Zvi Bar’el, Haaretz,
24/1/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala
Tsahal et le Shin Bet pourraient se retrouver confrontés à de graves allégations si l’UE ajoute l’organisation iranienne à sa liste noire du terrorisme. L’atteinte aux droits humains et les ventes d’armes à des ennemis de l’UE sont susceptibles d’être incluses dans la définition élargie du terrorisme.
La résolution approuvée par le Parlement européen la semaine dernière, recommandant d’ajouter le Corps des gardiens de la révolution islamique d’Iran à la liste des groupes terroristes de l’Union européenne, a provoqué une tempête.
La résolution n’est pas contraignante et devra passer par un long processus juridique pour être mise en œuvre. Comme l’a déclaré le Haut représentant pour les Affaires étrangères de l’UE, Josep Borrell, après le vote, « C’est quelque chose qui ne peut être décidé sans un tribunal [de l’UE], une décision de justice d’abord. Vous ne pouvez pas dire : je vous considère comme un terroriste parce que je ne vous aime pas ».
Le ministre iranien des Affaires étrangères Hossein Amirabdollahian a rapporté que lors d’un appel téléphonique jeudi dernier avec Borrell, ce dernier lui a dit que la résolution ne serait jamais mise en application.
Pour les ministres des affaires étrangères de l’UE, il est beaucoup plus facile d’adopter un ensemble de sanctions supplémentaires contre l’Iran - ce qu’ils ont fait lundi - qui visent 37 personnalités gouvernementales connues pour avoir utilisé la force brutale contre des Iraniens participant aux manifestations qui ont suivi le meurtre de Mahsa Amini en septembre dernier. Des sanctions comme celles-ci ne nécessitent pas de grandes délibérations, elles sont faciles à mettre en œuvre et, surtout, elles ne perturbent pas le statu quo dans les relations entre l’Europe et l’Iran.
Ce ne sont pas les premières sanctions occidentales imposées en réponse à la répression des manifestations par Téhéran. Toutefois, la décision de l’Iran de mettre à mort au moins quatre des manifestants - en plus d’Alireza Akbari, qui avait été vice-ministre iranien de la Défense ainsi que citoyen britannique - a incité l’UE à intensifier ses actions contre le régime de Téhéran.
À la suite des actions iraniennes, l’opinion publique européenne est devenue encore plus hostile au régime. Mais les appels à ajouter le Corps des gardiens de la révolution à la liste des organisations terroristes de l’UE ont déjà suscité un débat, car le libellé de la résolution du Parlement européen justifie l’inscription des Gardiens de la révolution sur la liste en raison de leurs activités terroristes, de la répression des manifestants et de la fourniture de drones à la Russie.
La Grande-Bretagne, qui a imposé la semaine dernière ses propres sanctions à l’encontre de personnes et d’organisations iraniennes, a été avertie par un haut responsable des conséquences de la désignation des GRI comme organisation terroriste.
« Proscrire une entité étatique en vertu de la loi sur le terrorisme de 2000 s’écarterait de la politique britannique cohérente en vigueur depuis des décennies et remettrait en question la définition du terrorisme qui, jusqu’à présent, s’est avérée pratique et efficace », a déclaré Jonathan Hall, l’examinateur indépendant de la législation sur le terrorisme du gouvernement, dans un rapport obtenu par The Independent.
« Si les forces de l’État sont capables d’être “impliquées dans le terrorisme”, la question de savoir comment la définition du terrorisme s’applique aux autres forces de l’État devra être abordée, au risque de bouleverser la signification établie du terrorisme dans le droit national », indique le rapport.
Israël devrait prêter une oreille attentive à l’avertissement de Hall, car une décision concernant les GRI pourrait avoir des répercussions sur les Forces de défense israéliennes et les services de renseignement israéliens. Ils pourraient eux aussi se retrouver accusés d’activités terroristes si la définition des GRI comme organisation terroriste est approuvée.
Défilé des Gardiens de la révolution à Téhéran. Photo : AP
Les pays de l’UE devront examiner les désignations comme terroristes à deux niveaux. Une première question est de savoir si un organe gouvernemental peut être désigné comme une organisation terroriste sans que cette désignation ne s’applique au gouvernement qui le gère. Une autre question est de savoir si la définition d’une organisation terroriste doit inclure les atteintes aux droits humains, la répression des manifestations et la vente d’armes à des ennemis de l’Europe. C’est ce dilemme qui pourrait créer un problème complexe pour Israël dans l’Union européenne.
Compte tenu des critiques sévères de l’Europe à l’égard de la politique israélienne dans les territoires, des violations des droits humains qui pourraient s’aggraver sous le nouveau gouvernement, des assassinats ciblés et des plans visant à réduire le pouvoir de la Cour suprême, il s’agit d’un débat important.
Jusqu’à présent, la Haute Cour de justice a servi de barrière défensive contre les interférences juridiques internationales. Comme l’ont suggéré le Parlement européen et de nombreux Britanniques, si la définition du terrorisme est élargie, les parties intéressées dans l’UE et au Royaume-Uni seront en mesure de poursuivre les FDI, le Shin Bet et même des individus spécifiques.
Il serait bon que le ministre israélien des Affaires étrangères, Eli Cohen, qui avait initialement félicité le gouvernement britannique pour « son intention d’inscrire les Gardiens de la révolution sur la liste des organisations terroristes » et qui a été contraint de se rétracter après avoir appris qu’aucun changement n’était en vue, examine attentivement l’impact d’une telle décision pour Israël.
Outre le fait qu’ils sont aux prises avec des questions de droit et de principe, les pays européens craignent qu’une telle décision rende encore plus improbable la conclusion d’un accord. C’est particulièrement vrai pour l’Allemagne et la France, qui participent aux négociations sur le nucléaire iranien. Le ministre iranien des Affaires étrangères maintient que l’accord n’a pas encore expiré et que Washington prévoit de le renouveler.
En déplaçant le débat sur le statut des GRI devant les tribunaux, sans fixer de date d’audience ni de délai, l’UE s’offre une échappatoire facile. Maintenant, le groupe de travail de l’UE sur le terrorisme fera ses recommandations au Conseil européen (un forum des chefs d’État de l’Union), et ce n’est qu’alors qu’une décision finale sera prise.
La liste noire européenne du terrorisme a été créée après le 11 septembre. Elle comprend aujourd’hui 13 personnes et 21 organisations, mais la liste n’est pas figée et est mise à jour tous les six mois. Certaines organisations peuvent être retirées de la liste - tant de la version européenne que de la version usaméricaine - pour des raisons politiques, comme lorsque le président Joe Biden a retiré les rebelles yéménites de la liste usaméricaine pour permettre des négociations avec eux en vue d’un cessez-le-feu.
De même, il convient de se demander pourquoi les talibans ne figurent pas sur la liste usaméricaine malgré leur longue histoire d’actes de terreur contre les forces US en Afghanistan et leur répression brutale des droits humains. De plus, les USA ont négocié un accord avec les talibans pour se retirer de l’Afghanistan, qui comprenait une clause selon laquelle les forces usaméricaines ne seraient pas attaquées pendant leur retrait.
Washington entretient des liens étroits avec le gouvernement libanais et aide son armée, même si le Hezbollah, qui figure sur la liste usaméricaine des organisations terroristes, est représenté au sein du cabinet et participe activement aux activités gouvernementales.
L’inscription du Corps des gardiens de la révolution islamique sur la liste noire usaméricaine n’a pas empêché Washington de négocier avec Téhéran un nouvel accord nucléaire. Si un accord est finalement conclu, la désignation n’empêchera pas les USA de le signer.
Téhéran a également fermé les yeux sur la liste noire. Dans un premier temps, il a exigé le retrait des GRI de la liste noire comme condition à la poursuite des négociations sur le nucléaire. Selon les dirigeants iraniens, la levée des sanctions économiques sévères qui lui sont imposées est plus importante que le fait que les GRI figurent ou non sur la liste noire du terrorisme. En définitive, le débat sur le statut des Gardiens de la révolution pourrait contraindre les gouvernements à reconsidérer ces listes.