Mains et pieds entravés.Yeux bandés.Pas
un mouvement.Pas un mot.Et, parfois, des coups violents.Des
jours et des semaines s’écoulent ainsi au centre de détention de Sde Teiman
pour les “terroristes du Hamas” et les civils palestiniens de Gaza.Les
personnes interviewées en savent quelque chose.Elles y ont servi.
Le rapport de l’ONG B’Tselem publié cette semaine,
« Bienvenue en enfer », n’est pas seulement un rapport sur ce qui se passe dans
les prisons israéliennes, c’est un rapport sur Israël. Quiconque veut savoir ce
qu’est Israël devrait lire ce rapport avant tout autre document sur la démocratie
israélienne.
Quiconque veut se familiariser avec l’esprit du
temps en Israël devrait noter comment la plupart des médias [israéliens, NdT]
ont ignoré le rapport, qui aurait dû susciter l’indignation et le choc en
Israël. Même la documentation sur le viol collectif rapportée cette semaine par
Guy Peleg sur Channel 12 News ne montrait pas seulement le centre de détention
de Sde Teiman. Elle montrait le visage du pays.
Si un rapport comme celui de B’Tselem a été presque totalement
ignoré ici, et si même après les preuves montrées par Peleg, le débat sur la
question de savoir s’il est permis de détenir les soldats répignants présentés
dans le rapport se poursuit – dans le programme du matin de Channel 12, il y a
eu une discussion sur qui est en faveur du viol et qui s’y oppose – alors la
documentation de Peleg est une documentation sur le visage d’Israël 2024, son
esprit et sa semblance.
Malheureusement,
même Peleg a continué à qualifier la victime du viol barbare de « terroriste »
(après tout, il travaille pour Channel 12 News), bien qu’il ait révélé un peu
plus tôt que la victime du viol n’était pas un membre de la Nukhba [unité d’élite des Brigades Ezzedine Al Qassem du Hamas qui aurait dirigé l'Opération Toufan Al Aqsa, terme entré
dans le vocabulaire israélien après le 7 octobre, NdT] ou un commandant de
compagnie – c’était un simple policier de l’unité anti-drogue de Jabaliya. Il a
donc été extrait parmi des dizaines de détenus qui gisaient menottés sur le
sol, peut-être au hasard parce qu’il était le dernier de la rangée. Pas de
violence ni d’émeutes, comme les avocats indignes des suspects ont tenté de le
faire croire.
Qu’avait fait exactement ce « terroriste » ? Et
pourquoi était-il en prison ? Est-ce parce que son salaire est payé par le
gouvernement de la bande de Gaza ? Ce sont des questions qui ne devraient pas
être posées. Mais l’image de son corps tremblant sous la douleur de la
pénétration, qui a vacillé un instant tandis que les violeurs se cachaient
derrière leurs défenseurs, aurait dû torturer toutes les consciences.
Pas la conscience de la plupart des Israéliens, s’avère-t-il.
Mardi, une fois de plus, une audience de la Haute Cour de justice portant sur
la demande de fermeture du centre de torture de Sde Teiman a été interrompue en
raison des cris de l’assistance. « Le peuple est souverain », a crié la
populace aux juges de la Haute Cour. Bientôt on verra des lynchages sur les
places des villes, menés par le souverain et soutenus par les médias. Dans les
émissions télévisées du matin, on discutera de la légitimité du lynchage. Il y
aura un orateur pour et un orateur contre, dans nos médias équilibrés.
Un mari violent peut être charmant, impressionnant, aimé de
tous ceux qui le connaissent et talentueux ; s’il bat sa femme ou ses enfants,
c’est un mari violent. Cette définition éclipse toutes les autres descriptions,
sa violence définit son identité. Toutes ses autres caractéristiques sont
oubliées à cause de sa violence.
Sde Teiman définit également Israël, plus que ses
autres caractéristiques. Israël est Sdei Teiman, Sde Teiman est Israël. C’est
aussi comme cela qu’ils ont traité les personnes soupçonnées de harcèlement
sexuel dans le mouvement israélien #MeToo, qui a détruit les carrières et les
vies d’hommes qui n’étaient que des suspects. Mais les violeurs de Sde Teiman ?
Ce n’est pas un problème pour #MeToo – celui qu’ils ont violé était un «
terroriste ».
Quand on lit les 94 pages du rapport de B’Tselem,
qui vous fait perdre le sommeil, on comprend qu’il ne s’agit pas d’un incident
exceptionnel, mais de la routine de la torture, qui est devenue une politique.
Contrairement à la torture pratiquée par le Shin Bet, qui avait
vraisemblablement un but sécuritaire – obtenir des informations – ici, il
s’agit uniquement de satisfaire les pulsions sadiques les plus sombres et les
plus malsaines. Regardez avec quel calme les soldats s’approchent pour exécuter
leurs intentions malveillantes. Il y a aussi des dizaines d’autres soldats qui
ont vu et su et qui sont restés silencieux. Apparemment, ils ont également
participé à des orgies similaires, d’après les dizaines de témoignages cités
dans le rapport de B’Tselem. C’est la routine.
L’indifférence à toutes ces choses définit Israël.
La légitimation publique définit Israël. Dans le camp de détention de
Guantanamo Bay ouvert par les USA après les attentats du 11 septembre, neuf
prisonniers ont été tués en 20 ans ; ici, c’est 60 détenus en 10 mois. Faut-il
en dire plus ?
ADDAMEER (conscience
en arabe) Prisoner Support and Human Rights Association est une institution
civile non gouvernementale palestinienne qui s’efforce de soutenir les
prisonniers politiques palestiniens détenus dans les prisons israéliennes et
palestiniennes. Créé en 1991 par un groupe d’activistes intéressés par les
droits de l’homme, le centre offre une aide juridique gratuite aux prisonniers
politiques, défend leurs droits au niveau national et international et s’efforce
de mettre fin à la torture et aux autres violations des droits des prisonniers
par le biais d’un suivi, de procédures juridiques et de campagnes de
solidarité.
Le 29 juillet 2024, la police militaire de l’occupation
a fait une descente dans le camp militaire de Sde Teman, arrêtant des soldats
accusés d’avoir brutalement agressé sexuellement un détenu de Gaza. Le détenu
présenterait de graves signes de viol à l’aide d’outils de torture tranchants.
Des avocats ont documenté de nombreux cas de torture et de violence sexuelle à
l’encontre de détenus de Gaza, révélant un sinistre schéma d’abus au sein du
camp militaire de Sde Teman. Malgré ces cas bien documentés, 99 % des enquêtes
sur les actes de torture et les abus commis par les FOI (Forces d’occupation
israéliennes) à l’encontre des Palestiniens n’aboutissent pas, ce qui fait que
les auteurs de ces actes ne sont pas tenus de rendre des comptes et ne
connaissent aucune répercussion. Cette absence persistante de justice met en
évidence l’impunité systémique au sein des FOI qui permet à des violations
aussi flagrantes de se poursuivre sans contrôle.
Les avocats ont documenté de nombreux cas où l’armée
israélienne a procédé à des fouilles à nu excessives sur des détenus gazaouis.
Au cours de ces fouilles, les détenus ont été contraints de se placer dans des
positions humiliantes et ont été soumis à l’utilisation de détecteurs de métaux
sur leur corps, qui ont été déplacés autour de leurs parties intimes pendant
que les soldats se moquaient d’eux et les agressaient verbalement en les
maudissant constamment et en les forçant à se maudire eux-mêmes.
Une photo manque sur la place de Tel Aviv connue
sous le nom de Place des Otages. Quelques douzaines d’images sont également absentes
des manifestations de la rue Kaplan, située à proximité. Ces photos n’ont
jamais été brandies dans les manifestations, alors qu’elles y ont leur place au
même titre que les photos des otages israéliens. Les photos manquantes, celles
des Palestiniens kidnappés, auraient dû être le deuxième point focal des
protestations, après celles des otages israéliens. Mais pas dans l’Israël de
2024. Ici, personne ne pense même à les prendre en considération.
Un soldat israélien passe devant des photos de captifs israélien détenus à Gaza, sur la place Dizengoff à Tel Aviv, en mai. Photo Marko Djurica
/ Reuters
J’aimerais voir, lors de la manifestation de
Kaplan ce samedi soir, une photo du kidnappé Bassem Tamimi après sa libération
en Israël. Tamimi a été libéré la semaine dernière ; il avait été enlevé au
passage Allenby/King Hussein entre la Cisjordanie et la Jordanie le 29 octobre
et emprisonné sans procès.
Son apparition après environ huit mois d’incarcération
et de torture aurait dû choquer tous les Israéliens, en particulier les parents
des otages de Gaza. Les photos montrent un homme brisé : émacié, le visage
décharné, les yeux rouges et en pleurs. Tamimi a été détenu des dizaines de
fois, généralement pour des raisons politiques et sans procès, mais jamais,
après sa libération, il n’a eu l’air qu’il avait la semaine dernière. L’homme
autrefois beau et charismatique n’était plus que l’ombre de lui-même. Même ses
amis ont eu du mal à le reconnaître au début. Il ressemblait à un détenu libéré
de Guantanamo ou d’Abou Ghraïb.
C’est un militant politique chevronné qui a perdu
quelques membres de sa famille dans la lutte. Sa fille Ahed est devenue un
symbole international de la résistance palestinienne à l’âge de 14 ans après
avoir giflé - que le ciel nous vienne en aide ! - son excellence, un officier
de l’armée israélienne, qui , lui, a le droit de gifler et même de tuer à sa
guise. Tamimi a été brisé. Ses amis disent qu’il est paniqué, effrayé et en
état de choc après ce qu’il a enduré dans les infâmes ailes de prison pour les
détenus de sécurité opérant sous la férule d’Itamar Ben-Gvir.