Featured articles en vedette Artículos Artigos destacados Ausgewählte Artikel Articoli in evidenza

Affichage des articles dont le libellé est Mark Curtis. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Mark Curtis. Afficher tous les articles

15/01/2024

Yémen et alentours : aujourd’hui comme hier et avant-hier, la Perfide Albion continue à faire la guerre aux peuples de la région

Ci-dessous deux articles sur les agissements britanniques actuels à Oman dans le cadre de la préparation d’une guerre contre l’Iran et sur le rôle de la Grande-Bretagne dans la guerre civile au Yémen de 1962 à 1967. Conservateurs ou travaillistes, les gouvernements qui se sont succédé à Londres depuis deux siècles ont tous mené la même politique de mort contre ceux qu’ils considèrent eux aussi comme des « animaux humains » à éliminer. Comme l’a dit Marianne Faithfull : « J'ai commencé à comprendre les Anglais le jour où j'ai enfin réalisé qu'ils disent exactement le contraire de ce qu'ils pensent » [et font le contraire de ce qu’ils disent].-FG

Le Royaume-Uni agrandit discrètement sa base secrète d’espionnage à Oman, près de l’Iran

Phil Miller, Declassified UK, 11/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Les installations d’une station de surveillance du GCHQ [Quartier Général des communications du gouvernementau Moyen-Orient ont été modernisées en prévision d’une nouvelle guerre potentiellement dévastatrice avec l’Iran en défense d’Israël.

  • Le câble de communication posé entre Oman et l’Australie passe par la base militaire britannique de Diego Garcia.
  • La Grande-Bretagne pourrait utiliser Oman comme base de lancement pour des opérations contre les Houthis au Yémen, avertissent des militants en exil.

La station d’espionnage du GCHQ à Salalah, Oman. Photo : Google Earth


Une base d’espionnage britannique située près de l’Iran a fait l’objet d’importants travaux de construction au cours des deux dernières années, selon Declassified. Des images satellite montrent qu’une multitude de travaux de construction ont eu lieu sur un site du GCHQ à Oman, une autocratie pro-britannique située entre l’Iran et le Yémen.

Le site est susceptible de jouer un rôle clé dans une région où la Grande-Bretagne cherche à contrer le mouvement houthi du Yémen et les autorités iraniennes. Tous deux s’opposent au soutien occidental au génocide israélien à Gaza.

Les dirigeants houthis ont promis de bloquer les navires liés à Israël dans la mer Rouge jusqu’à ce que Benjamin Netanyahou cesse d’attaquer les Palestiniens. Dans la nuit de mardi 8 à mercredi 9 janvier 2024, la Royal Navy a abattu des drones houthis en mer Rouge. Le ministre britannique de la Défense, Grant Shapps, a déclaré hier qu’il fallait “surveiller cet espace” pour d’éventuelles frappes au Yémen.

Un millier de soldats britanniques sont stationnés à Oman, où le GCHQ exploite trois sites de surveillance. L’un d’entre eux se trouve sur la côte sud, près de la ville de Salalah, à 120 km du Yémen. Connu sous le nom de code Clarinet, son existence a été révélée par les fuites de Snowden en 2014.

Declassified a publié les premières photos de Clarinet en 2020, montrant son radôme de type balle de golf, d’une taille similaire à ceux observés sur d’autres sites du GCHQ. Des images satellite plus récentes montrent d’importants travaux de construction dans le périmètre de 1,4 km du site.

Deux nouveaux bâtiments ont été construits et les fondations de deux autres ont été posées. Le plus grand des nouveaux bâtiments a une superficie équivalente à celle de six courts de tennis et semble comporter plusieurs étages. Un porte-parole du GCHQ a répondu à nos conclusions : « Nous ne sommes pas en mesure de faire des commentaires sur des questions opérationnelles ».

 Câbles sous-marins

Les cartes marines confirment que Clarinet est situé à l’un des rares endroits d’Oman où des câbles sous-marins viennent s’échouer. Ceux-ci doivent être indiqués sur les cartes marines afin d’éviter que les navires ne les déplacent pas avec leurs ancres. Ces câbles transportent des câbles internet en fibre optique entre les continents, ce qui permet au GCHQ de pirater le trafic en ligne dans le monde entier.

Un nouveau pipeline de communication de 10 000 km, l’Oman Australia Cable, est en cours de pose entre Perth et Salalah. Initialement présenté comme un projet commercial mené par une société australienne, Subco, il est apparu depuis que le câble passe par la base militaire usaméricano-britannique de l’atoll de Diego Garcia, dans l’océan Indien.

L’armée usaméricaine a payé 300 millions de dollars pour que le câble soit détourné via Diego Garcia, dans le cadre d’une opération dont le nom de code est Big Wave. Diego Garcia fait partie des îles Chagos, dont la communauté indigène a été expulsée par la Grande-Bretagne dans les années 1960 pour faire place à la base usaméricaine, en échange d’une remise sur l’achat de sous-marins nucléaires.

La base a été un point d’appui essentiel pour les forces usaméricaines qui ont attaqué l’Irak et l’Afghanistan, et le Pentagone devrait l’utiliser en cas de guerre avec l’Iran. L’installation du câble à fibres optiques signifie que la base ne dépendra plus des connexions par satellite pour communiquer avec la terre ferme.

Perth, ville de l’ouest de l’Australie qui accueille l’autre extrémité du câble, est également devenue de plus en plus géostratégique. L’année dernière, la Grande-Bretagne a obtenu l’autorisation de baser certains de ses sous-marins à propulsion nucléaire dans le port, dans le cadre du pacte controversé AUKUS. Cela permettra à la Royal Navy d’organiser des patrouilles sous-marines plus fréquentes près de la Chine.

Le GCHQ à Oman

En sortant de la troisième ville d’Oman par l’est, l’autoroute de Salalah est bordée de palmiers. La circulation tourne à droite au rond-point de Maamoura, faisant passer les voitures entre un palais royal tentaculaire et la vaste base militaire de Razat. À un kilomètre de la route goudronnée se trouve l’entrée d’un chemin de terre, gardé par des blocs de béton et un poste de contrôle de la police.

La plupart des conducteurs l’ignorent et poursuivent leur route le long de la chaussée côtière, s’arrêtant peut-être au parc aquatique Hawana ou à la station balnéaire Rotana. Mais les quelques privilégiés qui bifurqueront ici arriveront à une installation non signalée, qui se distingue par ses imposants pylônes radio et sa balle de golf blanche géante.

Récemment étiqueté sur Google Maps sous le nom de 94 Omantel, il ne s’agit pas seulement d’une partie de l’entreprise publique de téléphonie d’Oman, connue pour servir de couverture aux espions. Selon les fichiers des services de renseignement usaméricains divulgués par le lanceur d’alerte Edward Snowden, Clarinet, où les espions britanniques recueillent les données de millions d’utilisateurs d’Internet dans le golfe Arabo-Persique, est une installation correspondant à cette description.

Bien que Snowden ait partagé la fuite avec le Guardian, ce dernier n’a pas publié les détails des installations du GCHQ à Oman. Le GCHQ s’est rendu dans les bureaux londoniens du média pour superviser la destruction des fichiers. Les informations n’ont été révélées que plus tard par le journaliste d’investigation Duncan Campbell, sur le site d’information informatique The Register.

Pour les Omanais, cela a confirmé ce que beaucoup soupçonnaient déjà : les services de renseignement britanniques sont imbriqués dans l’appareil de sécurité de leur pays, un outil qui tourne souvent son regard vers eux autant qu’il surveille ses adversaires.

La répression est la norme à Oman, où tous les partis politiques sont interdits et les médias indépendants muselés. L’Oman occupe la 155e  place sur 180 pays dans le dernier classement mondial de la liberté de la presse publié par l’organisation de défense des droits humains Reporters sans frontières.

Oman est effectivement le meilleur État vassal de la Grande-Bretagne dans la région. Sa propre agence de renseignement a été créée par des officiers britanniques, vétérans du GCHQ et dirigés par une personne détachée du MI6 jusqu’en 1993. Appelée à l’origine “Département de recherche d’Oman”, puis rebaptisée ”Service de sécurité intérieure”, elle est placée sous le commandement du cabinet royal.

Elle est dirigée par le général Sultan bin Mohammed al-Naamani. Il s’est bien débrouillé pour un fonctionnaire, achetant un manoir de 16 millions de livres dans le Surrey à l’ancien capitaine de l’équipe d’Angleterre de football, John Terry. En 2021, des manifestations contre la corruption ont envahi le pays, organisées secrètement dans le cadre d’une marche pour la Palestine sanctionnée par l’État.

Solidarité avec la Palestine

Le soutien à Gaza reste important, ce qui rend l’alliance du sultan avec la Grande-Bretagne de plus en plus risquée.

Les Omanais ont commencé à affronter les troupes britanniques sur leur base de porte-avions dans le port de Duqm. Dans une vidéo filmée à la cantine du Village Renaissance, un Omanais s’adresse à cinq soldats britanniques assis à une table : « Ce pays [la Grande-Bretagne] est un putain de pro-israélien, vous devriez partir d’ici. Vous devriez partir d’ici. Il est temps pour vous de partir d’ici ».

Alors qu’un capitaine britannique tentait de s’éloigner, l’Omanais a critiqué Rishi Sunak pour avoir envoyé deux navires de guerre soutenir Israël après le 7 octobre. Le ministre de la Défense, James Heappey, a déclaré au Parlement : « Nous sommes au courant que des militaires ont été approchés à Oman. La sécurité de nos forces armées est de la plus haute importance et la sécurité de notre personnel est constamment surveillée ».

Mohammed al-Fazari, journaliste omanais en exil et rédacteur en chef de Muwatin [Citoyens, bilingue arabe/anglais], a déclaré à Declassified : « Si une déclaration de guerre contre les rebelles houthis devait avoir lieu, il ne fait aucun doute que les Britanniques utiliseraient Oman comme rampe de lancement. Oman a toujours servi de base à partir de laquelle les forces britanniques [...] ont été déployées dans de nombreux conflits régionaux. »

Al-Fazari estime que les Omanais sont « sans équivoque alignés sur la cause palestinienne" »et que leur opposition à la présence britannique dans le pays « s’intensifierait s’il s’avérait que ces bases militaires soutiennent l’entité d’occupation sioniste ».

Nabhan Alhanshi, un militant en exil qui dirige le Centre omanais pour les droits humains, a déclaré qu’il était préoccupé par « l’utilisation potentielle du site [du GCHQ] pour des activités incompatibles avec les intérêts des Omanais ordinaires, en particulier ceux qui ont une position pro-palestinienne ».

Il a ajouté : « Il existe une véritable crainte que le Royaume-Uni, en soutenant les efforts d’Israël contre le Hamas, ne fasse d’Oman un partenaire et un allié d’Israël, contrairement à ce qu’il a déclaré publiquement. »

Omantel, Subco et la marine usaméricaine n’ont pour le moment pas répondu à nos demandes de commentaires.

La guerre secrète de la Grande-Bretagne au Yémen

Mark Curtis, Declassified UK, 5/10/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Ce n’est pas la première fois que le Royaume-Uni contribue à la dévastation du Yémen. Il y a soixante ans, un coup d’État au Yémen du Nord a incité les autorités britanniques à lancer une guerre secrète qui a également fait des dizaines de milliers de morts - et, comme aujourd’hui, aucun ministre britannique n’a jamais eu à rendre de comptes.

Des mercenaires britanniques aident des royalistes yéménites à installer une mitrailleuse pendant la guerre civile de 1962-1967. (Photo : HUM Images via Getty)

La guerre brutale au Yémen, qui fait rage depuis 2015, est la pire catastrophe humanitaire au monde. Depuis avril 2022, une trêve délicate a permis d’atténuer quelque peu l’horreur, mais cet accord semble en passe de s’effondrer.

Il devrait être temps de réfléchir à qui, de tous les côtés du conflit, y compris en Grande-Bretagne, pourrait être inculpé de crimes de guerre. Près de 9 000 civils ont été tués dans plus de 25 000 frappes aériennes, principalement saoudiennes, qui ont été facilitées par la Royal Air Force britannique. Des dizaines de milliers d’autres personnes ont été tuées dans le conflit.

Les Nations unies ont allégué à plusieurs reprises que des crimes de guerre avaient été commis, mais aucun Saoudien, Britannique ou Yéménite n’a été amené à rendre des comptes, et il est peu probable qu’il le soit. Tragiquement, l’histoire se répète et ce sont les Yéménites ordinaires qui en paient une fois de plus le prix.

Muhammad al-Badr priant avec ses gardes, 1962

Il y a soixante ans, en septembre 1962, le roi et imam du Yémen du Nord, Muhammad al-Badr, était renversé par un coup d’État populaire. Al-Badr n’était au pouvoir que depuis une semaine, ayant succédé au régime de son père, un royaume féodal où 80 % de la population était paysanne et qui était contrôlé par la corruption, un système fiscal coercitif et une politique du “diviser pour régner”.

Le coup d’État a été mené par le colonel Abdullah al-Sallal, un nationaliste arabe au sein de l’armée yéménite, qui a proclamé la République arabe du Yémen et qui a établi des liens étroits avec le gouvernement égyptien de Gamal Abdel Nasser.

Nasser, leader de facto des forces nationalistes de la région, était le principal ennemi du Royaume-Uni. Il prônait une politique étrangère indépendante et la Grande-Bretagne n’avait pas réussi à l’anéantir lors de son invasion infructueuse du canal de Suez en Égypte en 1956.

Les forces royalistes qui soutiennent al-Badr prennent les collines et entament une insurrection, bientôt soutenue par l’Arabie saoudite, contre le nouveau régime républicain, tandis que Nasser déploie des troupes égyptiennes au Yémen du Nord pour soutenir le nouveau gouvernement.

La Grande-Bretagne a choisi, comme dans la guerre actuelle, de s’allier aux Saoudiens pour renverser le nouveau gouvernement et restaurer un régime pro-occidental.

Ironiquement, les royalistes yéménites qu’ils soutenaient étaient issus du groupe religieux chiite zaïdite, dont les adeptes actuels se rassemblent principalement autour du mouvement rebelle houthi, que la Grande-Bretagne et l’Arabie saoudite cherchent aujourd’hui à détruire.

“Sournois, peu fiables et perfides”

Les dossiers déclassifiés sont fascinants car ils montrent que les fonctionnaires britanniques étaient conscients de soutenir le “mauvais” camp.

Christopher Gandy, le plus haut responsable britannique au Yémen du Nord, a noté peu après le coup d’État que le règne de l’ancien imam était “impopulaire auprès d’une grande partie de la population” et que son “monopole du pouvoir était "très mal perçu”.

Cette situation a été exploitée par le nouveau gouvernement républicain qui a rapidement nommé des personnes issues de “classes, régions et sectes précédemment négligées dans la distribution du pouvoir”.

Gandy a écrit que, contrairement à l’“autocratie arbitraire” de l’imam, les républicains étaient “beaucoup plus ouverts au contact et à l’argumentation raisonnée”.

Il a ainsi recommandé au Royaume-Uni de reconnaître le nouveau gouvernement yéménite, affirmant que celui-ci était intéressé par des relations amicales avec la Grande-Bretagne et que c’était “le meilleur moyen d’empêcher une augmentation” de l’influence égyptienne.

Gandy a cependant été écarté à la fois par ses maîtres politiques à Londres et par les fonctionnaires de la ville voisine d’Aden. Cette dernière était alors une colonie britannique entourée d’un “protectorat” britannique connu sous le nom de Fédération d’Arabie du Sud (qui deviendra plus tard le Yémen du Sud).

La fédération était un ensemble de fiefs féodaux présidés par des dirigeants autocratiques semblables à al-Badr qui venait d’être renversé au Yémen, et entretenus par des pots-de-vin britanniques.

Un fonctionnaire du bureau du Premier ministre Harold Macmillan a noté que Nasser avait été « capable de capturer la plupart des forces dynamiques et modernes de la région alors que nous avons dû, par notre propre choix, soutenir des forces qui ne sont pas simplement réactionnaires (ce qui n’aurait pas tant d’importance), mais sournoises, peu fiables et traîtresses ».

Macmillan lui-même a admis qu’il était « répugnant pour l’équité politique et la prudence que nous apparaissions si souvent comme soutenant des régimes désuets et despotiques et comme nous opposant à la croissance de formes modernes et plus démocratiques de gouvernement ».

Menace d’un bon exemple

Le grand enjeu pour Whitehall [siège du gouvernement britannique, NdT] était de conserver la base militaire du Royaume-Uni dans la ville portuaire d’Aden. Cette base était la pierre angulaire de la politique militaire britannique dans la région du Golfe, où le Royaume-Uni était alors la principale puissance, contrôlant directement les cheikhs du Golfe et possédant d’énormes intérêts pétroliers au Koweït et ailleurs.

On craignait qu’un Yémen du Nord progressiste, républicain et nationaliste arabe ne serve d’exemple aux cheikhats féodaux du Golfe et du Moyen-Orient élargi, ainsi qu’à Aden même.

Le ministre des Affaires étrangères, Alec Douglas-Home, a déclaré, peu après le coup d’État républicain, qu’Aden ne pouvait être protégée contre “un régime républicain fermement établi au Yémen”.

Une réunion ministérielle a également conclu que si la Grande-Bretagne était forcée de quitter Aden, cela porterait “un coup dévastateur à notre prestige et à notre autorité” dans la région.

Le fait même de reconnaître le nouveau gouvernement yéménite pourrait entraîner “un effondrement du moral des dirigeants pro-britanniques du protectorat”, mettant “en péril toute la position britannique dans la région”.


Alec Douglas - Home

Ces préoccupations étaient partagées par le royaume médiéval de la région, l’Arabie saoudite, qui, à l’époque comme aujourd’hui, craignait le renversement des monarchies par des forces nationalistes. Les planificateurs britanniques ont reconnu que les Saoudiens “n’étaient pas très préoccupés par la forme de gouvernement à établir au Yémen, à condition qu’il ne soit pas sous le contrôle” de l’Égypte - n’importe quel autre gouvernement ferait l’affaire.

Cette menace s’est accrue lorsque Nasser et al-Sallal ont apporté un soutien diplomatique et matériel aux forces républicaines anti-britanniques à Aden et dans la fédération et ont mené une campagne publique exhortant les Britanniques à se retirer de leurs possessions impériales.

Sir Kennedy Trevaskis, haut-commissaire britannique à Aden, a fait remarquer que si les Yéménites parvenaient à prendre le contrôle d’Aden, “le Yémen disposerait pour la première fois d’une grande ville moderne et d’un port d’importance international”.

Plus important encore, “sur le plan économique, il offrirait les plus grands avantages à un pays si pauvre et si peu développé” - une considération qui n’avait cependant aucune importance dans la planification britannique.

Un gouvernement faible au Yémen

Les responsables britanniques ont décidé de s’engager dans une campagne secrète visant à promouvoir les forces qu’ils considéraient comme “perfides” et “despotiques” afin de saper celles qui étaient reconnues comme “populaires” et “plus démocratiques” et de s’assurer que la menace de ces dernières ne s’étende pas.

Surtout, ils l’ont fait en sachant que leurs clients avaient peu de chances de l’emporter. La campagne a été entreprise simplement pour causer des ennuis aux républicains et aux Égyptiens, alors qu’ils détenaient la majorité du pays et les centres de population.

Harold Macmillan note en février 1963 qu’“à long terme, une victoire républicaine est inévitable”. Il a déclaré au président usaméricain Kennedy : « Je suis tout à fait conscient que les loyalistes [sic] ne gagneront probablement pas au Yémen en fin de compte, mais cela ne nous arrangerait pas trop que le nouveau régime yéménite s’occupe de ses propres affaires internes au cours des prochaines années ».

Ce que la Grande-Bretagne voulait donc, c’était “un gouvernement faible au Yémen qui ne soit pas en mesure de créer des problèmes”, écrivait-il.

Une note adressée à Macmillan par l’un de ses fonctionnaires indique de la même manière : « Tous les départements semblent s’accorder sur le fait que l’impasse actuelle au Yémen, où les républicains et les royalistes se battent les uns contre les autres et n’ont donc ni le temps ni l’énergie de nous causer des ennuis à Aden, convient parfaitement à nos propres intérêts ».

La campagne secrète

Il est difficile de reconstituer la chronologie des actions secrètes britanniques en raison de la censure des dossiers britanniques. Mais l’analyse de Stephen Dorril, expert du MI6, dans son ouvrage complet sur le MI6, réalisé principalement à partir de sources secondaires et d’interviews, facilite la tâche. Deux autres ouvrages notables ont été publiés, par Clive Jones et Duff Hart-Davis.

Peu après le coup d’État de septembre 1962, le roi Hussein de Jordanie s’est rendu à Londres où il a rencontré le ministre de l’Air Julian Amery et a exhorté le gouvernement Macmillan à ne pas reconnaître le nouveau régime yéménite. Les deux hommes ont convenu que l’agent du MI6 Neil “Billy” McLean, un député conservateur en exercice, visiterait la région et ferait un rapport au Premier ministre.

Dorril note que l’ancien vice-chef du MI6, George Young, alors banquier chez Kleinwort Benson, a été contacté par le Mossad, les services secrets israéliens, pour trouver un Britannique acceptable pour les Saoudiens afin de mener une guérilla contre les républicains. Young a alors présenté McLean à Dan Hiram, l’attaché de défense israélien, qui a promis de fournir des armes, de l’argent et de l’entraînement, ce que les Saoudiens ont saisi avec empressement.

En octobre 1962, McLean s’est rendu en Arabie Saoudite en tant qu’invité personnel du roi Saoud, qui a demandé à la Grande-Bretagne de fournir une aide aux royalistes, en particulier “un soutien aérien... si possible ouvertement, mais si ce n’est pas possible, alors clandestinement”.

Début novembre 1962, les royalistes recevaient des armes et de l’argent saoudiens et, le même mois, le ministère britannique des Affaires étrangères publiait un document d’orientation décrivant les options qui s’offraient au gouvernement, y compris l’aide secrète.

Le 7 janvier 1963, la commission du cabinet chargée de l’outre-mer et de la défense préconise de ne pas reconnaître le nouveau régime au Yémen et, si la Grande-Bretagne devait apporter une aide aux royalistes, de le faire à distance plutôt que directement.

Le mois suivant, des positions de la Fédération d’Arabie du Sud sont attaquées par des tribus yéménites et les troupes égyptiennes lancent une offensive dans les montagnes du Yémen tenues par les royalistes. Macmillan nomme Julian Amery ministre pour Aden, avec pour mission d’organiser secrètement le soutien britannique aux royalistes, depuis son bureau au ministère de l’Aviation.

Fournitures d’armes

McLean se rend au Yémen pour la troisième fois le 1er mars 1963. Peu après, une délégation royaliste s’est rendue en Israël, à la suite de quoi des avions israéliens banalisés ont effectué des vols à partir de Djibouti pour larguer des armes sur les zones royalistes.

Début mars, les dossiers confirment que la Grande-Bretagne était déjà impliquée dans la fourniture d’armes aux royalistes, par l’intermédiaire de Sherif Ben Hussein, le chef tribal de Beihan dans la fédération.

Selon Dorril, des armes légères d’une valeur de plusieurs millions de livres, dont 50 000 fusils, ont été secrètement transportées par avion depuis une base de la RAF dans le Wiltshire. Pour masquer leur origine, elles ont été débarquées en Jordanie pour y être acheminées. À la fin du mois, les royalistes ont regagné une partie du territoire qu’ils avaient perdu.

Lors d’une réunion qui s’est tenue fin avril 1963 et à laquelle ont participé Dick White, chef du MI6, McLean, David Stirling, fondateur du SAS, Brian Franks, ancien officier du SAS, Douglas-Home et Amery, Stirling et Franks ont été informés qu’il ne pouvait y avoir d’implication officielle du SAS et ont été invités à recommander quelqu’un qui pourrait organiser une opération de mercenariat.

Dorril note qu’ils ont approché Jim Johnson, un commandant SAS récemment retraité, et le lieutenant-colonel John Woodhouse, commandant du 22e  Régiment SAS. McLean, Johnson et Stirling ont été présentés par Amery au ministre royaliste des Affaires étrangères, Ahmed al-Shami, qui a signé un chèque de 5 000 £ pour l’opération.

Le plan proposé pour le Yémen a fait l’objet d’un débat houleux à Whitehall, mais le Premier ministre a finalement été persuadé de le soutenir et a chargé le MI6 d’aider les royalistes. Une task force [force opérationnelle] du MI6 a été mise en place pour coordonner la fourniture d’armes et de personnel. Elle est organisée par John Burke da Silva, ancien chef de la station du MI6 à Bahreïn.

En octobre 1963, Macmillan démissionne pour être remplacé par Douglas-Home au poste de premier ministre, ce qui met temporairement en suspens les projets, car le nouveau ministre des Affaires étrangères, Rab Butler, s’oppose à un soutien occulte aux royalistes.

Harold Macmillan a été premier ministre de 1957 à 1963

Opération Rancour [Rancœur]

Au début de l’année 1964, Johnny Cooper, officier du SAS, participe à des activités de renseignement contre les forces égyptiennes, tandis que son équipe entraîne l’armée royaliste. En février, l’équipe de Cooper gère des zones de largage dans lesquelles sont parachutées des armes et des munitions, avec le soutien discret du MI6 et de la CIA.

Le secrétaire US à la Défense, Peter Thorneycroft, demande en privé à la Grande-Bretagne d’organiser des “révoltes tribales” dans les zones frontalières. Cela devrait impliquer “une action clandestine... pour saboter les centres de renseignement et tuer le personnel engagé dans des activités anti-britanniques”, y compris le QG des services de renseignement égyptiens à Taiz, et mener “des activités secrètes de propagande anti-égyptienne au Yémen".

Il plaide également en faveur d’une “aide supplémentaire” aux royalistes, comprenant “soit de l’argent, soit des armes, soit les deux”.

En avril 1964, les Britanniques avaient déjà autorisé la pose de mines (appelée Opération Eggshell [Coquille d’œuf]), la distribution d’armes et de munitions aux membres des tribus dans la zone frontalière Opération Stirrup [Étrier]) et le sabotage dans la zone frontalière (Opération Bangle [Bracelet]).

Des actes de “subversion sur le territoire yéménite contre des cibles individuelles” sont menés “sous le contrôle d’officiers britanniques au sein de la Fédération”, selon une note du ministère de la Défense. Ces officiers « peuvent distribuer des armes et de l’argent par tranches en fonction de la situation locale et proportionnellement aux succès obtenus ».

L’Opération Rancour était le nom de code donné aux « opérations secrètes actuelles visant à exploiter [sic] les tribus dissidentes jusqu’à 20 miles à l’intérieur du Yémen pour neutraliser l’action subversive égyptienne contre Aden ».

Un défenseur de la civilisation dans le quartier de Kraytar à Aden, le 4 octobre 1965, pendant l'insurrection contre la domination coloniale britannique. Photo Norman Potter / Express / Getty Images

 Assassinat

Un document top secret extraordinaire conservé dans les dossiers du gouvernement va encore plus loin dans l’examen des options qui s’offrent à la Grande-Bretagne.

Il s’intitule « Yémen : L’éventail des possibilités d’action qui s’offrent à nous » et envisageait “l’assassinat ou d’autres actions contre le personnel clé” impliqué dans la subversion au sein de la Fédération, “en particulier les officiers des services de renseignement égyptiens”.

Il décrit également “une action visant à stimuler une campagne de guérilla” dans la zone frontalière par la fourniture d’armes et d’argent et “des actes de sabotage sans représailles”, y compris à Sanaa, la principale ville du Yémen du Nord.

Il suggère de “fermer les yeux” sur les livraisons d’armes saoudiennes aux royalistes et de diffuser des faux tracts dans les zones du Yémen contrôlées par les républicains, ainsi que des “émissions de radio noires” à partir de la fédération.

Alors que ces options étaient débattues en privé, le 14 mai 1964, le Premier ministre Douglas-Home a menti au parlement en déclarant : « Notre politique à l’égard du Yémen est une politique de non-intervention dans les affaires de ce pays. Nous n’avons donc pas pour politique de fournir des armes aux royalistes du Yémen ».

Fin juillet, les ministres ont pris la décision de promouvoir de “nouvelles mesures” pour soutenir les royalistes, c’est-à-dire de “donner toutes les facilités nécessaires” aux Saoudiens pour se procurer des armes auprès de la Grande-Bretagne.

L’ambassadeur britannique en Arabie saoudite, Colin Crowe, a ensuite rencontré le prince héritier Fayçal et lui a fait part de la volonté du Royaume-Uni de fournir des armes aux Saoudiens pour qu’ils les utilisent au Yémen, tout en précisant que Londres ne pouvait pas fournir d’aide directe aux royalistes.

Hier comme aujourd’hui, Whitehall utilisait les Saoudiens comme factotums pour mener une guerre régionale.

 

La prison anglaise de Kraytar [“Crater” en british]  en 1960

Soutien complet

Dorril note que Dick White, le chef du MI6, a convaincu le nouveau Premier ministre Douglas-Home de soutenir une “opération mercenaire clandestine” et que le feu vert pour un soutien plus complet aux royalistes a été donné au cours de l’été 1964.

Quelque 48 anciens militaires ont été employés comme mercenaires cette année-là, dont une douzaine d’anciens membres du SAS. Les officiers du MI6 ont fourni des renseignements et un soutien logistique, tandis que le GCHQ [Quartier Général des communications du gouvernement a localisé les unités républicaines.

Les agents du MI6 ont également coordonné le passage des tribus de la Fédération au Yémen, où ils ont suivi des officiers de l’armée égyptienne.

Dans ce qui s’est avéré être guerre une sale, les officiers du MI6 ont “manipulé” les membres des tribus et ont aidé à “diriger la pose de bombes” sur les avant-postes militaires égyptiens le long de la frontière, tandis que les villes de garnison étaient “mitraillées” et les personnalités politiques “assassinées”, note Dorril.

Une lettre contenue dans les dossiers du gouvernement a été écrite en août 1964 par un mercenaire, le lieutenant-colonel Michael Webb, qui dit avoir récemment pris sa retraite de l’armée, à Julian Amery. Webb dit qu’il se bat avec les forces de l’imam depuis quelques semaines et qu’il se présente comme journaliste indépendant.

Il a tenu l’ambassade britannique « pleinement informée de mes mouvements et lui a donné toutes les informations que j’ai obtenues ».

Le mois suivant, une note adressée au Premier ministre recommandait la fourniture de bazookas et de munitions au chérif de Beihan “à l’usage d’un groupe dissident à Taiz”, c’est-à-dire au Yémen.

Au même moment, Stirling rencontre le ministre royaliste des Affaires étrangères, al-Shami, à Aden, où ils sont rejoints par un officier du MI6 et élaborent des plans pour établir un approvisionnement régulier en armes et en munitions pour les forces royalistes.

Gouvernement travailliste

En octobre 1964, l’élection du gouvernement travailliste d’Harold Wilson ne semble pas avoir sensiblement perturbé les opérations secrètes. Dorril note que la RAF a entrepris des bombardements secrets en représailles aux attaques égyptiennes contre les convois de chameaux fournissant des armes aux mercenaires français et britanniques.

La Grande-Bretagne a conclu un contrat d’une valeur de 26 millions de livres avec une société privée, Airwork, afin de fournir du personnel pour la formation des pilotes et du personnel au sol saoudiens. Airwork a également recruté d’anciens pilotes de la RAF en tant que mercenaires pour effectuer des missions opérationnelles contre des cibles égyptiennes et républicaines le long de la frontière yéménite.

En 1965, le MI6 affrétait des avions avec des pilotes discrets et avait obtenu l’accord d’Israël pour utiliser son territoire pour monter des opérations. Ces opérations se sont poursuivies jusqu’en 1967, selon les dossiers.

Une note du Foreign Office de mars 1967 indique que les pilotes britanniques ont été recrutés par Airwork pour piloter cinq Lightnings et cinq Hunters déjà fournis par la Grande-Bretagne. Cette note dit ceci : « Nous n’avons soulevé aucune objection à ce qu’ils soient employés dans des opérations, bien que nous ayons clairement fait comprendre aux Saoudiens que nous ne pouvions pas acquiescer publiquement à de tels arrangements ».

Après un cessez-le-feu déclaré en août 1965, les mercenaires soutenus par les Britanniques se sont contentés de fournir une aide médicale et de maintenir les communications. À la fin de l’année 1966, la guerre a repris et les combats ont abouti à une impasse, mais les Britanniques continuent de mener une vaste opération de mercenariat au Yémen.

“La capture d'Aden”, janvier 1839 : “La redition des défenseurs” yéménites de la forteresse de Sirah. Carte postale du début du XXème siècle d'après une peinture du Capitaine Rundle, membre de l'expédition. Pour l'empire britannique, Aden, à égale distance entre Alexandrie et Bombay, était stratégique pour contrôler la “route des Indes”. Ce rôle sera accru après l'inauguration du Canal de Suez (1869). [NdT]

Fin de la guerre

Après la défaite de l’Égypte face à Israël lors de la guerre de 1967, Nasser a décidé de retirer ses troupes du Yémen et, en novembre, la Grande-Bretagne a été contrainte de se retirer d’Aden. Pourtant, des dossiers datant de mars 1967 font référence à des “opérations secrètes en Arabie du Sud” et à des “opérations Rancour II”.

Un article de juin 1967 observe que « les opérations Rancour au Yémen ont été extrêmement fructueuses en repoussant les Égyptiens de certaines parties de la frontière et en les immobilisant ».

Malgré le retrait égyptien, la guerre civile au Yémen se poursuit. En 1969, deux mercenaires d’une autre société privée, Watchguard, ont été tués alors qu’ils dirigeaient une bande de guérilleros royalistes dans le Nord.

En mars 1969, les Saoudiens coupent les vivres aux royalistes et un traité est signé pour mettre fin aux hostilités avec le pays qui renaît sous le nom de Yémen du Nord.

Al-Badr s’est alors réfugié en Angleterre où il est resté jusqu’à sa mort en 1996.

Le nombre de personnes mortes au Yémen au cours des années 1960 n’a jamais été établi avec précision, mais il pourrait s’être élevé à 200 000.

Le colonel Jim Johnson, qui a dirigé les mercenaires britanniques au Yémen, a ensuite été nommé aide de camp de la reine Élisabeth. Il a ensuite créé une autre société de mercenaires, Keenie Meenie Services, qui a combattu au Nicaragua et au Sri Lanka. Ses activités au Sri Lanka font actuellement l’objet d’une enquête menée par l’équipe de Scotland Yard chargée des crimes de guerre.

 Sur le même thème, lire

Bombarder le Yémen : une coutume aussi britannique que le thé de 5 heures

14/01/2024

MARK CURTIS
Bombarder le Yémen : une coutume aussi britannique que le thé de 5 heures

Mark Curtis, Declassified UK, 12/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Mark Curtis est un écrivain, historien et journaliste britannique ; spécialisé dans les documentaires d'enquête. Il a écrit cinq livres sur la politique extérieure du Royaume-Uni et des USA, tout au long du XXe siècle. Il est rédacteur en chef du site ouèbe Declassified UK. Bibliographie. @markcurtis30

 Les derniers bombardements de l'armée britannique au Yémen interviennent à l'occasion du 60e anniversaire d'une campagne britannique oubliée contre ce  pays, impliquant la force brute et des attaques délibérées contre des civils, comme le montrent des dossiers déclassifiés.

Rishi Sunak en Petit Tambour, par Dave Brown, The Independent, d'après Marion Saumarez. Sur le bonnet : “Réélisez-moi vite”. Sur le tambour : “Libérons les Falklands la mer Rouge

Les frappes aériennes britanniques sur les Houthis au Yémen - qui ont osé défier le soutien occidental à Israël dans la bande de Gaza - ont lieu exactement 60 ans après une campagne de bombardements britannique brutale dans le pays.

La révolte dite des Collines de Radfan, qui s'est déroulée au début de l'année 1964 dans l'actuel Yémen, est depuis longtemps passée à la trappe de la mémoire historique.

Nous devrions cependant nous en souvenir, comme preuve de la façon dont la politique étrangère britannique est pratiquée dans la réalité - et de la façon dont nous ne découvrons vraiment cette réalité que lorsque les dossiers gouvernementaux sont rendus publics des décennies plus tard.



 
L'indépendance à nos conditions

Le Radfan est une région montagneuse située à environ 80 km au nord d'Aden, le principal port du sud du Yémen. Au début des années 1960, elle faisait partie d'une création coloniale britannique - la Fédération d'Arabie du Sud, un regroupement de cheikhats et de sultanats établi par Londres.

Une photo officielle de Sir Gerald Kennedy Nicholas Trevaskis (1915-1990) en 1963. Entré dans l’administration coloniale en Rhodésie du Nord en 1938, il devient soldat puis officier dans le Northern Rhodesia Regiment quand la 2ème Guerre mondiale éclate. En août 1940, il est capturé par les forces italiennes à Tug Aqan dans le Somaliland britannique. Libéré en 1941, il passe au service de l'administration militaire britannique de l'Érythrée jusqu’en 1948. Baptisé “Uncle Ken” dans l’ Overseas Civil Service (administration coloniale), il devient Officier politique dans le Western Aden Protectorate en 1951 et gravit les échelons jusqu’à devenir Haut-commissaire d'Aden et de la Fédération d'Arabie du Sud de 1963 à 1965. Rescapé d’une attaque à la grenade le 10 décembre 1963 sur l’aéroport d’Aden, il déclare l’état d’urgence, entrée dans l'histoire sous le nom d'“Aden Emergency”, qui sera suivie de la “Radfan Campaign”. [NdT]

 

Le Royaume-Uni était prêt à accorder l'indépendance à l'Arabie du Sud, mais seulement à certaines conditions. Sir Kennedy Trevaskis, haut-commissaire à Aden, a noté que l'indépendance devait « garantir que les pleins pouvoirs passent de manière décisive entre des mains amies ».

Cela laisserait le territoire « dépendant de nous-mêmes et soumis à notre influence ».

Une grande partie de la population refuse de coopérer avec les plans britanniques, et pas seulement les groupes politisés d'Aden. En janvier 1964, des tribus de Radfan lancent des raids contre des objectifs de la Fédération et des convois britanniques dans la région.

Ils s'inquiétaient de la baisse des recettes due aux projets britanniques d'union douanière dans la fédération et s'inspiraient de l'anticolonialisme de l'Égypte de Gamal Abdel Nasser, le leader nationaliste arabe du Moyen-Orient.

“Toutes les méthodes nécessaires, quelles qu’elles soient”

La réponse des autorités britanniques, sous le gouvernement conservateur d'Alec Douglas-Home, est féroce. En avril 1964, le secrétaire d'État aux colonies, Duncan Sandys, demande que la révolte soit “vigoureusement réprimée“ et que l'armée britannique soit autorisée à “utiliser toutes les méthodes nécessaires”.

La seule chose qui préoccupe Sandys est de “minimiser les critiques internationales négatives”, ce qui indique que les opérations de propagande, à l'époque comme aujourd'hui, sont de la plus haute importance.

L'idée était de « rendre la vie si intenable aux tribus que leur moral soit brisé et qu'elles se soumettent ».

Une directive politique émise à l'intention des forces britanniques en avril 1964 stipule que les troupes britanniques « doivent prendre des mesures punitives qui fassent mal aux rebelles, laissant ainsi derrière elles des souvenirs qui ne s'effaceront pas rapidement ».

Le capitaine Brian Drohan, chercheur à l'académie militaire usaméricaine de West Point, qui a également analysé les dossiers déclassifiés britanniques, a écrit que « la population de Radfan a ressenti toute la force de la coercition coloniale alors que les forces britanniques bombardaient les villages, abattaient le bétail et détruisaient les récoltes ».

“Les pertes subies par les femmes et les enfants doivent être acceptées”

L'une de ces tactiques était la “proscription de terrain”, qui consistait à désigner certaines zones de Radfan comme étant interdites d'accès. [méthode reprise par les Israéliens en Cisjordanie, NdT]

« Tous les habitants, quel que soit leur statut de civil ou de combattant, ont été contraints de partir, transformant la quasi-totalité de la population d'une zone interdite en réfugiés », note Drohan.

Les soldats britanniques ont reçu l'ordre de confisquer les biens, de brûler le fourrage et de détruire les réserves de céréales et le bétail. Les règles d'engagement autorisent les commandants à recourir aux bombardements aériens et à l'artillerie “dans toute la mesure nécessaire” lorsque les villages refusent de se rendre. 

Dans de telles circonstances, “les pertes subies par les femmes et les enfants doivent être acceptées”, indique la directive britannique.

Dans le cadre d'un déploiement de l'armée britannique, auquel participaient le régiment de parachutistes et les marines, une petite équipe de SAS a également été envoyée en avril, assistée par des avions de guerre Hunter d'attaque au sol. Le SAS a tué quelque 25 rebelles, mais a perdu son commandant et son opérateur radio, dont les corps ont dû être laissés sur place.

Ceux-ci ont été décapités et les têtes ont été exposées au Yémen, un incident qui a provoqué la colère et le choc dans toute la Grande-Bretagne.

Frappes aériennes

Les frappes aériennes ont été approuvées en mai et Trevaskis a suggéré d'envoyer des soldats pour “faire régner la peur de la mort dans les villages” contrôlés par les rebelles.

Si cela ne suffisait pas à obtenir la soumission, Trevaskis déclarait "qu'il serait nécessaire de lancer des attaques armées sur le bétail ou les hommes à l'extérieur des villages".

Il ajoutait : « Étant donné que des membres de tribus ont régulièrement tiré sur nos avions et en ont touché plusieurs, nous pourrions prétendre que nos avions ont riposté à des hommes qui nous avaient tiré dessus depuis le sol ».

Pour la RAF, la proscription aérienne signifiait que « les villages pouvaient être attaqués au canon et à la grenade » et permettait aux pilotes de viser le bétail, les chèvres, les cultures et les personnes dans les zones proscrites, selon les dossiers.

Les forces britanniques avaient été autorisées par les ministres à “harceler les moyens de subsistance des villages afin d'amener les rebelles à se soumettre.

Le bétail et les cultures étaient des sources de richesse et de subsistance pour les tribus radfanies. « Les attaques contre ces cibles s'apparentaient à une guerre économique menée contre des communautés entières, sans qu'aucune distinction ne soit faite entre les civils et les combattants », note Drohan. 

Lors d'une attaque, un seul bombardier Shackleton a tiré 600 obus de 20 mm et largué 60 grenades aériennes. Le pilote a déclaré avoir tiré au canon sur un troupeau de chèvres tout en larguant six grenades aériennes sur un autre troupeau de chèvres, onze sur du bétail, huit sur des “gens” - sans préciser s'il s'agissait de civils ou de combattants - et quatorze autres sur des “gens sous les arbres”. 

Au cours de plus de 600 sorties au-dessus de Radfan, la RAF a tiré 2 500 roquettes et 200 000 obus.

Aucune restriction n'a été imposée quant à l'utilisation de “bombes antipersonnel” de 20 livres - similaires à ce que l'on appelle aujourd'hui les bombes à fragmentation - mais “l'aspect relations publiques” de ces bombes “devra être traité avec beaucoup de soin”, indiquait le ministère de la Défense.

C'est ainsi que le secrétaire à la Défense, Peter Thorneycroft, a demandé au chef de l'état-major de l'armée de l'air de “garantir le secret de l'opération” d'utilisation de ces bombes.

Pauvreté

Comme le montrent les dossiers de tant d'autres guerres menées par la Grande-Bretagne au Moyen-Orient, les planificateurs britanniques étaient parfaitement conscients de la situation critique des populations qu'ils attaquaient.

Le commandant en chef du Moyen-Orient, le lieutenant-général Sir Charles Harington, a reconnu que les membres des tribus de Radfan “menaient une existence pauvre et primitive depuis des centaines d'années”. Leur situation était la suivante : « Il y a à peine assez de substance pour subvenir aux besoins de la population, les familles gagnant rarement plus de 50 livres sterling par an ».

« C'est pourquoi la tentation et la nécessité de chercher de l'aide ailleurs sont compréhensibles », notait-il. C'est ce que beaucoup ont fait, se tournant vers les offres de l'Égypte de Nasser et du nouveau gouvernement républicain du Yémen du Nord, contre lequel le Royaume-Uni menait également une guerre secrète.

Harington notait également que si la Grande-Bretagne “avait apporté une aide financière plus importante” aux Radfanis dans le passé, “la tentation d'aller chercher ailleurs le prix de la subversion aurait pu être évitée”.

Pots-de-vin

Le versement de pots-de-vin aux chefs de tribus locales était un autre moyen d'assurer le contrôle de la population. Sandys a demandé au haut-commissaire de verser des “subventions personnelles” aux principaux membres du conseil de la Fédération d'Arabie du Sud.

En janvier 1964, Trevaskis a reçu 50 000 livres sterling pour payer ces pots-de-vin. Il a également reçu 15 000 livres “pour aider à saper la position du Parti Socialiste du Peuple à Aden”, l'opposition politique la plus importante au maintien de l'autorité britannique sur le territoire.

Le haut-commissaire a fait remarquer que cet argent contribuerait à “empêcher qu'ils gagnent les prochaines élections”. En juillet 1964, les ministres ont également approuvé l'octroi de 500 000 livres sterling à Trevaskis « pour qu'il les distribue aux dirigeants lorsque cela permettrait d'éviter des révoltes tribales ».   

Grâce à la puissance aérienne et à l'artillerie, l'armée britannique s'est emparée de ses objectifs territoriaux à la fin du mois de juillet, alors que les tribus radfanies se retiraient au-delà de la frontière, dans le Yémen du Nord. Après les avoir chassés de leurs maisons, les forces britanniques ont occupé le Radfan et ont continué à faire respecter l'interdiction par des patrouilles aériennes et terrestres.

Selon les chiffres officiels, la Grande-Bretagne a perdu 13 soldats au cours du conflit. On ignore combien de Radfanis ont été tués.

La Fédération d'Arabie du Sud est devenue une partie du Yémen du Sud indépendant en 1967, après une longue guerre de libération contre les forces britanniques.

 “Arrêtez de bombarder le Yémen” : Marche nationale pour la Palestine dans le centre de Londres le 13 janvier 2024. Photo AFP

 

 Sur le même thème, lire

Le Royaume-Uni agrandit discrètement sa base secrète d’espionnage à Oman, près de l’Iran
La guerre secrète de la Grande-Bretagne au Yémen