Affichage des articles dont le libellé est Ahmed Hussein al-Charaa/Abou Mohammed al-Joulani. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Ahmed Hussein al-Charaa/Abou Mohammed al-Joulani. Afficher tous les articles

07/06/2025

ZVI BAR’EL
Trump blanchit les djihadistes alors que le président syrien s’efforce de constituer une armée nationale

Le nouveau président syrien doit manœuvrer entre le monde occidental, le monde arabe et ses alliés miliciens étrangers qui se sentent marginalisés. Le consentement de Trump à l’intégration des combattants étrangers dans l’armée syrienne sert les intérêts des deux présidents.

Zvi Bar’el, Haaretz, 6/6/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

L’une des conditions posées par Donald Trump au président syrien Ahmad al-Charaa pour obtenir la pleine reconnaissance de son pays et la levée des sanctions était le démantèlement de toutes les milices étrangères en Syrie et l’expulsion des combattants. Une fois de plus, Trump n’a pas déçu.

Cela ressemble à son revirement lorsqu’il a annoncé son « accord de cessez-le-feu » avec les Houthis au Yémen et a troqué ses menaces d’ouvrir les portes de l’enfer sur l’Iran contre une diplomatie visant à un nouvel accord nucléaire.


Le président Donald Trump, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane et le président par intérim syrien Ahmad al-Charaa, à droite, posent pour une photo à Riyad, en Arabie saoudite, le 14 mai 2025. Sana via AP

De la même manière, il a radicalement changé sa position sur la Syrie. Cette semaine, il a autorisé al-Charaa à intégrer des combattants étrangers dans la nouvelle armée syrienne.

Dans ces trois développements, Trump a balayé les réserves d’Israël et l’a laissé manœuvrer seul sa nouvelle carte géopolitique. La raison de ce revirement en Syrie pourrait résider dans l’avertissement sévère que le secrétaire d’État Marco Rubio a adressé au Comité des relations étrangères du Sénat le mois dernier.

« En fait, nous estimons franchement que, compte tenu des défis auxquels elle est confrontée, l’autorité de transition est peut-être à quelques semaines, et non à plusieurs mois, d’un effondrement potentiel et d’une guerre civile à grande échelle aux proportions épiques, qui conduirait essentiellement à la division du pays », a déclaré Rubio.

Un avertissement similaire a été lancé par les amis de Trump, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane et l’émir qatari Tamim ben Hamad al-Thani, lors de la visite de Trump dans la région le mois dernier. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a exprimé des idées similaires.

Ils sont tous les nouveaux protecteurs d’al-Charaa et ont promis de l’aider à forger une nouvelle Syrie, à reconstruire son armée et à garantir que le nouvel avatar sera pro-occidental et pacifique, et qu’il combattra l’État islamique.

Mais comme tout le monde l’a dit à Trump, sans la levée des sanctions, la Syrie n’aurait aucune chance de se reconstruire et pourrait même s’effondrer, mettant en danger toute la région.

Trump s’intéressait à une autre question. Il n’a pas exigé que la Syrie devienne un pays démocratique laïc où les droits de l’homme seraient le principe directeur. Trump voulait savoir comment et quand il pourrait ramener les troupes usaméricaines et quitter ce pays qu’il avait décrit en 2019, lorsqu’il avait annoncé pour la première fois son intention de retirer les forces usaméricaines, comme un endroit où il y avait « beaucoup de sable ».

Ainsi, si le départ des USAméricains nécessite un renforcement d’al-Charaa et si la condition est un “arrangement”  avec les milices étrangères, alors les considérations idéologiques ou morales ne feraient que perturber les plans de Trump.

Ces milices sont estimées à quelques milliers de combattants provenant d’une douzaine de pays, dont la Tchétchénie, la Chine, la Turquie, la Jordanie et l’Égypte. Elles constituaient l’épine dorsale d’al-Charaa lorsqu’il dirigeait les rebelles du Hayat Tahrir al-Cham dans la province d’Idlib, et en décembre dernier, lorsqu’il a lancé sa campagne éclair pour prendre Damas et renverser le régime d’Assad.

Mais il ne s’agit pas de mercenaires d’al-Charaa qui, une fois leur mission accomplie, peuvent être payés et renvoyés chez eux. Les combattants ne peuvent pas retourner dans leur pays d’origine, où la plupart d’entre eux sont considérés comme des terroristes. Et sans une solution qui garantisse leur sécurité en Syrie, le danger est qu’ils retournent leurs armes contre le nouveau gouvernement.

Comme l’a déclaré l’un de ces combattants à un site ouèbe en langue arabe : « Après toutes ces souffrances, après le changement de politique et le changement de drapeau » – du drapeau du parti Baas à l’ancien drapeau syrien – « j’ai l’impression d’être à découvert, comme si nous avions été oubliés, comme si les immigrés qui ont tout sacrifié étaient devenus un fardeau ». Al-Charaa est conscient que le chemin vers la lutte armée pourrait être court.

Les combattants étrangers sont arrivés en Syrie en 2012, environ un an après le début de la guerre civile. Depuis, ils se sont intégrés, ont fondé des familles et créé des entreprises et, si vous leur demandez, sont devenus partie intégrante de la société.

Beaucoup étaient motivés par les idéologies religieuses d’Ayman al-Zawahiri, le chef d’Al-Qaida, et d’Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de l’État islamique. Certains ont combattu pour l’État islamique avant de rejoindre al-Charaa, qui utilisait alors le nom de guerre Abou Mohammed al-Joulani. D’autres ont créé des milices qui ont offert leurs services à al-Charaa, puis, après sa rupture avec Al-Qaida en 2016, ont soit continué avec Al-Qaida, soit aidé l’État islamique.

À l’époque, al-Charaa devait lutter à la fois contre l’armée du régime d’Assad et les milices rivales, jusqu’à ce qu’il forme Hayat Tahrir al-Cham, une coalition de milices. En cours de route, il n’a pas hésité à tuer ses rivaux, y compris certains qui faisaient partie de son cercle restreint, lorsqu’il a découvert, ou cru découvrir, qu’ils cherchaient à le renverser ou qu’ils étaient en désaccord avec ses politiques et sa vision du monde.

Le passage de la direction d’un ensemble de milices à celle d’un pays a obligé al-Charaa à se démener pour empêcher cet ensemble de se désagréger. Il a dû former une grande force nationale loyale opérant dans tout le pays, mais il s’est heurté à un champ de mines constitué de groupes ethniques et de milices armées.

Parmi ceux-ci figurent les Druzes, les Kurdes et les Alaouites (la secte de la famille Assad) ; les deux premiers au moins sont lourdement armés et réclament l’autonomie. En outre, des dizaines de milices composées de Syriens et d’étrangers sont réticentes à abandonner les zones qu’elles contrôlent, qui financent leurs opérations et leur mode de vie.

Al-Charaa a également dû trouver des financements pour l’État syrien, afin de mettre en place les institutions gouvernementales, les forces de l’ordre, la justice et les services civils détruits sous le régime d’Assad.

Une fois de plus, il a dû suivre deux voies : établir des relations avec des pays arabes et occidentaux méfiants en prouvant sa volonté d’adopter des politiques pro-occidentales, y compris une éventuelle volonté de reconnaître Israël, tout en apaisant ses frères d’armes, les commandants des milices radicales qui éveillent les soupçons des pays qu’il courtise.

Al-Charaa a rapidement nommé certains des commandants étrangers à des postes élevés dans l’armée et les services de sécurité syriens, faisant de certains d’entre eux des généraux.

Il a également conclu un accord temporaire avec les Kurdes, qui ont annoncé leur volonté de rejoindre l’armée syrienne à condition de pouvoir créer une unité kurde qui n’opérerait que dans les zones kurdes, une condition à laquelle al-Charaa s’oppose. Al-Charaa a également conclu un accord partiel avec les Druzes, soutenu par plusieurs grandes milices druzes, même si d’autres attendent de voir où va la Syrie.

Quant aux petites milices, dont certaines ne comptent que quelques dizaines ou centaines de combattants, il leur a ordonné de déposer les armes et de rejoindre l’armée avant le 27 mai.

La semaine dernière, le ministre syrien de la Défense, Murhaf Abu Qasra, a déclaré que jusqu’à présent, plus de 130 miliciens avaient rejoint l’armée et formeraient une brigade distincte.

Ce compromis visait à obtenir le consentement des USAméricains pour l’enrôlement des combattants étrangers au lieu de leur expulsion. L’hypothèse est que s’ils font partie d’une unité spéciale, ils peuvent être déployés dans des missions moins sensibles et être étroitement surveillés.

Mais cela ne résout pas le problème de l’endoctrinement religieux radical dont ont fait l’objet la plupart de ces combattants, qui les a poussés à venir en Syrie. Cela pourrait avoir des conséquences concrètes.

Par exemple, l’armée syrienne est censée gérer les grands complexes pénitentiaires où sont détenus des dizaines de milliers de combattants de l’État islamique et leurs familles, principalement dans le nord du pays.

Ces installations sont sous contrôle kurde. La crainte est que si ces complexes sont transférés à l’armée syrienne, certains soldats redécouvrent leurs « frères perdus » de l’État islamique et les aident à s’échapper, ou pire, collaborent avec eux contre le régime.

Cette crainte devrait être prise en compte par la Turquie, qui a proposé de combattre l’État islamique à la place des USAméricains, qui se retireraient alors de Syrie. Dans le passé, Washington a rejeté cette idée, mais elle semble désormais constituer une solution acceptable qui permettrait à Trump de réfuter les accusations selon lesquelles le retrait des troupes usaméricaines équivaut à abandonner les Kurdes et la lutte contre l’État islamique.

L’accord concernant les milices étrangères est loin de suffire à imposer l’autorité de l’État sur les forces armées. Les accords avec les Kurdes et les Druzes n’existent encore que sur le papier. Les Alaouites, qui vivent sur la côte, sont une source de friction, tout comme les vestiges du régime Assad, qui sont armés et envisagent une contre-révolution.

Pour l’instant, al-Charaa bénéficie d’un large soutien arabe et occidental. Mais il devra bientôt prouver aux Syriens que sa révolution est plus que quelques slogans accrocheurs.


Cravate sanglante, par Hassan Bleibel, mars 2025

 

05/05/2025

HAYTHAM MANNA
Syrie : la loi de la jungle

 Haytham Manna , 4/5/2025
Original : شريعة الغاب

Traduit par Tlaxcala

Ci-dessous le chapitre 3 du livre « Manifeste contre le fascisme djihadiste », à paraître prochainement. [chapitre 1 chapitre 2]

Lorsque nous lisons un « message sur le jugement de la musique » du nouveau ministre de l’Intérieur de Damas, Anas Khattab, nous réalisons que notre problème en Syrie aujourd’hui n’est pas de revenir à « la loi de Dieu », mais de revenir « triomphalement » à la loi de la jungle. En effet, chez le créateur des termes « djihad sunnite » et « culte du djihad », nous lisons :

« Les instruments de musique sont la cause du tremblement de terre, de la transformation et des secousses... Ce consensus a été rapporté par Al-Qurtubi, Ibn Rajab, Ibn Salah, Ibn Hajar al-Haytami et d’autres"... Et le Cheikh de l’Islam Ibn Taymiyya, que Dieu lui accorde sa miséricorde, a dit : “Quiconque pratique ces amusements dans un but religieux et pour se rapprocher de Dieu, il n’y a aucun doute sur son égarement et son ignorance”. "Quant à celui qui le fait pour le plaisir et le divertissement, les écoles des quatre imams s’accordent à dire que tous les instruments de musique sont interdits, car il a été établi dans Sahih al-Bukhari et ailleurs que le Prophète, paix soit sur lui, a informé qu’il y aurait parmi sa communauté ceux qui rendraient licites la soie, l’alcool et les instruments de musique, et il a mentionné qu’ils seraient transformés en singes et en porcs. "Les instruments de musique sont les amusements, comme l’ont mentionné les gens de la langue, le pluriel d’instrument (ma’azifah) est l’outil avec lequel on joue : c’est-à-dire avec lequel on fait du bruit, et aucun des suiveurs des imams n’a contesté l’interdiction des instruments de musique »[1]...

Je remercie Dieu que ma mère croyante, qui veillait à prier, jeûner, faire le pèlerinage et donner la zakat, jouait du luth pour nous lorsque nous rentrions de la visite à  mon père emprisonné* , pour alléger notre chagrin, et qu’elle a enseigné les mathématiques et les sciences naturelles à plus d’une génération. Elle nous a quittés avant de voir et d’entendre ce que nous voyons et lisons aujourd’hui, venant de ceux que Hassan Aboud, le fondateur du mouvement Ahrar al Sham en Syrie, a qualifiés de « nouveaux venus, enfants de la jeunesse, dépourvus de sagesse, sans connaissance en matière de religion ni en politique légitime »


Urgent - Nettoyage en cours” : al-Jazeera, machine de blanchiment d’al-Joulani
Dessin d’Adnan Al Mahakri, Yémen

Le problème des takfiristes ne se limite pas à leur rejet de la musique, de la pensée et de la poésie, ni à leur considération de tout désaccord culturel comme un danger pour ahl alssuna, « les gens de la sunna ».  Cela va au-delà, touchant leur vision globale de l’homme, de l’islam, des systèmes politiques et des groupes humains. Ils répètent, de manière odieuse, un vers célèbre attribué à l’imam Al-Shafi’i :

« Tout savoir en dehors du Coran est une distraction... Sauf l’enseignement des hadiths et la jurisprudence religieuse ».

« Le savoir est ce qui contient le récit “Nous avons entendu”... Tout le reste n’est que suggestions des démons ».

En ce qui concerne les systèmes politiques, on trouve constamment des critiques des réformateurs musulmans du type :

« Nous les avons vus autoriser la démocratie au nom de la consultation... Ils mentent !

Avant cela, ils ont permis le socialisme...

Et ils ont autorisé la législation en dehors d’Allah et la création de partis politiques sous prétexte d’appliquer la charia... Ils prétendent!

Et ils ont permis à une femme et à un chrétien de gouverner les musulmans...

Et ils ont interdit de se rebeller contre le dirigeant sans ce qu’Allah a fait descendre...

Et ils ont considéré les laïques, les communistes, les libéraux, les socialistes et d’autres comme des musulmans croyants !

Et ils ont considéré les chrétiens comme des frères des musulmans...

Et ils ont permis l’occupation américaine de l’Afghanistan !!!

Et certains d’entre eux ont permis d’assister à la messe des chrétiens infidèles et de les féliciter pour la nomination de leurs papes !!

Et certains d’entre eux ont permis aux hommes de se raser la barbe...

Et certains d’entre eux ont permis aux femmes de porter le pantalon...

Et d’autres innovations et égarements qu’ils ont répandus parmi les musulmans comme étant des certitudes dans la religion de l’islam... Et Allah nous suffit, et Il est notre meilleur protecteur » [2].

Qu’est-ce que le djihad sunnite ?

Anas Khattab répond : « Le djihad, en plus d’être un acte d’adoration, est également l’une des activités de l’individu dans sa vie. L’histoire de l’humanité et sa réalité contemporaine témoignent que l’être humain doit combattre les autres, quelle que soit la raison ou la motivation de ce combat... ! L’islam est venu pour orienter ce combat et le classer parmi les actes d’adoration ».

Pour les takfiristes, la destinée de l’homme est de combattre les autres, et cet “autre” peut être fabriqué selon les besoins. Il est nommé “nusayri” en Syrie, “chrétien” ou “chiite” dans d’autres pays, et “sectes égarées” ailleurs. Le concept s’élargit et se resserre selon les besoins, et il suffit d’un caricaturiste européen ou d’un enregistrement falsifié soigneusement préparé d’une personne dite appartenant à la secte des Druzes unitariens pour déclencher la guerre. Le peuple est facilement mobilisé, et les historiens en ont souvent assez de mentionner les précédents. Ceux dont les droits à la connaissance, au travail et à la culture ont été bafoués se mobilisent pour défendre « la religion », « le Prophète » et « le dogme ». Ils se dirigent comme des loups vers leurs semblables pour se libérer de ceux que leurs griffes peuvent atteindre, en soutenant Dieu et Son Prophète.

Cela nous rappelle l’histoire racontée par Yaqout al-Hamawi dans son “Dictionnaire des villes” : « Les habitants de la ville étaient trois groupes: les chafi’ites, qui étaient les moins nombreux, les hanafites, qui étaient les plus nombreux, et les chiites, qui constituaient la majorité... La rivalité entre les sunnites et les chiites s’est intensifiée, et les hanafites et les chafi’ites se sont unis contre eux. Des guerres ont éclaté, toutes victorieuses pour les chafi’ites, malgré leur petit nombre. Mais Dieu les a soutenus. Les habitants de Rustaq, qui étaient hanafites, venaient à la ville avec des armes et soutenaient leurs coreligionnaires, mais cela ne leur a rien apporté, jusqu’à ce qu’ils soient exterminés. Ces lieux en ruines que vous voyez sont les lieux des chiites et des hanafites, tandis que ce quartier connu pour les chafi’ites demeure. Et il ne reste des chiites et des hanafites que ceux qui cachent leur doctrine ».[4]


Erdo
ğ
an le marionettiste
Adnan Al Mahakri

Depuis la naissance de « Jabhat al-Nusra » sous le commandement d’Abou Bakr al-Baghdadi, les slogans principaux qu’ils ont exprimés sont : "La démocratie est un péché et une mécréance", "Les chrétiens doivent être  pourchassés a Beyrouth, et les nusayris aux cercueils". Le djihad en Syrie et pour la Syrie est "contre les nusayris et leurs alliés", "contre le régime nusayri et les milices chiites", et en soutien aux gens de la sunna. Des fonds ont afflué de tous les pays du Golfe vers ce groupe, atteignant "le gaspillage" d’un milliard de dollars au cours de sa troisième année, selon Abou Mohammed al-Joulani. Cela a également été une opportunité pour les pays du Golfe de se débarrasser de ceux qu’ils n’ont pas réussi à réhabiliter parmi les détenus de Guantanamo et les prisonniers d’Al-Qaïda, le directeur des renseignements saoudiens Bandar bin Sultan s’étant chargé de les éliminer dans le brasier syrien. Cela a également été une occasion d’envoyer des salafistes du Maghreb vers l’Est ! Cependant, Recep Tayyip Erdoğan et le directeur du MIT [services de renseignement turcs, NdT] à l’époque, Hakan Fidan, ont considéré cela comme une opportunité de diriger "l’islam sunnite" et de s’emparer des fonds du Golfe. Le résultat a été que ce qu’ils avaient imaginé comme une promenade d’un an ou deux s’est transformé en cauchemar avec l’arrivée de la plus grande masse de réfugiés syriens sur son territoire. Malgré cela, le gouvernement turc a réussi à investir massivement sur le plan économique et géopolitique dans la tragédie syrienne, et cela se poursuit.


Hakan Fidan et Ahmed al-Charaa à Damas le 24 décembre 2025

L’ouverture des frontières turques aux dizaines de milliers de combattants non syriens pour le djihad a complètement modifié la carte des forces opposées au régime dictatorial syrien. Les voix démocratiques ont été marginalisées, et parler du slogan de la révolution syrienne "Le peuple syrien est un" est devenu un blasphème et une hérésie jusqu’à ce que des mots comme "peuple", "liberté", "souveraineté" et "État national" soient désormais combattus et provoquent des attaques de factions armées de l’opposition. Avec la prise de contrôle de Hay’at Tahrir al-Sham sur une partie importante de la province d’Idlib, le travail a sérieusement commencé à "nettoyer" la ville de quiconque différait de "Jabhat al-Nusra" dans son mode de vie et de ses habitudes... Des sanctions ont été appliquées contre "les déviants et les violations", ce qui a conduit à l’exil d’un tiers de la population. Dans certains villages, des complexes djihadistes ont été établis selon le pays d’origine des combattants, comme pour les Ouïghours, les Tchétchènes et les Marocains... Même des Français se sont installés là où ceux qui ont été expulsés ou contraints à fuir se trouvaient. Il est ironique que ceux qui fuyaient les réformes sociales en Arabie Saoudite aient apporté avec eux les souvenirs de la "Commission pour la promotion de la vertu et la prévention du vice" à Idlib, avec un financement généreux d’organisations "caritatives" wahhabites au Qatar et en Arabie Saoudite, pour propager le port du niqab, interdire le mélange dans les restaurants et les bureaux, et empêcher la présence de femmes non accompagnées dans les magasins. En outre, il était également interdit de vendre des vêtements féminins aux hommes et de surveiller les salles de mariage et les événements festifs pour interdire "les comportements immoraux", ainsi que la consommation publique de chicha dans les rues, les magasins et les restaurants. Ils ont aussi interdit les coupes de cheveux exagérées et les comportements "inappropriés", en surveillant les jeunes filles et les garçons dans les instituts d’enseignement et les moyens du transports.

Après que les "juristes" et les "djihadistes" ont commencé à porter des cravates, l’euphorie a atteint un certain nombre de déçus qui pensaient que les gens les avaient oubliés, mais ils se sont mis à parler de "l’oppression sunnite" et à chercher les mérites de ceux qui "ont libéré et décidé"... Ils ont oublié que le changement de peau d’un serpent n’enlève pas le venin de ses morsures. L’attaque contre la zone côtière a révélé la nature instinctive de ceux qui sont devenus le nouveau pouvoir à Damas. Nawar Jabour décrit la tragédie du nettoyage sectaire en disant : « Les massacres qui ont eu lieu sur la côte ont ajouté une dimension où les Alaouites sont devenus un ennemi explicite, tués et filmés morts, leurs magasins et leurs terres incendiés, et ils sont pourchassés même lorsqu’ils fuient vers les forêts ou les vallées. Mais ce qui était encore plus cruel, c’était le meurtre ritualisé ou le meurtre inspiré, où les tueurs veillaient à exécuter les massacres conformément à ce qui avait été prescrit religieusement contre les ‘nusayris’, ce qui a consacré le caractère religieux de la violence, de sorte que le message n’était pas seulement destiné aux victimes, mais leur corps même est devenu un message politique et religieux. Le meurtre n’était pas seulement un acte de violence gratuit, mais des vidéos ont circulé documentant des meurtres célébratoires, où l’objectif n’était pas seulement d’éliminer physiquement les victimes, mais de se vanter de détruire leurs biens et de les voler. Une vantardise ouverte sur le pillage des maisons des tués, des combattants brandissant les biens des habitants comme des butins, illustrant la fierté du vol, tout comme les Syriens l’avaient précédemment observé avec les soldats du régime déchu et les milices de défense nationale. Les victimes tuées sont devenues des symboles de la victoire de la foi, où le devoir sacré de purification se manifeste sur les corps tués et abandonnés à la vue de tous, consolidant une image à long terme selon laquelle ils sont politiquement, religieusement et spirituellement rejetés ». [7]

Jusqu’à aujourd’hui, l’autorité d’Ahmad al-Charaa n’a émis aucune décision claire pour mettre fin aux agressions qui touchent les terres, les biens et le droit à la sécurité des Alaouites en tant que tels !

Il est difficile de savoir qui a fabriqué un enregistrement audio et l’a attribué à un Syrien de la communauté druze, mais il est facile de suivre les réactions parmi ceux qui sont maintenant officiellement définis comme "les éléments et factions non disciplinés". Par un coup de génie et au nom de la défense du Prophète Mohamed, le verset coranique "Nul ne porte le fardeau d’un autre" a été modifié dans l’esprit des foules (sans le "non"), et le Parti de la mobilisation et de la haine s’est dirigé vers la Syrie miniature (Jaramana) pour se venger de ses habitants dans une affaire qui ne les concernait pas. Le nombre de victimes dans cette folie collective a dépassé la centaine, avec des dizaines de détenus et de disparus.

N’est-ce pas le parti des trois “T”  (altakfir waltahrim waltafjir, التكفير والتحريم والتفجير) qui détient réellement le pouvoir sur les autorités sécuritaires et militaires aujourd’hui ? Ahmad Al-Charaa peut-il adresser des critiques ou des plaintes à ceux qu’il a nommés au Conseil de sécurité nationale, une autorité au-dessus de tout ? Y a-t-il quelqu’un parmi eux, y compris le nouveau chef des renseignements, dont les mains ne soient pas tachées du sang des Syriens ?

Une personne raisonnable peut-elle croire aujourd’hui que “l’autorité de transition” à Damas veut construire une Syrie pour tous les Syriens et Syriennes ?

NdT
* Yousef Aloudat, avocat, a été emprisonné pendant 18 ans sous le régime Assad [NdT]
Notes

[1] https://t.ly/NoHFs 

[2] Anas Khattab, ibid, bien que ce passage soit plagié à partir de plusieurs autres textes sans mentionner les autres sources.

[3] https://t.ly/8g1_F   (Le djihad sunnite et les voies de la déviation).

[4] Voir Yaqut al-Hamawi, Lexique des pays, 3/117, voir aussi : Le phénomène du fanatisme à travers l’histoire islamique, Muhammad Amjad Abdul Razzaq al-Bayat, 2018, Dar al-Maymana, Médine.

[5]  https://t.ly/v4Lgr 

[6]  https://t.ly/rNEt1 

[7] https://t.ly/_i1Bg  https://t.ly/rPfmR 


15/12/2024

ZVI BAR’EL
La Syrie pourrait devenir un protectorat turc, ce qui limiterait la liberté d’action d’Israël

La Turquie, qui a un intérêt stratégique à faire de la Syrie un rempart contre les Kurdes, cherche à prendre la place de la Russie et de l’Iran, notamment en contrôlant l’espace aérien syrien.

Zvi Bar’el, Haaretz , 15/12/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 


Des membres de la communauté syrienne d’Istanbul célèbrent la chute du régime Assad, la semaine dernière. Photo Yasin Akgul/AFP
 

Un jour après qu’Israël a pris le contrôle du Mont Hermon syrien et des zones autour de Quneitra, le nouveau gouvernement syrien dirigé par Ahmed Hussein al-Chara (alias Abou Mohammed al-Joulani) a rapidement envoyé deux lettres au Conseil de sécurité et au secrétaire général de l’ONU, demandant à Israël de retirer ses forces du territoire syrien et de cesser ses attaques.

« La République arabe syrienne entame un nouveau chapitre de son histoire, son peuple aspirant à construire un État fondé sur la liberté, l’égalité, l’État de droit et la réalisation de ses espoirs de stabilité et de paix. Pourtant, en ce moment même, l’armée israélienne a envahi de nouvelles zones du territoire syrien dans les provinces de Jebel El Cheikh [nom arabe du Mont Hermon] et de Quneitra », peut-on lire dans la toute première lettre du gouvernement au Conseil de sécurité.

Lors de sa visite sur le plateau du Golan dimanche dernier, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou n’a laissé aucune place au doute : « L’accord de 1974 qui établissait la séparation des forces entre Israël et la Syrie par le biais d’une zone tampon s’est effondré... Les soldats syriens ont abandonné leurs postes. Nous ne permettrons à aucune force hostile de s’établir le long de notre frontière ». Jeudi, Walla News a rapporté que Netanyahou avait informé le conseiller à la sécurité nationale des USA, Jake Sullivan, que les forces de défense israéliennes resteraient dans la zone tampon syrienne « jusqu’à ce qu’une force capable de faire respecter l’accord de séparation soit établie ».

Il s’agit du deuxième accord international régional violé par Israël, après sa prise de contrôle du corridor Philadelphie et le déploiement de forces à Gaza - des actions qui, selon l’Égypte, violent à la fois les accords de Camp David et l’accord de 2005 sur les déplacements et l’accès. Les situations sont toutefois différentes. Avec l’Égypte, Israël maintient des négociations en cours.
Par le passé, il a même permis aux forces égyptiennes de dépasser les limites de Camp David en renforçant leur présence militaire dans le Sinaï, y compris par l’utilisation de la puissance aérienne, pour combattre les organisations islamistes dans la péninsule. En revanche, Israël ne dialogue pas avec la Syrie et n’a pas l’intention de se retirer dans un avenir prévisible des territoires qu’il a récemment saisis.
La déclaration d’al-Chara, samedi, selon laquelle « dans l’état d’affaiblissement où se trouve la Syrie, elle n’a pas l’intention d’entrer dans une confrontation militaire... et nous n’avons aucun intérêt à entrer en conflit avec Israël » n’est pas de nature à rassurer Israël ou à modifier sa position concernant les territoires occupés.

Une course à la normalisation
Contrairement à la liberté d’action pratiquement illimitée d’Israël à Gaza - soutenue par la légitimation internationale et arabe pour agir avec force contre le Hamas, mais pas contre les civils -, sa position à l’égard de la Syrie est nettement différente. Bien qu’Al-Chara et son gouvernement n’aient pas été élus démocratiquement et qu’ils soient arrivés au pouvoir par la force militaire, craignant une guerre civile potentielle, ils ont déjà acquis une grande crédibilité arabe et internationale. Il continue à renforcer ce soutien par des déclarations diplomatiques stratégiques qui laissent entrevoir les politiques qu’il entend mener, et ces efforts portent déjà leurs fruits.

Après avoir reçu les félicitations de grands États arabes comme l’Égypte, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, des mesures concrètes ont été prises. La Turquie a rouvert son ambassade à Damas samedi, et le Qatar devrait faire de même dimanche. Les pays européens semblent également prêts à normaliser leurs relations avec la Syrie après une interruption de 13 ans, d’autant plus que certains d’entre eux avaient déjà envisagé de rétablir des liens avec le régime d’Assad.
Le soutien international croissant au nouveau gouvernement syrien pourrait bientôt se traduire par des pressions sur Israël pour qu’il se retire des territoires nouvellement occupés. Contrairement au Hamas, qui fait face à un large consensus international [disons : occidental, NdT] contre son rôle dans la future gouvernance de Gaza, le Ha’yat Tahrir al-Cham de Syrie est de plus en plus considéré comme une autorité légitime - bien qu’il soit toujours inscrit sur la liste des organisations terroristes et que son chef fasse l’objet d’une prime de 10 millions de dollars.
La Turquie, qui dispose de l’influence la plus importante, se positionne pour diriger les efforts visant à normaliser les relations internationales du nouveau régime syrien. Cette position s’explique par de multiples facteurs : Le soutien de longue date de la Turquie aux milices de Ha’yat Tahrir al-Cham, son contrôle sur l’Armée nationale syrienne (anciennement l’Armée syrienne libre) et sa maîtrise des postes-frontières cruciaux qui constituent la ligne de vie économique de la Syrie.
La Turquie entend désormais jouer le rôle de principal protecteur de la Syrie que tenaient auparavant l’Iran et la Russie. Cela va au-delà de simples relations de « bon voisinage » entre pays frontaliers. La Turquie a un intérêt stratégique primordial : transformer la Syrie en un rempart contre les forces kurdes, qu’elle combat depuis des décennies. Alors que la Turquie a condamné l’incursion d’Israël sur le territoire syrien, elle a elle-même occupé par la force certaines parties du nord-ouest de la Syrie. La semaine dernière, les milices qui lui sont alliées se sont emparées de la ville de Manbij à l’ouest de l’Euphrate, un bastion kurde, et la Turquie ne cache pas son intention d’étendre ses opérations à l’est de l’Euphrate.
La question kurde devrait dominer les prochaines discussions turco-syriennes, car sa résolution est cruciale pour la capacité d’Al-Chara à établir un État unifié. Un accord réussi permettrait d’éviter que les conflits internes ne dégénèrent en affrontements armés entre le régime et la minorité kurde, de faciliter le retrait des forces turques de Syrie et d’apaiser les tensions entre les autres minorités religieuses et ethniques du pays.

La situation des Kurdes
Le Conseil d’administration autonome kurde, qui gouverne les provinces kurdes du nord de la Syrie, supervise les Forces démocratiques syriennes (FDS) - un corps militaire composé de combattants kurdes et arabes que les USA ont établi comme une force efficace contre ISIS. La semaine dernière, le Conseil a annoncé que « les provinces du nord et de l’est de la Syrie sont une partie inséparable de la géographie syrienne » et a décidé de hisser le nouveau drapeau syrien des rebelles sur tous les bâtiments publics. Cela montre que les Kurdes ont l’intention de continuer à faire partie de la Syrie plutôt que d’établir une région indépendante, en acceptant l’autorité du nouveau gouvernement.

Toutefois, les Kurdes, qui contrôlent la plupart des champs pétroliers et les principales régions agricoles de la Syrie, posent des conditions à cette acceptation. Un document circulant sur les médias sociaux jeudi, censé présenter des projets de demandes de négociation entre les forces kurdes et Hayat Tahrir al-Cham sous la supervision des USA, détaillait plusieurs points clés. Les Kurdes se retireraient de Deir ez-Zor, Raqqa et Tabqa en échange du retour des résidents kurdes à Afrin, Tel Abyad et Ras al-Ayn, occupés par les Turcs, ainsi que du retrait des Turcs de ces zones.
Parmi les autres revendications figurent la reconnaissance d’une gouvernance autonome kurde, une aide au retour des Kurdes déplacés dans les villes occupées par la Turquie, une représentation militaire kurde dans le gouvernement qui sera formé après mars 2025 (date limite fixée par Al-Chara pour le mandat du gouvernement temporaire), l’engagement de retirer toutes les forces turques et la reconnaissance du kurde en tant que deuxième langue officielle.
Bien que cette liste reste préliminaire et sujette à des négociations, elle illustre clairement l’ampleur des défis auxquels le gouvernement syrien est confronté s’il cherche une solution diplomatique plutôt que militaire. Al-Chara, pris entre les pressions turques et les exigences kurdes, doit naviguer prudemment sur ce terrain miné, en équilibrant les aspirations turques et les intérêts kurdes, tout en maintenant de bonnes relations avec la Turquie sans fragmenter l’État.
L’évolution des relations turco-syriennes pourrait avoir un impact significatif sur les opérations d’Israël en Syrie. Au-delà des efforts internationaux visant à retirer les forces de Tsahal de la zone tampon, la Turquie pourrait déterminer la liberté opérationnelle aérienne d’Israël en Syrie. Alors qu’Israël bénéficiait auparavant d’un accès presque illimité, coordonné avec le commandement russe, à la base aérienne de Khmeimim, les forces russes ont commencé à se retirer. La plupart des avions russes ont quitté la Syrie et Moscou négocie actuellement le maintien de sa présence navale dans le port de Tartous.
En l’absence des forces aériennes syriennes et russes, la Turquie pourrait devenir le contrôleur de facto de l’espace aérien syrien et, en partenariat avec le gouvernement syrien, mettre fin à la liberté opérationnelle d’Israël. Bien que le besoin d’Israël pour une telle liberté puisse diminuer de manière significative avec le départ de la plupart des forces iraniennes et l’intention d’al-Chara d’empêcher les activités du Hezbollah en Syrie, Israël reste sceptique quant à la capacité du nouveau gouvernement syrien à bloquer les transferts d’armes de la Syrie vers le Liban. Par conséquent, Israël devra probablement conclure des accords avec la Turquie - des accords qui pourraient avoir un coût politique dans d’autres régions, y compris à Gaza.