezalel Smotrich. En ce qui concerne les Israéliens ou les fonctionnaires israéliens, Israël a retiré ses troupes et ses colons de Gaza en 2005, laissant Gaza libre.

Toutefois, il a conservé les clés des points de passage qui le séparent de Gaza et a laissé le dernier point de passage aux mains de ses alliés égyptiens. Pour les politiciens israéliens traditionnels, les Palestiniens de Gaza sont très ingrats parce qu’ils n’acceptent pas le blocus, qu’ils y résistent et qu’ils réclament leurs droits sanctionnés par la communauté internationale !

11/08/2022

HAIDAR EID
Pourquoi Gaza a besoin d'un nouveau paradigme

 Haidar Eid, Middle East Eye, 9/8/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

La situation stagne depuis 16 ans. Il est temps d'abandonner la coordination de la sécurité, la solution à deux États et l'amélioration des conditions d'oppression.

Des proches pleurent pendant les funérailles de quatre cousins palestiniens adolescents tués lors du dernier assaut israélien sur Gaza, à Jabalia, le 8 août 2022 (Reuters).

 Combien de fois l'histoire se répète-t-elle ? Une fois ? Deux fois ? Trois fois ? La réponse venant de la bande de Gaza brutalisée est : six fois en l'espace de 16 ans : 20062009201220142021; et 2022Et, hélas, elle s'est répétée sous la forme d'une horrible tragédie, grâce à l'Israël de l'apartheid qui nie l'humanité du peuple palestinien en général, et des Palestiniens de Gaza en particulier.

J'écris cet article le premier jour de la hudna, un cessez-le-feu négocié entre Israël et le mouvement de résistance palestinien - représenté cette fois par le Jihad islamique. Comme les années précédentes, Gaza vient d'être brutalement déshumanisée et diabolisée par l'Israël de l'apartheid.

Le véritable objectif non déclaré est de faire en sorte que la séparation entre Gaza et la Cisjordanie soit consolidée.

Mais certains masques hideux ont été changés. Au lieu d'Ehud Olmert et de Benjamin Netanyahou, Israël nous offre des visages plus « jolis », comme Yair Lapid.

Au lieu de « la femme fatale », Tzipi Livni, agitant  le doigt au Caire et menaçant les innocents de Gaza, nous avons le criminel de guerre Benny Gantz, qui a déjà été filmé en train de se vanter que sous son commandement en 2014, « certaines parties de Gaza ont été renvoyées à l'âge de pierre », et qu'il a tué « 1,364 [Gazaouis] ».

Des familles anéanties

Et ici, à Gaza, les visages que nous voyons sont les visages angéliques d'Alaa Qaddum, cinq ans, mort dans les bras de son grand-père ; et les frères Nijm du camp de réfugiés de Jabalia, qui ont été assassinés alors qu'ils jouaient dans le cimetière du camp ; et la famille Nabahin, trois frères et leur père, qui sortaient de la morgue de l'hôpital al-Shifa.

Il y a aussi Alaa Tahrawi, de Rafah, dont la famille n'a même pas pu lui faire ses adieux parce que son corps était pulvérisé en petits morceaux, et Khalil Abu Hamada, 19 ans, enfant unique de parents qui ont passé 15 ans à essayer de concevoir un enfant et dont la grand-mère est tombée martyre en 2003.

Des familles entières ont été décimées à Rafah et à Khan Younis. Le bilan de ces seuls derniers jours s'élève à 44 martyrs, dont 15 enfants. De toute évidence, les enfants, qui représentent environ 50 % de la population de Gaza, sont devenus la cible favorite d'Israël.

Comme si le temps avait décidé de s'arrêter, Gaza 2022, c’est Gaza 2021, 2014, 2012, 2009 et 2006.

Pourtant, les Palestiniens ont ce que le regretté Edward Said appelait « une supériorité morale », et notre victoire, en fin de compte, sera le résultat inévitable de notre fermeté, qui n'a pas faibli malgré le sentiment que nous avons été laissés à nous-mêmes.

La recherche du contrôle total

Lorsqu'Israël a attaqué Gaza pendant 22 jours consécutifs en 2009, il a clairement indiqué qu'il poursuivait trois objectifs, qu'il n'a pas réussi à atteindre, comme on pouvait s'y attendre : renverser le gouvernement du Hamas, mettre fin aux tirs de roquettes et rétablir les forces pro-Oslo à Gaza.

Il a répété le même scénario quatre fois, tout en maintenant un siège mortel et médiéval sur Gaza. Maintenant, en 2022, et sans aucune provocation, il a déclaré un "nouvel" objectif pour sa guerre barbare contre les enfants et les femmes de Gaza : se débarrasser du Jihad islamique.

Mais l'objectif réel, non déclaré, est de s'assurer que la division entre Gaza et la Cisjordanie est solidifiée et que la Palestine historique est sous son contrôle total. C'est ce que l'attaque de 2021 contre Gaza n'a pas réussi à faire. Au lieu de cela, elle a conduit à ce que nous appelons l'Intifada de l'unité.

Les habitants de Gaza sont résilients et déterminés, ce qui leur donne le droit, avec le reste du peuple palestinien de la diaspora, de la Cisjordanie et des territoires de 1948, de diriger la campagne internationale de boycott de l'apartheid israélien.

Notre seule revendication, à ce stade, est le boycott d'Israël sur le plan économique, politique et culturel. C'est le moins que la « communauté internationale » indifférente puisse faire pour se racheter de sa complicité dans les crimes commis par l'Israël de l'apartheid contre notre peuple.

Un Palestinien examine une maison endommagée dans la ville de Gaza, le 8 août 2022 (Reuters)

Quant aux Palestiniens, nous devons unifier nos rangs sur le terrain au sein d'un front national - un front qui tournera le dos aux vestiges de l'horrible époque d'Oslo et de la coordination de la sécurité, et qui déclarera le divorce avec toutes les propositions racistes, y compris la solution mort-née des deux États.

Nous devons dire clairement qu'il n'y a pas de place pour les normalisateurs parmi nous à partir de maintenant. Nous chasserons tous les normalisateurs - les cheikhs d'Abu Dhabi, de Manama et du Maroc - avec le sang de nos enfants.

Nous ne les autoriserons plus à s'asseoir avec nous tant qu'ils n'auront pas rompu leurs relations avec l'occupation et qu'ils n'auront pas cessé de blanchir son visage hideux : un visage taché du sang des enfants palestiniens, comme Alaa Qaddum, Hazem Khalid, et les enfants Nijm, Nabahin et Nairab.

Pourquoi Gaza ?

Pourquoi cibler Gaza en particulier ? Comme l'a écrit Said dans The Politics of Dispossession, « Gaza est le noyau essentiel du problème palestinien, un enfer surpeuplé sur terre composé en grande partie de réfugiés démunis, maltraités, opprimés et difficiles, toujours un centre de résistance et de lutte ».

C'est un rappel constant du péché colonial d'Israël : la Nakba, lorsque des bandes sionistes de colons européens ont décidé d'expulser les habitants de centaines de villes et villages palestiniens et de commettre des massacres. Les Palestiniens ont été chassés de chez eux dans des endroits tels que Gaza, qui ne représente qu'une infime partie de la Palestine historique.

Combien de Deir Yassin, de Qana, de Sharpeville, de My Lai, de Sétif et Guelma ce monde peut-il encore supporter ?

Cette fois, nous avons besoin d'un nouveau paradigme. Nous devons nous éloigner de la coordination sécuritaire, de la solution à deux États et de l'amélioration des conditions d'oppression. Après une nouvelle agression brutale, nous exigeons le catalogue complet des droits, afin de garantir la sécurité de nos enfants dans un État libre, laïc et démocratique.

 

10/07/2022

HAIDAR EID
Ghassan Kanafani et l'inépuisable dialectique

 Haidar Eid, Mondoweiss,  9/7/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le 8 juillet 2022 a marqué le 50e anniversaire de l'assassinat de Ghassan Kanafani, une figure dominante de la vie culturelle et politique palestinienne. Kanfani a été tué en 1972, lorsque des agents du Mossad israélien ont placé un engin explosif dans sa voiture, le tuant ainsi que sa nièce de 17 ans, Lamees.  Voici quelques réflexions sur son héritage durable.

 Ghassan Kanafani

La nécessité de lire la littérature palestinienne en général et la fiction de Ghassan Kanfani en particulier émane de l'importance d'écrire un récit qui soit distinctement palestinien. La plupart de la littérature palestinienne est ce que Barbara Harlow appellerait la "littérature de résistance" - un terme emprunté à Kanafani lui-même.

La question qui demeure est la suivante : que reste-t-il qui n'ait pas été écrit en arabe sur Kanafani ? Ou plutôt, peut-on écrire sur lui dans les conditions actuelles avec le même optimisme que celui qui a conduit le fondateur égyptien de la nouvelle arabe moderne, Youssuf Idriss, à nous demander de nous accrocher aux histoires de Kanafani comme nous nous accrochons à notre Coran ?

Autrement dit, quelle est la place de Kanafani sur la nouvelle scène intellectuelle après le retrait de la plupart des intellectuels « radicaux » ?

Qu'aurait-il fait, en tant qu' « intellectuel indigène » fanonien, s'il avait été encore en vie ? Comment l'auteur de Hommes au soleil aurait-il réagi si, dans les années 1990, on avait demandé à ces hommes éponymes d'arrêter de taper sur les murs du char d'assaut et de plaider plutôt pour des pourcentages supplémentaires de leur patrie ?

La relation entre la persécution inhumaine des Palestiniens et leurs idées et valeurs sociales a été puissamment exprimée sous forme narrative pour la première fois dans les romans de Kanafani. Une compréhension correcte de ses romans nécessite une compréhension du passé et du présent des Palestiniens. Le réalisme de Kanafani a la capacité non seulement de "refléter" la réalité, comme le dirait George Lukacs, mais aussi de faire entrer les lecteurs dans un nouvel ordre de perception et d'expérience. Ainsi, il ne se contente pas de défamiliariser la réalité, il l'affronte de front.

Des thèmes et des questions complexes reviennent tout au long des romans de Kanafani : l'exil, la mort et l'histoire. Ces questions sont d'ailleurs liées au rôle de Kanafani lui-même en tant qu'écrivain politiquement engagé, révélant la "faiblesse" de certains Palestiniens qui préfèrent la recherche de la sécurité matérielle à la lutte pour reconquérir leur terre (Des hommes au soleil). La responsabilité des dirigeants palestiniens dans le fait de laisser les Palestiniens suffoquer dans le monde marginal des camps de réfugiés démontre la prescience de Kanafani. Comme le note le critique palestinien Faisal Darraj, le monde des différents personnages palestiniens de Kanafani est un composite d'une relation poétique et organique avec la terre (L'Amant, Les Hommes au soleil et Tout ce qui vous reste). La séparation de la terre et la recherche de solutions individualistes conduisent les hommes au soleil à une mort indigne et tragique. En d'autres termes, Kanafani avait la capacité d'explorer la relation dialectique entre les réalités intérieures et extérieures des Palestiniens colonisés.

26/06/2022

HAIDAR EID
Quinze ans de blocus de Gaza : ouvrez les portes de notre prison maintenant

Haidar Eid, Aljazeera, 24/6/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Ils nous garderont emprisonnés sur cette bande de terre et continueront à nous étouffer lentement pendant encore 15 ou même 150 ans si le monde ne se réveille pas et ne dit pas « assez ».

Des enfants palestiniens agitent des drapeaux palestiniens alors qu'ils jouent dans les décombres de bâtiments détruits par un bombardement israélien, à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, le 19 juin 2021 [Said Khatib/ AFP].

Ce mois-ci, alors que le blocus dévastateur de la bande de Gaza entrait officiellement dans sa 15e  année, j'ai relu le reportage explosif de David Rose, The Gaza Bombshell, pour me rappeler (comme s'il était possible d'oublier) comment les USA et Israël ont collaboré pour transformer ma patrie en ce que même les ONG les plus installées décrivent comme « la plus grande prison à ciel ouvert du monde ».

 L'histoire, aussi choquante qu'elle puisse être, est assez simple. Au début de 2006, l'administration Bush aux USA a gentiment « invité » la population de Gaza à se rendre aux urnes pour élire ses représentants lors d'une élection du conseil législatif. Alors que les Palestiniens de Gaza pensaient, comme il est d'usage dans les élections démocratiques, qu'ils devaient voter pour les candidats qui, selon eux, représenteraient le mieux leurs intérêts, ce ne fut pas le cas - Washington voulait que nous votions plutôt en fonction de ses intérêts, et de ceux d'Israël.

 Les Palestiniens ont donc fini par faire le « mauvais » choix, du moins aux yeux de nos oppresseurs coloniaux. Et nous avons été sévèrement punis pour cette « erreur » au cours des 15 dernières années.

 Le blocus mortel qui nous a été imposé pour avoir élu le Hamas a transformé Gaza non seulement en une prison à ciel ouvert, mais aussi en un camp de concentration : dans cette enclave autrefois belle, deux millions de personnes, dont près de la moitié sont des enfants de moins de 15 ans, tentent aujourd'hui désespérément de survivre sans approvisionnement sûr en eau, en nourriture, en électricité et en médicaments, en violation flagrante du droit humanitaire international consacré par les conventions de Genève.

 Au cours des 15 dernières années, alors que nous étions soumis à ce siège médiéval qui a fait de nous des prisonniers dans notre propre patrie, nous avons également subi quatre guerres génocidaires. Plus de 4 000 civils, dont de nombreux enfants, ont péri sous les bombardements israéliens, pour le seul crime d'être nés à Gaza.

17/06/2022

HAIDAR EID
Écrire notre propre histoire : note de lecture de The Stone House, de Yara Hawari

Haidar Eid, Mondoweiss, 16/6/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

"The Stone House" de Yara Hawari est l'histoire d'un traumatisme palestinien sans fin, enraciné dans la Nakba. Mais c'est aussi un témoignage de fermeté, de résistance et,  j'ose le dire, d'espoir.

Bâtiments dépeuplés dans le village de Lifta, à l'ouest de Jérusalem, le 6 mars 2022. Le village de Lifta, qui se trouve juste à l'extérieur de Jérusalem, est abandonné depuis que l'armée israélienne a chassé les derniers de ses habitants palestiniens en 1948. Photo : Wajed Nobani/APA Images

THE STONE HOUSE
par Yara Hawari
96 pages. Hajar Press, 12,50 £.

Il se trouve que je donnais mes derniers cours de critique littéraire, où je discutais avec mes étudiants de termes littéraires tels que le réalisme et la question de savoir si la littérature peut le transcender et aller «  au-delà du réalisme « , pour ainsi dire, lorsque j'ai commencé à lire la " novella "[roman court] de Yara Hawari, The Stone House. Mais s'agit-il d'une novella, c'est-à-dire d'un genre littéraire qui fictionnalise la réalité ? Il est rare que je finisse de lire une fiction d'une traite, mais ce livre était une exception.

Dans mon autre cours sur le genre, nous lisons des textes palestiniens et sud-africains, de Ghassan Kanafani et Njabulo Ndebele, où nous discutons de l'histoire du point de vue du colonisé et de la manière dont elle offre une alternative à l'histoire officielle, c'est-à-dire à la version plus dominante du colonisateur. Nous comparons ensuite l'histoire de la Palestine et de l'Afrique du Sud et concluons que l'apartheid et le sionisme ont tous deux créé un récit historique dominant qui cherche à éliminer tous les autres récits.

C'est pourquoi j'ai trouvé la (non-)fiction de Yara étonnante ! Écrit/narré du point de vue de trois "personnages" représentant trois générations de Palestiniens des années 1920 et 1930, puis de 1948 (la génération de la Nakba) et enfin de 1968, après la Naksa, lorsque toute la Palestine historique est tombée aux mains des troupes sionistes.  Le centre de la nouvelle, étant une histoire palestinienne, est bien sûr la Nakba et son impact sur le père, la grand-mère et l'arrière-grand-mère de Yara, racontée sur un ton mélancolique. En fait, étant moi-même Palestinien, je dirais certainement que c'est l'histoire de ma propre famille qui m'a été racontée par ma mère et ma grand-mère sous la forme de hekaya, de contes, notre forme d'histoire orale qui a maintenu notre récit en vie malgré toutes les tentatives des puissances plus hégémoniques de l'effacer. Dans la nouvelle de Yara, elle est parfois racontée de manière directe, et parfois sous forme de flux de conscience, personnel et collectif.

Mahmoud, le père de Yara, se voit consacrer le premier chapitre pour nous faire part de l'impact direct de la Nakba sur sa vie, même s'il est né quelques années après. Mahmoud est un citoyen palestinien de seconde classe en Israël, vivant sous le coup des lois racistes d'Israël, un "absent présent", un rappel constant du péché originel d'Israël, à savoir le nettoyage ethnique de la Palestine, et il doit en payer le prix fort.

Le deuxième chapitre est raconté par sa mère, Dheeba, une femme bédouine courageuse et éloquente, mariée à un fellah (agriculteur/paysan) et qui doit faire face à ce fait en plus d'être Palestinienne. Bien que Dheeba soit analphabète, le social et le politique sont abordés de manière fascinante à travers sa conscience.

Le troisième chapitre est consacré à Hamda, l'arrière-grand-mère de Yara, qui nous ramène au début du siècle, lorsque la Palestine était d'abord sous occupation ottomane, puis sous le colonialisme britannique, naïvement bien accueilli par les Palestiniens sur la base d'une fausse promesse de liberté.

Ce qui relie les trois personnages, et le reste du peuple palestinien, c'est la Nakba. Edward Said l'a très bien exprimé dans After the Last Sky, où il voit une ligne entre la vie personnelle de chaque Palestinien et la Nakba. Le thème de presque tous les écrits de Ghassan Kanafani tourne autour de cet événement horrible. La plupart des poèmes de Mahmoud Darwish portent sur l'identité palestinienne après la Nakba. Et Handala de Naji Al Ali est le fils de la Nakba. Le livre de Yara ne fait pas exception.

... [Mahmoud] a découvert que les récits de la Catastrophe se posaient lourdement et douloureusement dans son esprit. Il pouvait les imaginer de manière très vive, avec angoisse, comme s'il s'agissait de ses propres souvenirs. Ils éclipsaient le présent et brouillaient les distinctions dans le temps et entre les générations.

Comme si Yara décrivait mes propres sentiments !

C'est l'histoire de hekayas personnelles, d'un traumatisme sans fin, dont le centre est la Nakba. Mais en même temps, c'est une exposition de Sumud/résistance, muqawama/résistance, Thaakera/mémoire, Hawiyya/identité et... j'ose dire, d'ESPOIR !

C'est pourquoi j'ai décidé de conclure cette note par une citation de Patrice Lumumba, le premier Premier ministre démocratiquement élu de la République démocratique du Congo. :

   « Un jour, l’histoire aura son mot à dire, mais ce ne sera pas l'histoire qu'on enseigne à l’ONU, à Washington, Paris ou Bruxelles [ou Tel Aviv], mais l'histoire qu’on enseignera dans le pays libéré du colonialisme et de ses marionnettes.

    L'Afrique [la Palestine] écrira sa propre histoire et ce sera une histoire de gloire et de dignité ».

 

 

 

14/06/2022

HAIDAR EID
Une chanson pour le BDS

Haidar Eid, Mondoweiss, 14/6/2022

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Des militants de Gaza retravaillent une chanson classique de la résistance palestinienne de la première Intifada pour l'adapter au mouvement BDS d'aujourd'hui.

À la mémoire de Samah Idriss(1961-2021), militant BDS et intellectuel révolutionnaire engagé

Un an s'est écoulé depuis le bombardement aérien brutal de Gaza par Israël, au cours duquel des centaines de civils palestiniens, dont des femmes et des enfants, ont été brutalement tués par la machine de guerre israélienne. À l'époque, la société civile de Gaza a publié une déclaration appelant les partisans internationaux à intensifier les campagnes BDS afin d'isoler le régime d'oppression meurtrier d'Israël. Cette chanson était censée être publiée dans le cadre des activités de la semaine de l'apartheid israélien l'année dernière, mais en raison de la propagation de Covid-19 et de l'attaque israélienne, elle n'a pas vu le jour.

 A poster being used to promote 2022 Israel Apartheid Week in Gaza.

Affiche de promotion de la Semaine contre l'apartheid israélien 2022 à Gaza

Il s'agit d'une chanson appelant au boycott de l'Israël de l'apartheid, et énonçant les demandes du peuple palestinien, qui se trouvent être celles du mouvement BDS : « Nous voulons la liberté et le retour ». Elle poursuit en célébrant la culture du boycott de « Haïfa (1948) à la Cisjordanie (1967) ». C'est le « tison » désiré qui doit être « allumé » et le « fruit de l'arbre qui doit être arrosé par la pluie à venir pour raconter l'histoire des héros révolutionnaires aux grandes idées ».

Les paroles sont basées sur une chanson interprétée par le grand chanteur palestinien Walid Abdussalam et écrite par le poète palestinien Yacoub Ismail pendant la première Intifada, que nous avons humblement modifiée afin de l'adapter aux exigences du BDS. La chanson originale était une chanson folklorique pour enfants, mais avec une dimension révolutionnaire qui incluait un appel à la grève générale et à la désobéissance civile. L'objectif de notre nouvelle version est de capturer l'essence de l'activisme BDS et de l'exprimer avec éloquence. Nous dédions ce texte à notre camarade Samah Idriss qui l'aurait célébré et dont l'esprit vole avec nous dans le ciel de Gaza, en Palestine.

BDS...BDS

Aujourd'hui et demain...BDS

Haïfa et la Cisjordanie...BDS

Nous avons des droits légitimes

Retour et liberté

La liberté vient par la révolution

Mais la révolution a besoin d'une étincelle

Cette étincelle est fournie par le boulanger

Mais le boulanger dort affamé

Et le boulanger affamé a besoin d'un fruit

Ce fruit est sur l'arbre

L'arbre doit être arrosé

Soit par l'eau de source, soit par la pluie.

La pluie arrive

Avec une histoire à raconter

Sur les héros révolutionnaires

Qui ont l'étincelle

Pour enflammer la révolution

Avec de grandes idées

Des idées... des idées

Qui apporteront un nouveau jour

HAIDAR EID
A song for BDS

Haidar Eid, Mondoweiss, 14/6/2022

Activists in Gaza rework a classic Palestinian resistance song from the first intifada to fit the BDS movement today.

Dedicated to the memory of the late BDS activist and engaged, revolutionary intellectual Samah Idriss (1961-2021)

It’s been a year since Israel’s brutal aerial bombardment of Gaza, in which hundreds of Palestinian civilians, including women and children, were brutally killed by Israel’s war machine. At the time, Gaza-based civil society issued a statement calling on international supporters to escalate BDS campaigns to isolate apartheid Israel’s murderous regime of oppression. This song was supposed to be released as part of the Israeli Apartheid Week activities last year, but due to the spread of Covid-19 and the Israeli attack, it didn’t see the light of day.

 A poster being used to promote 2022 Israel Apartheid Week in Gaza.

A poster being used to promote 2022 Israel Apartheid Week in Gaza

It is a song calling for the boycott of apartheid Israel, and states the demands of the Palestinian people, which happen to be those of the BDS movement: “we want freedom and return.” It goes on to celebrate the culture of boycott from “Haifa (1948) to the West Bank (1967.)” That is the desired “firebrand” that needs to be “ignited” and the “fruit of the tree that needs to be watered by the coming rain to tell the tale of revolutionary heroes with grand ideas.”

The lyrics are based on a song performed by the great Palestinian singer Walid Abdussalam and written by Palestinian poet Yacoub Ismail during the first intifada, which we have humbly modified in order to adapt it to BDS demands. The original song was a folkloric song for kids, but with a revolutionary dimension which included a call for general strikes and civil disobedience. The aim of our new version is to capture the essence of BDS activism and eloquently articulate them. We dedicate this to our late comrade Samah Idriss who would have celebrated it and whose spirit is flying with us in the skies of Gaza, Palestine.

 

BDS…BDS

Today and tomorrow…BDS

Haifa and the West Bank…BDS

We have legitimate rights

Return and Freedom

Freedom comes through revolution

But the revolution needs a spark

That spark is provided by the baker

But the baker is sleeping hungry

And the hungry baker needs a fruit

That fruit is on the tree

The tree has to be watered

By either spring water or rain

The rain is coming

With a tale to tell

About revolutionary heroes

Who have the spark

To ignite the revolution

With grand ideas

Ideas…ideas

That will bring a new day

14/05/2022

HAIDAR EID
Vous ne pouvez pas comprendre pourquoi Israël a tué Shireen Abu Akleh sans comprendre le sionisme


 Haidar Eid, Mondoweiss, 13/5/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Les Palestiniens savent trop bien ce que signifie le sionisme, après avoir vécu avec les conséquences mortelles de cette idéologie raciste.


 Pourquoi ont-ils tué Shireen Abu Akleh ? Telle était la question soulevée dans ma classe Texte et idéologie le jour où l'Israël de l'apartheid a décidé d'assassiner la correspondante d'Al Jazeera en Palestine, Shireen Abu Akleh, en plein jour. Nous étions encore sous le choc et incrédules face à ce qui s'était passé. Mais nous devions répondre à la question posée dans mon cours, qui portait sur le rôle de l'idéologie dans la formation de la conscience humaine. Nous avions déjà abordé plus de sept définitions du terme, allant du marxisme orthodoxe et du néo-marxisme au structuralisme et au post-structuralisme, et plus encore. De toute évidence, nous devions également aborder la question de la relation entre le langage et le pouvoir, c'est-à-dire le discours. Les réponses proposées par mes étudiants allaient, entre autres, de « Israël voulait se débarrasser de Shireen parce qu'elle couvrait ce qui se passait réellement sur le terrain » à « Israël nous déteste » en passant par « l'Israël de l'apartheid veut simplement faire comprendre à tous les Palestiniens qu'il peut faire ce qu'il veut, même à des journalistes connus »,

 

Mais, alors, nous devions essayer d'entrer dans l'esprit du sniper israélien qui a tiré cette balle fatale afin de comprendre l'effet d'une idéologie sectaire et hégémonique sur la conscience humaine. Mes étudiants sont de genres différents et viennent de milieux différents, mais ils ont tous affirmé qu'il était impossible d'affirmer que le crime n'était pas prémédité. Mais nous devions encore discuter du cadre idéologique dans lequel les forces d'occupation israéliennes fonctionnent. Pour cela, nous devions faire la différence entre un mélange d'une approche biologico-religieuse de l'idéologie et d'une approche libérale-humaniste, cette dernière étant ce que l'Occident est convaincu qu’est le régime israélien, et qui est aussi l'image de propagande que l'État juif diffuse au niveau international. Il suffit de regarder la façon dont les grands médias occidentaux ont couvert le meurtre d'Abu Akleh : soit ils ont complètement adopté le récit israélien, soit ils ont simplement joué les imbéciles en demandant une enquête israélienne sur la question !

 

Mais ce n'est pas ce que nous, Palestiniens, y compris tous mes étudiants, pensons. Nous savons que la réponse à cette question réside dans le sionisme.

 

Le sionisme est incontestablement une idéologie d'exclusion qui incarne une forme de fanatisme ethno-religieux. Ainsi, pour répondre à la question soulevée au début du cours, nous devions comprendre, ou plutôt aborder, cette idéologie hégémonique dans l'Israël de l'apartheid et comment elle a réussi, avec succès -nous l’avons admis-, à amener ses zélotes à ne pas voir  l'humanité des Palestiniens autochtones. Le sionisme est l'idéologie motrice d'un mouvement colonialiste qui a colonisé la Palestine par la force, avec la volonté de coloniser le pays et avec d'éventuelles ambitions expansionnistes. Il est devenu l'idéologie officielle et dominante de l'État d'Israël et s'appuie fortement sur l'idée que les Juifs constituent une nation qui a un droit divin à la « terre promise » aux dépens des Palestiniens autochtones.

 

En tant que Palestiniens, nous savons trop bien ce que signifie le sionisme et comment il a réussi à ruiner la conscience de tant de personnes en Israël, de la même manière que l'apartheid a détruit l'esprit de nombreux Sud-Africains blancs. L'histoire nous fournit d'autres exemples flagrants de sectarisme inhumain en Europe et en Amérique il y a à peine 70-80 ans.

 

Mes élèves et moi ne sommes pas nés de mères juives et nous ne sommes pas des locuteurs natifs de l'hébreu, de l'anglais ou de toute autre langue européenne. Nous sommes biologiquement différents des Juifs ashkénazes - nous appartenons à une race différente et, par conséquent, nous ne sommes pas considérés comme aussi intelligents que les Occidentaux blancs. Ces Occidentaux pensent que notre culture est arriérée ou, pour le dire autrement, que notre humanité n'est pas au même niveau que la leur.

 

La question soulevée par l'un des étudiants était donc de savoir « si le tireur d'élite qui a abattu Shireen a dîné avec sa famille ce soir-là après l'avoir abattue, et s'il s'est endormi dès qu'il a posé sa tête sur l'oreiller ? » La plupart des élèves, sinon tous, ont estimé que c'était possible car, comme l'a dit l'un d'eux, « regrette-t-on de tuer un insecte ? »

 

Au final, nous avons convenu que le tireur a probablement bien dormi cette nuit-là. Et une raison majeure à cela est l'idéologie. Une raison majeure est le sionisme.

 

Repose en paix, Shireen Abu Akleh

 

NdT

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