المقالات بلغتها الأصلية Originaux Originals Originales

Affichage des articles dont le libellé est Shin Bet. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Shin Bet. Afficher tous les articles

13/06/2025

YOSSI MELMAN
L’Opération “Colère de Dieu” revisitée : comment l’Europe a permis au Mossad de mener une campagne secrète d’assassinats après Munich

Une auteure ayant eu un accès sans précédent à des archives secrètes révèle comment les agences de renseignement occidentales ont aidé le Mossad à mener une campagne secrète d’assassinats à travers l’Europe.

Yossi Melman, Haaretz, 14/5/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala 


Un tireur palestinien masqué sur un balcon de la Cité olympique de Munich, le 5 septembre 1972. Un mois plus tard, le Mossad lance l’opération “Colère de Dieu” pour traquer les responsables du massacre. Photo Kurt Strumpf/AP

Dans la soirée du 16 octobre 1972, Wael Zwaiter termine son travail à l’ambassade de Libye à Rome, se rend dans un bar voisin, boit un verre et rentre à son appartement. À l’entrée de l’immeuble, deux assaillants l’attendent. Ils lui tirent dessus à 11 reprises, un chiffre symbolique qui fait écho aux 11 athlètes israéliens assassinés par des terroristes palestiniens lors des Jeux olympiques de Munich, un mois plus tôt.

Il s’agissait du premier assassinat de ce qui est devenu l’opération “Colère de Dieu”, la campagne secrète menée par Israël pour traquer les “terroristes” palestiniens. Un nouveau livre, “Operation Wrath of God : The Secret History of European Intelligence and the Mossad’s Assassination Campaign” (L’histoire secrète des services de renseignement européens et de la campagne d’assassinat du Mossad), révèle pour la première fois l’importante coopération en coulisses des services de renseignement d’Europe occidentale. Leur collaboration, ou du moins leur approbation tacite, a permis au Mossad de commettre dix assassinats entre 1972 et 1992 [plus trois à Beyrouth et un à Tunis, voir liste ici, NdT].

Le Club de Berne : le pacte secret de l’Europe en matière de renseignement

Le livre d’Aviva Guttmann, spécialiste suisse du renseignement qui enseigne à l’université d’Aberystwyth au Pays de Galles, sera publié cet été par Cambridge University Press. Mme Guttmann a bénéficié d’un accès sans précédent aux archives secrètes du “Club de Berne”, une alliance multilatérale peu connue dans le domaine du renseignement.

Haut du formulaire

Bas du formulaire


Aviva Guttmann a bénéficié d’un accès sans précédent aux archives secrètes du Club de Berne.

Fondé en 1969, le Club de Berne regroupe des services de Suisse, d’Allemagne de l’Ouest, de France, du Royaume-Uni, d’Italie, du Luxembourg, d’Autriche, des Pays-Bas et de Belgique. Grâce au système télex crypté “Kilowatt"”du Club, le réseau s’est ensuite étendu aux USA, au Canada, à l’Australie, à l’Irlande, à l’Espagne, à la Suède, à la Norvège et à Israël, par l’intermédiaire du Mossad et du Shin Bet, le service de sécurité intérieure israélien.

Dans une interview accordée à Haaretz, Mme Guttmann révèle que dans les communications internes du Club, le Mossad portait le nom de code “Orbis” et le Shin Bet celui de “Speedis”.

Démentant le mythe du Mossad comme force omnipotente, l’agence s’appuyait fortement sur les renseignements européens. Des données essentielles ont été fournies et partagées par le Club de Berne, notamment les adresses des suspects, les numéros de plaque d’immatriculation, les dossiers de vol, les factures d’hôtel et les relevés téléphoniques.

En réalité, les opérations d’assassinat du Mossad étaient des essais et des erreurs. Le chef du Mossad, Zvi Zamir a nommé Mike Harari, chef de la division des opérations “Caesarea”, pour commander les missions. Harari a recruté du personnel au sein du Mossad, des FDI et d’autres agences, dont certains se sont révélés peu adaptés à la mission.

L’unité d’opérations spéciales de l’agence, Kidon (“baïonnette” en hébreu), n’a été créée qu’après un échec ultérieur : un assassinat bâclé en 1973 à Lillehammer, en Norvège, au cours duquel la mauvaise personne a été tuée et six agents du Mossad ont été capturés.

Wael Zwaiter : la première cible

L’assassinat de Zwaiter à Rome, un mois après le massacre de Munich en 1972, n’était pas seulement un acte symbolique ; c’était aussi un triomphe de la coopération internationale en matière de renseignement. Le Mossad, qui n’avait pas réussi à détecter le complot terroriste des Jeux olympiques, est parvenu à localiser et à tuer Zwaiter en l’espace d’un mois, alors qu’il ne disposait pas encore d’une unité d’opérations spéciales officielle.

En juillet 1972, deux mois avant l’attentat de Munich, le Mossad avait prévenu les membres du Club de Berne, via Kilowatt, de l’imminence d’une opération terroriste impliquant trois individus, et identifié Zwaiter comme leur responsable.

Le 13 septembre 1972, huit jours après le massacre, le service de sécurité intérieure allemand (BfV) a confirmé que Zwaiter avait payé les notes d’hôtel à Salzbourg pour trois des attaquants, qu’il avait des contacts réguliers avec eux et qu’il avait séjourné à l’hôtel Eden-Wolff de Munich dans les semaines précédant le massacre. Selon le livre, ces renseignements ont été déterminants dans la décision d’Israël de le prendre pour cible.

Bien que certains aient par la suite décrit Zwaiter comme un poète et un intellectuel, connu pour avoir traduit “Les mille et une nuits” en italien et travaillé comme traducteur pour l’ambassade de Libye, le Mossad a insisté sur le fait qu’il était également le “représentant en Italie du Fatah”, impliqué dans le transfert d’armes, de fonds et de documents pour les opérations terroristes.


Deux policiers ouest-allemands portant des sweat-shirts d’athlètes se mettent en position sur le toit du village olympique de Munich, le 5 septembre 1972.

L’attentat de Paris : Mahmoud al-Hamchari

La cible suivante était le Dr Mahmoud Al-Hamchari, représentant de l’OLP à Paris. Les médias israéliens et étrangers ont affirmé qu’il avait été impliqué des années auparavant dans la planification ou le soutien d’opérations terroristes contre des cibles israéliennes en Europe. Les rapports transmis par le réseau Kilowatt ne contenaient aucune preuve permettant de le relier à de telles activités. Il est donc probable qu’il ait été considéré comme une “cible molle” - quelqu’un de relativement facile à atteindre - parce qu’il était moins prudent et n’accordait qu’une attention minimale à sa sécurité personnelle.

Al-Hamchari a reçu un appel téléphonique à son appartement. Quelques secondes plus tard, une bombe placée par le Mossad explose. Il est grièvement blessé, mais survit ; la charge avait été mal calculée. Transporté d’urgence à l’hôpital, il est interrogé par les services de renseignements français. Un rapport d’interrogatoire a été envoyé au Club de Berne et, naturellement, au Mossad.

Avant sa mort, Al-Hamchari a déclaré avoir reçu un appel d’une personne prétendant être un journaliste italien, lui demandant de le rencontrer au bureau de l’OLP. Il a quitté son appartement, mais son interlocuteur n’est jamais venu. On pense que le Mossad a profité de son absence pour s’introduire dans l’appartement et poser la bombe, déclenchée ensuite par un nouvel appel.


Zvi Zamir, chef du Mossad de 1968 à 1974. Zamir a déclaré que la campagne visait à perturber le réseau européen de l’OLP, et non à se venger.Photo Unité du porte-parole des FDI

Selon le livre de la Dre Guttmann, l’assassinat d’Al-Hamchari reflétait une décision plus large du gouvernement israélien de Golda Meir de prendre pour cible les représentants de l’OLP et du Fatah en Europe, sans tenir compte de leur lien direct avec le massacre de Munich.

Haut du formulaire

Bas du formulaire

Le chef du Mossad, Zvi Zamir, s’est fait l’écho de ce raisonnement dans une interview accordée en 2005 à Haaretz, déclarant que la campagne n’était pas motivée par la vengeance, mais par un effort stratégique visant à démanteler l’infrastructure de l’organisation en Europe et à perturber sa capacité à perpétrer de futurs attentats.

Cette explication remet en cause l’idée largement répandue, véhiculée par les médias et même par certains chercheurs universitaires, selon laquelle les assassinats perpétrés par le Mossad étaient principalement motivés par la vengeance du massacre de 1972.

Le metteur en scène de théâtre devenu cible

Au cours des six mois suivants, le Mossad a assassiné quatre autres agents de l’OLP en Europe - à Chypre, à Rome (à nouveau) et à Paris. En réponse, l’OLP a lancé une vague d’attaques de représailles : lettres piégées, assassinats de diplomates israéliens et siège de l’ambassade d’Israël à Bangkok. Cette escalade du conflit de l’ombre entre le Mossad et les factions palestiniennes est connue sous le nom de “Bataille des barbouzes”.

L’un des points culminants de la coopération en matière de renseignement a eu lieu le 28 juin 1973, avec l’assassinat du ressortissant algérien Mohammad Boudia à Paris. Boudia, un personnage bohème plongé dans la vie nocturne de la ville, était le directeur d’un petit théâtre, connu pour son amour de l’art et des femmes. Il avait lutté contre la domination coloniale française en tant que membre du Front de libération nationale algérien et avait passé trois ans en prison. Après l’accord de paix, il s’est installé à Paris et a rejoint la lutte armée palestinienne.

La gestion du théâtre constituait une couverture idéale pour ses activités “terroristes”. Il était soupçonné d’agir pour le compte du Front populaire et d’avoir des liens avec des attentats commis en Italie et en Suisse.

« En France, tout en menant une vie sociale très active, il était également très prudent, utilisant fréquemment des déguisements et du maquillage provenant de son théâtre pour éviter d’être repéré », indique le livre de la Dre Guttmann. « Par exemple, il passait la nuit chez une femme et repartait le matin déguisé en vieille femme pour tromper les équipes de surveillance qui auraient pu le suivre. Autre précaution, il changeait fréquemment ses habitudes quotidiennes, voyageait beaucoup et, à Paris, passait ses nuits dans des endroits différents ».


Golda Meir, Premier ministre israélien de 1969 à 1974. Meir a autorisé une politique visant à cibler les agents de l’OLP en Europe, même s’ils n’étaient pas directement liés à l’attentat de Munich. Photo Sven Simon/Reuters

« Cependant, il y avait un élément constant dans sa vie, qui était son point faible : il conduisait toujours une Renault R16 grise avec une plaque d’immatriculation parisienne. Cette habitude était ce que le Mossad appelait son ‘point de capture’, la faiblesse qui lui permettrait d’organiser son exécution ».


Dans la nuit du 27 juin, Boudia est allé rendre visite à l’une de ses nombreuses petites amies. Pendant qu’il était à l’intérieur, des agents du Mossad se sont introduits dans sa Renault et ont placé une bombe sous le siège du conducteur. Quel que fût le déguisement utilisé par Boudia pour quitter l’appartement, le Mossad savait qu’il reviendrait toujours dans sa voiture. Comme prévu, une équipe de surveillance a confirmé que Boudia était entré dans le véhicule, et la bombe - conçue pour faire passer l’explosion pour un “accident de travail” - a été déclenchée à distance.

Regarder ailleurs

Quelques semaines seulement après l’assassinat de Mohammad Boudia, le Mossad a subi un revers majeur à Lillehammer, en Norvège.. Dans un tragique cas d’erreur d’identité, des agents ont tué Ahmed Bouchikhi, un innocent serveur marocain, après l’avoir confondu avec Ali Hassan Salameh, un important commandant de l’OLP et proche collaborateur de Yasser Arafat. Six agents du Mossad ont été arrêtés et emprisonnés.

Les recherches de Guttmann révèlent que le MI5 a peut-être contribué à l’erreur en envoyant au Mossad une photographie de Salameh. Malgré ce fiasco, le Mossad a continué à avoir accès au Club de Berne et à son précieux système Kilowatt.


L’une des six accusés du Mossad, Sylvia Rafael, se rendant dans la salle d’audience lors de son procès pour meurtre à la suite du fiasco de Lillehammer. Photo NTB / Alamy Stock Photo

Sylvia Rafael (1937-2005), libérée en 1975  après 2 ans de prison en Norvège, s’est mariée avec son avocat norvégien

« J’attribue cela à plusieurs raisons », explique la Dre Guttmann. eTout d’abord, l’Allemagne de l’Ouest, certainement, et peut-être d’autres, ont éprouvé un profond sentiment de culpabilité pour avoir échoué à empêcher le massacre de Munich. Mais plus généralement, les services de renseignement de toute l’Europe ont reconnu la valeur de la coopération et l’importance des contributions du Mossad à la lutte contre le terrorisme. Les renseignements qui transitent par le Club de Berne, en particulier ceux du Mossad, sont considérés comme essentiels pour contrer la menace croissante.

« Dans les années 1970, des groupes armés palestiniens faisaient exploser des bombes, détournaient des avions, assiégeaient des ambassades et tuaient des Européens. De nombreux gouvernements européens ont dû considérablement intensifier leur action à l’égard des Palestiniens soupçonnés de terrorisme.

« Deuxièmement, certains pays ont pu simplement approuver l’approche d’Israël. Pour certains responsables européens, tuer des terroristes avant qu’ils ne puissent frapper était considéré comme une politique légitime, bien qu’extrajudiciaire.

« Troisièmement, la coopération pouvait être tenue entièrement secrète. Cela permettait aux gouvernements européens de condamner officiellement les actions d’Israël tout en renforçant discrètement les liens de sécurité avec le Mossad. Si mon livre avait été publié dans les années 1970, il aurait provoqué un scandale majeur en Europe. Mais en réalité, j’ai conclu que rien n’a changé sur la chaîne Kilowatt : les agences de renseignement ont continué à fonctionner comme si de rien n’était, même si les politiciens se sont publiquement indignés ».

Les limites du Mossad, hier et aujourd’hui

Le livre de Mme Guttmann remet directement en question l’image populaire du Mossad en tant qu’agence de renseignement toute-puissante.

« Oui, absolument », dit-elle. « De plus, je pose une question sur les opérations d’assassinat ciblées menées aujourd’hui par l’unité Nili (une task force actuellement chargée de traquer les responsables de l’attentat du 7 octobre). Étant donné que le Mossad s’est fortement appuyé sur les services de renseignement européens pour mener à bien ses opérations dans les années 1970, je me demande si une aide similaire, ou au moins un soutien tacite, est fournie aujourd’hui par les services de renseignement de la région ou d’ailleurs.

« Mon livre montre que le Mossad n’aurait pas pu réussir seul. Il est probable que les opérations israéliennes modernes bénéficient d’un soutien en matière de renseignement - certainement de la part des Américains, peut-être des Européens, et peut-être même des services de renseignement arabes dans les pays qui ont normalisé leurs relations avec Israël, bien que cela reste spéculatif ».

Une heureuse faille dans le système d’archivage

Lorsqu’on lui demande comment elle a pu obtenir un accès sans précédent aux archives suisses, y compris à des documents contenant non seulement des secrets suisses mais aussi ceux d’autres nations, Mme Guttmann admet que la réponse n’est pas encore très claire.

« C’est une très bonne question, mais je ne connais pas vraiment la réponse », dit-elle. Une explication possible est que les documents ont été archivés sous les étiquettes “Kilowatt entrant” et “Kilowatt sortant”. Kilowatt était bien sûr le mot de code du canal de télécommunication crypté utilisé par le Club de Berne, mais seuls les professionnels du renseignement le savaient.

Il est possible que l’archiviste chargé d’accorder l’accès n’ait pas réalisé que “Kilowatt” faisait référence à un réseau multilatéral sensible d’échange de renseignements et que les dossiers contenaient bien plus que de simples documents suisses ».


Les armoiries du Club de Berne

 

 

YOSSI MELMAN
“Quel mal il y a à ça ?” : Comment Israël a formé et armé une milice gazaouie liée à Daech

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a approuvé cette opération secrète visant à soutenir une milice palestinienne pour garder l’aide humanitaire - tout en cachant la vérité au public


“Quel mal il y a à ça ?”

Yossi Melman, Haaretz, 11/6/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala 

“Quel mal il y a à ça ?” Avec ces quatre mots soi-disant innocents, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a causé des dommages supplémentaires à toute chance de mettre fin à la guerre à Gaza et de restituer les otages. C’est ainsi qu’il a réagi la semaine dernière à la révélation du député Avigdor Lieberman selon laquelle les services de sécurité israéliens géraient une milice armée à Gaza, dont le personnel était affilié à Daech. Le chef de cette milice est Yasser Abou Shabab, membre d’une grande famille bédouine de Rafah.

Netanyahou a accusé Lieberman de révéler un secret d’État, mais en confirmant l’information, le premier ministre s’est lui-même rendu complice. Cela pourrait entraver les efforts futurs des services de renseignement israéliens pour recruter des agents et des collaborateurs.



Photo tirée de Facebook montrant des miliciens d’Abou Shabab. Ils ont été formés par le Shin Bet.

Selon Tamir Hayman, ancien chef de la direction du renseignement militaire et actuel directeur exécutif de l’Institut d’études de sécurité nationale de Tel-Aviv, « toute la force de cette idée réside dans la dissimulation de toute action de ce type, de manière à la faire paraître authentique et populaire, motivée par la souffrance des habitants de Gaza des habitants de Gaza qui en ont assez du régime du Hamas ».

L’idée d’armer le clan Abou Shabab n’est pas nouvelle - elle a été évoquée peu après le massacre du 7 octobre. Cette décision a été prise par défaut, dans les deux sens du terme. En déclarant que Gaza « ne sera ni le Hamastan ni le Fatahstan », Netanyahou a condamné l’Autorité palestinienne et a rejoint le programme d’annexion et de transfert de population de Bezalel Smotrich, non seulement à Gaza, mais aussi en Cisjordanie.

Haut du formulaire

Le vide créé à Gaza par la perte de gouvernance du Hamas suite aux succès des Forces de défense israéliennes sur le champ de bataille a également été renforcé par le refus du gouvernement Netanyahou d’autoriser les forces des pays arabes modérés tels que l’Égypte, la Jordanie, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite à pénétrer dans la bande de Gaza. C’est ainsi qu’Israël s’est retrouvé désespérément à la recherche d’une alternative pour nourrir 2,2 millions de bouches affamées.

Face à ces contraintes imposées par Netayahou et son gouvernement d’extrême droite, le ministre de la défense Yoav Gallant, qui a démissionné il y a quelques mois, a eu l’idée de mettre en place un régime des milices et des clans dans la bande de Gaza. Gallant avait déclaré qu’Israël devrait utiliser des éléments locaux, affiliés à Ramallah et coordonnés avec l’(in)Autorité palestinienne. En d’autres termes, Gallant essayait d’introduire l’(i)AP par des moyens détournés.

Troisième tentative

Gallant et l’establishment de la défense ont tenté d’exécuter ce mouvement pour la première fois en février 2024. Cependant, lorsque des camions transportant de l’aide humanitaire sont entrés dans l’enclave, ils ont été attaqués par le Hamas et la tentative de les protéger a échoué. Un autre échec s’est produit lorsqu’Israël a tenté de mettre en place une milice armée issue du même clan dans les camps de réfugiés du centre de Gaza. C’est la troisième fois qu’Israël tente le même coup, cette fois-ci après l’occupation de Rafah par ses troupes.

Il y a environ un an, des agents de terrain du district sud du service de sécurité Shin Bet ont reformulé l’idée en action opérationnelle. Le chef du Shin Bet, Ronen Bar, a soutenu le plan, qui a été approuvé par Netanyahou et le ministre de la défense, Israel Katz. Les ministres du gouvernement ont été tenus dans l’ignorance. À cette époque, le chef de district, A., a pris sa retraite du Shin Bet après avoir assumé la responsabilité de l’échec du 7 octobre. Il a été remplacé par S., qui a commencé à faire avancer le plan et, en octobre 2024, il a été décidé de le mettre en pratique.


Soldats des FDI de la brigade Golani opérant dans la zone de Rafah, à Gaza.

Le plan a été soutenu par les FDI, à l’époque sous le commandement du chef d’état-major Herzl Halevi, par le nouveau chef de la direction du renseignement militaire, le général de division Shlomi Binder, et par le coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires, le général de division Ghassan Alian. Un autre grand partisan de l’initiative était le général de division Roman Gofman, secrétaire militaire de Netanyahou.

Les instructeurs du Shin Bet ont formé les membres du clan Abou Shabab et les ont équipés d’armes légères - fusils d’assaut Kalachnikov et armes de poing - saisies au Hamas depuis le début de la guerre de Gaza. Après que l’organisation non gouvernementale Hatzlaha a menacé de saisir la justice, les FDI ont fourni des données partielles sur le nombre d’armes à feu légères saisies depuis le début de la guerre : quelque 2 500 fusils et armes de poing. Israël verse également des salaires aux miliciens, grâce à l’argent confisqué depuis le début de la guerre - les FDI ont saisi plus de 100 millions de shekels (environ 24 millions d’€) en différentes devises.

La tâche principale de la milice est de sécuriser le transfert de l’aide humanitaire vers les centres d’approvisionnement alimentaire et d’empêcher le Hamas de la piller [sic; lisez : la distribuer]. La question de l’aide humanitaire est également entourée de mystère et se déroule de manière détournée, caractéristique du gouvernement de Netanyahou depuis le début de la guerre. Israël a décidé de mettre fin aux activités de l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, l’UNRWA, parce que certains de ses employés palestiniens étaient des activistes du Hamas ou coopéraient avec l’organisation. Israël a également eu du mal à mobiliser les organisations d’aide internationale parce qu’elles refusaient de coopérer avec lui. En outre, certains ministres du gouvernement, principalement ceux contrôlés par l’extrême droite messianique, ont appelé à affamer les habitants de Gaza.


Roman Gofman, secrétaire militaire du Premier ministre Benjamin Netanyahu, lors d’un événement.

C’est ainsi qu’Israël s’est retrouvé pris au piège. En raison de la pression exercée par l’administration Trump, qui a promis qu’il ne laisserait pas les habitants de la bande de Gaza mourir de faim, Israël a dû proposer une solution de type “Israbluff”. Netanyahou et ses ministres se sont engagés à ce que le contribuable israélien ne finance pas l’acheminement de nourriture et de médicaments aux habitants de Gaza, mais très vite ils n’ont pas tenu leur promesse.

Afin de cacher la vérité au public et de minimiser l’embarras des ministres d’extrême droite, il a été décidé de dissimuler le fait que le ministère des finances avait déjà alloué quelque 700 millions de shekels [=168 M€] à cette entreprise. Au lieu de cela, le gouvernement présente faussement l’argent comme provenant d’une d’une organisation non gouvernementale basée en Suisse. Cette organisation a engagé une société de sécurité usaméricaine qui emploie des vétérans de l’armée et d’agences de sécurité US.

Mais une fois de plus, c’est Lieberman qui a démasqué le mensonge. Il a déclaré que le Mossad, spécialisé dans la création de sociétés écrans anonymes, était à l’origine de l’organisation suisse et de son enregistrement à l’étranger (le Mossad s’est refusé à tout commentaire). Il a également été affirmé que des magnats juifs usaméricains affiliés à la droite israélienne ont contribué aux activités de l’organisation et lui ont peut-être aussi fourni un financement provisoire.

Cet exercice détourné du ministère des finances, qui manque de transparence et frise la criminalité, découle de la volonté de contourner la loi sur les procédures d’appel d’offres. Selon cette loi, le ministère aurait dû annoncer un appel d’offres international, afin que plusieurs entreprises puissent concourir pour le contrat.

Mercenaires

Abou Shabab, le chef de la milice, qui est âgé d’une trentaine d’années, était à la tête d’une bande criminelle composée de trafiquants d’armes et de drogue et de voleurs de nourriture et d’équipement. Bien qu’il soit douteux qu’Abou Shabab, âgé d’une trentaine d’années, ait une idéologie politique ou religieuse, son nom et celui de plusieurs de ses hommes ont déjà été associés à Daech.

Certains membres de la milice étaient auparavant des partisans du Fatah qui s’opposaient au Hamas et étaient emprisonnés dans les prisons de la bande de Gaza. Dans le chaos créé par la guerre, des centaines d’entre eux ont réussi à s’échapper. Avant et pendant la guerre, le Hamas a exécuté certains membres du clan Abou Shabab pour avoir coopéré avec Israël. Abou Shabab a également fait des allers-retours dans les prisons du Hamas. Il est donc plus probable que la milice ait également des liens avec les agences de sécurité de l’Autorité palestinienne, qui continuent à coopérer étroitement avec Tsahal et le Shin Bet.


Des membres du Hamas se préparent à exécuter des Palestiniens qu’ils soupçonnent de collaborer avec Israël, en 2014. Photo Reuters

Il s’agit d’une milice mercenaire similaire à celles mises en place par les régimes coloniaux. La France y a eu recours en Algérie et en Syrie, les Britanniques dans leurs colonies d’Afrique et d’Asie, et les USA par l’intermédiaire de la CIA au Vietnam, en Afghanistan et en Irak. Israël a agi de la même manière dans les années 1970 lorsqu’il a mis en place les ligues villageoises palestiniennes en Cisjordanie, les Phalangistes et l’Armée du Sud-Liban au Liban, ainsi que des vigies villageoises sur les hauteurs du Golan syrien, à proximité de la frontière israélienne. Dans la plupart des cas de ce phénomène en Israël et dans le monde, la création de milices composées de collaborateurs et de mercenaires a échoué.

3J’ai du mal à comprendre la logique qui sous-tend cette expérience vouée à l’échec », dit Michael Milshtein, chercheur au centre Moshe Dayan d’études moyen-orientales et africaines de l’université de Tel-Aviv, ancien colonel et chef du département des affaires palestiniennes au sein de la division de recherche des services de renseignement de l’armée. « Nous ne devons pas oublier la nature de ce gang et éviter d’imaginer un Robin des Bois gazaoui - ce qui a déjà été dit dans certains cercles - et nous devons nous souvenir des précédents historiques amers où nous avons fait des affaires avec des éléments douteux qui se sont rapidement retournés contre nous, comme les phalangistes au Liban ».


Michael Milshtein, chercheur au Centre Moshe Dayan d’études moyen-orientales et africaines de l’Université de Tel-Aviv. Photo : Tomer Appelbaum

« En général, il vaut mieux s’abstenir de tenter d’influencer la pensée de nos ennemis et de jouer les faiseurs de roi. Le Hamas est en effet blessé comme jamais auparavant, mais il vaut mieux éviter les éloges funèbres prématurés (comme ce fut le cas à de nombreuses reprises au cours de cette guerre, lorsque les signes de l’effondrement du groupe semblaient évidents). Même si nous supposons que le Hamas finira par s’effondrer, il vaut mieux penser à ce qui se passerait si Gaza se remplissait de groupes semblables à celui d’Abou Shabab - une réalité qui nous rappelle la Somalie ».

Haut du formulaire

Bas du formulaire

Bien que Hayman ait également des doutes quant au succès de cette initiative, il est prêt à lui donner une chance. « Je ne suis pas un puriste. L’Autorité palestinienne est faible et dépourvue de tout cadre politique sérieux, et toutes les initiatives et possibilités visant à stabiliser Gaza doivent être poursuivies », dit-il. « Toutefois, ajoute-t-il, je suis conscient que toute tentative israélienne de façonner le Moyen-Orient, à l’instar des efforts israéliens au Liban dans les années 1970 et 1980 et en Syrie pendant la guerre civile il y a dix ans, est vouée à l’échec. Seules les superpuissances peuvent le faire. Nous sommes trop petits pour le faire ». L’ancien chef de la direction du renseignement militaire estime que la création de la milice « est une mission tactique qui permet une activité opérationnelle, et rien de plus ».

Le bureau du Premier ministre n’a pas répondu à la demande de Haaretz. Les porte-parole de Tsahal et du Shin Bet se sont refusés à tout commentaire.


22/04/2025

DAHLIA SCHEINDLIN
Coup d’État, crimes et conspiration : les accusations les plus choquantes du chef du Shin Bet à l’encontre de Netanyahou

Dahlia Scheindlin, Haaretz, 22/4/2025

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

La déclaration sous serment choquante de Ronen Bar à la Haute Cour de justice, qui met en lumière les exigences présumées du Premier ministre Benjamin Netanyahou en matière de loyauté totale à son égard, révèle tout ce qui ne va pas dans la gouvernance israélienne [ou du moins une petite partie, NdT].
Une manifestante brandit une pancarte anti-Netanyahou faisant référence aux otages toujours détenus à Gaza, à Tel Aviv au début du mois. Photo Tomer Appelbaum

La déclaration sous serment que Ronen Bar, chef du service de sécurité du Shin Bet, a soumise lundi à la Haute Cour de justice d’Israël pour éviter son licenciement est une documentation douloureuse sur les désastres passés, présents et futurs d’Israël. Les désastres vont du spécifique et choquant au profondément alarmant, voire à l’image dystopique de l’avenir, en fonction de ce qui se passe ensuite.

Rappelons ce qui s’est passé jusqu’à présent : le mois dernier, Netanyahou a annoncé son intention de démettre Bar de ses fonctions, affirmant qu’il n’avait plus confiance dans le chef du Shin Bet. Le procureur général Gali Baharav-Miara a émis un avis indiquant que la décision du premier ministre était “entachée d’un conflit d’intérêts personnel” en raison de ses liens et de ses intérêts personnels dans l’affaire du Qatargate et des BibiLeaks sur lesquels le Shin Bet enquête. Des citoyens israéliens ont déposé des pétitions auprès de la Haute Cour contre la décision de Netanyahou, l’accusant d’agir pour des raisons politiques personnelles.

À l’issue d’une audience qui s’est tenue il y a deux semaines, la Cour a suspendu le rejet de la requête jusqu’à ce que les deux parties puissent présenter de nouvelles déclarations sous serment, espérant sans doute qu’un compromis pourrait être trouvé.

Mais il n’y a pas de courtoisie en Israël aujourd’hui. La déclaration sous serment de 11 pages de Bar (avec une annexe confidentielle de 31 pages) a développé les arguments qu’il avait écrits dans une lettre soumise à la Haute Cour avant l’audience. Dans ce nouveau document, il a dressé une liste trop familière de ce qu’il prétend être les efforts du premier ministre pour politiser l’agence de sécurité intérieure à ses propres fins. Certains des nouveaux détails sont stupéfiants.


Le chef du Shin Bet, Ronen Bar (à g.), et son homologue du Mossad, David Barnea, lors d’une cérémonie officielle à Jérusalem.

Blessures immédiates

Dans sa lettre précédente,  Bar a accusé Netanyahou d’exiger qu’il fournisse des justifications, fondées sur des considérations de sécurité, qui empêcheraient le premier ministre de témoigner devant le tribunal dans son affaire de corruption (Bar a refusé). Aujourd’hui, Bar écrit que le premier ministre a littéralement essayé de le forcer à signer ce qui ne peut être décrit que comme un faux document dans ce même but – “écrit par le premier ministre ou quelqu’un en son nom” - et à le présenter comme son opinion professionnelle.

La présente déclaration sous serment ajoute des détails significatifs à une ligne énigmatique de la lettre préalable à l’audience concernant la description par Bar des attentes d’un acteur anonyme à l’égard de l’agence en ce qui concerne les citoyens israéliens. Aujourd’hui, Bar affirme que Netanyahou lui a demandé d’espionner les manifestants pro-démocratie au plus fort de leurs manifestations en 2023, même s’il n’y avait aucun soupçon d’actes secrets impliquant de la violence. Cela déclencherait une telle surveillance au-delà de l’activité criminelle ordinaire qui serait traitée par la police.

Néanmoins, Bar affirme que le premier ministre a clairement indiqué qu’il était censé suivre les activités des manifestants et fournir l’identité des activistes, des dirigeants et des “bailleurs de fonds des manifestations”. En d’autres termes, l’agence de sécurité intérieure israélienne serait déployée pour étouffer l’opposition politique en Israël. Bar affirme avoir refusé.

En ce qui concerne l’enquête criminelle en cours du Shin Bet sur le Qatargate, le scandale entourant les associés de Netanyahou qui auraient bénéficié de pots-de-vin de la part de l’État du Golfe, Bar est cinglant. Il répète que cette enquête et l’affaire BibiLeaks - dans laquelle le cercle proche de Netanyahou est accusé d’avoir divulgué des documents classifiés de l’armée israélienne à un journal allemand afin de promouvoir la thèse du gouvernement selon laquelle le Hamas est responsable de l’échec de l’accord sur les otages - ont été les tournants qui ont déclenché son licenciement. Le premier ministre lui-même a décrit le Qatar comme un “État soutenant le terrorisme”, écrit Bar.

Les enquêtes concernant les conseillers de Netanyahou, ajoute Bar en termes très clairs, « soulèvent les soupçons les plus lourds quant à l’atteinte grave à la sécurité de l’État ... à l’atteinte aux négociations pour la libération des otages, au renforcement du Hamas et à l’atteinte aux relations d’Israël avec l’Égypte ».

Des manifestants contre le Premier ministre Benjamin Netanyahu, lundi. La pancarte principale indique en anglo-hébreu « Netanyahou et Levin, ne mettez pas notre patriotisme à l’épreuve » [sic]

Les dégâts démocratiques

Mais le désastre est encore plus profond. D’autres parties de la déclaration sous serment de Bar montrent comment le gouvernement s’attaque non seulement à des institutions essentielles, mais aussi aux valeurs et aux principes directeurs qui définissent une démocratie.

Un exemple concerne l’affirmation précédente selon laquelle le premier ministre attendait de l’agence qu’elle espionne les manifestants politiques - des citoyens israéliens. Bar note que Netanyahou a discuté à plusieurs reprises de ce sujet après des réunions de travail, alors qu’il avait déjà renvoyé le secrétaire militaire et le sténographe - tenant des conversations qui n’ont jamais pu être documentées, un coup porté à la transparence et à la responsabilité.

La partie la plus étonnante de cette section est presque une réflexion après coup : « À propos des conversations sur les manifestations, écrit Bar, il m’a été clairement expliqué qu’en cas de crise constitutionnelle, je devais obéir au premier ministre et non à la Haute Cour ». En d’autres termes, Bar, un professionnel nommé pour des raisons non politiques, devait placer un patron politique au-dessus de la loi. Bar assure au tribunal que les détails sont fournis dans le document classifié, ce qui n’est pas un grand argument. Cependant, si cela est vrai, Netanyahou fait le premier pas pour garantir la loyauté des agences de sécurité envers l’autocrate en cas de coup d’État constitutionnel.

Un autre témoignage de la détérioration du discours démocratique en Israël est fourni par une section entière de la déclaration sous serment de Bar, consacrée à des théories de conspiration selon lesquelles l’agence avait « une connaissance préalable du massacre du 7 octobre » mais n’a pas alerté le premier ministre. Il est pénible de lire la reconstitution post-traumatique des actions du Shin Bet entre 23 heures le 6 octobre et le matin du 7 octobre, alors qu’il tente de démonter ces accusations. Bar lui-même admet que l’agence n’a pas réussi à contrecarrer l’attaque du Hamas, comme il l’a fait 10 jours seulement après les faits, déclarant que « la responsabilité m’en incombe ».

Mais il est encore plus incroyable de lire son démembrement des conspirations : « Ces affirmations sont des mensonges et ne représentent rien de moins qu’une incitation institutionnalisée contre moi et contre l’organisation. ... L’attaque n’ a pas été “coordonnée par nous”, nos équipes n’ont pas été “envoyées [à la frontière] uniquement pour sauver des employés du Shin Bet”, et cette nuit-là, il n’ y a pas eu “d’informations cachées à l’establishment de la sécurité et non au premier ministre” » (c’est lui qui souligne). Si Bar a ressenti le besoin d’aborder ces conspirations dans la procédure judiciaire, il a clairement vu la main cachée du premier ministre derrière elles.

"Bibi, il ment - ils meurent" : un manifestant tient une pancarte anti-Netanyahou lors d’une manifestation dans le centre d’Israël samedi.

Enfin, Bar explique que l’agence de renseignement attache une grande importance à l’équilibre de ses responsabilités entre l’utilisation d’outils puissants et invasifs pour faire progresser la sécurité et son obligation de limiter son propre pouvoir afin d’éviter les abus. Au début du document, il écrit que sous sa direction, le Shin Bet a appliqué des critères soigneusement définis pour l’utilisation de ses pouvoirs et a constamment consulté des conseillers juridiques pour s’assurer que ces pouvoirs ne seraient pas utilisés à mauvais escient.

Ce point touche au cœur de la démocratie constitutionnelle et libérale : les restrictions volontaires et institutionnalisées de l’État sur son propre pouvoir au nom de la liberté de ses citoyens. Israël pourrait être en train d’assister à la chute des derniers principes résiduels de gouvernance démocratique.

Qui sera convaincu ?

L’une des principales faiblesses de la missive de Bar est ce qu’il ne peut pas dire. Le document public est complété par un document classifié de 31 pages, vraisemblablement plus détaillé, avec cinq annexes, a écrit Bar dans ses notes introductives. Il ne fait aucun doute que chaque camp politique en Israël - ceux qui soutiennent le gouvernement et ceux qui soutiennent Bar - évaluera la force des preuves secrètes en fonction de ses loyautés politiques préexistantes.
Zulat, un groupe de réflexion israélien qui défend les valeurs libérales ,  a déjà demandé au procureur général, a Amit Aisman et à la police d’ouvrir une enquête criminelle sur le premier ministre pour obstruction à la justice, abus de pouvoir et abus de confiance.. D’importantes manifestations ont eu lieu lundi contre Netanyahou.

La réponse du cabinet du Premier ministre, comme on pouvait s’y attendre, a été que les accusations de M. Bar étaient un “mensonge complet” ; Pendant ce temps, Channel 14 - la version israélienne de Newsmax - a publié un titre inversé scandaleux selon lequel le chef de l’agence avait “agi contre les instructions du Premier ministre, encore et encore”. Ce flash a également mis l’accent sur l’une des dernières lignes les plus importantes de la lettre : Bar écrit qu’il annoncera bientôt la date de sa démission. Channel 14 y voit certainement un aveu de culpabilité confirmant les accusations du premier ministre sur les échecs, voire les complots, de Bar.


Des manifestants portant des masques du ministre des Affaires stratégiques Ron Dermer et de Benjamin Netanyahou, devant une banderole indiquant que “le silence encourage le bourreau, jamais le tourmenté”.

Il n’y a pas plus de clarté sur ce que la Haute Cour pourrait faire. Le bureau de Netanyahou devrait publier sa propre déclaration sous serment dans le courant de la semaine, après quoi les juges pourront encore se prononcer sur les pétitions.

Pour la démocratie, il semble cependant qu’il n’y ait pas de bonne issue. L’ironie la plus grande est peut-être que le Shin Bet et Ronen Bar sont maintenant, par la force des choses, la cause célèbre du mouvement pro-démocratique. C’est ce même Shin Bet qui est responsable des violations les plus invasives et antidémocratiques de tous les droits humains et civils en vigueur lorsqu’il s’agit des Palestiniens et qui, parfois, espionne aussi les communautés arabo-palestiniennes en Israël [c’est nouveau : en général les Israéliens les appellent « Arabes israéliens ». Allez Dahlia, encore un effort et bientôt tu écriras : « les Palestiniens de 48», NdT]. Bar dans le rôle du noble défenseur de la bonne gouvernance et de l’État de droit, protecteur des libertés et des droits des citoyens, est déconcertant, voire étrange.
 
Mais sa situation actuelle sert de miroir à ce qui ne va pas en Israël aujourd’hui : les fondations minimales des institutions démocratiques s’effondrent, laissant tous ceux qui s’en soucient se démener pour sauver les bases, au lieu de se battre pour compléter les pièces qui étaient manifestement absentes jusqu’à présent.

06/12/2024

YOSSI MELMAN
L’homme qui a interrogé Netanyahou est convaincu de la culpabilité du Premier ministre
Entretien avec Eli Assayag, ancien chef de la police israélienne


Dans sa première interview depuis sa retraite, le général de brigade Eli Assayag parle également à Haaretz de la « catastrophe » qui pourrait découler de la prise de contrôle de la police par  Itamar Ben-Gvir.

Eli Assayag. Il a compris qu’il ne serait pas promu « peut-être parce que je m’occupais de ces affaires sensibles ». Photo Tomer Appelbaum

Yossi Melman, Haaretz, 2/12/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

À la mi-2018, le général de brigade Eli Assayag et deux autres enquêteurs ont quitté les bureaux de l’unité anticorruption Lahav 433 de la police pour se rendre au siège du Mossad, près de Tel-Aviv.
Objectif : interroger le chef du Mossad de l’époque, Yossi Cohen - en tant que témoin et non en tant que suspect - dans l’affaire dite des sous-marins [dite "Affaire 3000" : achat par Israël de sous-marins Dolphin et de navires guerre Sa'ar, fabriqués par ThyssenKrupp, pour 2 milliards de dollars, faisant l'objet d'une commission d'enquête de l'État établie par le gouvernement Lapid-Gantz, lire ici NdT], dans laquelle des associés du Premier ministre Benjamin Netanyahou sont soupçonnés d’avoir reçu des pots-de-vin. Les malversations présumées - des pots-de-vin pour qu’Israël achète plus de navires de guerre qu’il n’en avait besoin - ont eu lieu lorsque Cohen dirigeait le Conseil national de sécurité d’Israël.
De retour au siège du Mossad, lorsque la voiture a franchi le portail et ses gardes armés, les enquêteurs ont atteint le bâtiment principal - et ses jardins bien entretenus - où se trouve le bureau du chef du Mossad. Les trois hommes ont été accueillis par l’assistante de Cohen, qui leur a demandé de lui donner leurs téléphones portables.

L’ancien chef du Mossad, Yossi Cohen. Il ne voulait pas être photographié dans un poste de police. Photo Ohad Zwigenberg

Assayag a refusé. « Pas de problème », lui a-t-il dit. « Nous allons retourner à notre bureau et y convoquer Yossi Cohen ». Cohen a cédé. Il ne voulait pas être photographié dans un commissariat de police.
« Je n’ai jamais fait de concessions au cours de ma carrière », déclare Assayag, ancien chef de l’unité de la police chargée de la lutte contre la criminalité financière. « Toute personne ayant commis une infraction ou ayant été convoquée pour témoigner a été traitée de manière équitable et professionnelle. En même temps, je n’ai jamais été flagorneur ou rampant, même si les personnes impliquées étaient très haut placées ».
Assayag a dirigé les enquêtes sur l’affaire des sous-marins et sur l’affaire dite « Bezeq-Walla », l’une des deux affaires dans lesquelles Netanyahou est poursuivi sur le soupçon d’avoir échangé des faveurs réglementaires contre une couverture médiatique positive.
C’est Assayag qui a recommandé l’annulation d’un accord de plaidoyer avec Michael Ganor, un suspect dans l’affaire du sous-marin. Ganor est actuellement jugé pour avoir offert et donné des pots-de-vin, pour blanchiment d’argent, pour évasion fiscale et pour avoir violé les lois sur les partis politiques.
Pourquoi avez-vous recommandé la révocation de l’accord conclu avec Ganor ?
« Je serai prudent car le procès est toujours en cours et je pourrais être appelé à témoigner devant le tribunal. D’une manière générale, je peux dire que j’ai pris ma décision après qu’il a changé sa version des faits et tenté de modifier les conditions de l’accord
».

Eli Assayag a également interrogé Netanyahou dans l’affaire Bezeq-Walla, dans laquelle il est accusé de corruption, de fraude et d’abus de confiance. Dans cette affaire, Shaul et Iris Elovitch, principaux actionnaires de la société de télécommunications Bezeq, sont jugés pour corruption, obstruction à la justice et subornation de témoins au cours d’une enquête.

Shaul et Iris Elovitch, principaux actionnaires de la société de télécommunications Bezeq. Ils sont également jugés. Photo Moti Milrod

L’enquête la plus rapide
Assayag a pris sa retraite de la police en mars 2021, à la fin du cinquième mandat de Netanyahou en tant que premier ministre. Selon les médias de l’époque, Assayag a pris sa retraite parce qu’il n’a pas été promu, peut-être en raison de son rôle dans les enquêtes.
Assayag présente la chose ainsi : « J’ai pris ma retraite à l’âge de 58 ans, après 36 ans dans la police. On ne m’a pas montré la porte, mais j’ai compris que je ne serais pas promu, peut-être parce que j’ai traité ces affaires sensibles ».
Il s’agit de la première interview accordée par M. Assayag aux médias depuis qu’il a pris sa retraite.


Eli Assayag : « Parfois, il se mettait en colère et perdait son sang-froid. Cela fait partie d’un interrogatoire : amener l’accusé à entrer dans un état d’esprit où il dit les choses de manière authentique, où il dit la vérité ». Photo Tomer Appelbaum

Il n’est pas disposé à parler de son interrogatoire de Netanyahou parce qu’il pourrait encore être appelé à témoigner dans le procès du Premier ministre. Il se contente de dire qu’à son grand désarroi, Netanyahou a repoussé à plusieurs reprises les séances. Une fois la date fixée, Assayag pensait que l’interrogatoire devait avoir lieu dans les bureaux de Lahav 433, mais le procureur général de l’époque, Avichai Mendelblit, a demandé aux enquêteurs de se rendre au bureau du Premier ministre.
« L’interrogatoire a été mené de manière professionnelle, avec rigueur, propreté et brièveté », explique Assayag. « En moins de neuf mois, nous avons terminé l’enquête et transmis le dossier au bureau du procureur de l’État. Il s’agit de l’enquête la plus rapide jamais menée dans une affaire de criminalité en col blanc ».

Les enregistrements filmés donnent l’impression que Netanyahou était arrogant envers les interrogateurs de la police, et que ceux-ci étaient parfois plutôt dociles.

« Je ne pense pas que ça ait été le cas. Parfois, il s’est mis en colère et a perdu son sang-froid. Cela fait partie d’un interrogatoire - amener l’accusé à entrer dans un état d’esprit dans lequel il dit les choses de manière authentique ; il dit la vérité. »


Benjamin Netanyahou au tribunal de district de Jérusalem. Photo Ben Hakoon


Êtes-vous convaincu de la culpabilité de Benjamin Netanyahou ?
« Si je n’étais pas convaincu, je n’aurais pas recommandé [une mise en accusation].

Ben-Gvir le « client »
Eli Assayag est né en 1962 à Ashkelon dans une famille qui avait immigré du Maroc. Pendant son service militaire, il a participé à la guerre du Liban qui a éclaté en juin 1982.
En 1986, il est entré dans la police. Il est titulaire d’un diplôme de droit de l’Ono Academic College et d’un diplôme d’études supérieures en sciences politiques de l’université de Haïfa. Il a également étudié au Collège de sécurité nationale.
Après sa phase de formation dans la police, il a été affecté au district de Tel Aviv en tant qu’enquêteur. Trois ans plus tard, il devient coordinateur du renseignement et dirige des agents. En 1991, il a suivi un cours pour officiers et est devenu officier de renseignement dans le district de Tel Aviv.
Il espère toujours que son expérience aidera la police à améliorer ses compétences en matière de renseignement. Au cours de sa carrière, il a été en contact avec des collègues du Mossad et du service de sécurité Shin Bet.

Le travail de renseignement au sein de la police s’apparente-t-il à la gestion d’agents au sein du Shin Bet ou du Mossad ?
« Oui et non. Le Mossad et le Shin Bet dirigent des agents et peuvent utiliser les renseignements qu’ils obtiennent pour déjouer des attentats en [Cisjordanie] ou à l’étranger. Pour nous, à la police, le fait de déjouer un crime ou d’autres succès n’est possible que si nous pouvons fournir au tribunal des preuves qui aboutissent à une condamnation. Sans cela, nous n’avons rien fait ».

Assayag a assumé de nombreuses fonctions au sein de la police, notamment dans le cadre d’affaires de drogue graves telles que celle impliquant le trafiquant de drogue international Zeev Rosenstein. Assayag a également dirigé l’unité d’enquête de la police en Cisjordanie, où il a lutté contre les crimes violents commis par de jeunes colons - les « jeunes du sommet des collines » - à l’encontre de Palestiniens.

En mai 2011, une voiture palestinienne a été incendiée près d’Hébron, en Cisjordanie, dans le cadre d’une opération dite d’étiquetage des prix [« price tag operation » : acte de vandalisme punitif contre des Palestiniens, NdT]. L’incendiaire était Hannah Hananya, considérée comme l’égérie des jeunes des collines. Elle a commis ce crime alors qu’elle était censée être assignée à résidence chez Itamar Ben-Gvir. À l’époque, Ben-Gvir était un militant radical de la colonisation et un terroriste condamné ; aujourd’hui, il est ministre de la sécurité nationale.
Il était censé servir d’agent de probation pour le tribunal. Ben-Gvir a intenté un procès en diffamation - toujours en cours - contre Hananya et l’émission d’information d’investigation « Uvda » de Canal 12 concernant la publication d’informations sur cet incident.
Hananya était la cible de l’unité d’Assayag et de la division juive du Shin Bet en raison d’activités telles que l’entrée illégale dans une ancienne synagogue à Jéricho, l’intrusion dans une base militaire et le saccage d’une voiture, ainsi que la manifestation devant le domicile du chef de la division juive du Shin Bet. Hananya a été arrêtée et a purgé une courte peine de prison.

Itamar Ben-Gvir. La dégradation de l’état de la police sous sa direction retourne les tripes d’Assayag. Photo : Olivier Fitoussi

Elle a déclaré qu’elle avait informé les enquêteurs de la police d’autres projets de violence contre des Palestiniens, mais qu’elle n’avait pas été prise au sérieux.
« Nous avons travaillé avec le Shin Bet, mais c’est lui qui nous donnait des lignes directrices et des directives venant d’en haut », dit Assayag. « Je ne pense pas qu’ils se soient beaucoup investis dans la lutte contre la criminalité ultra-nationaliste juive ».

Est-ce que la police et vous-même étiez désireux de vous attaquer à ce problème ?
« J’ai traité ce dont j’étais témoin. Notre unité était petite. Elle a été élargie par la suite. Le Shin Bet ne nous informait pas toujours de tout. »

Avez-vous rencontré Ben-Gvir lorsque vous étiez dans le district de Judée et Samarie en Cisjordanie ?
« Non, pas en personne. Mais il était l’un des « clients » [suspects potentiels d’incidents violents] sur lesquels on se penchait.
Ben-Gvir n’a pas répondu aux demandes de commentaires pour cet article.

Le renseignement humain est précieux

Assayag estime que les efforts de la police israélienne en matière de renseignement peuvent encore être améliorés. « Le travail d’un officier de renseignement de la police est difficile ; il prend 24 heures par jour, sept jours par semaine », dit-il. « Les officiers traitants étaient autrefois des policiers chevronnés qui persévéraient dans ce travail. La jeune génération n’est pas enthousiaste à l’idée de faire ce genre de travail, et le taux de rotation est élevé.
« Malheureusement, la dépendance à l’égard de la technologie est de plus en plus forte. Mais le SIGINT [renseignement d’origine électromagnétique utilisant des dispositifs d’écoute] n’est pas tout. Voyez l’émoi suscité par l’utilisation du logiciel espion Pegasus [outils développés par l’entreprise israélienne controversée NSO]. La capacité de ces méthodes à produire des renseignements pertinents est très limitée. Elle est surestimée. Le SIGINT ne donne pas vraiment de résultats satisfaisants ; l’enthousiasme pour ce type de surveillance est très exagéré. Il faut investir beaucoup plus dans le HUMINT, le renseignement humain ».
Il est temps, après les 100 jours de grâce, que Danny prenne les choses en main et devienne indépendant », déclare Assayag à propos du nouveau chef de la police Danny Levy.

Que voulez-vous dire par là ?
« Il faut changer le concept de gestion des opérations. J’estime qu’il y a 500 officiers de renseignement de la police dans tout le pays. Je propose qu’ils soient tous placés dans les commissariats de police. Ils connaissent la zone dans laquelle ils travaillent. Ils savent comment exploiter les sources. Un agent fournira les renseignements qu’il recueille à son commissariat local et aux échelons supérieurs tels que le district et le Lahav 433. »
« Il faut sortir des sentiers battus. L’unité de renseignement et d’enquête doit être responsable de la stratégie. Elle déterminera les cibles, et les agents sur le terrain agiront en conséquence, mais ils conserveront une certaine indépendance et une capacité d’influence.
« De cette manière, nous pouvons limiter les effectifs et augmenter les salaires. Il faut améliorer le processus de sélection et attirer des personnes ayant des compétences académiques et une formation adéquate.
« Il faut mieux former les agents de renseignement pour qu’ils s’adaptent aux défis modernes. Ils doivent comprendre les crypto-monnaies, que de nombreux criminels utilisent pour brouiller les pistes. Il faut connaître le blanchiment d’argent, le fonctionnement de la criminalité financière sophistiquée, et pas seulement la criminalité classique comme les atteintes aux biens, les cambriolages ou les meurtres.
« Il faut prendre des mesures telles que la création de sociétés écrans pour pénétrer les organisations criminelles, qui ont souvent plus de connaissances et de moyens que la police. Mais je doute que ma proposition soit adoptée ».

Détérioration mortelle
La personne qui doit prendre cette décision est le nouveau chef de la police, le général de division Danny Levy, qui vient de terminer ses 100 premiers jours en fonction. Assayag le connaît assez bien ; ils ont travaillé ensemble au district de Tel-Aviv, mais dans des services différents.
« Danny est un bon policier qui s’est développé à partir de la base. Ces dernières années, les commissaires ont été parachutés du Shin Bet [Roni Alsheich] ou de la police des frontières [Kobi Shabtai]. Il est tout à fait capable de faire ce travail », affirme Assayag.


Le chef de la police Danny Levy : « un bon flic qui a grandi à partir de la base » 
 Photo Olivier Fitoussi

« Je suis pour un commissaire qui a grandi dans la police. Mais Danny doit développer son indépendance et se dissocier du ministre ».
La détérioration de l’état de la police sous Ben-Gvir retourne les tripes d’Assayag. « Après la nomination de Ben-Gvir au poste de ministre de la sécurité nationale, la police a changé. Elle utilise une force disproportionnée contre les manifestants [israéliens juifs, NdT] », explique-t-il.
« Cela découle de l’esprit du commandant. Il est temps, après les 100 jours de grâce, que Danny prenne les choses en main et devienne indépendant. Si aucun adulte responsable n’est trouvé pour arrêter la détérioration, une catastrophe s’ensuivra dans la société israélienne. »