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02/05/2024

GIDEON LEVY
Les universités israéliennes sont vraiment mal placées pour donner des leçons sur les droits humains et la liberté aux Juifs usaméricains

Gideon Levy, Haaretz, 2/5/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Voilà un nouveau record d’hypocrisie et de manque de conscience de soi : les présidents des universités israéliennes ont publié une lettre [v. texte ci-dessous] dans laquelle ils se disent troublés par les manifestations de violence, d’antisémitisme et de sentiment anti-israélien sur les campus des USA, et ont entrepris d’aider les Juifs et les Israéliens à être admis dans les universités d’ici. En d’autres termes : venez à l’université d’Ariel. Sur cette terre volée, au cœur du district de l’apartheid, vous étudierez l’éducation civique, les droits humains et la liberté. À Ariel, comme dans toute université israélienne, vous verrez ce que sont la liberté et l’égalité. Ici, vous trouverez également un refuge pour les Juifs persécutés en Amérique, dans l’endroit le plus sûr au monde pour les Juifs : Ariel.


L’université d’Ariel dans la colonie d’Ariel, en Cisjordanie. Photo : Moti Milrod

Chers présidents, ceux qui vivent dans des maisons de verre ne devraient pas jeter de pierres. Si vous voulez offrir un refuge aux universitaires juifs des USA, vous n’avez pas grand-chose à leur offrir. Le jour le plus orageux sur le campus de Columbia est plus sûr pour les Juifs que sur le chemin de l’Université hébraïque [à Jérusalem, NdT]. Chaque étudiant arabe se sent moins à l’aise dans vos universités que les étudiants juifs à Columbia. On peut également douter de l’imminence du danger à Columbia.

« En tant qu’étudiante juive israélienne, je ne ressens aucune crainte ou menace pour ma sécurité personnell », a écrit Noa Orbach, étudiante à l’université Columbia, dans l’édition hébraïque de Haaretz du 26 avril. Israël aime exagérer les dangers qui guettent les Juifs dans le monde et s’y complaire. Cela conduit à l’alya, et c’est bon pour la fable d’Israël en tant que refuge. Non pas qu’il n’y ait pas d’antisémitisme dans le monde, mais si tout et n’importe quoi est antisémitisme, alors Israël décroche le gros lot.

Un peu de modestie ne vous fera pas de mal non plus, messieurs les présidents. Vos académies peuvent envier ce qui se passe aujourd’hui sur les campus usaméricains. Voilà à quoi ressemble un campus où l’on fait preuve de civisme et où l’on s’engage politiquement. Voilà à quoi ressemble un campus vivant, actif et rebelle, contrairement aux cimetières idéologiques des campus lugubres et ennuyeux d’Israël. Certes, la protestation anti-israélienne a débordé ici et là sur l’antisémitisme et la violence, même si c’est moins que ce qui est décrit dans Haaretz. Mais quand il s’agit de choisir entre un campus indifférent, rassasié et endormi et un campus turbulent, attentif et radical, le second est plus prometteur.

On ne peut que rêver ici d’un corps enseignant et d’étudiants militants comme aux USA. Eux seuls peuvent assurer la relève. Dans le désert des campus israéliens, aucune promesse sociale ou politique ne se développera.

Les étudiants usaméricains font preuve d’engagement et d’attention, même si leurs manifestations deviennent tumultueuses et dérapent. Il n’y a aucune chance que des manifestations contre une guerre sur un continent lointain éclatent dans une université israélienne. Un bon jour, des protestations éclateront ici pour protester contre le coût des frais de scolarité ou les conditions de vie des étudiants réservistes. Un jour encore meilleur, une poignée d’étudiants israélo-palestiniens se tiendront aux portes de l’université, marquant silencieusement le jour de la Nakba, avec des dizaines de policiers armés autour d’eux.

Les directeurs d’université cachent également la chasse aux sorcières dans leurs établissements, qui s’est intensifiée depuis le début de la guerre. Quelques jours après son déclenchement, le syndicat étudiant de l’université de Haïfa a déjà annoncé qu’il prendrait des mesures pour suspendre les étudiants qui oseraient exprimer leur soutien aux Palestiniens. « La liberté d’expression, à notre avis, est réduite à néant en ce moment », ont-ils écrit. C’est ainsi que le maccarthysme a commencé dans le monde universitaire, culminant avec la suspension et l’arrestation de la professeure Nadera Shalhoub-Kevorkian. L’esprit du temps, dont le monde universitaire est une partie importante, dans lequel un ingénieur israélien est licencié parce qu’il a cité des versets du Coran dans les médias sociaux (Haaretz, 30 avril), inquiète moins les présidents d’université que ce qui se passe en USAmérique.

Les protestations aux USA devraient interpeller et préoccuper Israël. Une partie de la protestation s’est transformée en haine contre Israël et en appel à le rayer de la carte. Comme toujours, nous devons aller à la racine du problème. Les étudiants usaméricains ont vu beaucoup plus d’horreurs de la terrible guerre à Gaza que leurs collègues israéliens complaisants. S’il n’y avait pas eu la guerre, ou l’occupation et l’apartheid, cette protestation n’aurait pas eu lieu.

Shadi Ghanim, The National, ÉAU, 1/5/2024

      Association des directeurs d'université, Israël (VERA)

Déclaration sur les manifestations violentes et l'antisémitisme sur les campus américains - avril 2024

Nous, présidents des universités de recherche en Israël, exprimons notre profonde inquiétude face à la récente flambée de violence, d'antisémitisme et de sentiments anti-israéliens dans de nombreuses grandes universités des États-Unis. Ces événements inquiétants sont souvent organisés et soutenus par des groupes palestiniens, y compris ceux qui sont reconnus comme des organisations terroristes. Cette évolution troublante a créé un climat dans lequel les étudiants et les enseignants israéliens et juifs se sentent obligés de cacher leur identité ou d'éviter complètement les campus par crainte de subir des dommages physiques.

Nous reconnaissons les efforts déployés par nos homologues dans ces établissements pour résoudre ces problèmes. Nous comprenons la complexité et les défis liés à la gestion des groupes incitant à la haine et reconnaissons que des situations extrêmes peuvent nécessiter des mesures allant au-delà des outils conventionnels à la disposition des administrations universitaires.

La liberté d'expression et le droit de manifester sont essentiels à la santé de toute démocratie et sont particulièrement cruciaux dans les milieux universitaires. Nous continuons à défendre l'importance de ces libertés, en particulier en ces temps difficiles. Toutefois, ces libertés n'incluent pas le droit de se livrer à la violence, de proférer des menaces à l'encontre de communautés ou d'appeler à la destruction de l'État d'Israël.

Nous apportons notre soutien aux étudiants et enseignants juifs et israéliens confrontés à ces circonstances difficiles. Nous ferons de notre mieux pour aider ceux d'entre eux qui souhaitent rejoindre les universités israéliennes et y trouver un foyer académique et personnel accueillant.


Arie Zaban, président de l'université Bar-Ilan ; président de l'association des directeurs d'université – VERA

Daniel Chamovitz, président de l'université Ben-Gurion du Néguev

Alon Chen, président de l'Institut des sciences Weizmann

Asher Cohen, Président de l'Université hébraïque de Jérusalem

Leo Corry, président de l'Open University

Ehud Grossman, Président de l'Université d'Ariel

Ariel Porat, président de l'université de Tel-Aviv

Ron Robin, président de l'université de Haïfa

Uri Sivan, Président du Technion-Israel Institute of Technology

05/04/2024

GIDEON LEVY
Pour Israël, le sang de travailleurs humanitaires est plus épais que celui des Palestiniens

Gideon Levy, Haaretz, 3/4/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L’armée d’Israël s’est comportée comme on l’attendait d’elle. C’est exactement ce qu’on attend d’elle. Le concert d’hypocrisie et de bien-pensance pharisienne internationales qui s’est élevé après l’assassinat de sept travailleurs humanitaires de la World Central Kitchen est une injustice pour les forces de défense israéliennes et une injustice encore plus grande pour les milliers d’autres victimes. Quelle est la différence entre un jour et un autre ? Quelle est la différence entre une personne tuée et la suivante ? Qu’est-ce qui a changé lundi soir avec l’attaque contre les sept travailleurs humanitaires ?


Emad Hajjaj

Même les promesses d’Israël de mener une enquête approfondie sont tout à fait ridicules : Qu’y a-t-il à enquêter ici ? Qui a donné l’ordre ? Qu’est-ce que cela change de savoir qui a donné cet ordre ? N’y a-t-il pas eu d’innombrables ordres de ce genre pendant la guerre ? Des dizaines de milliers d’ordres d’ouvrir le feu pour tuer des journalistes, des équipes médicales, des personnes portant des drapeaux blancs, des gens qui ont été déracinés et qui n’ont rien, et surtout des enfants et des femmes.

Allez-y, faites sauter une université à Gaza, mais suivez la procédure !

Les FDI ont bombardé à trois reprises un convoi d’aide humanitaire de la WCK, visant un membre armé du Hamas qui ne s’y trouvait pas.

Si seulement Israël considérait toutes ses victimes de Gaza comme un désastre en termes de relations publiques.

Des personnes se rassemblent autour du véhicule utilisé par l’organisation humanitaire usaméricaine World Central Kitchen après qu’il a été touché par une frappe israélienne la veille à Deir al-Balah, dans le centre de la bande de Gaza, mardi. Photo AFP

Avez-vous entendu parler des champs de mort et de destruction révélés dans Haaretz par Yaniv Kubovich, le seul correspondant militaire en Israël qui a également révélé les détails de l’attaque contre les travailleurs humanitaires ? Tel est l’esprit de Tsahal dans cette guerre, le seul. Qu’y a-t-il à enquêter ?

Il n’y a aucune différence, aucune, entre l’attaque de l’hôpital Al-Shifa - qui a duré deux semaines et a laissé des centaines de cadavres dans la poussière et un hôpital dont il ne reste plus une pierre sur l’autre - et l’assassinat des sept travailleurs humanitaires dans leur véhicule. Dans les deux cas, l’armée savait qu’elle allait blesser des innocents, dans les deux cas, la justification était les membres du Hamas qui s’y cachaient, dans les deux cas, il s’agissait de cibles humanitaires qu’il est interdit de frapper.

Nous ne saurons jamais combien de personnes ont été tuées à Al Shifa et combien d’entre elles étaient réellement des terroristes, mais il est parfaitement clair que beaucoup des personnes qui ont été tuées étaient des patients et des personnes réfugiées dans l’hôpital. Israël s’en est réjoui et le monde est resté silencieux. Quelle excellente opération chirurgicale, au milieu des décombres de ce qui avait été un centre médical important, le seul de toute la bande de Gaza.

Tout le monde sait également que l’attaque contre les travailleurs humanitaires n’était pas intentionnelle, qu’il s’agissait d’une erreur - après tout, les FDI ne sont pas comme ça, nos soldats ne sont pas comme ça. Même lorsqu’il est absolument clair qu’il n’y a pas eu d’erreur, ni d’écart par rapport aux ordres et aux procédures.

Ce que les soldats ont appris à Al  Shifa, ils l’ont également mis en œuvre à Deir al-Balah. Ceux qui se sont tus à propos d’Al Shifa feraient bien de se taire à propos de la World Central Kitchen. Même les ratios sont similaires : tuer sept personnes pour obtenir la tête d’un terroriste, dont personne ne connaît avec certitude l’identité et le crime. En tout cas, il n’était pas dans la voiture, ni lui ni Yahya Sinwar.


L’aide humanitaire transportée par World Central Kitchen arrive à Gaza le mois dernier. Photo FDI via AP

Le terme “terroriste” est le plus souple du lexique israélien. Dans les zones de combat, il désigne n’importe quel individu. C’est ainsi que le pharisaïsme est arrivé en Israël également. Le premier ministre a regretté l’assassinat des travailleurs humanitaires - pourquoi regrette-t-il soudainement, et à propos de quoi exactement ? Le chef d’état-major de l’armée israélienne déclare qu’une erreur s’est produite - quelle erreur, avec le tir de trois roquettes sur trois voitures parfaitement identifiées ? Et les FDI ont enquêté à la vitesse de la lumière.

En tête de liste, curieusement, la critique gastronomique Ruthie Rousso. Très engagée dans cette guerre, elle a apporté son aide aux Israéliens délogés et aux familles des otages. Mme Rousso a travaillé avec les responsables de la World Central Kitchen, qui opèrent également dans les communautés frontalières de Gaza. « Je suis anéantie », a-t-elle écrit sur X, ce qui, bien sûr, est déchirant.

Mais la Rousso anéantie est la même personne qui a écrit il y a exactement trois ans sur Twitter : « Ils sont tous du Hamas. Personne n’est à l’abri (à part les animaux qui sont là) ».

Que dire de plus ? Si personne à Gaza n’est innocent, à part les animaux, c’est bien que les FDI ont aussi tué les amis de Rousso de la WCK. Ou peut-être que leur sang étranger est plus épais que le sang fluide et de second ordre des Palestiniens, et que leur race est supérieure ?



28/03/2024

GIDEON LEVY
Il nous faut l'admettre : Israël veut la guerre à Gaza

Gideon Levy, Haaretz, 27/3/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Israël veut la guerre. Toujours plus de guerre, autant que possible, et peut-être même plus. Les jours de notre enfance sont révolus, quand on nous disait qu'Israël voulait la paix plus que tout. Nous nous considérions comme des pacifistes, un peuple naïf.

Une femme palestinienne avec un garçon blessé après un bombardement israélien dans le centre de la ville de Gaza, la semaine dernière. Photo AFP

 Le temps est révolu où nous nous vantions auprès de tous les visiteurs étrangers que notre salutation courante était “paix” [shalom]. Quelle autre nation dit “paix” partout où elle va ? Il n'y a que nous, les partisans de la paix. C'est ce qu'on nous a dit et c'est ce que nous avons cru. Oups, les Arabes et les musulmans aussi disent salaam. Mais ça, ils n'ont pas pris la peine de nous le dire à l'époque.

Nous sommes les plus grands défenseurs de la paix au monde, et regardez ce que ces méchants nous ont fait. Lorsque nous sommes apparus dans des délégations de jeunes devant les communautés juives des USA, nous avons dansé la hora avec des chemises brodées au son du “Chant pour la paix”- pour quoi d’autre des jeunes Israéliens danseraient-ils ? - et les Juifs enthousiastes ont essuyé une larme.

Quelle nation ! Quelle aspiration à la paix ! Nous sommes les pacifistes, et les Arabes sont des bellicistes. C'est ce qu'ils nous disaient quand nous étions enfants. C'est ce que nous nous sommes dit à nous-mêmes et au monde, qui y a même cru pendant un moment.

Israël veut la guerre. Aujourd'hui, il le dit explicitement, sans faux-semblant et sans blanchiment. Autant de guerre que possible dans les paroles du gouvernement, autant de guerre que possible dans les paroles de l'opposition. Encore plus de guerre même dans la bouche des manifestants sur les places, qui ne réclament certainement pas le contraire. Ils veulent seulement un arrêt de la guerre pour libérer les otages et chasser Benjamin Netanyahou, et ensuite, selon eux, nous pourrons retourner aux champs de la mort pour toujours.

Toujours plus de tueries, toujours plus de destructions. La soif de vengeance et la soif de sang sont enveloppées d'une foule de déguisements, d'excuses et de considérations. Certaines d'entre elles peuvent être comprises depuis le 7 octobre, qui nous a fait sortir du placard.

Le tableau peut être compliqué, mais on ne peut pas estomper le fait écrasant que le monde entier veut mettre fin à cette guerre, à l'exception d'un seul État. La quantité de sang que cet État veut verser n'a pas encore été atteinte. Ce désir, enveloppé dans la cause de la destruction du Hamas, ne sera de toute façon pas accompli. Qu'y a-t-il d'autre à penser qu'Israël veut tuer et détruire à Gaza pour le plaisir de tuer et de détruire ? Tel est l'objectif.

On peut arguer que si nous ne détruisons pas le Hamas, la guerre se poursuivra éternellement et que, de toute façon, il s'agit d'une guerre pour la paix. Mais on ne peut pas croire cela quand il n'y a pas de plan stratégique derrière la soif de guerre. Il ne reste donc que la stricte vérité : Israël veut tout simplement la guerre. La gauche, la droite et le centre aussi. Tout le monde.

Soldats israéliens sur un char dans la bande de Gaza en février. Photo Dylan Martinez/REUTERS

C’est une situation horrible. D'abord, nous avons supprimé la paix en tant que valeur, en tant qu'objectif et vision, et maintenant nous avons fait de la guerre une valeur pour laquelle nous devons nous battre contre le monde entier. Quelques-uns contre beaucoup, nous nous battrons pour notre droit à la guerre. Le petit nombre contre la multitude, nous nous battrons pour notre droit de tuer et de détruire sans discernement.

La plus grande menace qui pèse aujourd'hui sur Israël est d'arrêter la guerre. Où irons-nous ? On a oublié que la guerre est l'invention humaine la plus satanique. Faire la paix, pas la guerre - c'est pour les crédules et les idiots. La poursuite de la guerre est ce qui unit Israël dans un lien étroit. Nous sommes prêts à payer n'importe quel prix pour continuer la guerre, y compris à ruiner les relations avec les USA, qui ne sont pas réputés comme des pacifistes, et qui exigent aussi : Assez.

C'est la soif de guerre, et rien d'autre. Non seulement personne ne nous l'impose, pas même l'horrible 7 octobre, mais, de toutes les nations, c'est nous qui l'avons choisie. Et nous, de toutes les nations, avons choisi de continuer à le faire, sans aucune résistance de la part d'Israël. Nous devons avoir Rafah, puis Baalbek, et nous retournerons ensuite dans le nord de la bande de Gaza parce que nous le devons. Nous devons le faire. Et puis Téhéran sera un must aussi, parce qu'il n'y a pas d'autre choix.

Pourquoi, que suggérez-vous ? La capitulation ? L'anéantissement ? L'holocauste ? Israël veut de plus en plus de cette guerre. Nous pensons que c'est permis et que ça nous fait du bien.        

Paolo Lombardi


 

 

16/03/2024

GIDEON LEVY
Message aux Israéliens de gôche : sortez du choc du 7 octobre et ouvrez les yeux sur Gaza !

Gideon Levy, Haaretz, 13/3/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Chers amis et anciens amis : Il est temps de dessoûler de votre dessoûlement.

C’était infondé au départ, mais aujourd’hui, près de six mois après que vos « yeux se sont ouverts », il est temps de revenir à la réalité. Il est temps de revenir à une vision d’ensemble, de réactiver la conscience et le sens moral qui ont été éteints et archivés le 7 octobre, et de voir ce qui nous est arrivé depuis lors, à nous et, oui, aux Palestiniens.

Le camp de réfugiés de Jabaliya à Gaza. Photo : Mahmoud Essa / AP

Il est temps d’enlever les bandeaux que vous vous êtes mis sur les yeux, ne voulant pas voir et ne voulant pas savoir ce que nous faisons à Gaza, parce que vous avez dit que Gaza le méritait et que ses catastrophes ne vous intéressent plus.

Vous étiez en colère, vous vous êtes sentis humiliés, vous avez été stupéfaits, vous avez été terrifiés, vous avez été choqués et vous avez eu du chagrin le 7 octobre. C’était tout à fait justifié. Ce fut un choc énorme pour tout le monde.

Mais les conclusions que vous avez tirées de ce choc n’étaient pas seulement erronées, elles étaient à l’opposé des conclusions qu’il aurait fallu tirer de la catastrophe.

On ne s’en prend pas aux gens dans leur douleur, et certainement pas aux sionistes de gauche dont la douleur est leur art, mais il est temps de se défaire du choc et de se réveiller. Vous pensiez que ce qui s’est passé le 7 octobre justifiait quoi que ce soit ? Eh bien, ce n’est pas le cas. Vous pensiez qu’il fallait à tout prix détruire le Hamas ? Eh bien, non. Il ne s’agit pas seulement de justice, mais aussi de reconnaître les limites de la force.

Ce n’est pas que vous soyez mauvais et sadiques, ou racistes et messianiques, comme la droite. Vous avez seulement pensé que le 7 octobre a soudainement prouvé ce que la droite a toujours dit : qu’il n’y a pas de partenaire parce que les Palestiniens sont des sauvages.

Cinq mois devraient suffire pour vous permettre de surmonter non seulement votre réaction instinctive, mais aussi vos conclusions. Le 7 octobre n’aurait pas dû changer vos principes moraux ou votre humanité. Mais il les a bouleversés, ce qui constitue un sérieux motif d’inquiétude quant à la solidité de vos principes moraux.

L’attaque vicieuse et barbare du Hamas contre Israël ne change pas la situation fondamentale dans laquelle nous vivons : celle d’un peuple qui harcèle et tyrannise un autre peuple de différentes manières et avec une intensité variable depuis plus d’un siècle maintenant.

Gaza n’a pas changé le 7 octobre. C’était l’un des endroits les plus misérables de la planète avant le 7 octobre et il l’est devenu encore plus après.

La responsabilité d’Israël dans le sort de Gaza et sa culpabilité n’ont pas changé en ce jour terrible. Il n’est pas le seul coupable et ne porte pas l’entière responsabilité, mais il joue un rôle décisif dans le destin de Gaza.

La gauche ne peut se soustraire à cette responsabilité et à cette culpabilité. Après le choc, la colère et le chagrin, il est temps maintenant de dessoûler et de regarder non seulement ce qui nous a été fait, comme les médias israéliens nous ordonnent de le faire jour et nuit, mais aussi ce que nous faisons à Gaza et à la Cisjordanie depuis le 7 octobre.

Non, notre catastrophe ne compense pas cela, rien au monde ne peut compenser cela. La droite célèbre la souffrance palestinienne, s’en délecte et en redemande, tandis que la gauche détourne le regard et garde un silence effroyable. Elle est encore en train de « dessoûler ». Il est temps d’y mettre fin.

Ce que le monde entier voit et comprend devrait également être compris par une partie au moins de ce qui fut le camp de la conscience et de l’humanité. Nous ne reviendrons pas sur le rôle de la gauche sioniste dans l’occupation et l’apartheid, ni sur son hypocrisie.

Mais comment un peuple entier peut-il détourner les yeux des horreurs qu’il commet dans son arrière-cour, sans qu’il reste un camp pour les dénoncer ? Comment une guerre aussi brutale peut-elle se poursuivre sans qu’aucune opposition ne se manifeste au sein de la société israélienne ?

La gauche sioniste, qui veut toujours se sentir bien dans sa peau et se considérer comme éclairée, démocratique et libérale, doit se rappeler qu’un jour elle se posera la question, ou se la fera poser par d’autres : Où étiez-vous lorsque tout cela s’est produit ? Où étiez-vous ? Vous étiez encore en train de dessoûler ? Il est temps que cela cesse, car il se fait déjà tard. Très tard.

 

11/03/2024

27 otages gazaouis sont morts en captivité dans des installations militaires israéliennes depuis le début de la guerre

 Une information de la correspondante du Haaretz en Cisjordanie, passée sous silence par les médias dominants, suivie d’un commentaire empreint d’ironie amère de Gideon Levy.  Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

27 otages gazaouis sont morts en captivité dans des installations militaires israéliennes depuis le début de la guerre

 Hagar Shezaf, Haaretz, 7/3/2024

Les détenus qui ont été renvoyés à Gaza ont témoigné des mauvais traitements qu’ils ont subis, notamment des coups et des sévices infligés par des soldats et au cours des interrogatoires. Le porte-parole des FDI déclare que l’armée a ouvert une enquête sur les décès.

 

Détenus dans le centre de Sde Teiman

Selon les chiffres obtenus par Haaretz, 27 détenus de Gaza sont morts en détention dans des installations militaires israéliennes depuis le début de la guerre.

Les détenus sont décédés dans les installations de Sde Teiman et d’Anatot ou lors d’interrogatoires en territoire israélien. Le bureau du porte-parole des FDI a déclaré que la Police militaire d’investigation avait ouvert une enquête sur ces décès. Les FDI n’ont pas détaillé les circonstances des décès, mais ont indiqué que certains d’entre eux souffraient de problèmes de santé antérieurs ou avaient été blessés pendant la guerre.

Des soldats des FDI conduisent des détenus palestiniens aux yeux bandés dans un camion, en décembre. Photo Motti Milrod

Depuis le début de la guerre, l’armée a détenu des habitants de Gaza dans des camps de prisonniers temporaires sur la base de Sde Teiman. Les détenus de Sde Teiman ont été interrogés par l’unité 504. En vertu d’un amendement à la loi adopté pendant la guerre, les détenus peuvent être gardés jusqu’à 75 jours sans voir un juge.

Certains détenus ont été libérés et sont retournés à Gaza. En outre, les travailleurs gazaouis titulaires d’un permis qui se trouvaient en Israël au début de la guerre ont été détenus au
camp de détention d’Anatot jusqu’à ce que la plupart d’entre eux soient libérés et retournent dans la bande. Une source a déclaré à Haaretz qu’au moins l’un d’entre eux, un diabétique, y est décédé faute de traitement médical. En décembre, Haaretz a révélé que les détenus de Sde Teiman étaient menottés et avaient les yeux bandés toute la journée.

Des photos publiées ultérieurement par Haaretz ont révélé à quoi ressemblait  l’endroit où les détenus étaient gardés, et une source sur place a déclaré que les soldats avaient tendance à punir et à battre les détenus, ce qui correspond aux témoignages de Palestiniens qui ont été renvoyés à Gaza par la suite.

Soldats israéliens arrêtant des Palestiniens dans la bande de Gaza, en décembre 2023. Photo Tsahal

Ils ont témoigné des coups et des abus infligés par les soldats et au cours des interrogatoires. Des photos de détenus libérés montrent des ecchymoses et des marques sur leurs poignets dues à un menottage prolongé. Selon un rapport de l’UNRWA publié mardi par le New York Times, les détenus libérés à Gaza ont déclaré avoir été battus, volés, déshabillés, agressés sexuellement et empêchés de consulter des médecins et des avocats.

Fin février, Azzadin Al Bana, un homme de 40 ans originaire de Gaza qui souffrait d’une grave maladie avant son arrestation, est décédé dans une clinique de l’administration pénitentiaire. La commission des affaires pénitentiaires a déclaré qu’Al Bana avait été arrêté à son domicile dans la bande de Gaza il y a environ deux mois. Haaretz a appris qu’Al Banna avait d’abord été amené à la base de Sde Teiman, où il avait été placé en détention normale, et qu’il n’avait été transféré à l’établissement médical de Sde Teiman que deux semaines plus tard. Il y a environ un mois, il a été transféré dans une clinique de l’administration pénitentiaire.

La base de Sde Teiman où sont détenus les habitants de Gaza. Photo : Eliyahu Hershkovitz

Un avocat qui a récemment visité la clinique a déclaré que les prisonniers qui s’y trouvaient disaient qu’il souffrait de paralysie et qu’il avait de graves plaies de pression. Selon l’avocat, l’un des prisonniers a déclaré qu’Al Bana était devenu jaune et qu’il émettait des râles, mais qu’il n’avait pas reçu de traitement approprié. Les données de l’administration pénitentiaire transmises au Centre HaMoked pour la défense de l’individu montrent qu’au 1er mars, 793 habitants de Gaza étaient détenus dans des prisons administrées par l’administration pénitentiaire sous le statut de combattants illégaux. Ce chiffre s’ajoute à un nombre inconnu de Gazaouis détenus dans des centres de détention militaires.

Le bureau du porte-parole des FDI a répondu : « Depuis le début de la guerre, les FDI gèrent un certain nombre de centres de détention où se trouvent des détenus arrêtés lors de l’assaut du Hamas le 7 octobre ou lors de la campagne terrestre dans la bande de Gaza. Les détenus ont été amenés dans les centres de détention et interrogés. Toute personne n’ayant aucun lien avec des opérations terroristes a été relâchée dans la bande de Gaza.

Depuis le début de la guerre, il y a eu un certain nombre de cas de décès de détenus dans les établissements pénitentiaires, y compris des détenus qui sont arrivés en détention blessés ou souffrant de conditions médicales complexes. Chaque cas de décès fait l’objet d’une enquête de la police militaire d’investigation et les conclusions sont transmises à l’avocat général des armées à l’issue de l’enquête ».


 
Quand Israël devient comme le Hamas

Gideon Levy, Haaretz , 10/3/2024

Terrible nouvelle : vingt-sept autres captifs sont morts dans les tunnels du mal, certains de maladies et de blessures non soignées, d’autres de coups et des conditions horribles dans lesquelles ils ont été détenus. Pendant des mois, ils ont été enfermés dans des cages, les yeux bandés et menottés, 24 heures sur 24. Certains sont âgés, beaucoup sont des travailleurs manuels. L’un d’entre eux était paralysé et, selon des témoins, il n’a reçu aucun soin médical, même lorsque le râle de la mort a commencé.

Les représentants du Comité international de la Croix-Rouge n’ont pas été autorisés à leur rendre visite, ne serait-ce qu’une fois, et leurs ravisseurs n’ont pas divulgué leurs noms afin que leurs familles puissent être informées. Ces dernières ne savent rien de leur sort ; peut-être ont-elles perdu espoir. Leur nombre exact est inconnu ; leurs ravisseurs ne fournissent aucune information à leur sujet. On estime qu’il y a entre 1 000 et 1 500 détenus, si ce n’est plus. Parmi eux, 27 sont morts et ils ne seront pas les derniers à mourir dans leurs cages.

Personne ne manifeste pour leur libération, le monde ne s’intéresse pas à eux. Ils sont détenus dans des conditions inhumaines et leur sort est considéré comme sans importance. Il s’agit des captifs de Gaza détenus par Israël depuis le début de la guerre. Certains sont innocents, d’autres sont des terroristes brutaux. Hagar Shezaf, qui a révélé la mort de tant de détenus, a rapporté que la plupart d’entre eux sont détenus par l’armée sur la base militaire de Sde Teiman, où les soldats les battent et les maltraitent régulièrement. Des centaines de Gazaouis qui travaillaient en Israël avec des permis ont été arrêtés le 7 octobre sans raison, et sont détenus dans des cages depuis lors.

Le lundi 9 octobre, deux jours après le massacre, j’ai vu l’une de ces personnes dans la cour d’un centre communautaire de Sderot qui avait été transformé en poste militaire : un homme très âgé, assis sur un tabouret dans la cour où tout le monde pouvait le voir toute la journée, des menottes à fermeture éclair autour des poignets et un bandeau sur les yeux. Je n’oublierai jamais ce spectacle. C’était un ouvrier qui avait été arrêté ; il est peut-être encore entravé, ou peut-être est-il mort.

La nouvelle de cette mort, de ce massacre en prison, n’a suscité aucun intérêt en Israël. Autrefois, le sol tremblait lorsqu’un détenu mourait en prison ; aujourd’hui, 27 détenus sont morts - la plupart, sinon tous, à cause d’Israël - et il n’y a rien. Chaque décès en détention soulève le soupçon d’un acte criminel, la mort de 27 détenus soulève le soupçon d’une politique délibérée. Personne, bien sûr, ne sera poursuivi pour leur mort. Il est même douteux que quelqu’un enquête sur les causes de ces décès.

Ce rapport aurait également dû susciter l’inquiétude d’Israël quant au sort de ses propres captifs. Que penseront et feront les geôliers du Hamas lorsqu’ils apprendront comment sont traités leurs camarades et compatriotes ? Les familles des otages auraient dû être les premières à s’élever contre le traitement des prisonniers palestiniens, au moins parce qu’elles s’inquiètent du sort de leurs proches, sinon parce qu’elles savent qu’un État qui traite les captifs de cette manière perd la base morale de ses exigences en matière de traitement humain de ses propres captifs aux mains de l’ennemi.

Les Israéliens auraient dû être choqués pour d’autres raisons. Il n’y a pas de démocratie lorsque des dizaines de détenus meurent en détention. Il n’y a pas de démocratie lorsque l’État retient des personnes pendant 75 jours sans les faire comparaître devant un juge et refuse de prodiguer des soins médicaux aux malades et aux blessés, même lorsqu’ils sont en train de mourir. Seuls les régimes les plus rétrogrades maintiennent des personnes attachées et les yeux bandés pendant des mois, et Israël commence à leur ressembler à un rythme alarmant. En outre, aucune démocratie ne fait tout cela sans transparence, notamment en publiant des informations sur le nombre, l’identité et l’état de santé des personnes détenues.

Comme il est commode d’être choqué par la cruauté du Hamas, de présenter ses actions au monde entier et de traiter ses membres de monstres. Rien de tout cela ne donne à Israël le droit d’agir de la même manière. Lorsque j’ai déclaré dans une interview, il y a quelques mois, que le traitement réservé par Israël aux prisonniers palestiniens n’était pas meilleur que celui réservé par le Hamas aux nôtres, et peut-être même pire, j’ai été dénoncé et renvoyé de l’émission d’actualité la plus éclairée de la télévision israélienne. Après le rapport de Shezaf, le tableau est encore plus clair : Nous sommes devenus comme le Hamas.