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09/03/2025

GIDEON LEVY
Le dernier rédempteur national de la gauche sioniste : Daniel Hagari, le porte-parole évincé de l’armée israélienne

Gideon Levy, Haaretz, 9/3/2025
Traduit par 
Fausto GiudiceTlaxcala

Notre couronne est tombée : le porte-parole de Tsahal, le contre-amiral Daniel Hagari, a été évincé. Les médias sociaux sont inondés de lamentations. L’auteure-compositrice-interprète Aya Korem a composé une chanson de nostalgie à son sujet. Même le nouveau chef d’état-major des forces de défense israéliennes, le lieutenant-général Eyal Zamir, qui fut brièvement le chouchou d’Israël, a perdu ses faveurs aux yeux de la moitié de la nation du jour au lendemain, simplement parce qu’il a éloigné Hagari de nous.


Le contre-amiral Daniel Hagari sur les lieux d’un tir de roquette à Majdal Shams en 2024. Photo Gil Eliahu

Tout le monde parlait de son intégrité - oh, l’intégrité de Hagari - de sa décence et de ses apparitions publiques. Comment il nous a protégés pendant la guerre et comment il était toujours là pour nous réconforter et nous encourager. Une semaine après que le chef du service de sécurité Shin Bet a été nommé au poste de sauveur de la démocratie, c’est au tour du porte-parole de l’armée d’être nommé au rôle de rédempteur national. C’est comme ça dans la gauche sioniste éclairée.

En effet, le porte-parole déchu a bien fait son devoir. Ce devoir était de mentir, de couvrir, de dissimuler, de tromper, de nier, de désavouer, de cacher aux yeux du monde et à nos propres yeux tous les crimes. Le prince de l’intégrité et de l’équité, Hagari, a excellé dans son travail. Il trompait et dissimulait, mentait sans sourciller et paraissait si décent, si humain. Une fois, il s’est même étranglé, tant il était sensible.

C’est pour cela que nous l’aimions. Grâce à Hagari, non seulement nous n’avons rien su, mais nous n’avons rien entendu et nous n’avons rien vu. Grâce à Hagari et à ses semblables, il y a encore des Israéliens qui sont convaincus que les FDI sont l’armée la plus morale du monde. Il n’est pas étonnant que son éviction ait déclenché une telle vague de gratitude.

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Le fait que Hagari soit détesté par le Premier ministre Benjamin Netanyahou a certainement joué un rôle dans le fait qu’il a gagné en puissance et est devenu le chouchou d’Israël. Il n’y a pas eu de chouchou national en temps de guerre comme Hagari depuis son prédécesseur d’il y a des décennies, Nachman Shai, qui, pendant la guerre du Golfe, a exhorté les Israéliens effrayés dans leurs chambres scellées à boire un verre d’eau. Pourquoi a-t-il été évincé ? Hagari, qui nous a fait nous sentir si bien alors que le monde entier nous condamnait et nous fuyait ?

On peut être impressionné par la personnalité de Hagari, son charme et ses apparitions publiques, mais entre lui et la décence et l’intégrité se trouve un sombre abîme. Hagari n’a jamais dit la vérité sur ce que les FDI faisaient à Gaza, tout comme il n’a jamais dit la vérité sur l’assassinat de Shireen Abu Akleh, journaliste d’Al Jazeera dans la ville de Jénine, en Cisjordanie, en 2022. C’était son travail, et c’est le travail de tous les porte-parole des FDI : couvrir les crimes de l’armée.

Pendant des décennies, j’ai demandé à l’unité du porte-parole des FDI des réponses aux péchés quotidiens de l’occupation, et je n’en ai jamais reçu une seule qui soit véridique. Les réponses génériques vont de « une enquête a été ouverte » - ce qui est douteux, et de toute façon, elle ne se terminera jamais - au diabolique « l’incident est connu de nous », jusqu’au « danger mortel » (représenté par un garçon tenant une pierre ou une fille à la fenêtre de sa maison).

Le porte-parole des FDI n’a jamais été connu pour sa contrition, pour admettre le blâme, accepter la responsabilité ou exprimer un iota de regret ou d’excuse. Hagari était le porte-parole des FDI dans les années les plus sombres que l’armée ait connues - et il est aujourd’hui un symbole de notre intégrité. Hagari a été le porte-parole d’un génocide, et il est aujourd’hui le symbole de l’humanité d’Israël. Qui l’aurait cru ?

Les lamentations sur l’éviction de Hagari en disent beaucoup plus sur les lamentateurs que sur lui. Après tout, on ne pouvait s’attendre à rien d’autre de sa part, dans un travail défini par la tromperie et la propagande. Les admirateurs de Hagari lui disent en substance : « Mentez-nous encore, autant que vous le pouvez. Continuez à nous faire croire que l’armée est morale, continuez à nous dire à quel point nous sommes beaux et à quel point l’IDF est adorable, de préférence de la bouche d’un officier qui s’exprime bien et qui est séduisant ». C’est exactement ce qu’était Hagari.

Comme il était réconfortant d’entendre de sa bouche qu’il n’y avait aucun problème à détruire une tour d’habitation à Gaza parce que l’adjoint du financier du Hamas y vivait, et comme il était bon d’entendre de sa bouche que nos soldats ne tuaient jamais de femmes ou d’enfants, et que le monde ne faisait que nous calomnier.

L’envie de bien paraître et de se sentir bien dans sa peau et dans celle de son armée est si désespérée que seul un bel Israélien comme Hagari peut la satisfaire. Après tout, il n’est pas Itamar Ben-Gvir ou Ofer Winter : Il est le bel Israël, moral, éthique - et blanc - qui n’est plus, le pays qui nous a gentiment caché tous ses crimes depuis le début. Et maintenant, il a été évincé, pouvez-vous imaginer ça ?

 

Ossama Hajjaj