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13/06/2025

MURTAZA HUSSAIN
Israël attaque l’Iran et promet une opération militaire de grande envergure

Alors que les négociations sur le nucléaire piétinent, les autorités usaméricaines nient que Washington ait été impliqué dans les frappes

Murtaza Hussain, Drop Site News, 13/6/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala 


Un immeuble endommagé dans la capitale iranienne, Téhéran, à la suite d’une attaque, le 13 juin 2025. Le ministre israélien de la Défense, Israel Katz, a annoncé qu’Israël avait mené des frappes sur l’Iran. (Photo par Ahmet Dursun/Anadolu via Getty Images)

Israël a attaqué l’Iran tôt vendredi matin, ciblant la capitale Téhéran et d’autres parties du pays avec de multiples frappes aériennes dans le cadre d’une escalade dramatique de sa guerre régionale. Des explosions ont été signalées dans des villes abritant des sites majeurs liés au programme nucléaire iranien. Les premiers rapports indiquent qu’Israël pourrait avoir visé les domiciles de responsables politiques et militaires iraniens, ainsi que des personnalités liées à son programme nucléaire. La télévision d’État iranienne a indiqué qu’un certain nombre de hauts responsables avaient été tués, dont le commandant en chef du corps des gardiens de la révolution islamique, Hossein Salami.

Selon le New York Times, les attaques ont visé au moins six bases militaires autour de Téhéran, dont le complexe militaire iranien de Parchin. La télévision d’État iranienne a montré que deux immeubles résidentiels s’étaient effondrés, faisant de nombreux morts et blessés, dont au moins un enfant.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a qualifié l’attaque, baptisée “Opération Lion dressé”*, de “frappe préventive”, avant de déclarer l’état d’urgence général en Israël en prévision d’une probable riposte iranienne. Dans un discours prononcé jeudi soir, Netanyahou a détaillé une opération militaire de grande envergure visant les infrastructures nucléaires et de missiles iraniennes, affirmant qu’elle était nécessaire pour empêcher l’Iran de fabriquer des armes nucléaires et promettant que les frappes se poursuivraient « pendant autant de jours qu’il le faudra ». Netanyahou a affirmé que les attaques avaient permis de frapper la principale installation d’enrichissement d’uranium de l’Iran à Natanz, les scientifiques nucléaires iraniens impliqués dans le développement d’armes, ainsi que le programme de missiles balistiques de l’Iran.

*Baptisée en anglais “Rising Lion”, l'opération a été appelée en hébreu “Im Klavi”, “Avec Caleb”, tiré des paroles de Balaam ben Beor : “Voici, le peuple de Caleb se lèvera et se couchera comme un lion ; il ne se couchera pas avant d'avoir dévoré sa proie et bu le sang de l'innocent” (Nombres, chapitre 23, verset 24). Caleb était le seul des 12 éclaireurs-espions envoyés par Moïse à Canaan lors de la sortie d'Égypte estimant que cette terre était colonisable. [NdT]

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« Suite à l’attaque préventive de l’État d’Israël contre l’Iran, une attaque de missiles et de drones contre l’État d’Israël et sa population civile est attendue dans l’immédiat », a également déclaré Katz dans un communiqué. Des responsables israéliens ont indiqué que le pays pourrait subir « une attaque importante en provenance de l’est » dans les prochaines heures, probablement sous la forme d’un tir de barrage de missiles iraniens en représailles. Israël a fermé son espace aérien et l’aéroport international Ben Gourion de Tel Aviv a interrompu les vols à l’arrivée et au départ. L’agence de presse iranienne Tasnim a rapporté que les autorités avaient suspendu les vols à l’aéroport international Imam-Khomeini, qui n’a pas été touché par les attentats.

Les attentats surviennent après que les USA ont annoncé le retrait du personnel de leurs ambassades et consulats au Moyen-Orient et que le président Donald Trump a laissé entendre qu’une attaque israélienne contre l’Iran pourrait avoir lieu dans un avenir proche. Malgré ces préparatifs, le secrétaire d’État Marco Rubio a déclaré jeudi que « les USA n’étaient pas impliqués dans les frappes ». Pourtant, selon le Times of Israel, l’armée israélienne affirme qu’elle coordonne ses actions avec les USA. Dans sa déclaration, Rubio a indiqué qu’ »Israël nous a fait savoir qu’il pensait que cette action était nécessaire à son autodéfense », ajoutant un avertissement à l’Iran pour qu’il « ne prenne pas pour cible les intérêts ou le personnel USA ».

Un immeuble endommagé sur le boulevard Farahzadi dans la capitale iranienne, Téhéran, à la suite d’Une attaque, le 13 juin 2025. (Photo : Fatemeh Bahrami/Anadolu via Getty Images)

L’attaque israélienne intervient après que les pourparlers entre les USA et l’Iran se sont enlisés en raison des nouvelles exigences des USA concernant le démantèlement total du programme nucléaire iranien. Bien que les responsables usaméricains aient nié avoir participé aux frappes actuelles, l’opération risque maintenant d’entraîner les USA dans une guerre plus vaste, Israël se préparant à de probables représailles iraniennes tout en étendant sa propre campagne d’attaques à l’ensemble de l’Iran.

Bien que l’objectif déclaré de l’opération israélienne soit de faire reculer les efforts nucléaires iraniens, il y a des raisons d’être sceptique quant à cet objectif. Bien avant la vague actuelle de frappes, les services de renseignement usaméricains et d’autres analystes avaient souligné la capacité limitée des frappes israéliennes à détruire ou à faire reculer de manière significative le programme nucléaire iranien. Contrairement aux installations nucléaires qu’Israël a frappées par le passé en Irak et en Syrie, le programme iranien est plus avancé, fortifié et réparti sur un territoire beaucoup plus vaste. Les principales installations nucléaires iraniennes, comme Natanz et Fordow, sont également construites sous des couches de béton et de granit fortifiés - dans certains cas, elles sont littéralement encastrées dans des montagnes - ce qui les rend impossibles à détruire par toute capacité militaire israélienne conventionnelle connue.

L’incapacité probable d’Israël à détruire complètement le programme, malgré sa capacité à frapper diverses cibles en Iran, a conduit certains experts militaires à conclure que le véritable objectif de toute attaque est simplement de donner le coup d’envoi d’une guerre régionale de plus grande ampleur, dont l’issue n’est pas déterminée. Une telle guerre pourrait entraîner les USA en tant que participants, notamment pour défendre Israël contre les représailles iraniennes, même à un moment où des segments de l’administration Trump et de sa base politique intérieure expriment une frustration intense à l’égard de la poursuite des conflits au Moyen-Orient.

« Les gouvernements israélien et américain, ainsi que nos services militaires et de renseignement respectifs, sont pleinement conscients que les frappes aériennes israéliennes sur l’Iran ne vont pas réussir à détruire le programme nucléaire iranien. Il s’agit d’installations souterraines dispersées dans un vaste pays et d’un capital humain qui sait comment reconstruire les choses. Tout au plus, de telles attaques retarderaient les progrès pendant plusieurs mois, voire moins d’un an », a déclaré Harrison Mann, ancien major de l’armée usaméricaine et ex-directeur exécutif de la Defense Intelligence Agency (DIA) pour le centre régional Moyen-Orient/Afrique. « La seule chose que l’on peut réellement obtenir en essayant de bombarder les sites nucléaires iraniens est de provoquer des représailles de la part de l’Iran, ce qui contribuerait à faire dégénérer la situation en une guerre plus importante et à attirer les USA. C’est ce à quoi tend tout effort supposé POUR bombarder le programme nucléaire iranien ».

Mann, qui a démissionné de son poste à la DIA l’année dernière pour protester contre la politique usaméricaine à Gaza, a ajouté qu’une campagne aérienne visant le programme nucléaire iranien nécessiterait probablement l’envoi de troupes au sol pour vérifier si le programme a effectivement été détruit. Elle pousserait également l’Iran à se retirer de son engagement actuel envers le traité de non-prolifération nucléaire (TNP) et à mettre au point une bombe, une mesure dont les responsables iraniens ont déclaré ces derniers jours qu’elle était envisagée au cas où ils seraient attaqués.

« L’Iran n’a jamais fabriqué d’arme nucléaire. C’est un choix que les dirigeants successifs de ce pays ont fait », a déclaré Mann. « Mais le moyen de s’assurer qu’ils essaient de se doter d’une arme nucléaire est de leur faire sentir qu’ils n’ont pas d’autre choix ».


Les marchands yankees de T-shirts ont réagi au quart de tour

Une guerre éternelle

La guerre actuelle a commencé après que les négociations nucléaires entre les USA et l’Iran ont commencé à s’enliser sur la question de l’autorisation pour l’Iran de maintenir l’enrichissement nucléaire à des fins énergétiques civiles. En avril, l’émissaire usaméricain pour le Moyen-Orient, Steve Witkoff, a indiqué publiquement qu’un tel arrangement pourrait être acceptable pour les USA, à condition que l’exigence de Trump que l’Iran ne développe pas d’arme nucléaire soit respectée. Après que les Iraniens ont exprimé leur accord avec ces conditions dans des déclarations publiques, la position usaméricaine a commencé à changer rapidement. Ces derniers jours, Witkoff et d’autres membres de la faction néoconservatrice de l’establishment de la politique étrangère de Washington ont commencé à exiger à la place un démantèlement à la libyenne de l’ensemble du programme nucléaire iranien - une question que Téhéran avait déjà indiquée comme une ligne rouge qui détruirait la possibilité d’un accord diplomatique.

« Les USA récoltent ce qu’ils ont semé en 2018. Nous avions un accord - pas un accord parfait, mais un bon accord que les Iraniens mettaient pleinement en œuvre », a déclaré Sina Azodi, spécialiste des relations internationales et de la politique du Moyen-Orient à l’université George Washington. « Mais Donald Trump est arrivé, s’est retiré de l’accord et a calculé à tort que l’Iran reviendrait et supplierait pour un meilleur accord. Tout ce qu’il pensait s’est avéré faux ».

En fonction de la manière dont le cycle d’attaques et de représailles se déroule, un conflit avec l’Iran pourrait dominer le programme politique de la seconde administration Trump. Les responsables israéliens de la sécurité étaient divisés sur la question de savoir s’il fallait procéder à une attaque sans le soutien des USA, mais ils s’attendent depuis longtemps à ce qu’une confrontation militaire prolongée avec l’Iran nécessite une aide importante des USA, que ce soit sous la forme d’opérations militaires directes, de soutien en matière de renseignement, de logistique ou d’aide à la défense et à la dissuasion contre les contre-attaques de l’Iran et de ses alliés.

Les frappes actuelles, dont le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a déclaré qu’elles se poursuivraient « aussi longtemps que nécessaire », pourraient bien déclencher le processus d’une guerre plus vaste. Un rapport publié cette année par le Washington Institute for Near East Policy (WINEP), un organisme néoconservateur, a reconnu que les frappes aériennes ne seraient que la première phase d’un conflit beaucoup plus vaste, affirmant que « des actions secrètes et des frappes militaires visant à perturber et à retarder les efforts de reconstruction pourraient s’avérer nécessaires dans les mois et les années suivant une première attaque ».

Trois  des hauts responsables iraniens qui ont été tués : le général Hossein Salami (à gauche), commandant du Corps des gardiens de la révolution islamique, Mohammad Mehdi Tehranchi (au centre), physicien nucléaire et recteur d'université, et Fereydoon Abbasi (à droite), ancien chef du programme nucléaire.

Trois autres victimes : de g. à dr. le 
général de brigade Amir Ali Hajizadeh, commandant de la Force aérospatiale de l'armée des Gardiens de la révolution islamique, le Lieutenant-général Mohammad Bagheri,  chef d'État-major des Forces armées iraniennes et sa fille Fereshteh Bagheri, journaliste

Effets de représailles

L’année dernière, l’Iran a lancé deux barrages de missiles contre Israël à la suite d’autres attaques israéliennes. Mais les analystes de la sécurité affirment que ces attaques ont été soigneusement calibrées et télégraphiées à l’avance afin de gérer le niveau d’escalade et d’éviter qu’une véritable guerre n’éclate.

À la suite des graves attaques israéliennes contre son programme nucléaire, l’Iran est désormais confronté à un choix : capituler, riposter ou se retirer du TNP et se précipiter vers l’arme nucléaire. Compte tenu de la nature des capacités militaires de l’Iran, qui reposent d’une part sur le parrainage de milices non étatiques qui mènent une guerre sous-conventionnelle et d’autre part sur une flotte massive de missiles balistiques et hypersoniques, la capacité de l’Iran à riposter d’une manière mesurée qui crée un effet dissuasif sans entraîner une escalade vers une guerre majeure est limitée.

« Les capacités de frappe de l’Iran sont fortement optimisées pour deux scénarios : des opérations discrètes en deçà du seuil des grandes campagnes militaires, ou une confrontation totale. En avril dernier, son attaque était très performante, alors qu’en octobre, il a décidé de montrer certaines de ses capacités haut de gamme », a déclaré Shahryar Pasandideh, un analyste de la sécurité spécialisé dans les questions de défense. « Mais cette fois, si Israël attaque l’Iran, les Iraniens pourraient riposter en s’attaquant à des cibles qualitativement différentes ».

L’Iran peut également choisir de ne pas riposter de manière soutenue aux attaques d’Israël s’il décide qu’une meilleure riposte serait de se retirer du TNP, d’expulser les inspecteurs nucléaires et de se doter d’une arme nucléaire. Cela signifierait que la réaction cinétique immédiate de l’Iran pourrait être limitée, tandis que le pays se préparerait plutôt à développer une bombe en dehors de toute surveillance internationale.

« Si les sites nucléaires iraniens font l’objet d’attaques de grande envergure et non symboliques, et que les Iraniens décident de se doter d’une arme nucléaire en réponse, il n’est pas très logique de procéder à des attaques de missiles en représailles », a ajouté Pasandideh. « On en revient aux capacités de frappe. Si vous voulez utiliser une arme nucléaire en réponse à une attaque, il serait préférable de limiter vos représailles à une campagne de frappes de missiles d’un ou deux jours, puis de garder le reste de vos forces pendant plusieurs mois ou un an, jusqu’à ce que vous ayez reconstruit ce que vous avez perdu et que vous soyez en mesure d’utiliser une arme nucléaire ».

En fonction de sa durée, la guerre pourrait finir par provoquer des scissions au sein de la coalition de Trump, divisée entre les partisans de l’Amérique d’abord, opposés à de nouvelles guerres au Moyen-Orient, et les néoconservateurs, pour qui l’attaque de l’Iran est un objectif de longue date. Si la guerre se poursuit pendant une longue période, la capacité des USA à éviter un conflit plus important diminuera, et la pression exercée par Israël sur les USA pour qu’ils interviennent et l’aident à poursuivre sa campagne ne fera qu’augmenter.

« Il n’y a pas d’option israélienne viable sans une étroite coordination avec les USA. Toute campagne israélienne de longue durée a besoin des USA dans un rôle central», dit Trita Parsi, vice-présidente exécutive du Quincy Institute for Responsible Statecraft (Institut Quincy pour une gestion responsable des affaires publiques). « Les Israéliens ne sont pas en train de vendre seulement la guerre aux USA, ils leur vendent une guerre sans fin ».

 

Ismael Hammad, Jordanie

07/06/2025

GABOR STEINGART
“Si tu veux la paix, parle à tes ennemis, pas à tes amis” : entretien avec Klaus von Dohnanyi

     NdT

“La plus grande menace pour l’Allemagne ne vient pas de Poutine, mais des conséquences sociales, humanitaires et démocratiques du changement climatique.”

Klaus von Dohnanyi, Hamburger Abendblatt, 23/6/2023

Klaus von Dohnanyi, 97 ans, est un dinosaure de la „bonne Allemagne”, celle qui n’a pas oublié l’histoire et qui a tout simplement une conscience. Il a de qui tenir : son père Hans fut un résistant, exécuté par les nazis en avril 1945 à Sachsenhausen, sa mère Christel échappa de peu à la pendaison, son oncle Dietrich, pasteur militant de l’Église confessante, fut lui aussi pendu, en avril 1945, au camp de concentration de Flossenburg. Klaus, militant du SPD depuis 1957, fut ministre de Willy Brandt et Premier maire de Hambourg de 1981 à 1988. Très critique à l’égard de la politique belliciste des dirigeants du SPD et des Verts, il a déclaré en juillet 2024 qu’il soutenait l’Alliance Sahra Wagenknecht pour ses positions sur la guerre d’Ukraine tout en restant membre du SPD. Ci-dessous un entretien avec von Dohnanyi, Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala 

 Gabor Steingart, The Pioneer, 7/6/2025

À 97 ans, Klaus von Dohnanyi est le témoin d’un siècle mouvementé. En tant qu’ancien membre du Bundestag, comment voit-il les événements mondiaux actuels ? Il s’entretient avec Gabor Steingart sur le pouvoir de la diplomatie, la sécurité de l’Europe dans l’ombre de la Russie et Donald Trump.

The Pioneer : Donald Trump affirme que l’UE a été fondée pour obtenir des avantages commerciaux vis-à-vis des USA. Les USAméricains, que nous avons connus comme des transatlantistes, sont-ils encore nos amis ?

Klaus von Dohnanyi : ça dépend des USAméricains auxquels vous faites référence. Dans l’ensemble, ils ne l’ont jamais été. Ils ont toujours eu leurs propres intérêts. L’USAmérique est toujours intervenue en Europe et nous a en réalité plus nui qu’aidé.

Mais au départ, l’Amérique nous a tout de même aidés – non seulement avec le plan Marshall, mais aussi plus tard avec l’OTAN, qui nous a énormément aidés à devenir le pays que nous sommes aujourd’hui. Ce ton hostile n’est apparu qu’avec Donald Trump. Ou diriez-vous plutôt que ce ton s’inscrit dans la continuité des intérêts ?

Il s’inscrit dans la continuité des intérêts, qui ont bien sûr évolué en fonction des circonstances. Pendant la guerre froide et après la chute du mur, c’était différent.

Devrions-nous donc nous imposer la sérénité et ne pas nous énerver autant ? Ou devrions-nous reconnaître nos intérêts, peut-être aussi européens, et répondre à la grossièreté par la grossièreté ?

Je trouve cette façon de penser trop euro-américaine. La Russie fait bien sûr partie de l’Europe et du reste du monde, d’une manière particulière. La Russie est voisine de l’Europe et n’est manifestement pas sans danger. Et plus un voisin est dangereux, plus il faut s’intéresser à lui et lui parler. J’ai lu récemment cette belle phrase : « Si tu veux la paix, parle à tes ennemis, pas à tes amis. »

C’est à mon avis un avertissement important. Nous nous sommes complètement laissé exclure de tout contact avec la Russie et continuons aujourd’hui encore à agir comme si les USAméricains étaient nos tuteurs – ils doivent tirer les marrons du feu pour nous, alors qu’ils ont en partie jeté eux-mêmes ces marrons dans le feu.

Ça veut dire que nous devons nous prendre en main et prendre notre destin en main, d’autant plus que l’homme à la Maison Blanche ne veut plus être notre tuteur.

C’est exact. Et pour ça, nous devons avoir le courage de faire deux choses : premièrement, parler nous-mêmes avec la Russie et Poutine. Et deuxièmement, expliquer aux USAméricains que c’est aussi notre devoir. Si nous suivons vraiment le principe « Si tu veux la paix, parle avec tes ennemis », je pense que nous avons plus de chances d’instaurer la paix en Europe que si nous attendons Trump.

Vladimir Poutine à Moscou le 26 mai 2025 © Imago

La Russie est-elle notre ennemie historique ?

Non, et la Russie ne doit pas être notre ennemie historique. Nous avons également connu de bonnes périodes et de bonnes formes de coopération, et le fait que nous n’y parvenions pas actuellement est d’ailleurs peut-être aussi un problème qui sert les intérêts des USA. Il existe un livre célèbre du politologue et conseiller à la sécurité du présidentus américain Jimmy Carter, Zbigniew Brzeziński, qui postule qu’une amitié entre la Russie et l’Allemagne serait dangereuse pour les USA. C’est pourquoi je pense que certains problèmes trouvent leur origine non seulement en Russie, mais sont également alimentés par les USA.

Vous voulez dire que USA ont intérêt à ce que nous ne nous engagions pas trop avec notre grand voisin géographique – qui nous surpasse à bien des égards, non seulement en termes de ressources naturelles, mais aussi en termes de superficie – du point de vue usaméricain ?

Tout à fait. Même en temps de paix, avant la guerre en Ukraine, les USAméricains sont intervenus dans le projet Nord Stream 1 et 2, car ils trouvaient que ça rapprochait trop l’Allemagne et la Russie. Cette relation historique, qui remonte à l’époque où le tsar a été l’un des libérateurs de l’Allemagne pendant la guerre napoléonienne, est une épine dans le pied des USAméricains. Brzeziński le décrit très intensément dans son ouvrage important intitulé Le grand échiquier.

Vous avez toutefois également constaté que vous vous étiez trompé dans votre évaluation des intérêts stratégiques de Poutine, d’où la réédition de votre livre. Comment le voyez-vous aujourd’hui ?

Lorsque j’ai écrit cela, je partais du principe que le président Joe Biden était un homme raisonnable et qu’il ne se laisserait pas entraîner à aller à l’encontre des intérêts des USA et de l’Europe en soulevant à nouveau la question de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Trump avait tout à fait raison lorsqu’il a déclaré récemment que nous étions d’accord, en USAmérique et en Occident, de ne pas accepter l’Ukraine dans l’OTAN. Pourquoi Biden doit-il revenir là-dessus en 2021, 2022 ? Lui et son secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, ont, à mon avis, une grande part de responsabilité dans cette affaire. C’était inutile et provocateur – et on peut comprendre que Poutine ne veuille pas de l’Ukraine dans l’OTAN et donc en Crimée.

Joe Biden, Olaf Scholz et Jens Stoltenberg (à droite) lors du sommet de l’OTAN le 10 juillet 2024 © dpa

Poutine a-t-il vraiment servi ses intérêts, même en gardant à l’esprit les exemples historiques, ou les a-t-il plutôt exagérés ? Même après trois ans de guerre, il n’a pas réussi.

Eh bien, que signifie « exagérés » ? Imaginez un peu : l’Ukraine conserve la Crimée. La Crimée décide de l’accès de la Russie à des eaux chaudes. Croyez-vous vraiment que Poutine serait resté les bras croisés jusqu’à ce que l’OTAN s’installe à Sébastopol ? Tout est lié.

Mais qu’est-ce que ça signifie pour la suite des événements ? Quel peut être notre intérêt, qu’avons-nous à lui offrir et qu’a-t-il à nous offrir ?

C’est très, très difficile à dire. Poutine veut une Ukraine faible qui ne se mette plus en travers de son chemin. Et l’Ukraine elle-même veut être forte et, si possible, récupérer tous les territoires conquis par la Russie. C’est une situation sans issue.

À l’époque, le SPD et le chancelier Helmut Schmidt, dont vous faisiez partie du cabinet, avaient organisé la situation grâce à toute une série d’accords et de négociations – par exemple la conférence d’Helsinki – sur la réorganisation de l’Europe et une coexistence fondée sur des règles entre le bloc communiste et le bloc capitaliste. Cela pourrait-il servir de modèle pour les négociations actuelles ?

Permettez-moi de revenir un peu en arrière : Lorsque Bismarck est parti en 1890, son successeur, le secrétaire d’État Holstein, a rompu le traité dit « de réassurance » deux ans plus tard, quelques années seulement après la démission de Bismarck. Plus tard, Willy Brandt – et j’en ai moi-même été témoin – a compris, avec Egon Bahr, au prix d’un travail minutieux, que la paix et la sécurité sont le fruit d’un travail quotidien. Ces efforts du gouvernement Brandt ont tout simplement été réduits à néant. Les gens disent que c’était une erreur, que c’était trop conciliant et que la politique de paix passe par le recours aux armes. C’est absurde. Bien sûr, la dissuasion peut garantir la sécurité, mais cela ne suffit pas. Il faut avoir la volonté d’instaurer la paix.

Congrès électoral du SPD en 1980 à Essen : Egon Bahr et Willy Brandt.  © Imago

C’est pourquoi, rétrospectivement, votre gouvernement de l’époque n’était pas pacifiste, mais a même investi une part plus importante du produit intérieur brut dans l’armement que le gouvernement actuel.

C’est vrai, Brandt n’était pas pacifiste. Brandt et Bahr étaient conscients de la nécessité de la force. Mais ils savaient aussi que cela ne suffisait pas. Si vous voulez la paix, vous devez respecter les intérêts de l’autre partie, même si vous ne les suivez pas toujours. Helmut Schmidt l’a très bien écrit dans son livre à l’époque : « S’il y a une réunification, nous devons d’abord veiller à ce qu’elle ne porte pas trop atteinte à la sécurité de l’Union soviétique. » Et malheureusement, nous ne l’avons pas fait. Dès la chute du mur, nous avons veillé à ce que les pays du côté soviétique soient admis dans l’OTAN. Ce fut une erreur fondamentale.

Beaucoup en Europe disent qu’il faut maintenant plus que jamais se réarmer pour montrer à Poutine où sont les limites. Ou diriez-vous qu’il faut abandonner l’Ukraine ?

Non, mais il faut discuter sérieusement avec l’Ukraine pour qu’elle rétablisse une situation qu’elle ne peut pas créer elle-même. Et les USAméricains disent actuellement que la patate est trop chaude pour eux. Il faut dire à Volodymyr Zelensky qu’il y a des choses sur lesquelles il ne peut pas insister. À mon avis, l’Ukraine n’a aucun droit sur la Crimée et le Donbass. Le Donbass est tellement russe dans sa structure que l’Ukraine doit comprendre que cette partie ne lui appartiendra pas à l’avenir. Et il va sans dire que la Crimée n’appartient pas à l’Ukraine. Elle appartient à la Russie depuis 1783.

Explosion en Crimée en août 2022. © Imago

Et l’Ukraine devrait se contenter de ce reste d’État amputé ? Pour garantir quoi ? Sa vie et sa survie à l’Ouest, dans l’UE et dans l’OTAN ?

Pas dans l’OTAN, mais dans l’UE. En ce qui concerne l’OTAN, je pense que la décision est prise depuis longtemps. Même les USAméricains ne le veulent plus, et ne l’ont d’ailleurs jamais voulu. Je ne comprends pas pourquoi Biden est revenu sur sa position. Je pense qu’il faut remonter plus loin que la période où il luttait pour la présidence pour comprendre l’état d’esprit de Biden.

L’Ukraine doit donc être pacifiée le plus rapidement possible – et après ?

L’Ukraine entrera dans l’UE, comme ça a été promis. Ce sera une situation très difficile pour l’UE, car il n’est pas facile d’avoir un membre qui est structurellement hostile à notre grand voisin. Mais c’est probablement la solution. L’Ukraine doit renoncer aux territoires qu’elle ne peut récupérer.

Si nous supposons un accord de paix sur cette base, que se passera-t-il ensuite ? Le commerce germano-russe reprendra-t-il là où il s’était arrêté avant les sanctions ?

Nous ne devons en aucun cas nous préparer à une hostilité permanente avec la Russie. La guerre en Ukraine, déclenchée par Poutine et la Russie, a considérablement compliqué la situation. Mais nous devons essayer de nous entendre à nouveau avec ce grand voisin. Il n’est pas nécessaire de viser immédiatement une amitié. Nous devons être prêts à parler nous-mêmes avec Poutine et ne pas laisser cette tâche à Trump. Nous ne sommes pas sous la tutelle de Washington.

Mais dans quel but ? La Russie a trouvé de nouveaux partenaires entre-temps.

Les relations commerciales ne seront plus ce qu’elles étaient avant la guerre en Ukraine, ni ce qu’elles étaient peut-être dans la grande tradition entre la Russie et l’Europe occidentale. Mais nous devons les relancer.

Le ministre-président de Saxe, Michael Kretschmer, se dit favorable à des discussions avec la Russie sur Nord Stream – les gazoducs pourraient être réactivés.

Les deux gazoducs ont en fait été abandonnés à cause des sanctions usaméricaines. Ces sanctions ont été mises en place par Biden et ses prédécesseurs, y compris Barack Obama. Elles pourraient être levées un jour avec Trump. Les USAméricains pourraient eux-mêmes avoir intérêt à rapprocher la Russie de l’Occident.

Friedrich Merz a trouvé votre point de vue sur l’USAmérique scandaleux. Pensez-vous être aujourd’hui plus proche de lui, ce qui pourrait être dû non seulement à sa candidature à la chancellerie, mais aussi à l’évolution de la situation avec l’USAmérique ?

Le président Trump reçoit le chancelier Merz à la Maison Blanche  © dpa

J’apprécie beaucoup Merz, c’est notre chancelier fédéral et je le soutiendrais partout si possible. Mais il s’est mis en travers de mon chemin et je pense qu’il ne le ferait plus aujourd’hui. Je pense qu’il doit reconnaître aujourd’hui que mon évaluation de l’égocentrisme des intérêts usaméricains s’est confirmée depuis lors et que je ne faisais pas fausse route.

Vous aviez déjà une attitude très, très critique envers les USA à l’époque. Depuis que Trump sévit, y compris envers ses amis allemands, on a l’impression que vous avez peut-être même minimisé les choses.

Un ancien Premier ministre anglais, Lord Palmerston, disait déjà au XVIIIe siècle : « En politique internationale, il n’y a pas d’amis, il n’y a que des intérêts. » C’est toujours vrai aujourd’hui. Si nos intérêts s’opposent, les USAméricains choisiront toujours les leurs – et je pense que l’Allemagne devrait en faire autant.

Votre livre s’intitule “Nationale Interessen” (Intérêts nationaux). Je ne fais pas partie de ceux qui veulent abandonner précipitamment l’État-nation. Néanmoins, sous la pression de l’USAmérique et de Moscou, quelque chose de nouveau est en train de se former. L’UE ne semble-t-elle pas heureusement se révéler être plus qu’une simple solution d’urgence après la guerre ?

Oui, c’est tout à fait vrai. Nous faisons également des progrès en matière de politique commerciale. En matière de politique étrangère, je ne pense pas que ce sera le cas, ne serait-ce que parce que les intérêts au sein de l’UE sont très divergents. Chacun est responsable de sa propre politique étrangère et il serait de notre devoir de diriger l’Europe en matière de politique étrangère.

Vous ne voyez donc pas de politique étrangère européenne, mais plutôt un rôle de leader pour l’Allemagne ? En matière de politique de défense, nous sommes déjà plus proches de la réalité paneuropéenne.

Je ne partage pas votre avis selon lequel nous sommes plus avancés en matière de politique de défense européenne. Essayez donc de trouver un point commun entre l’Espagne, la France et la Pologne. Je ne pense pas non plus que la bombe atomique française, ou même britannique, offre une quelconque protection à l’Europe.

L’Europe ne doit-elle pas alors se débrouiller seule et penser par elle-même, y compris en ce qui concerne l’OTAN ?

C’est une question très difficile. À l’heure actuelle, une stratégie de dissuasion sur le continent européen est inconcevable sans les USAméricains – et ils ne le souhaitent pas non plus. Car les USA savent que s’ils perdent leur domination en Europe, ils perdent aussi leur domination mondiale. La tête de pont est d’une importance cruciale pour la politique mondiale usaméricaine.

On ne peut pas être tout à fait sûr que Trump reconnaisse l’importance de cette tête de pont eurasienne pour la puissance mondiale usaméricaine.

Trump ne sera pas éternel. C’est pourquoi je pense que l’intérêt usaméricain pour l’Europe ne disparaîtra pas complètement.

Dans le même temps, on se demande où se situe votre parti, le SPD, dans ce débat stratégique sur l’Europe et les relations avec la Russie et les USA.

Vous me demandez où se situe le SPD en matière de politique étrangère et de sécurité ? Je vous réponds : nulle part.


Willy Brandt lors du congrès fédéral du SPD en 1972 © Imago

Comment est-ce possible ?

On a enterré l’héritage de Willy Brandt. On ne comprend toujours pas aujourd’hui l’importance qu’a eu cette tentative de maintenir et de développer un pont pendant la guerre froide.

Mais à qui revient-il de répondre à cette question aujourd’hui ? Le SPD occupe tout de même le poste de ministre de la Défense. Helmut Schmidt l’a également occupé pendant un certain temps – c’est une position qui permet, voire qui oblige à participer à ces débats.

Avez-vous déjà entendu le collègue Boris Pistorius [ministre SPD de la Défense, NdT] dire que la diplomatie est également un facteur de sécurité ? On ne l’entend parler que lorsqu’il s’agit de canons, de chars, de dépenses pour l’armement ou la Bundeswehr. Et c’est une erreur. La politique de sécurité dépend fortement de la diplomatie – et de la volonté de connaître son adversaire, de dialoguer avec lui et de le rallier à sa cause. Je trouve que c’est une véritable lacune de ce ministre de la Défense par ailleurs très estimé.

Lorsque le nouveau ministre des Affaires étrangères, Johann Wadephul, a récemment évoqué un budget de défense de 5 % du produit intérieur brut, soit le double, le ministre de la Défense du SPD s’est contenté de répondre qu’il était compétent en la matière. Cela ne m’a pas semblé être une réponse adéquate à cette demande. Que répondriez-vous ?

Je ne peux pas juger du montant nécessaire pour disposer d’une Bundeswehr dissuasive dans le cadre de la défense européenne. Mais je lierais toujours cela à la nécessité d’un dialogue diplomatique avec la Russie. Je n’ai jamais entendu Pistorius dire un mot à ce sujet. Et je trouve cela effrayant, car c’était toujours un thème central pour le ministre de la Défense Helmut Schmidt.

Le ministre des Finances Lars Klingbeil © dpa

Le président du SPD, Lars Klingbeil, aurait très bien pu briguer le poste de ministre des Affaires étrangères, qui avait servi de tremplin à Willy Brandt pour accéder à la chancellerie. Était-ce une erreur de se présenter au poste de ministre des Finances pour des raisons de politique intérieure ?

Si Klingbeil l’avait fait, cela n’aurait eu de sens qu’avec une autre politique étrangère. La politique étrangère doit reposer sur deux piliers : la sécurité, c’est-à-dire l’armement et le développement d’une capacité de défense, qui n’est toujours pas pleinement effective, et la tentative d’une politique de sécurité fondée sur la diplomatie, la conciliation des intérêts, etc. Tout l’héritage de Willy Brandt a été trahi, et ce dès l’époque d’Olaf Scholz.

Scholz sait ce que vous savez sur la politique étrangère, et il n’a fait aucune tentative sérieuse pour s’opposer aux souhaits de Washington en faveur d’un changement de régime à Moscou.

Je pense que c’est là que réside le grand échec du SPD. Le parti a toujours puisé sa grande force dans deux racines : la politique sociale et la politique de paix. On a trahi cette partie du SPD qui prônait la paix. On aurait peut-être dû s’armer davantage, en particulier à l’époque d’Angela Merkel. C’est possible, je n’y connais pas grand-chose. Mais on ne doit jamais renoncer à la nécessité de combiner l’armement avec le dialogue avec l’autre partie. On s’est laissé entraîner dans cette politique antirusse qui, à mon avis, n’était pas utile à la paix en Europe.

Conseilleriez-vous au nouveau chancelier de se rappeler la politique de détente de Brandt et Helmut Kohl et de ne pas se laisser mettre dans le pétrin ?

Je l’encouragerais principalement à poursuivre le développement des relations diplomatiques avec la Russie. D’après ce que je sais, l’ambassadeur allemand à Moscou, Alexander Graf Lambsdorff, est un ennemi déclaré de la Russie. Je ne sais pas si je le nommerais à ce poste, j’ai des doutes.

Avez-vous une meilleure nomination en tête ?

Non, mais il y a des gens intelligents qui pourraient éventuellement être recrutés. Les USA ont eu de grands ambassadeurs comme William Burns, qui est devenu plus tard le chef de la CIA sous Biden. Nous devons renouer avec cette tradition.

Aujourd’hui, de nombreux politiciens disent que c’est une image naïve et peut-être aussi romantique de Poutine. La situation a changé, l’homme n’est plus accessible par le dialogue.

Une chose est absolument certaine : si l’on n’engage pas les meilleurs diplomates pour traiter avec la Russie, on ne réussira pas.

The Pioneer : Il ne s’agit donc pas de simplifier l’adversaire, mais de laisser agir la diplomatie à long terme, avec une issue incertaine ?


Willy Brandt et Klaus von Dohnanyi, 1982. © Imago

Oui, tout est incertain dans la vie. Nous le savons bien. J’ai accompagné Willy Brandt pendant une grande partie de son travail, et lui aussi a connu des moments de désespoir où il pensait ne pas parvenir à ses fins dans les négociations avec l’Union soviétique. Et à la fin de sa carrière politique, il y avait aussi Mikhaïl Gorbatchev, si vous voulez. Du côté russe, une confiance s’est installée dans l’idée qu’il était vraiment possible de dialoguer et de traiter avec cette Allemagne. Le nouveau gouvernement fédéral doit comprendre que sa mission n’est pas de défendre le statu quo actuel, mais de le changer.

Vous avez vécu la Seconde Guerre mondiale, vous aviez dix ans au début du conflit. Sommes-nous à l’aube d’une nouvelle phase d’entente ou au début d’une situation guerrière dans toute l’Europe ?

Il n’est pas nécessaire qu’il y ait une grande guerre. Il existe des possibilités de concilier les intérêts et de parvenir à nouveau à une entente, y compris avec la Russie et la Chine. Mais si l’on veut absolument avoir raison, si l’on se moque des intérêts de l’autre partie et que l’on considère que cette autre partie a de toute façon tort et est mauvaise, alors on ne pourra peut-être pas éviter la guerre.

Monsieur von Dohnanyi, merci beaucoup pour cet entretien.

 

ZVI BAR’EL
Trump blanchit les djihadistes alors que le président syrien s’efforce de constituer une armée nationale

Le nouveau président syrien doit manœuvrer entre le monde occidental, le monde arabe et ses alliés miliciens étrangers qui se sentent marginalisés. Le consentement de Trump à l’intégration des combattants étrangers dans l’armée syrienne sert les intérêts des deux présidents.

Zvi Bar’el, Haaretz, 6/6/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

L’une des conditions posées par Donald Trump au président syrien Ahmad al-Charaa pour obtenir la pleine reconnaissance de son pays et la levée des sanctions était le démantèlement de toutes les milices étrangères en Syrie et l’expulsion des combattants. Une fois de plus, Trump n’a pas déçu.

Cela ressemble à son revirement lorsqu’il a annoncé son « accord de cessez-le-feu » avec les Houthis au Yémen et a troqué ses menaces d’ouvrir les portes de l’enfer sur l’Iran contre une diplomatie visant à un nouvel accord nucléaire.


Le président Donald Trump, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane et le président par intérim syrien Ahmad al-Charaa, à droite, posent pour une photo à Riyad, en Arabie saoudite, le 14 mai 2025. Sana via AP

De la même manière, il a radicalement changé sa position sur la Syrie. Cette semaine, il a autorisé al-Charaa à intégrer des combattants étrangers dans la nouvelle armée syrienne.

Dans ces trois développements, Trump a balayé les réserves d’Israël et l’a laissé manœuvrer seul sa nouvelle carte géopolitique. La raison de ce revirement en Syrie pourrait résider dans l’avertissement sévère que le secrétaire d’État Marco Rubio a adressé au Comité des relations étrangères du Sénat le mois dernier.

« En fait, nous estimons franchement que, compte tenu des défis auxquels elle est confrontée, l’autorité de transition est peut-être à quelques semaines, et non à plusieurs mois, d’un effondrement potentiel et d’une guerre civile à grande échelle aux proportions épiques, qui conduirait essentiellement à la division du pays », a déclaré Rubio.

Un avertissement similaire a été lancé par les amis de Trump, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane et l’émir qatari Tamim ben Hamad al-Thani, lors de la visite de Trump dans la région le mois dernier. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a exprimé des idées similaires.

Ils sont tous les nouveaux protecteurs d’al-Charaa et ont promis de l’aider à forger une nouvelle Syrie, à reconstruire son armée et à garantir que le nouvel avatar sera pro-occidental et pacifique, et qu’il combattra l’État islamique.

Mais comme tout le monde l’a dit à Trump, sans la levée des sanctions, la Syrie n’aurait aucune chance de se reconstruire et pourrait même s’effondrer, mettant en danger toute la région.

Trump s’intéressait à une autre question. Il n’a pas exigé que la Syrie devienne un pays démocratique laïc où les droits de l’homme seraient le principe directeur. Trump voulait savoir comment et quand il pourrait ramener les troupes usaméricaines et quitter ce pays qu’il avait décrit en 2019, lorsqu’il avait annoncé pour la première fois son intention de retirer les forces usaméricaines, comme un endroit où il y avait « beaucoup de sable ».

Ainsi, si le départ des USAméricains nécessite un renforcement d’al-Charaa et si la condition est un “arrangement”  avec les milices étrangères, alors les considérations idéologiques ou morales ne feraient que perturber les plans de Trump.

Ces milices sont estimées à quelques milliers de combattants provenant d’une douzaine de pays, dont la Tchétchénie, la Chine, la Turquie, la Jordanie et l’Égypte. Elles constituaient l’épine dorsale d’al-Charaa lorsqu’il dirigeait les rebelles du Hayat Tahrir al-Cham dans la province d’Idlib, et en décembre dernier, lorsqu’il a lancé sa campagne éclair pour prendre Damas et renverser le régime d’Assad.

Mais il ne s’agit pas de mercenaires d’al-Charaa qui, une fois leur mission accomplie, peuvent être payés et renvoyés chez eux. Les combattants ne peuvent pas retourner dans leur pays d’origine, où la plupart d’entre eux sont considérés comme des terroristes. Et sans une solution qui garantisse leur sécurité en Syrie, le danger est qu’ils retournent leurs armes contre le nouveau gouvernement.

Comme l’a déclaré l’un de ces combattants à un site ouèbe en langue arabe : « Après toutes ces souffrances, après le changement de politique et le changement de drapeau » – du drapeau du parti Baas à l’ancien drapeau syrien – « j’ai l’impression d’être à découvert, comme si nous avions été oubliés, comme si les immigrés qui ont tout sacrifié étaient devenus un fardeau ». Al-Charaa est conscient que le chemin vers la lutte armée pourrait être court.

Les combattants étrangers sont arrivés en Syrie en 2012, environ un an après le début de la guerre civile. Depuis, ils se sont intégrés, ont fondé des familles et créé des entreprises et, si vous leur demandez, sont devenus partie intégrante de la société.

Beaucoup étaient motivés par les idéologies religieuses d’Ayman al-Zawahiri, le chef d’Al-Qaida, et d’Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de l’État islamique. Certains ont combattu pour l’État islamique avant de rejoindre al-Charaa, qui utilisait alors le nom de guerre Abou Mohammed al-Joulani. D’autres ont créé des milices qui ont offert leurs services à al-Charaa, puis, après sa rupture avec Al-Qaida en 2016, ont soit continué avec Al-Qaida, soit aidé l’État islamique.

À l’époque, al-Charaa devait lutter à la fois contre l’armée du régime d’Assad et les milices rivales, jusqu’à ce qu’il forme Hayat Tahrir al-Cham, une coalition de milices. En cours de route, il n’a pas hésité à tuer ses rivaux, y compris certains qui faisaient partie de son cercle restreint, lorsqu’il a découvert, ou cru découvrir, qu’ils cherchaient à le renverser ou qu’ils étaient en désaccord avec ses politiques et sa vision du monde.

Le passage de la direction d’un ensemble de milices à celle d’un pays a obligé al-Charaa à se démener pour empêcher cet ensemble de se désagréger. Il a dû former une grande force nationale loyale opérant dans tout le pays, mais il s’est heurté à un champ de mines constitué de groupes ethniques et de milices armées.

Parmi ceux-ci figurent les Druzes, les Kurdes et les Alaouites (la secte de la famille Assad) ; les deux premiers au moins sont lourdement armés et réclament l’autonomie. En outre, des dizaines de milices composées de Syriens et d’étrangers sont réticentes à abandonner les zones qu’elles contrôlent, qui financent leurs opérations et leur mode de vie.

Al-Charaa a également dû trouver des financements pour l’État syrien, afin de mettre en place les institutions gouvernementales, les forces de l’ordre, la justice et les services civils détruits sous le régime d’Assad.

Une fois de plus, il a dû suivre deux voies : établir des relations avec des pays arabes et occidentaux méfiants en prouvant sa volonté d’adopter des politiques pro-occidentales, y compris une éventuelle volonté de reconnaître Israël, tout en apaisant ses frères d’armes, les commandants des milices radicales qui éveillent les soupçons des pays qu’il courtise.

Al-Charaa a rapidement nommé certains des commandants étrangers à des postes élevés dans l’armée et les services de sécurité syriens, faisant de certains d’entre eux des généraux.

Il a également conclu un accord temporaire avec les Kurdes, qui ont annoncé leur volonté de rejoindre l’armée syrienne à condition de pouvoir créer une unité kurde qui n’opérerait que dans les zones kurdes, une condition à laquelle al-Charaa s’oppose. Al-Charaa a également conclu un accord partiel avec les Druzes, soutenu par plusieurs grandes milices druzes, même si d’autres attendent de voir où va la Syrie.

Quant aux petites milices, dont certaines ne comptent que quelques dizaines ou centaines de combattants, il leur a ordonné de déposer les armes et de rejoindre l’armée avant le 27 mai.

La semaine dernière, le ministre syrien de la Défense, Murhaf Abu Qasra, a déclaré que jusqu’à présent, plus de 130 miliciens avaient rejoint l’armée et formeraient une brigade distincte.

Ce compromis visait à obtenir le consentement des USAméricains pour l’enrôlement des combattants étrangers au lieu de leur expulsion. L’hypothèse est que s’ils font partie d’une unité spéciale, ils peuvent être déployés dans des missions moins sensibles et être étroitement surveillés.

Mais cela ne résout pas le problème de l’endoctrinement religieux radical dont ont fait l’objet la plupart de ces combattants, qui les a poussés à venir en Syrie. Cela pourrait avoir des conséquences concrètes.

Par exemple, l’armée syrienne est censée gérer les grands complexes pénitentiaires où sont détenus des dizaines de milliers de combattants de l’État islamique et leurs familles, principalement dans le nord du pays.

Ces installations sont sous contrôle kurde. La crainte est que si ces complexes sont transférés à l’armée syrienne, certains soldats redécouvrent leurs « frères perdus » de l’État islamique et les aident à s’échapper, ou pire, collaborent avec eux contre le régime.

Cette crainte devrait être prise en compte par la Turquie, qui a proposé de combattre l’État islamique à la place des USAméricains, qui se retireraient alors de Syrie. Dans le passé, Washington a rejeté cette idée, mais elle semble désormais constituer une solution acceptable qui permettrait à Trump de réfuter les accusations selon lesquelles le retrait des troupes usaméricaines équivaut à abandonner les Kurdes et la lutte contre l’État islamique.

L’accord concernant les milices étrangères est loin de suffire à imposer l’autorité de l’État sur les forces armées. Les accords avec les Kurdes et les Druzes n’existent encore que sur le papier. Les Alaouites, qui vivent sur la côte, sont une source de friction, tout comme les vestiges du régime Assad, qui sont armés et envisagent une contre-révolution.

Pour l’instant, al-Charaa bénéficie d’un large soutien arabe et occidental. Mais il devra bientôt prouver aux Syriens que sa révolution est plus que quelques slogans accrocheurs.


Cravate sanglante, par Hassan Bleibel, mars 2025

 

28/05/2025

SUE HALPERN
Pour l'amour de l'argent : ‘Careless People’,un conte moral sur la réalité de Facebook


Sue Halpern , The New York Review,  29/5/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Les mémoires accablantes de Sarah Wynn-Williams sur son travail chez Facebook révèlent la cupidité prédatrice des dirigeants de l'entreprise.


 Sarah Wynn-Williams par Hanna Barczyk

Livre recensé :


Careless People: A Cautionary Tale of Power, Greed, and Lost Idealism  

[Jemenfoutistes : un conte moral sur le pouvoir, la cupidité et la perte d'idéalisme]
par Sarah Wynn-Williams
Flatiron, 382 pages, 32,99 $

Début janvier, Mark Zuckerberg, PDG de Meta, a annoncé que l’entreprise mettait fin à la vérification des faits sur ses plateformes de réseaux sociaux, Facebook, Threads et Instagram. La raison, a-t-il déclaré, reprenant les arguments de la droite, était que signaler les discours haineux et les fausses informations constituait une forme de censure. Le programme de vérification des faits de l'entreprise avait été mis en place après l'élection présidentielle usaméricaine de 2016, lorsque Facebook, comme l'entreprise s'appelait alors, avait été vivement critiqué pour avoir laissé la propagande russe faire pencher la balance en faveur de Trump. Il a été annulé peu après que Zuckerberg se fut rendu à Mar-a-Lago après les élections pour rendre hommage à l'homme qui avait menacé de l'emprisonner à vie. (Comme si le fait d'autoriser les mensonges et la haine sur ses plateformes ne suffisait pas, Meta a également versé 25 millions de dollars à Trump pour régler un procès en 2021 dans lequel Trump affirmait que Meta l'avait illégalement exclu de ses plateformes après l'émeute du Capitole du 6 janvier, et Zuckerberg a fait un don d'un million de dollars au fonds d'investiture de Trump).

Il était donc délicieusement ironique que, quelques semaines après l'annonce publique de la décision relative à la vérification des faits, Meta ait saisi la justice pour faire taire Sarah Wynn-Williams, qualifiant les nouvelles mémoires accablantes de l'ancienne employée de Facebook, Careless People: A Cautionary Tale of Power, Greed, and Lost Idealism, de « fausses et diffamatoires ». Un arbitre a reconnu que Wynn-Williams, qui était directrice de la politique mondiale de Facebook lorsqu'elle a quitté l'entreprise en 2017, avait peut-être violé la clause de non-dénigrement de son accord de départ, mais ce fut une victoire à la Pyrrhus pour l'entreprise : bien que Wynn-Williams ait été condamnée à cesser de promouvoir son livre, les actions de Meta se sont avérées être une opération de relations publiques inestimable. Quelques jours après ces manœuvres juridiques, le livre est devenu un best-seller. Wynn-Williams a également été invitée à témoigner devant la sous-commission sénatoriale sur la criminalité et le contre-terrorisme, ce qu'elle a fait le 9 avril, sous la menace d'une amende de 50 000 dollars chaque fois qu'elle ferait un commentaire que Meta considérerait comme dénigrant à l'égard de l'entreprise. Depuis 2021, lorsque Frances Haugen, une autre ancienne employée de Facebook, a divulgué des documents révélant que l'entreprise était consciente des dommages causés par ses produits, la cupidité prédatrice de Zuckerberg, de sa directrice générale de longue date Sheryl Sandberg et de leurs lieutenants n'avait jamais été aussi exposée.

Comme le raconte Wynn-Williams, elle était impatiente de travailler chez Facebook car elle croyait profondément que cela allait changer le monde. C'était en 2009, trois ans seulement après que le site web universitaire très populaire de Zuckerberg eut été ouvert au grand public. « Il semblait évident que la politique allait faire son apparition sur Facebook », écrit-elle, « et quand cela se produirait, quand elle migrerait vers ce nouvel immense lieu de rassemblement, Facebook et les personnes qui le dirigeaient seraient au centre de tout ». À l'époque, Wynn-Williams, avocate néo-zélandaise, travaillait comme diplomate à l'ambassade de Nouvelle-Zélande à Washington, D.C., après plusieurs années passées aux Nations unies, où elle s'était affairée en marge des traités internationaux sur des sujets tels que les organismes génétiquement modifiés, discutant de la place des virgules et des points-virgules.

Il lui a fallu plusieurs tentatives avant que le responsable de la petite équipe politique de Facebook à Washington ne l'engage en 2011 pour aider les dirigeants de l'entreprise à se lancer et à naviguer sur la scène mondiale. Zuckerberg n'était pas intéressé, du moins au début ; Sandberg était plus réceptive, même si elle semblait parfois plus soucieuse de promouvoir ses propres intérêts et son image que ceux de l'entreprise. Dans une anecdote révélatrice, elle a demandé à emmener ses parents à une réunion avec Shinzo Abe, le Premier ministre japonais, et a voulu une photo de lui tenant son livre féministe sur le monde de l'entreprise, Lean In. (Bien que le bureau du Premier ministre ait rejeté la demande de participation de ses parents et insisté pour qu'il n'y ait pas de photo d'Abe tenant le livre, Sandberg a décidé de « détourner » l'événement quand même. Wynn-Williams a mis le livre entre les mains du Premier ministre à la fin de la réunion, puis a pris quelques photos avant que quiconque ne puisse l'en empêcher. Après coup, Sandberg était tellement ravie qu'elle a serré Wynn-Williams dans ses bras pour un « long et profond câlin »).

Il est difficile de dire qui apparaît comme le plus insouciant dans Careless People. Selon Wynn-Williams, Sandberg ment dans un post Facebook en affirmant avoir failli se trouver dans un avion qui s'est écrasé ; elle insiste pour que Wynn-Williams partage son lit lors d'un vol de retour de Davos, puis la « snobe » lorsqu'elle refuse ; elle écrit un livre prétendument féministe, mais « dirige » par l'intimidation, la peur et l'humiliation ;  elle semble peu s'intéresser à la vie réelle des femmes (lorsqu'on lui parle de la Marche des femmes, par exemple, elle ne veut savoir que ce que Melania Trump portait lors de l'investiture de son mari) ; à la suite de l'attaque terroriste à Paris qui a tué 130 personnes, elle considère que le fait que les gouvernements se détournent des questions de confidentialité, qui sont mauvaises pour l'entreprise, pour se concentrer sur la sécurité et la surveillance — qui, en collectant et en stockant des quantités importantes de données personnelles, sont bonnes pour elle — est une victoire pour Facebook ; et est impliquée dans l'embauche d'une société de recherche sur l'opposition pour diffuser des théories antisémites complotistes sur George Soros.

Il y a ensuite Zuckerberg, qui souhaite que Wynn-Williams organise soit une émeute, soit un rassemblement pacifique pour l'accueillir lors d'un voyage en Asie afin qu'il puisse « être entouré de gens ou être « gentiment pris d'assaut » » ; qui, dans un discours prononcé aux Nations unies, déclare que Facebook va apporter Internet dans les camps de réfugiés, alors que l'entreprise n'a aucune intention de le faire ; qui souhaite écraser les médias traditionnels afin que Facebook puisse contrôler l'information ; qui demande à Xi Jinping, le président chinois, de donner un nom à son enfant à naître (Xi refuse) ; qui veut « des listes d'adversaires, qu'il s'agisse d'entreprises, d'individus, d'organisations ou de gouvernements », et de trouver comment « utiliser la plateforme et les outils dont nous disposons pour vaincre ces adversaires » ; qui poursuit en justice des centaines d'Hawaïens de souche pour les forcer à lui vendre leurs terres ; et qui estime que le plus grand président usaméricain était Andrew Jackson parce que, comme le raconte Wynn-Williams, « il était impitoyable, populiste et individualiste, et... il « faisait avancer les choses » », un point de vue qui ignore, par exemple, le fait qu'il ait sanctionné le massacre des Amérindiens ou qu'il ait embrassé l'esclavage. (Jackson est également le président préféré de Trump, à part lui-même. Lorsqu'il est revenu au Bureau ovale, il a réinstallé un portrait de Jackson que Biden avait retiré).

Et puis il y a le candidat surprise dans cette course vers le bas, un politicien véreux et ancien petit ami de Sandberg nommé Joel Kaplan. Selon Wynn-Williams, Kaplan, avocat formé à Harvard et ancien marine qui est arrivé chez Facebook après avoir travaillé pour l'administration Bush, où il était chef de cabinet adjoint, semble prendre plaisir à la harceler sexuellement. Entre autres choses, il reproche à Wynn-Williams d'être « difficile à approcher » pendant son congé maternité, qu'elle a en partie passé dans le coma à cause d'une hémorragie ; il lui demande de lui dire quelle partie de son corps saignait ; il se frotte contre elle lors d'une fête d'entreprise ; et il la pousse à lui expliquer l'allaitement maternel.

« Mes amis qui ont succombé au discours de Sheryl dans Lean In me recommandent vivement d'aller lui faire part de mes préoccupations », écrit Wynn-Williams :

« Je comprends leur point de vue : c'est une question sur laquelle elle a choisi de se positionner de manière très visible. À cette époque, elle est citée dans un article de Bloomberg recommandant une politique de tolérance zéro envers le harcèlement et déclarant : « Je pense que c'est une bonne chose que les gens perdent leur emploi lorsque cela se produit, car je pense que c'est ce qui les dissuadera de recommencer à l'avenir. Et je pense que c'est un défi pour les dirigeants. En tant que dirigeant d'une entreprise, il ne doit y avoir aucune tolérance à cet égard. »

Et pourtant, les dirigeants de Facebook non seulement tolèrent le harcèlement sexuel, mais ils font comme s'il n'existait pas. Peu après avoir déposé plainte, Wynn-Williams a été sommairement licenciée de l'entreprise. Kaplan est aujourd'hui directeur des affaires internationales chez Facebook. (Sandberg a quitté l'entreprise en 2022 et a démissionné du conseil d'administration l'année dernière.)

On peut dire que beaucoup d'entre nous ont eu des patrons abusifs et ont travaillé dans des environnements toxiques, même si ce n'était peut-être pas à un point tel que, lorsqu'une collègue est allongée sur le sol en proie à une crise d'épilepsie (comme le décrit Wynn-Williams), le patron ne fait rien parce qu'il est « trop occupé ». Pourtant, Careless People ne serait qu'un récit cinglant de plus sur les méfaits du capitalisme tardif au travail si les personnes en question n'avaient pas une influence démesurée sur les affaires mondiales. Comme Wynn-Williams l'a correctement deviné, il n'a pas fallu longtemps pour qu'une entreprise dont la mission déclarée était de « connecter le monde » devienne un acteur majeur de la politique et des décisions stratégiques au niveau national et international, mais pas de la manière bienveillante qu'elle imaginait. Au contraire, pendant ses sept années chez Facebook et depuis, la direction de Meta a permis à des politiciens du monde entier d'utiliser ses plateformes pour influencer les élections, a été un vecteur volontaire de désinformation, dont certaines ont incité au génocide, et a docilement obéi aux ordres de gouvernements autoritaires.

Wynn-Williams et Zuckerberg ont eu pour la première fois le sentiment que Facebook pouvait être exploité par les politiciens pour influencer leur destin électoral en 2014, lors d'une réunion avec le président élu d'Indonésie, Joko Widodo, qui se qualifiait lui-même de « président Facebook ». Comme il leur a dit : « Je n'étais pas censé gagner. Je suis charpentier, après tout, mais j'ai pu m'adresser directement aux gens grâce à Facebook ». Wynn-Williams était ravie. Elle était tellement convaincue que l'entreprise était une force positive qu'elle ne voyait pas encore que Facebook était également accessible à des candidats dont les idéologies étaient moins idéalistes que les siennes. Cela est devenu évident moins de deux ans plus tard.

Aujourd'hui, tout le monde connaît l'histoire de la campagne de Trump et de la manière dont il a utilisé Facebook pour remporter sa victoire improbable en 2016. Candidat improbable disposant de moins d'argent que la présidente présumée des USA, Hillary Clinton, Trump a engagé un concepteur web basé à San Antonio, Brad Parscale, pour mener sa campagne numérique. Parscale n'avait aucune expérience politique — il a été engagé parce qu'il était bon marché — mais il connaissait bien Facebook et comprenait que les bonnes publicités ciblant les bonnes personnes avaient le potentiel de les transformer en électeurs de Trump ou de persuader les électeurs potentiels de Clinton de rester chez eux.

Facebook a envoyé une équipe de ses employés à San Antonio pour s'intégrer à la campagne et l'aider à optimiser la plateforme publicitaire de Facebook afin de convaincre les électeurs de voter pour Trump, en particulier ceux qui ne se rendaient généralement pas aux urnes. L'entreprise a fermé les yeux lorsque Parscale a commencé à travailler avec Cambridge Analytica, un cabinet de conseil britannique lié à la fois au provocateur de droite Steve Bannon et à la riche donatrice conservatrice Rebekah Mercer, qui « récoltait » toutes sortes d'informations personnelles auprès de millions d'utilisateurs usaméricains de Facebook qui ne se doutaient de rien. Ces données ont permis à la campagne d'adapter précisément les publicités à ces utilisateurs et, grâce à l'outil « Lookalike Audiences » de Facebook, d'envoyer ces publicités à des centaines de milliers d'électeurs potentiels qui leur ressemblaient. Comme l'écrit Wynn-Williams, Parscale « a en fait inventé une nouvelle façon pour une campagne politique de se frayer un chemin vers la Maison Blanche, en ciblant les électeurs avec des informations erronées, des messages incendiaires et des appels aux dons ». Mais lorsque la victoire surprenante de Trump a été attribuée à Facebook, Zuckerberg a protesté, qualifiant cette idée de « folle ». (Le New York Times a réagi en déclarant que Zuckerberg était « dans le déni ». Sandberg, cependant, a été tellement impressionnée par le travail de Parscale qu'elle a voulu l'embaucher).

La victoire de Trump a alerté les politiciens du monde entier sur le fait que Facebook était un multiplicateur de force électorale, s'ils ne le savaient pas déjà. (L'année précédant la victoire de Trump, le Parti conservateur britannique semblait l'avoir compris, dépensant dix fois plus sur Facebook que le Parti travailliste. Selon la BBC, « l'utilisation intelligente de la publicité Facebook dans les circonscriptions marginales a été l'un des facteurs qui ont contribué à la victoire surprise de David Cameron »). Lors des élections générales usaméricaines de 2020, les démocrates avaient compris le message : au cours des cinq semaines précédant les élections, Joe Biden a dépensé plus que Trump en publicités Facebook ; il a également créé davantage de pages Facebook à partir desquelles lancer des publicités. Quatre ans plus tard, les campagnes de Trump, Biden et Harris ont généré six milliards d'impressions publicitaires sur les plateformes de médias sociaux de Meta. (Une impression signifie qu'une publicité est affichée sur l'écran d'un utilisateur.)

L'influence de Facebook sur les élections ne s'est pas limitée aux USA et au Royaume-Uni. En 2022, le parti d'extrême droite Fratelli d'Italia de Giorgia Meloni, qui a remporté la victoire, a dépensé beaucoup plus que les autres partis politiques sur Facebook, tout comme Viktor Orbán, son parti Fidesz et leurs alliés lors des élections européennes de l'année dernière et des élections hongroises de 2022, qui ont ramené Orbán au pouvoir. (Comme Trump, ils ont bénéficié des tarifs publicitaires de Facebook, car les publicités incendiaires suscitent le plus d'engagement, et l'engagement fait baisser le prix.) Bien que la corrélation ne soit pas nécessairement une causalité, un groupe de recherche en Allemagne a étudié l'effet des publicités Facebook et Instagram sur les élections allemandes de 2021 afin d'évaluer si ces publicités avaient effectivement été décisives. Sa conclusion : « La publicité politique en ligne influence considérablement les résultats des élections et peut même avoir un effet décisif ».

L'autre leçon tirée de la campagne numérique de Trump en 2016 est que mener une opération de collecte de fonds parallèlement à une campagne publicitaire peut générer suffisamment de revenus pour que les deux soient autosuffisantes. Non seulement la première campagne de Trump a été l'un des principaux annonceurs de Facebook à l'échelle mondiale, mais Facebook a également été la plus grande source de financement de la campagne. D'un autre côté, selon Wynn-Williams, Facebook a réalisé des bénéfices records grâce à la campagne de Trump. Cependant, sa valeur pour Zuckerberg, Sandberg et leur équipe allait au-delà des gains financiers : une fois que les politiciens ont compris que Facebook était essentiel à leur succès électoral, l'entreprise a pu obtenir d'eux des politiques favorables. Ou, comme l'a dit Sandberg de manière euphémique, « lorsque les décideurs politiques ont une expérience positive de l'utilisation de Facebook pour leurs campagnes ou leur gouvernance, ils sont plus ouverts à un partenariat avec nous pour traiter des questions politiques ». (C'est l'une des raisons pour lesquelles, aux USA par exemple, il n'existe pas de législation fédérale significative en matière de confidentialité des données, et pourquoi l'article 230 de la loi sur la décence dans les communications, qui dégage les entreprises de toute responsabilité quant au contenu publié sur leurs plateformes,  n'a pas été modifié.)

Selon Wynn-Williams, pendant qu'elle travaillait chez Facebook, l'entreprise a également commencé à investir dans des élections en dehors des USA, montrant aux politiciens comment utiliser la plateforme pour cibler des électeurs spécifiques avec des publicités spécifiques afin de rendre ces politiciens « dépendants de Facebook pour leur pouvoir ». À cette fin, l'entreprise a embauché une « équipe commerciale » politique pour rendre les politiciens accros à la plateforme. Son patron, Kaplan, souhaitait également créer des comités d'action politique (PAC) à travers le monde afin de « canaliser l'argent vers nos principaux alliés à l'étranger, c'est-à-dire nos politiciens les plus influents dans d'autres pays ». Il a semblé surpris lorsqu'elle lui a expliqué que dans la plupart des pays, cela serait considéré comme de la corruption. (Kaplan, bien que responsable des affaires internationales, a également été surpris d'apprendre que Taïwan était une île.)

Le problème lorsqu'on s'implique dans la politique intérieure d'autres pays, c'est que cela fonctionne dans les deux sens. Tout comme Facebook pouvait obtenir des concessions et des faveurs de la part des politiciens, ces derniers pouvaient utiliser Facebook pour poursuivre leurs propres agendas malveillants, parfois avec l'aide tacite ou non de l'entreprise. À la demande des autorités russes, par exemple, l'entreprise a bloqué la page d'un événement organisé en soutien au dissident russe Alexeï Navalny. Lorsque la journaliste philippine Maria Ressa, lauréate du prix Nobel, a alerté Facebook que le nouveau président des Philippines, Rodrigo Duterte, avait utilisé la plateforme pour répandre des mensonges et semer la peur pendant sa campagne électorale, l'entreprise a choisi de ne rien faire. (Duterte a récemment été arrêté par la Cour pénale internationale et est détenu à La Haye pour crimes présumés contre l'humanité. Il est également candidat à la mairie de Davao City, sa ville natale dans le sud des Philippines, et certains analystes estiment qu'il a des chances de gagner.) Plus grave encore, l'entreprise n'a rien fait lorsqu'elle a reçu des preuves irréfutables que la junte birmane utilisait Facebook pour diffuser une propagande haineuse contre les Rohingyas, qui a finalement conduit à un génocide. Selon Wynn-Williams, cela s'explique par le fait que Zuckerberg, Sandberg et Kaplan « s'en fichaient complètement ».

Il semble toutefois probable qu'ils se souciaient, non pas des droits humains, mais de leurs intérêts commerciaux. Comme le raconte Wynn-Williams,

de plus en plus de politiciens demandent explicitement à Facebook d'intervenir... Certains sont moins délicats que d'autres et accompagnent leur demande d'une menace de réglementation si celle-ci est refusée.

Ainsi, lorsque l'« équipe de croissance » de Facebook, que Wynn-Williams qualifie de « cœur battant de l'entreprise », rencontre des politiciens intransigeants, elle envisage de « manipuler » l'algorithme pour leur montrer « un peu d'amour ».

Comme beaucoup d'entreprises, l'objectif de Facebook est la croissance. Mais contrairement à une entreprise qui cherche à trouver de nouveaux marchés pour ses raquettes de tennis ou ses chargeurs de téléphone, Facebook ne commercialise pas de produits physiques. Son activité consiste plutôt à capter l'attention des gens. Plus il y a d'utilisateurs, plus il y a de données personnelles, et les données sont le moteur qui alimente l'activité principale de l'entreprise : la publicité. En 2023, et à nouveau l'année dernière, près de 100 % des revenus de Meta provenaient de la vente d'annonces publicitaires. Le problème avec ce modèle est qu'il nécessite de plus en plus d'utilisateurs – et de plus en plus de données les concernant – pour attirer de nouveaux annonceurs et fidéliser les anciens. Faut-il s'étonner, alors, que l'entreprise ait proposé à ses clients publicitaires d'accéder à des adolescents qui se sentaient inutiles et déprimés ? Comme le souligne Wynn-Williams, « le secteur de la publicité comprend que nous achetons davantage lorsque nous sommes en proie à l'insécurité, et le fait que Facebook sache quand cela se produit et puisse cibler ses publicités lorsque nous sommes dans cet état est considéré comme un atout ».

En 2012, Facebook comptait un milliard d'utilisateurs dans le monde, soit une personne sur sept sur la planète, doublant ainsi sa base d'utilisateurs en seulement deux ans. Bien que Zuckerberg ait célébré cette étape importante dans la presse, lui et son équipe s'inquiétaient en réalité de « manquer de marge de manœuvre ». Pour atteindre le prochain milliard, l'entreprise devait trouver le moyen de s'implanter dans des pays qui avaient été hostiles à Facebook par le passé. Selon Wynn-Williams, un membre anonyme du conseil d'administration de Facebook a suggéré que l'entreprise se rapproche des partis d'extrême droite en Europe, tels que l'AfD en Allemagne et le Front national en France, car c'est là que le pouvoir semblait se déplacer. Mais le Saint Graal pour Facebook était de conquérir le marché chinois, où la plateforme est toujours interdite.

La présentation de Facebook au Parti communiste chinois (PCC) est un modèle du genre sur la manière d'apaiser un régime autoritaire. Par exemple, l'entreprise a promis que Facebook aiderait le gouvernement chinois à promouvoir un « ordre social sûr et sécurisé », une invitation à peine voilée au gouvernement à utiliser Facebook à des fins de surveillance. En outre, elle a stipulé que la présence de Facebook en Chine « créerait un environnement en ligne civilisé, raison pour laquelle nous respectons les lois locales, ainsi qu'harmonieux, raison pour laquelle nous supprimons les contenus offensants ». La société a proposé un partenariat avec une société chinoise de capital-investissement qui serait chargée de créer une équipe de modération du contenu afin de censurer les contenus interdits, de stocker les données chinoises en Chine (où elles seraient accessibles au régime) et d'honorer les demandes du gouvernement visant à lui remettre les données des utilisateurs. Facebook fournirait également des outils de reconnaissance faciale, de marquage de photos et d'autres outils permettant aux autorités chinoises d'examiner les messages privés. L'équipe de Facebook travaillant sur cette proposition comprenait qu'il serait mal vu que leurs concessions aux Chinois soient rendues publiques. Ainsi, en plus de vouloir coordonner avec les autorités chinoises pour contrôler les fuites, ils ont lancé en interne quelques titres de journaux potentiels afin d'anticiper les mauvaises critiques. « La Chine a désormais accès à toutes les données des utilisateurs de Facebook », pouvait-on lire dans l'un d'eux. « Facebook remet les données des citoyens chinois au gouvernement chinois », disait un autre. En d'autres termes, Facebook savait ce qu'il faisait.

Malgré ces concessions, le gouvernement chinois a continué à bloquer Facebook. Cela n'a pas empêché Zuckerberg de tromper le Congrès sur la volonté de l'entreprise de collaborer avec le PCC pour mettre en place des outils de censure, ni de se plier aux exigences du parti en supprimant définitivement la page Facebook d'un dissident de premier plan, puis en demandant au conseiller juridique de Facebook de mentir à ce sujet devant la commission sénatoriale du renseignement. Ne voulant pas être en reste, l'entreprise a trouvé une solution de contournement en lançant deux applications sans licence en Chine par l'intermédiaire d'une société écran sous un autre nom. Facebook a agi ainsi sans en informer ses investisseurs, la Commission fédérale du commerce ou le Congrès. « L'une des plus grandes entreprises cotées en bourse aux USA est totalement indifférente aux règles », écrit Wynn-Williams, et c'est soit un cri du cœur, soit une déclaration de défaite.

On a beaucoup écrit sur la manière dont les régimes autoritaires, les politiciens antidémocratiques et d'autres acteurs pernicieux ont utilisé Facebook pour atteindre des objectifs illibéraux et répressifs. Careless People démontre une fois pour toutes que les plateformes de médias sociaux de Meta n'ont jamais été des vecteurs neutres d'information, mais plutôt le support, et non le contenu, de l'information. La capacité et la volonté de l'entreprise d’« exploiter » l'algorithme pour obtenir ce que veulent les dirigeants de Facebook, ainsi que les transactions intéressées et rapaces de Zuckerberg et Sandberg, qui ont exploité la vie privée des utilisateurs, montrent clairement que leur modèle économique – et leur image publique – reposent sur l'artifice et le mensonge. Wynn-Williams n'a pas tort : ce sont fondamentalement des personnes qui n’en ont rien à cirer, c'est-à-dire qu'elles se moquent éperdument de leur impact sur les autres lorsque cet impact ne leur est pas profitable. À l'instar de Tom et Daisy Buchanan dans Gatsby le Magnifique, Zuckerberg et Sandberg « ont détruit des choses et des êtres, puis se sont réfugiés dans leur argent ou leur immense insouciance ». Mais ce ne sont pas des personnages fictifs, et les choses qu'ils ont détruites – des vies individuelles, des communautés entières et même, dans certains endroits, la démocratie elle-même – ne sont pas non plus imaginaires. Peut-être ne devrions-nous pas être surpris. Zuckerberg nous a fait part de son plan dès le début : « Agir vite et casser les codes ». Et c'est ce qu'il a fait.


Zuckerberg : “Circulez, ya rien à voir” -Adam Zyglis