José Pablo Criales, El País, 13/8/2023
Traduit
par
Fausto Giudice, Tlaxcala
José Pablo Criales est correspondant du quotidien espagnol El País en
Argentine.
Enfant battu, ado colérique, le candidat d’extrême droite remporte les
primaires en capitalisant sur le ras-le-bol et en fixant l’ordre du jour
politique par son histrionisme
Brûler la Banque centrale “mettra
fin à l’inflation” ; la vente d’organes peut être “un marché comme un autre” ;
les politiciens “devraient être virés à coups de pied au cul”. C’est avec de
telles propositions, criées sur des estrades, que l’économiste ultralibéral
Javier Milei s’est emparé de l’agenda public argentin. Histrionesque, échevelé,
mais en même temps très attentif à son image, le candidat d’extrême droite a
imposé sa fureur anti-establishment dans le débat politique depuis la première
fois qu’il a foulé un plateau de télévision en 2016. Sa colère a capté la
frustration d’une société dégoûtée par la politique : d’animateur de talk-show
à candidat à la présidentielle, Milei a été le candidat le plus voté lors des
primaires de dimanche. Il a obtenu près de 32 % des voix, devançant le parti
péroniste au pouvoir et une droite qui avait commencé à lui demander d’écrire
son propre scénario. Milei n’a pas voulu faire de pacte. Son cri de guerre est
contre tous les autres : « La caste a peur ».
Fils d’un chauffeur de bus devenu
entrepreneur dans le transport et d’une femme au foyer, Javier Milei (Buenos
Aires, 52 ans) a grandi dans un foyer violent. « Pour moi, ils sont morts »,
répétait-il à propos de ses parents en 2018, à l’apogée de sa carrière d’animateur
de talk-shows télévisés. Milei avait alors passé une décennie sans parler à
Norberto et Alicia, qui l’ont élevé au milieu des coups et des violences
verbales. Inhibé à la maison, soutenu uniquement par sa grand-mère maternelle
et Karina, sa jeune sœur, il s’est fait connaître pour ses colères à l’école.
Selon son biographe non autorisé, le journaliste Juan Luis González, il était
surnommé El Loco (le fou) à l’école catholique secondaire qu’il
fréquentait, en raison de ses accès de colère qui, des décennies plus tard, ont
fait de lui l’économiste préféré de la télévision et un député national. Milei
a étudié à l’école Cardenal Copello de Villa Devoto, une banlieue résidentielle
de la classe moyenne supérieure de Buenos Aires, où il a joué au football en
tant que gardien de but dans les divisions inférieures de l’équipe Chacarita
Juniors, a chanté dans un groupe qui reprenait les Rolling Stones, et où il n’y
a aucun souvenir de petites amies ou d’amis.
Milei peut encore échouer dans sa
course à la présidence le 22 octobre, mais il s’est vengé de la solitude de sa
jeunesse par les acclamations populaires. Quelque 10 000 personnes l’ont
applaudi lundi 7 août lors de la clôture de sa campagne. Le candidat, qui a
fait sa carrière politique en menaçant de “virer les politiciens à coups de
pied au cul” et en fulminant contre “la caste”, est revenu sur le chemin
parcouru depuis qu’il a été le fer de lance de l’arrivée de l’extrême droite au
Congrès argentin en novembre 2021. Depuis un an et demi qu’il siège parmi les
députés, il n’a promu aucun projet et a tiré au sort parmi ses partisans chacun
de ses salaires. Ses fidèles applaudissent ces deux gestes : Milei ne réchauffe
pas le banc, il révèle l’inefficacité de la Chambre ; il n’est pas un populiste
qui partage le gâteau, il dénonce les politiciens et leurs salaires chaque mois
plus élevés. Alors que le stade à moitié plein entonnait le chant dont il a
fait sa bannière, “Que se vayan todos” [Qu’ils dégagent tous], Milei a
remercié six êtres : El Jefe, comme il appelle sa sœur Karina, son
pilier affectif et la coordinatrice de sa campagne, et Conan, Murray, Milton,
Robert et Lucas, les cinq mastiffs anglais qu’il appelle ses “petits enfants à
quatre pattes”.
Économiste, titulaire d’une
licence et d’une maîtrise d’universités privées de Buenos Aires, Milei a joué
un rôle moteur dans le débat sur la dollarisation face à l’inflation galopante,
sur l’ajustement des dépenses publiques qui, en Argentine, maintiennent un État
fort auquel aucun politicien n’ose toucher, et sur la lutte contre la
criminalité. Mais rien n’a autant fait parler de lui que sa vie privée.
C’est en partie sa
responsabilité. Milei préfère souvent s’enliser dans des explications plutôt
que de se sortir d’une situation délicate par un oui ou un non. Le biographe
González affirme par exemple que Milei étudie la télépathie et dispose d’un
médium pour communiquer avec l’aîné de ses mastiffs, mort en 2017, à qui il
demande conseil. « Ce que je fais à l’intérieur de ma maison, c’est mon
problème », a-t-il répondu dans une interview accordée à notre journal. « Et
s’il est, comme on le dit, mon conseiller politique, la vérité est qu’il a enfoncé
tout le monde ».
C’est sa réponse classique. En
juin de l’année dernière, il a qualifié la vente d’organes de “marché de plus”
lors d’un débat radiophonique. « La personne qui a décidé de vous vendre l’organe,
en quoi a-t-elle porté atteinte à la vie, à la propriété ou à la liberté d’autrui
? Qui êtes-vous pour déterminer ce qu’il doit faire de sa vie ? », a
demandé Milei, et la spirale s’est emballée. Quelques jours plus tard, un
journaliste lui demande s’il adhère à une autre théorie qui postule la “vente d’enfants”.
“ça dépend”, répond Milei, qui s’empêtre.
“La réponse ne devrait pas être négative ?”, lui demande le journaliste. “Si j’avais
un enfant, je ne le vendrais pas”, a-t-il répondu. « La réponse dépend des
termes dans lesquels vous pensez, peut-être que dans 200 ans, on pourrait en
débattre”.
Fin mai, il a frôlé le non-sens
en relevant le gant de la dérision. « Javier Milei est un panéliste
ébouriffé qui crie sur scène et couche avec huit chiens et sa sœur », a
décrit Victoria Donda, ancienne députée de gauche et directrice de l’Institut
national contre la discrimination sous l’actuel gouvernement péroniste, « Je
n’ai pas huit chiens, j’en ai cinq », s’est-il borné à répondre sur le
plateau d’une chaîne de télévision amie qui lui demandait une réponse.
Ce sont des sorties peu communes
pour quelqu’un qui devrait être habitué aux chaînes de télévision, où il est
arrivé le 26 juillet 2016 lors de l’un des talk-shows télévisés de minuit. « Il
pourrait être ministre de la Culture, mais il sera ministre de l’Économie »,
l’ a présenté l’animateur d’Animales Sueltos, Alejandro Fantino. « Donne-moi
la Banque centrale », a répondu Milei avec ironie, et il a monopolisé
toute l’heure. Ce fut le moment inaugural de sa nouvelle vie. Milei avait passé
des années à travailler dur. Il a été conseiller du général Antonio Bussi, un
militaire qui a été gouverneur de la province de Tucumán pendant la dictature,
puis député national ; économiste en chef de la Fundación Acordar, le groupe de
réflexion d’un ancien gouverneur péroniste de Buenos Aires, Daniel Scioli ; et
il a travaillé dans l’entreprise qui gère la plupart des aéroports argentins.
Son ancien patron, Eduardo Eurnekian, l’un des hommes les plus riches du pays,
est également propriétaire de la chaîne de télévision qui l’a rendu célèbre.
Ses contradictions ne semblent
pas gêner un tiers du pays qui fête sa victoire ce dimanche. Il fulmine contre
la “caste”, mais la connaît depuis longtemps ; libertarien, il s’oppose à l’avortement
et à l’éducation sexuelle dans les écoles ; il a gagné l’affection d’une grande
partie de la communauté immigrée, mais la menace d’un traitement différent en
interdisant l’entrée des étrangers ayant un casier judiciaire et en expulsant
ceux qui commettent des délits dans le pays. « Il m’est arrivé des choses
très fortes qui dépassent toute explication scientifique », déclare Milei,
qui a grandi dans le catholicisme et connaît bien la Bible. Aujourd’hui, l’un
de ses grands conseillers est un rabbin et il dit qu’il “étudie” la possibilité
de se convertir au judaïsme.
Il y a un an, beaucoup pensaient
que sa campagne n’arriverait pas jusqu’à cet hiver austral. Le 10 juin 2022,
par un froid glacial à Buenos Aires, Javier Milei a convoqué son premier grand
meeting dans la banlieue de la capitale. Six mois s’étaient écoulés depuis son
arrivée au Congrès, sa popularité était en plein essor et il commençait déjà à
annoncer qu’il voulait être président. Le rassemblement fut un échec. Un peu
plus d’un millier de personnes y assistèrent et les moqueries à l’égard de l’économiste
libertarien, qui menaçait de mener une révolution nationale contre la “caste
politique” depuis un stade vide au milieu de nulle part, furent intenses. Ce
fut aussi le début de sa guerre politique : accompagné seulement de sa sœur et
d’un ancien conseiller de presse du gouvernement néolibéral des années 1990,
une partie de sa base commence à dénoncer le fait que le parti qu’ils avaient
construit dans la boue, La Libertad Avanza, était coopté en faveur du recyclage
de politiciens has been.
La justice enquête actuellement
pour savoir si l’entourage de Milei a demandé des milliers de dollars en
espèces en échange de places sur les listes pour les élections générales d’octobre,
mais son parti est plus fort que jamais. Il a également renoué le dialogue avec
ses parents. Il aura 53 ans le 22 octobre, jour de l’élection présidentielle. Il
pourrait s’offrir le cadeau de sa vie.
La Libertad Avanza: la franchise de Milei :
-Je voudrai une place sur la liste de députés provinciaux
–Ça fera 50 000 dollars. Vous ne voulez pas ajouter un maire et deux conseillers ?