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15/09/2023

DAVID KLEBE
En route vers Ouman
Le pèlerinage des Juifs hassidiques sur la tombe de Rabbi Nahman est devenu un enjeu politique

David Klebe (avec kna, agence de presse catholique), Jüdische Allgemeine,  14/09/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

« Qu'est-ce que je peux vous dire ? Il n'y a tout simplement rien de plus grand que d'être avec moi à Rosh Hashanah ! » Ces paroles rapportées de Rabbi Nahman de Bratslav [Rebbe Nohmen Breslover] illustrent le souhait de nombreux adeptes du mouvement hassidique de Bratslav de se rassembler pour le Nouvel An juif [16-17/9/2023] sur la tombe de cet érudit né en 1772. Il est décédé en 1810 à Ouman. Dans cette ville située aujourd'hui en Ukraine, à environ 200 kilomètres de Kiev, sa tombe est un lieu de pèlerinage.

L’un des disciples du rabbin Nahman est le rabbin David Kraus, qui vit à Jérusalem. « Depuis 2006, je me rends chaque année à Ouman pour voir le rebbe, j’y suis au moins deux fois par an et au moins une fois par an avec toute la famille », raconte-t-il à notre journal. Il estime que cette année encore, entre 30 000 et 40 000 fidèles rien que d’Israël se rendront à Ouman pour Rosh Hashanah, Et ce, bien que de nombreuses instances officielles le déconseillent vivement en raison de la guerre d’agression russe.

Atmosphère

Le rabbin Kraus explique ce qui caractérise un pèlerinage à Ouman : « C’est la ville de toutes les nostalgies. L’atmosphère, surtout ce qui s’y passe en vous chez Rabbi Nahman, est incroyable et indescriptible. Il faut y avoir été, l’avoir ressenti et vécu pour le comprendre ».

Il prend les dangers au sérieux, mais la force de la foi lui donne confiance. Et finalement, on vit aussi en Israël sous une menace permanente : « J’y suis déjà allé deux fois cette année et j’ai aussi visité la tombe du Baal Shem Tov, et tout était sûr. Il n’y a rien à voir ou à ressentir de la guerre. Les événements de la guerre se déroulent bien plus loin de là ».

L’ambassade usaméricaine à Jérusalem, par exemple, voit les choses tout autrement. Elle a publié un avertissement jeudi dernier. Celui-ci est sans équivoque : « Ne voyagez pas ». 


Recommandation

La recommandation s’applique aux citoyens usaméricains qui envisagent de se rendre en pèlerinage à Ouman pendant Roch Hachana : « Depuis le début de la guerre en Ukraine, les frappes aériennes russes ont touché des bâtiments civils et des infrastructures critiques, y compris des lieux de culte, dans toutes les régions du pays, souvent sans avertissement ou avec peu d’avertissement. Pas plus tard qu’en juin, Ouman a subi plusieurs attaques de missiles russes ». Le ministère israélien des Affaires étrangères a également émis une alerte aux voyages en Ukraine et mis en garde contre les pèlerinages à Ouman.

28/10/2022

YOSSI MELMAN
« Israël aura honte de ne pas avoir été à nos côtés » : Oleksii Reznikov, ministre ukrainien de la Défense

 Yossi Melman, Haaretz, 27/10/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

L’indécision israélienne concernant la guerre en Ukraine est à la fois une erreur morale et stratégique, a déclaré le ministre de la Défense ukrainien Oleksii Reznikov à Haaretz dans une interview exclusive. La Russie pourrait rétribuer l'Iran pour son aide en renforçant son projet nucléaire alors qu'Israël ne fait rien

Le ministre ukrainien de la Défense, Oleksii Reznikov, arrive à une réunion des ministres de la Défense de l'OTAN à Bruxelles ce mois-ci. Photo : Kenzo Tribouillard/AFP

Il y a à peine trois mois, une équipe d'assassins a tenté de tuer Oleksii Reznikov, mais le ministre ukrainien de la Défense dit qu'il n'a pas peur. « Même s'ils me tuent, cela ne changera rien », a-t-il déclaré à Haaretz cette semaine, dans une interview exclusive, la toute première avec un média israélien. L'Ukraine compte un million de personnes servant dans l'armée, les services de sécurité, la police et d'autres organisations – qui sont ensemble contre l'agression de Vladimir Poutine, a déclaré Reznikov. « S'ils me tuent, rien ne changera, parce qu'il y aura plus de gens pour défendre l'Ukraine. Quelqu'un d'autre prendra ma position, et nous poursuivrons la lutte pour la liberté et l'indépendance du pays. Je suis certain que nous vaincrons l'ennemi et gagnerons. »

L'entretien avec Reznikov s'est déroulé en anglais, lundi 24 octobre sur Skype, environ deux heures après sa conversation téléphonique – après de nombreux mois sans contact – avec le ministre israélien de la Défense Benny Gantz. Reznikov avait l'air détendu, calme et concentré. Il n'a pas éludé une seule question, mais au début de l'entretien, il a particulièrement essayé d'utiliser le langage diplomatique. « Nous avons eu une conversation chaleureuse », a dit Reznikov à propos de son appel avec Gantz. « Je lui ai souhaité bonne chance pour les élections et nous avons discuté de toutes les menaces auxquelles l'Ukraine était confrontée à la suite de l'invasion russe. »

Mais plus tard, le ministre a choisi ses mots moins soigneusement, et a exprimé sa déception et sa frustration à l'égard de la politique d'Israël ménageant la chèvre et le chou dans la guerre. « Quand je parle avec mes collègues, je comprends que tout le monde a son propre programme, et Israël a son propre programme, surtout avant les élections, et je suis conscient de ses considérations et de ses intérêts aussi, mais néanmoins je trouve difficile de comprendre pourquoi [Israël] agit de cette façon. »

Comment ça ?

« J'ai expliqué à mon collègue, Benny Gantz, que la Russie a utilisé des drones iraniens… pour frapper des installations civiles ukrainiennes… Au début, il a été dit que ces drones ne servaient qu’à la collecte de renseignements. Mais très rapidement, il s'est avéré que ce sont des drones d'attaque, qui attaquent la population civile sans défense et les biens de tous les citoyens ukrainiens, indépendamment de la religion ou de l'appartenance ethnique. »

Des institutions juives, y compris des synagogues et des cimetières ont été endommagés, a-t-il dit, et pour Rosh Hashanah, des drones iraniens ont survolé les dizaines de milliers de Juifs qui étaient venus en pèlerinage annuel dans la ville d'Uman : « Les drones ont ciblé et frappé les synagogues et autres sites juifs, y compris ceux liés à Israël, comme à Kiev, le lieu de naissance de Son Excellence, la distinguée Première ministre d'Israël, Golda Meir. »

08/10/2022

ALEX DE WAAL
La famine, point de fuite des lois de la guerre

 Alex de Waal, The New York Review of Books, 11/9/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Alexander William Lowndes de Waal (né en 1963), chercheur britannique sur la politique des élitex africaines, est le directeur exécutif de la World Peace Foundation à la Fletcher School of Law and Diplomacy de l'Université Tufts (Massachussets). Auparavant, il a été membre de la Harvard Humanitarian Initiative à l'Université de Harvard, ainsi que directeur de programme au Social Science Research Council on AIDS à New York. Parmi ses livres Famine Crimes: Politics and the Disaster Relief Industry in Africa et Mass Starvation: The History and Future of Famine. Avec Bridget Conley, Catriona Murdoch et Wayne Jordash KC, il est coéditeur du recent livre Accountability for Mass Starvation : Testing the Limits of the Law. Il a dit à Daniel Drake dans une interview à la NYB : « Mon père et sa famille ont été chassés d'Autriche par les nazis en 1938. J'ai appris plus tard que deux générations auparavant, mon arrière-arrière-grand-père Ignace von Ephrussi avait quitté Odessa, craignant à juste titre des pogroms contre les Juifs. À cette époque, les Ephrussi étaient les plus gros négociants en céréales d'Europe. »

Presque toutes les famines modernes, y compris celles du Yémen et du Tigré, sont causées par des tactiques de guerre. Que faudrait-il pour les empêcher ?

Travailleurs transportant des sacs de céréales dans un entrepôt du Programme alimentaire mondial (PAM) à Abala, Éthiopie, juin 2022. Photo Eduardo Soteras/AFP/Getty

L'Organisation des Nations Unies a estimé que 276 millions de personnes dans le monde sont aujourd'hui « gravement menacées d'insécurité alimentaire ». Quarante millions de personnes sont dans des conditions « d'urgence », un peu en deçà de la définition technique de la « famine » par l'ONU. Au début de cette année, les effets conjugués de la crise climatique, des retombées économiques de la COVID-19, du conflit armé et de la hausse des coûts du carburant et de la nourriture avaient déjà provoqué une forte augmentation du nombre de personnes ayant besoin d'aide. Puis l'invasion russe de l'Ukraine a soudainement coupé les exportations de blé du grenier mondial. Pendant cinq mois, les navires de guerre russes ont bloqué les ports de la mer Noire et empêché les cargaisons de céréales de partir, à la fois pour étrangler l'économie ukrainienne et pour déstabiliser les pays importateurs de denrées alimentaires afin de pousser les USA et l'UErope à assouplir les sanctions. 

« Nous sommes confrontés à un risque réel de famines multiples cette année, et l'année prochaine pourrait être encore pire », a averti le Secrétaire général des Nations Unies António Guterres à l'Assemblée générale en juillet. Quatre jours plus tard, lui et le président turc Recep Tayyip Erdoğan ont annoncé qu'ils avaient négocié des accords parallèles avec la Russie et l'Ukraine pour reprendre les expéditions de céréales et d'engrais synthétiques. Malgré une frappe russe sur Odessa, les premiers navires chargés de blé ukrainien partent le 1er août. (Aucune date n'est encore fixée pour la reprise des exportations d'engrais de Russie.) Au 4 septembre, 86 navires transportant plus de deux millions de tonnes de nourriture avaient quitté les ports ukrainiens. Les prix mondiaux du blé et de l'huile de tournesol ont baissé, ce qui laisse présager une baisse des prix du pain en Égypte et un allégement de la pression sur le budget du Programme alimentaire mondial (PAM) pour l'aide alimentaire d'urgence. S'exprimant dans la ville ukrainienne de Lviv, Guterres s'est félicité lui-même et Erdoğan pour l'accord, l'Initiative sur les céréales de la mer Noire, qui, a-t-il dit, « aidera les personnes vulnérables dans tous les coins du monde ».

La levée du blocus de la mer Noire est en effet une étape importante vers une alimentation plus abordable pour des dizaines de millions de personnes qui, avant la récente hausse des prix, consacraient déjà un tiers ou plus de leurs dépenses quotidiennes au pain. Les familles pauvres dans des pays comme le Bangladesh, l'Égypte, le Liban et le Nigéria deviendront moins « en état d’insécurité alimentaire », dans le langage des spécialistes. Pour cela seulement, Guterres a droit à un rare éloge pour sa diplomatie. Mais en laissant entendre que l'Initiative sur les céréales de la mer Noire permettrait non seulement de réduire les prix du pain et de mettre plus de céréales sur le marché, mais aussi de prévenir la famine, le Secrétaire général de l'ONU, avec de nombreux commentateurs, associait l'insécurité alimentaire à la famine de masse, un type de crise très différent.

Ramener les produits ukrainiens sur le marché mondial atténuera le premier, mais aura peu d'impact sur le second. En effet, presque toutes les famines modernes sont causées par des tactiques de guerre. Le siège affameur a longtemps été l'arme préférée du faiseur de guerre : il est simple, bon marché, silencieux et horriblement efficace. Alors même qu'elle empêchait les navires chargés de blé de quitter l'Ukraine, la Russie a forcé les Ukrainiens à entrer dans les caves et les a empêchés d'obtenir de la nourriture, de l'eau et d'autres produits essentiels. L'armée russe est experte en cette stratégie : la privation de tout ce qui est nécessaire pour rester en vie a été une caractéristique majeure des guerres tchétchènes. En Syrie, les troupes du président Bachar el-Assad ont peint par pulvérisation le slogan CAPITULER OU MOURIR DE FAIM aux postes de contrôle situés à l'extérieur des enclaves de l'opposition, qu'elles ont ensuite assiégé avec les conseils et le soutien militaires russes.

Selon l'ONU, plus d'un demi-million de personnes dans quatre pays - l'Éthiopie, le Soudan du Sud, le Yémen et Madagascar - sont dans des « conditions catastrophiques ou de famine ». La semaine dernière, l'ONU et les agences humanitaires ont également déclaré la « famine en cours » en Somalie, un pays frappé par une combinaison mortelle de sécheresse et de conflit, où elles ont recueilli des données d'enquête montrant que certaines parties du pays franchissent le seuil de « l'urgence » à « la famine ». Sur ces cinq pays, quatre sont frappés par la guerre civile. (Un rare cas contemporain d'insécurité alimentaire extrême sans guerre civile est Madagascar, où une séquence de sécheresses sans précédent a mis la partie sud de l'île dans une situation désastreuse.) Des combats dans les pays pauvres accroissent l'insécurité alimentaire en entravant l'agriculture, en perturbant les marchés alimentaires et en détournant les budgets étriqués des programmes de santé et de protection sociale vers les soldats et les armes.

Mis à part la Somalie, les autres cas de faim extrême - en Éthiopie, au Yémen et au Soudan du Sud - se trouvent là où une partie belligérante a choisi d'affamer son ennemi. Contrairement à la Somalie, où le gouvernement nouvellement élu est ouvert au sort de la nation, les autorités de ces pays sont déterminées à dissimuler l'ampleur de la famine et à empêcher l'aide d'atteindre ceux qu'ils ont affamés. Le sort des personnes vulnérables dans ces conditions est décidé non pas par les prix du marché ou les budgets d'aide, mais par le calcul des hommes qui poursuivent la famine comme politique. Les victimes sont bien conscientes que la famine est un résultat politique plutôt qu'un malheur impersonnel - « la caractéristique de certaines personnes n'ayant pas assez de nourriture à manger », comme l'a écrit l'économiste Amartya Sen dans son livre Poverty and Famines [Pauvreté et famines, 1990, encore inédit en français, le prix Nobel d’Économie attribué à l’auteur en 1998 n’ayant pas suffi à convaincre un éditeur francophone, NdT] « pas la caractéristique qu'il n'y ait pas assez de nourriture à manger ».

24/07/2022

WERNER RÜGEMER
The truth about corruption, poverty, prostitution, surrogate motherhood, land grabbing and exploitation in Ukraine

 Werner Rügemer, Nachdenkseiten, 21/7/2022
Translated by Lena Bloch

Ukraine is corrupt — we know, doesn’t matter, it’s for the good cause. But the poorest and sickest population, country as a hub of Europe-wide low-wage and cigarette smuggling, world leader in trafficking of the female body — and more soldiers than any European NATO state.


When a statutory minimum wage was first introduced in Ukraine, in 2015, it was 0.34 euros, or 34 cents per hour. After that, it was increased: in 2017 it was 68 cents, in 2019 it was 10 cents more, which is still 78 cents, and since 2021 it has been 1.21 euros. Ever heard of it?

 Even this lowest wage is not always paid

Of course, this doesn’t mean that this minimum wage is actually paid correctly in this state. Thus, for a full work week in 2017, the monthly minimum wage was 96 euros. But in the textile and leather industry, for example, this minimum wage for one-third of the mostly female workforce only came about through forced and not specifically paid overtime. Payment by the piece is also widespread — a certain number of shirts must be sewn in one hour; if this does not work out, unpaid reworking is required.

If there were no orders, unpaid leave was ordered. In many cases, the annual vacation due by law was not granted or not paid. Management prevented the election of employee representatives. With this minimum wage, people were far below the official subsistence level: It amounted to 166 euros in the year in question.

The Hunger Wage Chain from Ukraine to Neighboring EU Countries

There are about 2,800 officially registered textile companies, but also a presumably equally high number of unregistered small businesses. For decades, they have formed a normal shadow economy, often in small towns and villages.

Yet most of these companies rank only as second-class suppliers for the internationally better-connected low-cost producers in neighboring EU countries, especially in Poland, but also in Romania and Hungary.

Thus 41 percent of the shoes go as starvation-wage semi-finished goods from Ukraine first to the low-wage factories of Romania, Hungary and Italy: There they get the benign and beautiful label “Made in EU”.


 Textile workers themselves can only afford second-hand imports from Germany

The majority of the approximately 220,000 textile workers are older women. They keep their heads above water only by subsistence farming, for example by having their own garden with a chicken coop. Diseases due to malnutrition are common.

The textile workers mostly buy their own clothes from second-hand imports, which come mainly from Germany, Poland, Belgium, Switzerland and the USA. Ukraine imports much more textiles than it exports.

The expensive Boss and Esprit imports from the rich EU West, which are pre-produced in Ukraine, are destined for the rich elite and the NGO bubble in Kiev — while the majority of imports are the cheapest second-hand textiles. The textile workers, as well as the majority of the population, can only afford the almost free disposable textiles from the rich states.[1]

But Western unions and “human rights activists” still look to Asia and Bangladesh for low-wage jobs in the textile industry that violate human rights. Although low wages in Ukraine are much lower. Also in the current discussions in the EU and in the German Bundestag about a supply chain law: There the view goes far out, globally, to Asia, while the EU-Ukrainian poverty chain is denied.

Here it sits, the corruption: C&A, Hugo Boss, Adidas, Marks&Spencer, New Balance, Esprit, Zara, Mexx are the profiting end users. They live from the exploitation which is against human rights. Here in the rich EU states sit the main players of corruption. Clammily they gleefully welcome the non-existent or complicit labor inspectorate of the Ukrainian state, and the EU covers the systemic labor injustice as well, with ritual hypocritical and inconsequential admonition of corruption in Ukraine.[2]

Automotive suppliers, pharmaceuticals, mechanical engineering

The textile and leather industries are similar to other sectors. Ukraine was a focal point of industrial production in the Soviet Union. After independence in 1991, oligarchs took over the companies, made profits, and put nothing into innovation. For Western companies, millions of well-qualified employees were available — at low wages.

Thousands of companies, mainly from the USA and EU countries — about 2,000 from Germany alone — placed subcontracting orders for rather simple parts: Porsche, VW, BMW, Schaeffler, Bosch and Leoni, for example, for car cables; pharmaceutical groups such as Bayer, BASF, Henkel, Ratiopharm and Wella have their products filled and packaged; Arcelor Mittal, Siemens, Demag, Vaillant, Viessmann maintain assembly and sales branches. Wages of two to three euros are paid here, i.e. more than the minimum wage, but still lower than in the neighboring EU countries of Hungary, Poland and Romania.

This is why the Ukrainian sites are closely networked with the sites of the same companies in these neighboring EU countries, where the statutory minimum wages are above 3 euros and below 4 euros. However, the networking is just as valid with the even poorer neighboring states of Moldova, Georgia and Armenia, which are not EU members. Branches are also operated here. In the course of the “Eastern Neighborhood”, organized by the EU, all differences of qualification, even lower payment are exploited — with Ukraine as a revolving door.

Labor migration in millions

This selective exploitation of locational advantages by Western capitalists has not led to national economic development, on the contrary. Ukraine became economically impoverished. The majority of the population has been made poorer and sicker. A mass reaction is labor migration.

It began early on. By the late 1990s, several hundred thousand Ukrainians had emigrated to Russia. Wages were not much higher, but in Russia excessive Westernization of lifestyles and increases in the cost of living for food, rent, health and government fees do not stick.

Since the 2000s, and accelerated by the aftermath of the 2014 Maidan coup, some 5 million Ukrainians have been migrant workers — about two million more or less permanently abroad, and about three million commuting to neighboring states. In particular, the Polish state, which in any case lays claim to western parts of Ukraine, encourages labor migration from Ukraine. About two million Ukrainians are employed in Poland, mainly in low-skilled jobs as cleaners, domestic helpers, waiters, caretakers for the elderly, and truck drivers. [3] In Poland, the business of employment agencies is also flourishing: they declare Ukrainians to be Polish citizens and place them as home care workers in Germany and Switzerland, for example: they pay the minimum wage there for a 40-hour week, but in reality the care workers have to be on call 24 hours a day, according to the contract with the Polish agency.

Hundreds of thousands of Ukrainians are also employed on a permanent basis, on a temporary basis or shuttling back and forth in Romania, Hungary, Slovakia and the Czech Republic, with minimum wages between 3.10 euros and 3.76 euros. Ukrainians are happy about this, even if they are pushed a bit below these minimum wages — it is still much better than in their home country, and the labor inspectorate says nothing and the EU says nothing either.

Students from Ukraine like to be engaged seasonal workers in EU agriculture. In Lower Saxony alone, there are about 7,000 students annually, who admittedly do not necessarily study, but enter with forged matriculation papers. Neither in Ukraine nor in Germany is there any control, as a study by the Friedrich Ebert Foundation found.[4]

Minimum wage in Lithuania: in 2015 it was 1.82 euros, five times higher than in Ukraine at the time; in 2020 it was 3.72 euros. The EU is promoting the development of Lithuania into a European freight forwarding center: with the help of artificial intelligence, cheap and willing truck drivers from third countries such as Ukraine and Moldova, but also from further afield such as the Philippines, are steered across Europe. They don’t need to learn any language; they receive their instructions via smartphone and navigator. For example, with the start of the war in Ukraine, trucking companies in Lithuania and Poland were suddenly short of over 100,000 truck drivers — from Ukraine, they were not allowed to leave because of military service.[5]

Women’s Poverty I: Forbidden Prostitution Flourishes

The patriarchal oligarch state of Ukraine has extremely deepened the inequality between men and women. With a 32 percent gender pay gap, Ukrainian women are in the very last place in Europe: on average, they receive one-third less pay than their male counterparts, and in the field of finance and insurance the figure is as high as 40 percent for the same work[6] — the EU average is 14 percent. Because of patriarchal stereotypes, women are also particularly often pushed into precarious part-time jobs, even more so than in Merkel’s Germany, which ranks second to last among EU countries in terms of discrimination against women.

This patriarchal poverty of women includes the prohibition of prostitution, which, however, particularly flourishes under these very conditions. Primary school teachers, who cannot get by on their 120 euros a month, are also among the estimated 180,000 women who work as prostitutes in Ukraine, divorced single women with children, the unemployed.

Because prostitution is forbidden, brothel operators earn money, as do police officers and cab drivers, because they have a good income through silence. Private apartments are also used, like the brothels in prime locations in the capital Kiev. Tourists are lured in — with 80 euros they are in. Eight services per night — not uncommon. A little less than half of the income remains with the women. Some hope for a transitional period of one, two or even three years. Often in vain. One-third become drug addicts, one-third are HIV-positive.[7]

After the “liberalization” of sexual services by the federal government of Schröder/SPD and Fischer/Greens, Germany became the “brothel of Europe”. The federally owned development agency GTZ advertised in its “Germany Travel Guide for Women” for Ukrainian women who now had good prospects in the sex business. Many came. Merkel’s Germany became the European center for commercial prostitution, the majority of which was also illegal and tolerated by the authorities — favorable conditions for women who did not come from an EU member state. So it stands to reason that pimps are now trying to recruit fleeing Ukrainian women already at the border in 2022.[8]


 Women’s Poverty II: The Female Body as Exploitation Material

Ukraine is a pleasing location for Western companies to engage in practices that are otherwise forbidden, a thousandfold site for U.S.-led globalization. This is also true for the commercial use of the female body, far beyond illegal prostitution.

Ukraine is the global hot spot for industrial surrogacy, with more extensive “liberalization” than otherwise. Widespread female poverty provides an inexhaustible reservoir.

Vittoria Vita, La Vita Nova, Delivering Dreams or more prosaically BioTech — these are the names under which surrogacy agencies in Kiev and Kharkiv advertise their services and their women. Pretty, healthy Ukrainian women are offered in catalogs for wealthy foreigners. Between 39,900 and 64,900 euros are the prices for a healthy delivered baby. The wish child tourists come from the USA, Canada, Western Europe, and China.[9].

The intended parents couple delivers egg and sperm in one of the dozens of special clinics. They are fertilized in a test tube. Then the foreign embryo is implanted in the surrogate mother. The surrogate mother carries a genetically foreign child. This was developed in the USA, but it is much more expensive there: between 110,000 and 240,000 euros. In Ukraine it is less regulated. The woman carrying the child must not have anything to do genetically with the child, she is just a foreign tool that is to be forgotten immediately after use, no longer exists at all — and is ready for the next use for a completely different foreign couple.

The prices differ depending on whether the intended parents want a specific gender for their ordered baby or not: without a choice of gender, it costs 39,900 euros at BioTech, with two attempts at the desired gender it costs 49,900 euros, and with unlimited attempts it costs 64,900 euros. These offers include hotel accommodation, issuance of birth certificate and passport in the German consulate. So far, more than 10,000 such babies have been delivered worldwide.

The surrogate mother — a surrogate mother company bears the appropriate name: Surrogacy Ukraine — receives a monthly bonus of between 300 and 400 euros during pregnancy; after successful delivery of the product, the bonus is increased to 15,000 euros. If there is a miscarriage, the child is disabled or its adoption is refused, the surrogate mothers get nothing. Their psychological condition is not taken into account, and there is no social security against damage to their health. There are no studies on the long-term consequences.

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22/07/2022

WERNER RÜGEMER
1,21 € de salaire minimum ou comment l’Ukraine partage « nos valeurs européennes »

Werner Rügemer, Nachdenkseiten, 21/7/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Lorsqu'un salaire minimum légal a été introduit pour la première fois en Ukraine en 2015, il était de 0,34 euro, soit 34 centimes de l'heure. Il a ensuite été augmenté : en 2017 il était de 68 centimes, en 2019 il était de 10 centimes de plus, soit 78 centimes, et depuis 2021 il est de 1,21 euro. Vous le saviez ?

Même ce salaire le plus bas n'est pas toujours payé

Bien sûr, cela ne signifie pas que ce salaire minimum est effectivement payé correctement dans cet État. Pour une semaine de travail complète en 2017, le salaire minimum mensuel était de 96 euros. Mais dans l'industrie du textile et du cuir, par exemple, ce salaire minimum n'est intervenu pour un tiers des salariés, majoritairement féminins, que par le biais d'heures supplémentaires forcées et non spécifiquement rémunérées. Le paiement aux pièces est également courant – un certain nombre de chemises doivent être cousues en une heure ; si ce n’est pas la cas, il faut travailler plus gratuitement. S'il n'y avait pas de commandes, un congé sans solde était ordonné. Le congé annuel légal n'était souvent ni accordé ni payé. La direction de l'entreprise a empêché l'élection de représentants des salariés.

Avec ce salaire minimum, les personnes se trouvaient bien en dessous du minimum vital officiel : il s'élevait à 166 euros l'année en question.

La chaîne des salaires de misère de l'Ukraine vers les pays voisins de l'UE

Il existe environ 2 800 entreprises textiles officiellement enregistrées, mais aussi un nombre probablement aussi élevé de petites entreprises non enregistrées. Elles constituent depuis des décennies une économie souterraine tout à fait normale, souvent dans les petites villes et les villages.

Pourtant, la plupart de ces entreprises ne se classent que comme fournisseurs de deuxième classe pour les producteurs à bas prix mieux connectés au niveau international dans les pays voisins de l'UE, surtout en Pologne, mais aussi en Roumanie et en Hongrie.

C'est ainsi que 41 pour cent des chaussures semi-finies, payées une misère, quittent l'Ukraine pour les usines à bas salaires de Roumanie, de Hongrie et d'Italie, où elles reçoivent l'innocente et belle étiquette « Made in EU ».


 Les travailleurs du textile eux-mêmes ne peuvent se permettre que des importations de seconde main en provenance d'Allemagne

La majorité des quelque 220 000 travailleur·ses du textile sont des femmes âgées. Elles ne survivent que grâce à leur propre agriculture de subsistance, par exemple en cultivant leur propre jardin avec un poulailler. Les maladies dues à la malnutrition sont fréquentes.

Les ouvrières du textile achètent la plupart du temps leurs propres vêtements à partir d'importations de seconde main : celles-ci proviennent principalement d'Allemagne, de Pologne, de Belgique, de Suisse et des USA. L'Ukraine importe en effet beaucoup plus de textiles qu'elle n'en exporte.

Les importations coûteuses de Boss et d'Esprit, préproduites en Ukraine et provenant de l'Ouest riche de l'UE, sont destinées à l'élite riche et à la bulle oéngéiste à Kiev - alors que la majorité des importations sont des textiles de seconde main les moins chers. Les ouvrières du textile, mais aussi la majorité de la population, ne peuvent s'offrir que des textiles jetables presque gratuits en provenance des pays riches [1].

Mais les syndicats occidentaux et les « défenseurs des droits humains » continuent de regarder vers l'Asie et le Bangladesh lorsqu'il s'agit de bas salaires contraires aux droits humains dans l'industrie textile. Mais les bas salaires soient bien moins élevés en Ukraine. Il en va de même pour les discussions actuelles au sein de l'UE et du Bundestag allemand sur une loi relative à la chaîne d'approvisionnement : le regard se porte loin, à l'échelle mondiale, vers l'Asie, tandis que la chaîne de pauvreté UE-Ukraine est niée.

C'est là qu'elle se trouve, la corruption : C&A, Hugo Boss, Adidas, Marks&Spencer, New Balance, Esprit, Zara, Mexx sont les acheteurs finaux qui en profitent. Ils vivent d'une exploitation contraire aux droits humains. C'est ici, dans les riches États de l'UE, que se trouvent les principaux acteurs de la corruption. En secret, ils saluent joyeusement l'inspection du travail inexistante ou complice de l'État ukrainien, et l'UE couvre également l'injustice systémique en matière de travail, avec un rappel rituel, hypocrite et sans conséquence de la corruption en Ukraine [2].

Sous-traitants automobiles, industrie pharmaceutique, construction mécanique

Comme dans l'industrie du textile et du cuir, il en va de même dans d'autres secteurs. L'Ukraine était un centre de production industrielle de l'Union soviétique. Après l'indépendance en 1991, les oligarques ont repris les entreprises, ont fait des bénéfices et n'ont rien investi dans l'innovation. Des millions d'employés bien qualifiés étaient à la disposition des entreprises occidentales - pour des salaires très bas.

Des milliers d'entreprises, surtout usaméricaines et européennes - environ 2 000 pour la seule Allemagne - sous-traitent des pièces plutôt simples : Porsche, VW, BMW, Schaeffler, Bosch et Leoni par exemple pour les câbles automobiles ; des groupes pharmaceutiques comme Bayer, BASF, Henkel, Ratiopharm et Wella font remplir et emballer leurs produits ; Arcelor Mittal, Siemens, Demag, Vaillant, Viessmann entretiennent des filiales de montage et de vente. Les salaires y atteignent deux à trois euros, soit plus que le salaire minimum, mais encore plus bas que dans les pays voisins de l'UE, la Hongrie, la Pologne et la Roumanie.

C'est pourquoi les sites ukrainiens sont étroitement reliés aux sites des mêmes entreprises dans ces pays voisins de l'UE, où les salaires minimums légaux sont supérieurs à 3 euros et inférieurs à 4 euros. Mais ce réseau est tout aussi valable avec les pays voisins encore plus pauvres que sont la Moldavie, la Géorgie et l'Arménie, qui ne sont pas membres de l'UE. Des filiales y sont également exploitées. Dans le cadre du « voisinage oriental » organisé par l'UE, toutes les différences de qualification et de salaire sont exploitées, avec l'Ukraine comme porte de sortie.

Fuite de cerveaux, par Sergii Fedko

Des millions de travailleurs migrants

Cette exploitation sélective des avantages liés à la localisation par les capitalistes occidentaux n'a pas conduit au développement économique, bien au contraire. L'Ukraine s'est appauvrie sur le plan économique. La majorité de la population est devenue plus pauvre et plus malade. La migration de travail est une réaction de masse.

Elle a commencé très tôt. Jusqu'à la fin des années 1990, plusieurs centaines de milliers d'Ukrainiens ont émigré en Russie. Les salaires n'étaient certes pas beaucoup plus élevés, mais l'occidentalisation excessive du mode de vie et le renchérissement du coût de la vie pour la nourriture, les loyers, la santé et les taxes d'État ne se répercutent pas en Russie.

18/04/2022

SOPHIE PINKHAM
Volodymyr Zelensky : portrait d’un comique en président

Sophie Pinkham, The New York Review of Books, 30/5/2019
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Sophie Pinkham est l'auteure de Black Square : Adventures in Post-Soviet Ukraine. Elle travaille actuellement sur une histoire culturelle de la forêt russe.

Le 21 avril 2019 Volodymyr Zelensky, 41 ans, était élu président d’Ukraine au deuxième tour de l’élection par 73,2 % des voix. Cet acteur comique et showman qui a fait des études pour devenir avocat est devenu célèbre avec la série 'Serviteur du Peuple' et par sa participation à un show sur la chaîne de télé 1+1 de l’oligarque Ihor Kolomoisky. Propriétaire de la société de production Kvartal 95 qui l’a rendu millionnaire, Zelensky, avec 4,2 millions de followers sur Instagram en 2019 et 6 millions aujourd’hui, incarne parfaitement la mutation de la politique institutionnelle que l’on observe un peu partout : les électeurs votent comme ils « likent ». Depuis le 24 février, le « serviteur du peuple » joue un nouveau rôle, celui de « héros de la résistance à l’invasion ». Il m’a semblé intéressant de revenir sur ses débuts politiques en traduisant cet article paru en mai 2019, de la plume d’une chercheuse usaméricaine, spécialiste de la culture politique soviétique et post-soviétique.-FG

 Jouer dans une série télévisée est plus facile que de diriger un pays.

La série télévisée ukrainienne Serviteur du peuple, diffusée de 2015 à 2019 [on peut la voir sur Arte, NdT], raconte l'histoire de Vasyl Holoborodko, un professeur d'histoire dévoué d'une trentaine d'années qui vit avec ses parents. Son père est chauffeur de taxi, sa mère est neurologue et sa sœur est conductrice de train. Ce mélange de professions familiales serait surprenant dans un contexte usaméricain, mais il est parfaitement logique en Ukraine, où les médecins du secteur public appartiennent, dans le meilleur des cas, à la classe moyenne inférieure aux abois (Le salaire moyen d'un médecin ukrainien est d'environ 200 dollars par mois.). Vasyl est divorcé, avec un jeune fils : son mariage a été détruit par des soucis d'argent. Son père lui dit qu'il perd son temps en allant travailler, car les allocations de chômage sont plus importantes que le salaire d'un enseignant. La famille possède un appartement soviétique classique, offert à la grand-mère maternelle de Vasyl en reconnaissance de ses réalisations en tant qu'historienne ; il est situé dans une khrouchtchevka décrépite, l'un des nombreux complexes d'appartements bon marché qui ont poussé comme des champignons à la périphérie des villes soviétiques dans les années 1960.

 


Volodymyr Zelensky

 

Bien qu'il soit mal payé, Vasyl a une véritable passion pour son métier : il dort tard après avoir lu Plutarque et aime régaler quiconque veut bien l'écouter avec des conférences sur l'histoire. Dans un premier épisode, on le voit enseigner à ses élèves adolescents l'histoire de Mykhailo Hrushevsky, chef du parlement révolutionnaire de 1917-1918, pendant la douloureuse première période d'indépendance nationale de l'Ukraine. Avant que la leçon sur Hrushevsky ne soit terminée, un fonctionnaire de l'école arrive pour dire que la classe est annulée ; les élèves doivent assembler des isoloirs pour la prochaine élection présidentielle. Vasyl perd son sang-froid et l'un des élèves filme subrepticement sa diatribe pleine de jurons sur l'importance de l'histoire, contrairement à l'élection, qui n'est qu'une farce n'offrant aucun choix significatif et aucune issue à la corruption qui gangrène l'Ukraine.

La vidéo devient virale, une campagne de crowdfunding produit une valise pleine d'argent pour payer l'entrée de Vasyl dans la course, et avant de s’en rendre compte, il est le nouveau président de l'Ukraine. Dans une voiture noire en route pour son premier jour de travail, il s'accroche à la poignée au-dessus de la fenêtre, comme s'il était dans un tramway, et il s'inquiète de savoir quand il trouvera le temps de payer le prêt qu'il a contracté pour acheter un four à micro-ondes. Serviteur du peuple fourmille de détails de ce genre, juxtaposant les préoccupations financières de l'Ukrainien ordinaire aux privilèges absurdes dont jouit l'élite politique : le coach de Vasyl fait annuler le prêt et lui demande ensuite quel type de montre de luxe il préférerait. Les gens ordinaires qui sont tentés par l'attrait de la corruption sont traités avec une sympathie rigolarde par la série, tandis que les oligarques sont des méchants caricaturaux qui se gavent de caviar alors qu'ils complotent pour manipuler et exploiter les masses.

Regarder Serviteur du peuple aujourd'hui est une expérience étrange. En avril, Volodymyr Zelensky, l'acteur qui joue le rôle de Vasyl, a été élu président de l'Ukraine à l'arrachée, avec 73 % des voix. L'impopulaire président sortant, Petro Porochenko, élu en 2014 peu après les manifestations de Maidan qui ont chassé le président Viktor Ianoukovitch, n'a obtenu que 24 %. Le parti nouvellement fondé par Zelensky s'appelle Serviteur du peuple, et sa campagne était essentiellement un spin-off de son émission. Au début, cela ressemblait à une blague : Zelensky est un comédien professionnel, après tout, bien qu'il soit également un homme d'affaires prospère à la tête de ce qui a souvent été appelé un empire de la comédie. Comme Vasyl, il n'a aucune expérience politique préalable, mais il a des relations dont Vasyl n'aurait jamais pu rêver.

15/04/2022

L’art de réécrire l’histoire
Chroniques d’un pêcheur de perles

 FG, BastaYekfi! 15/4/2022

Depuis quelques semaines, je lis, je regarde et j’écoute ce qui se dit dans le monde virtuel suite à « l’attaque défensive/préventive » de la Russie contre l’est de l’Ukraine. J’aimerais répondre à quelques perles pêchées au passage.

1

«(…) l'Ukraine moderne a été entièrement créée par la Russie ou, pour être plus précis, par la Russie bolchevique et communiste. Ce processus a commencé pratiquement tout de suite après la révolution de 1917, et Lénine et ses associés l'ont fait d'une manière extrêmement dure pour la Russie - en séparant, en coupant ce qui est historiquement une terre russe. Personne n'a demandé aux millions de personnes qui vivaient là ce qu'elles pensaient.» (Vladimir Vladimirovitch Poutine, 21/2/2022, intégralité du discours ici)

Mince alors ! Moi qui croyais que le Varègue Oleg le Sage, après avoir chassé les Khazars, avait fondé la Rous’ de Kiev au IXème siècle ! Que celle-ci, au XIème siècle, était le plus vaste État d’Europe. Que, après avoir passé quelques siècles sous la férule galicienne puis polono-lituanienne et turco-tatare, l’Ukraine est proclamée par les Cosaques avant de passer sous la domination russe, ottomane et austro-hongroise. Et enfin, qu’à partir du milieu du XIXème siècle, là comme ailleurs en Europe, de l’Irlande à la Serbie, une revendication nationale ukrainienne se développe, aussi bien chez les intellectuels « russifiés » que chez les paysans. Dans le chaos qui suit la révolution de 1917 et la fin de la guerre, les républiques populaires fleurissent en Ukraine. À la Conférence de la paix de Paris (1919), Polonais et Roumains sont admis à faire valoir leurs revendications, mais pas les Ukrainiens. Une guerre de tous contre tous éclate, entre les Blancs (tsaristes), les Rouges (bolcheviks) et les Noirs (anarchistes de Makhno). Les Rouges l’emportent et l’Ukraine désormais socialiste intègre l’URSS, créée en 1922. Sous Staline est pratiquée la politique dite d’ « indigénisation », consistant donner plus de place aux Ukrainiens « ethniques », à leur langue et à leur culture, qui connaît un coup d’arrêt dès 1929, avec une première vague de procès fabriqués contre des intellectuels « nationalistes » ukrainiens. L’Ukraine a connu trois famines : en 1922, en 1937 et en 1947. Rien de tel pour encourager les sentiments nationalistes dans un sens anti-russe (et accessoirement anti-polonais), sans oublier bien sûr le Goulag.

Bref, pour répondre à Poutine, si l’Ukraine a longtemps appartenu à la Russie impériale puis soviétique, elle a autant de raisons historiques de faire valoir ses droits nationaux que l’Irlande, l’Écosse, La Catalogne, le Groenland ou le Québec. Que ses dirigeants croient que ces droits seraient assurés en rejoignant l’Union Européenne peut à juste titre paraître délirant mais peut se comprendre [comprendre ne veut pas dire approuver]. En revanche, ils semblent avoir définitivement compris qu’une adhésion à l’OTAN signifierait la mort pure et simple de l’Ukraine. Concluons avec cette sentence d’Ernest Renan : « L’homme n’est esclave ni de sa race ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagne. Une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation (…) l’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours ».

 

2

« Mai 68 était une révolution de couleur déclenchée par les USA pour éliminer de Gaulle, favorable à une « Europe de l’Atlantique à l’Oural » » (Majed Nehmé, ancien rédacteur en chef du défunt Afrique-Asie)

Mince alors ! Moi qui étais persuadé avoir été un agent chinois, voilà que je découvre qu’en fait, je n’avais été qu’un agent yankee. On savait déjà que la Révolution de 89 était un coup des Juifs et des Francs-Maçons, que la Commune de Paris était un coup des Prussiens, que la Révolution tunisienne de 2010-2011 un coup de l’OTAN/CIA pour se débarrasser de Ben Ali qui refusait l’installation d’une base yankee-otanesque sur son territoire, que la révolution syrienne de 2011 n’était qu’un complot pour faire passer un gazoduc du Qatar à la Turquie. Mais ça, sur 68, c’est nouveau. Le camarade Nehmé aurait pu préciser « une révolution orange avec l’appui de la Mafia sicilienne ». En effet, quand nous occupions la Sorbonne, des mystérieux « Cubains » nous avaient contactés et donné rendez-vous dans un café de la rue Soufflot. Là, ils nous proposèrent de nous vendre des armes. Ils avaient un drôle d’accent pour des Cubains. En fait, c’étaient de vulgaires malfrats siciliens qui cherchaient à fourguer des flingues contre espèces sonnantes et trébuchantes. On a bien rigolé et on leur a dit « Ciao, belli ». C’est peut-être pour ça que « notre révolution de couleur » a échoué.