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16/03/2024

Rome, 16 mars 1978 : l’enlèvement d’Aldo Moro
Un événement historique qui n’en finit pas de faire jaser

Le 16 mars 1978, les Brigades Rouges enlevaient à Rome le politicien démocrate-chrétien Aldo Moro après avoir abattu ses cinq gardes du corps. Le 9 mai, le corps de Moro, exécuté, était retrouvé. L’effet de cet acte fut de mettre fin au projet de Compromis historique entre la démocratie-chrétienne et le Parti communiste, auquel Moro était attelé avec Enrico Berlinguer. 46 ans plus tard, cette affaire suscite toujours les passions, les polémiques et les hypothèses les plus farfelues, relevant de ce qu’en Italie on a appelé « dietrologia », un précurseur du « complotisme » ou du « conspirationnisme ». Ci-dessous 3 articles sur ce thème, traduits par Fausto Giudice, Tlaxcala

Enlèvement de Moro : les temps de l’histoire et ceux des faits divers

Paolo Persichetti, Insorgenze, 16/3/2024

Les charlatans de l’affaire Moro, ceux que Marco Clementi définit comme les « historiens de comptoir » ont rempli les rayons des librairies de leurs publications au cours des dernières décennies, ont publié des articles à profusion dans la presse (aujourd’hui encore, quelques-uns sont parus), ont réalisé des émissions de télévision, surtout l’émission de la RAI Report, mais le défunt Andrea Purgatori ne rigolait pas non plus : ils ont créé des commissions parlementaires surréalistes, dont la dernière a été la commission anti-mafia qui s’est achevée au cours de la dernière législature par un rapport de l’ancien magistrat Guido Salvini, à la suite des travaux de la précédente commission Moro 2, présidée par Giuseppe Fioroni. Parmi les charlatans, les membres de l’actuel gouvernement ne manquent pas d’exceller avec des déclarations aux agences. Ce fleuve d’hypothèses non étayées, de conjectures farfelues, de reconstructions bancales, explique Clementi, « reste toujours sur le terrain de la chronique, disséquant au millième chaque minute, heure et jour de l’enlèvement, se répétant à l’infini comme un disque rayé, échappant ainsi non seulement aux démentis mais plus encore au « temps historique », aux questions fondamentales qui seules peuvent aider à donner un sens et à comprendre l’affaire.

La bureaucratie de la mémoire

La responsable d’un fonds d’archives réputé sur le « terrorisme et les massacres des années 1970 » a récemment donné un cours de formation pour les enseignants du secondaire dans une université romaine, activité financée par la région du Latium. L’éminente spécialiste a raconté, au mépris des preuves historiques recueillies jusqu’à présent, qu’à Via Fani se trouvaient, le matin du 16 mars, pas moins de 30 brigadistes, soit près de trois fois le nombre de membres réguliers de la colonne romaine en activité à ce moment-là. Lorsqu’on lui demande d’expliquer comment ils ont pu s’échapper du site, étant donné que les voitures décrites par les témoins étaient toujours et seulement trois et qu’aucun bus n’a jamais été aperçu à proximité, elle répond qu’ils se sont enfuis à pied à travers les prés. Face à cette réponse étonnante (il n’y a pas de près près de la Via Fani...), une personne a voulu savoir si elle avait déjà été à Via Fani : la réponse a été « non ».

Les institutions ont créé une bureaucratie de la mémoire publique  à laquelle a été déléguée la fonction d’administration de la production publique sur l’histoire de ces années, avec des commissions chargées de l’ouverture des archives, de la gestion des portails d’information et de l’éducation culturelle. L’éminente responsable des archives dont nous parlons, membre à part entière de cet appareil, a dû confondre les 27 personnes, condamnées à divers titres pour l’enlèvement dans les quatre procès différents entre les années 1980 et 1990, avec les participants directs à l’action du 16 mars. Elle a dû penser que les 27 personnes s’étaient rassemblées ce matin-là dans la Via Fani et les rues adjacentes. En réalité, seuls neuf d’entre eux ont été indiqués au tribunal comme étant directement présents sur les lieux de l’embuscade. On sait aujourd’hui qu’il y en avait également un dixième, qui a toutefois été acquitté lors du procès mais condamné pour d’autres faits. Les 17 autres ont été jugés responsables pour d’autres raisons : parce qu’ils étaient membres de l’exécutif national [des BR] ou exerçaient des fonctions de haut niveau, ou parce qu’ils avaient géré la garde de l’homme enlevé dans la base carcérale de Via Montalcini, ou parce qu’ils auraient participé à certaines phases de l’enquête préparatoire. Aucun d’entre eux ne se trouvait  Via Fani. Pourtant, les charlatans de l’affaire Moro peuvent dire ce qu’ils veulent en toute impunité.


L’enlèvement d’Aldo Moro est l’obsession des « historiens de comptoir »

Marco Clementi, Domani, 15/3/2024

46 ans après l’embuscade de Via Fani, la recherche frénétique d’un détail qui pourrait changer le récit de l’enlèvement et du meurtre de Moro et de son escorte se poursuit. Mais trop souvent, ce sont des amateurs qui tentent de ramener cette histoire dans l’actualité

On ne cessera jamais de chercher une preuve, une contradiction, un élément de doute, capable de faire s’écrouler comme un château de cartes le récit diétrologique de l’enlèvement et de l’assassinat d’Aldo Moro et de son escorte (l’anniversaire de l’enlèvement tombant le 16 mars).

Les historiens, peut-on observer, devraient se réjouir : la recherche, en effet, ne peut s’arrêter et chaque nouvelle contribution ne peut qu’enrichir les précédentes. C’est théoriquement le cas. Dans la pratique, ce n’est pas toujours le cas : pensons au révisionnisme mis en œuvre en Russie sur l’histoire soviétique et la figure de Staline, pour ne citer qu’un exemple. Dans ce cas, les historiens ont été réduits au silence et la révision historique est devenue une affaire d’État.

En ce qui concerne l’affaire Moro et plus généralement l’histoire des Brigades Rouges (ou si l’on veut sa contre-histoire), le débat n’a souvent pas lieu entre historiens et cela pose un certain nombre de problèmes méthodologiques très sérieux.

On pourrait dire qu’il n’est pas bon de froncer les sourcils lorsqu’un journaliste écrit un livre d’histoire. En fait, certains journalistes ont étudié, écrit et analysé des questions historiques de manière très professionnelle, ouvrant de nouvelles perspectives de réflexion. Dans le cas de l’affaire Moro, cependant, cela s’est produit très rarement.

Un peuple d’historiens et de sélectionneurs

Chaque amateur de football s’est senti au moins une fois dans sa vie dans la peau d’un sélectionneur de l’équipe nationale. Tout un chacun a fait sa propre sélection, a critiqué les choix, les convocations et les changements, s’est dit que s’il avait été sur le banc de touche, le match se serait terminé différemment.

Dommage que personne n’ait jamais été appelé par la Fédération de foot pour entraîner l’équipe nationale. Pour entraîner, il faut une licence, il faut suivre des cours à Coverciano, etc. En un mot, il faut être un professionnel qui connaît le langage du terrain et qui a des dizaines d’années d’expérience. On ne s’improvise pas et surtout personne n’embauche des experts autoproclamés

Lorsqu’on discute d’histoire au comptoir (ou sur les médias sociaux), il est facile de perdre. Tout ce qui est dit est réfuté par des références vagues et des phrases hypothétiques par ceux qui argumentent non pas pour mieux comprendre, mais pour imposer leur thèse. Les arguments, même les plus précis, ne sont pas pris en considération. Au contraire, ils ne les écoutent pas du tout. C’est ainsi.

En ce qui concerne les sources (archives, bibliographies, essais, etc.), l’interlocuteur propose quelques articles de journaux ou, dans le meilleur des cas, un livre (même s’il est rempli d’absurdités, au moins, c’est un livre). Il connaît des détails dont il n’a jamais entendu parler, mais il est incapable de tenir un discours d’envergure sur, par exemple, la politique étrangère britannique au XIXe siècle, les relations entre l’Italie et l’Allemagne entre les deux guerres, la Shoah, le nationalisme, etc.

L’usage politique des mystères

Il en va de même pour l’affaire Moro. La production d’essais est pleine d’auteurs improvisés. Ils ont lu quelque chose, deviné une piste, trouvé quelques références (sans compter les mille autres) et se sont mis à écrire que les choses ne se sont pas passées comme elles le semblaient parce qu’il y avait ceci et cela et puis la CIA ou la ‘Ndrangheta, le KGB ou la P2 et Dieu sait qui d’autre.

Chaque fois que l’on a pris ces notes au sérieux et que l’on a cherché des preuves documentaires, on a fini par en démontrer l’imprécision. Lesquelles, d’ailleurs, reviennent même des années plus tard, de sorte que, les lecteurs ayant oublié (à juste titre) qu’une ou deux décennies plus tôt la question avait déjà été débattue, les chercheurs sont contraints de recommencer un jeu de l’oie sans fin où ils se retrouvent toujours à la case départ.

L’histoire ne fait aucun pas en avant et la chronique l’emporte toujours, disséquant un jour clé des 55 jours en heures, minutes et secondes, recherchant quel agent de la sécurité publique est arrivé plus tôt et lequel plus tard, qui était là et sinon comment l’a-t-il su, etc. etc. L’histoire est frappée au cœur par la chronique des faits divers et les chercheurs sont dépassés et marginalisés par les conjectures et l’usage politique des mystères.

Le caractère envahissant de la chronique des faits divers

Restent inévitablement les grandes questions de l’affaire Moro qui sont, en ordre épars, le rôle de l’Etat italien et sa préparation ou son impréparation, le rôle des partis, la stratégie des BR et la congruence de l’enlèvement de Moro avec l’histoire passée de l’organisation, la concomitance avec le procès de Turin, les réactions internationales, le rôle du Vatican, les réactions du mouvement, celles du monde ouvrier, les options pour le développement de l’affaire, les espaces de négociation, les conséquences politiques de l’enlèvement (voir le vote de confiance au quatrième gouvernement Andreotti, dont, jusqu’à la veille, le parti communiste ne voulait pas dans cette formation) et celles de l’assassinat de l’otage.

Il y aurait ensuite les procès, l’histoire des commissions d’enquête, l’association des victimes du terrorisme, la loi sur les repentis, la prison spéciale, la torture et quelques autres choses. Une histoire complexe, mais pas un puzzle, qui a un début, un développement et une fin.

Historiquement, ces 55 jours ont cessé d’avoir des conséquences politiques après les élections de 1979, lorsque le PCI est sorti vaincu des urnes après avoir été dans la majorité gouvernementale pendant un an et huit jours. Cela a ouvert la dernière saison de la première république qui a duré dix ans, avec des gouvernements dirigés par des laïcs pour la première fois depuis 1948 et le préambule de Carlo Donat-Cattin.

En 1989, avec la chute du mur de Berlin, tout change à nouveau et, historiquement, l’affaire Moro n’a plus rien à dire. L’opération Mains propres a encore bouleversé le tableau et Silvio Berlusconi a mis une pierre tombale sur le passé. L’affaire Moro a continué à compter pour les différents protagonistes et leurs consciences, mais il convient de ne pas s’attarder sur ce volet.

Quarante-six ans plus tard, la résurgence continuelle de mystères ramène à la une de l’actualité un événement historiquement clos depuis des décennies, empêchant la consolidation d’une discussion historiographique sur son importance. Ce qui, à terme, risque de transformer en farce l’une des plus grandes tragédies de notre histoire.

Marco Clementi (1965) est un historien italien de mère ukrainienne originaire du Donbass, formé à Rome et à Saint-Petersbourg, et traducteur du russe. Professeur à l’Université de la Calabre à Cosenza, il est entre autres co-auteur, avec Paolo Persichetti et Elisa Santalena de Storia delle Brigate Rosse. Vol. 1. Dalle fabbriche alla campagna di primavera, Roma, DeriveApprodi, 2017

NdT
Les réactions diétrologiques ont commencé dans les heures qui ont suivi l’enlèvement. Voir par exemple l’article de Robert Solé dans Le Monde du 18/3/1978, intitulé
Des brigades d'un rouge suspect : « Manipulés ! Et par qui ? […] Les Brigades rouges espèrent-elles provoquer des réactions en chaîne pour installer un pouvoir fort à Rome et ensuite le combattre par un soulèvement populaire ? Rien de cela n'est arrivé jusqu'à présent : la classe politique garde son sang-froid, et chaque fois qu'un corps est criblé de balles, les terroristes se coupent un peu plus de la population.

Beaucoup d'hommes politiques en concluent que ces Brigades d'un rouge suspect sont, à la fois, soutenues et manipulées. Ils ajoutent : par des services secrets étrangers. Que les plus hauts responsables de l'État y fassent allusion eux-mêmes est significatif. Officiellement, nul ne va plus loin. Mais, dans les conversations, outre l'inévitable C.I.A., on cite volontiers tel ou tel pays de l'Est, notamment la Tchécoslovaquie, en affirmant qu'une entreprise de " déstabilisation " est en cours, en Italie comme dans le reste de l'Europe occidentale. Reste à le prouver. Une chose est sûre : des centaines d'agents étrangers opèrent sur le territoire italien - et d'autant plus facilement que les services locaux du contre-espionnage sont en pleine réorganisation. »

Ci-dessous une petite histoire de la diétrologie.
« L’approche complotiste, “rétrologique” ou “ diétrologique” (italianisme forgé sur dietro qui signifie “ derrière”), consiste à expliquer les phénomènes de violence par le pouvoir occulte d’individus tirant les ficelles.  (Marc Lazar & Marie-Anne Matard-Bonucci, L’Italie des années de plomb, Paris, Autrement)

Quand le complotisme s’appelait diétrologie

Antonio Sgobba, il post, 8/2/2024

Dans l’Italie du siècle dernier, le complotisme s’appelait diétrologie. On peut se faire une idée de l’histoire de l’utilisation des deux termes grâce à Google Ngram Viewer, le service de Google qui mesure les occurrences de mots dans les livres publiés dans une langue donnée (le corpus de données est basé sur les livres numérisés jusqu’en 2019).

Le moment du dépassement est clairement identifié : 2015, année des campagnes électorales du Brexit et de Donald Trump. C’est à ce moment qu’après quarante ans de domination de la diétrologie, le conspirationnisme prend le devant de la scène. Le graphique montre le déclin manifeste, au cours de la dernière décennie, d’un mot qui pourrait sembler aujourd’hui une relique du XXe siècle.


J'y vois que dalle : j'ai besoin d'un diétrologue

 

Pourtant, le terme, avec sa patine vintage, survit encore aujourd’hui, même s’il est rarement utilisé. Il revient périodiquement à l’occasion des dernières spéculations sur l’affaire Moro, ou dans des contextes plus originaux : « Toutes les diétrologies sont ridicules », a déclaré Pier Silvio Berlusconi après l’affaire Giambruno. Toutes ? Il vaut la peine d’essayer de répondre à cette question depuis le début de cette histoire, c’est-à-dire depuis 1974, l’année où quelqu’un a écrit pour la première fois le mot “diétrologie” : l’année des massacres de Piazza della Loggia à Brescia et du train Italicus à San Benedetto Val di Sambro, dans la province de Bologne.

C’est le journaliste Luca Goldoni qui a inventé le néologisme : on le trouve pour la première fois dans un article de la troisième page du Corriere della Sera, publié le 10 avril 1974 (repris plus tard dans le livre È successo qualcosa ? Storie e preistorie di un anno). Goldoni se moque de la tendance, qui semble s’être accentuée précisément à cette époque, selon laquelle les Italiens en sont venus à se demander, pour chaque circonstance, « qu’est-ce qu’il y a derrière ». L’écrivain, quant à lui, se demande « si tout ce qui se passe aujourd’hui en Italie n’a pas fini par être derrière et s’il n’y a rien devant » (c’est moi qui souligne). Le terme n’a pas eu un succès immédiat, il a disparu pendant un certain temps.

Il est remonté à la surface quatre ans plus tard, le 8 octobre 1978, quelques mois après la mort d’Aldo Moro. Dans les pages de Il Giornale, le député libéral Egidio Sterpa – repubblichino [fasciste de la République de Salò] dans sa jeunesse, berlusconien dans la dernière phase de sa vie - commente la découverte, huit jours plus tôt à Milan, de caches des Brigades rouges dans lesquelles ont été trouvés des documents relatifs à l’enlèvement de Moro. L’article s’intitule La dietrologia. Sterpa écrit :

« La “diétrologie” nationale continue de faire rage. (Diétrologie - nous précisons pour le lecteur qu’il s’agit de la manie de toujours vouloir voir à tout prix derrière un fait, une intrigue, une manœuvre, bref, des faits inavouables). Or, le coup dur porté par les carabiniers à l’organisation des Brigades Rouges avec la découverte des planques de Milan, la saisie de documents importants et la capture de neuf terroristes, est aussi quelque chose qu’il faut utiliser à tout prix pour percer les secrets et les mystères du “Palais”. C’est ainsi qu’une polémique s’est déclenchée, en partie de mauvaise foi, en partie instrumentale, seulement dans de rares cas inspirée par le besoin de clarté... On parle d’“omissions” concernant le dossier sur l’affaire Moro trouvé dans la cachette de Milan. On va jusqu’à dire que le matériel trouvé a peut-être déjà été manipulé (...) Une émeute de rumeurs inquiétantes inonde à nouveau la vie politique italienne (...) Y a-t-il vraiment un secret d’État derrière cette affaire des “archives” des Brigades Rouges (...) On se demande alors quel est le sens de toute cette “diétrologie” ».

Le linguiste Ghino Ghinassi, auteur d’une des études les plus précises sur l’histoire du mot, a observé que « l’un des foyers de diffusion les plus importants et les plus vivants a probablement été l’environnement du Giornale ». Indro Montanelli lui-même a été l’un des principaux diffuseurs de l’expression : il l’a adoptée presque immédiatement et ne l’a plus jamais abandonnée. Deux exemples : le 12 mai 1984, à propos du rapport de la première Commission Moro, Montanelli accuse Leonardo Sciascia (Sciascia !) d’ « enorttillages diétrologiques ». Ou encore, la même année, le 18 décembre, il écrit : « Ce journal n’a jamais pris au sérieux les coups d’État dont, pendant des années, la presse à sensation et diétrologique a agité et continue de temps à autre à agiter le fantôme » - et il convient peut-être de noter ici que Montanelli lui-même, au début des années 1950, avait œuvré pour que les USA organisent un coup d’État en Italie en cas de victoire électorale des communistes.

Le graphique de Ngram montre également que l’histoire de la diétrologie est inévitablement liée à l’histoire de l’affaire Moro. Le pic d’utilisation de l’expression s’est produit en 1991, c’est-à-dire peu après le 9 octobre 1990, jour où, Via Monte Nevoso à Milan, le maçon Giovanni Bernardo, en démolissant un meuble en bois sous l’appui d’une fenêtre dans un appartement qui avait été un repaire des Brigades rouges, a découvert une cavité derrière un panneau de plâtre. Qu’y avait-il derrière ? Un sac contenant, entre autres, une chemise brune scellée avec du ruban adhésif, à l’intérieur de laquelle se trouvaient quatre cent dix-neuf pages photocopiées d’un tapuscrit : le mémorial d’Aldo Moro. Ce document montre que les soupçons d’omissions et de manipulations jugés insensés douze ans plus tôt étaient fondés.

Quelques jours plus tard, le 17 octobre, le Premier ministre Giulio Andreotti révélait qu’une structure militaire secrète liée aux services secrets usaméricains opérait en Italie depuis 1956, avec des fonctions anticommunistes explicites ; elle était connue sous le nom d’“opération Gladio”. L’historien Carlo Ginzburg commente ces faits dans son livre Le juge et l’historien (1991) : « En Italie, le terme “conspiration” est utilisé depuis une dizaine d’années dans des contextes essentiellement négatifs : on parle presque toujours de conspirations pour affirmer qu’elles n’existent pas, ou qu’elles n’existent que dans l’imagination débridée des “diétrologues” (terme de création plus récente, aux connotations encore plus clairement négatives). Il ne fait aucun doute qu’un grand nombre d’inepties ont été écrites, toujours et partout, sur les conspirations et les “diétrologues”, parfois avec des conséquences fatales. Pourtant, on ne peut nier que les complots existent ».

En fait, les premiers pas de la diétrologie semblent montrer un schéma : dès le début, l’étiquette est utilisée pour dénigrer ceux qui avancent des doutes, même si parfois, avec le temps, ces doutes se révèlent fondés. Les néo-fascistes sont derrière les massacres de Piazza della Loggia et de l’Italicus, les services secrets sont derrière les fuites des documents de l’affaire Moro, les putschistes en puissance sont derrière certains cercles ultra-conservateurs. Bref, il arrive que derrière certains faits se cachent réellement des intrigues, des manœuvres, d’autres faits inavouables. Ce n’est pas une “manie”, comme l’a dit Sterpa, c’est l’histoire de l’Italie.


Je me pose la question : ya qui derrière la nature ?

Le schéma ne change guère même avec “complotisme”, qui est une création encore plus récente, bien que l’on parle de “complot” en Italie depuis au moins 1679 (Dictionnaire De Mauro). Le mot “complotto” vient du français “complot” et était au départ simplement synonyme de “foule”, puis a été utilisé à la place de “conjuration” ou de “conspiration”, s’est répandu dans les années 1920 à travers l’expression “complot juif” et s’est répandu à l’époque de la guerre froide, comme l’a reconstitué Gianluca Lauta pour la revue Treccani.

Pour le mot “complotisme”, en revanche, il n’y a pas d’occurrences avant les années 1980, assurent les historiens de la langue italienne (j’ai consulté Lauta lui-même et Michele Cortelazzo, l’un des auteurs du Nuovo Dizionario Etimologico della Lingua Italiana Zanichelli). L’une des premières attestations remonte à 1982, dans une correspondance de Londres signée Mario Ciriello et publiée par La Stampa le 14 juillet, à propos d’un autre grand mystère de l’histoire italienne : la mort du banquier Roberto Calvi, survenue moins d’un mois auparavant : « Loin de s'affaiblir, la théorie du suicide semble s'être renforcée : nombreux sont ceux qui affirment que “les diétrologues et les  complotistes italiens  ont tenu l'assassinat de Calvi pour acquis dès le début”. Cela a créé une atmosphère qui a permis même à des voix autorisées de lancer les suppositions les plus extraordinaires ». Le journaliste utilise "diétrologie" et "complotisme" comme synonymes. Le schéma est le même : les diétrologues et les complotistes sont accusés de soutenir une thèse invraisemblable, même si, avec le temps, cette hypothèse conspirationniste trouvera une confirmation : Calvi a été assassiné, on ne sait pas par qui. Autre détail : la diétrologie et le complotisme sont présentées comme typiquement italiennes.

En effet, pendant longtemps, la diétrologie n’a semblé être qu’une spécialité locale : pendant des années, le discours politique italien à l’étranger est apparu obscur et impénétrable, notamment en raison de l’utilisation sans discernement du terme. « Il s’agit d’un mot intraduisible, inconnu dans toute autre langue, mais qui fait partie intégrante des idées reçues en Italie. Il est intraduisible parce qu’il manque, dans d’autres cultures, la conviction que la conduite politique est, toujours et partout, une affaire d’arrière-boutique, une conviction qui conduit à penser qu’en politique, ce qui est vu, ce qui est lu, ce qui est entendu n’est pas, ne peut pas être, la vérité, mais que derrière, en dessous, au-dessus, à côté, au-delà - en tout cas à un troisième niveau, voilé aux yeux de l’homme de la rue, se trouve la vraie vérité », écrivait en 2001 l’historien de la littérature italienne Joseph Farrell dans son essai La pietà, la carità e il sequestro Moro (in L’uomo solo. L’Affaire Moro de Leonardo Sciascia, édité par Valter Vecellio).

Ces dernières années, l’histoire s’est chargée de combler ce fossé. Le monde s’est peuplé d’êtres humains convaincus que la politique cache la vérité au commun des mortels, mais que l’on n’appelle plus des diétrologues mais des complotistes. Parfois, ils obtiennent même la majorité aux élections, mais l’étiquette est toujours utilisée de la même manière : le plus souvent avec une intention dérisoire ou dénigrante. Pourtant, au moins pour nous Italiens, l’histoire aurait dû nous apprendre qu’il peut être utile, dans certains cas, de les prendre au sérieux.

C’est aussi pourquoi il est utile de distinguer, comme le propose Wu Ming 1, les hypothèses de complot (spécifiques, réfutables, limitées dans le temps) et les fantasmes de complot (universels, irréfutables, éternels). Lorsqu’ils sont réels, les complots et les fantasmes conspirationnistes sont l’expression des difficultés du pouvoir politique à faire passer les aspirations et les tensions par les voies normales de la démocratie représentative.

« Le complot n’est qu’un cas extrême, presque caricatural, d’un phénomène beaucoup plus complexe : la tentative de transformer (ou de manipuler) la société », écrit encore Carlo Ginzburg dans Les batailles nocturnes (1989, fr. 2019). Et l’on sait que la fabrication et la découverte des complots sont déléguées à des institutions particulières : les services secrets. L’histoire de l’Italie est marquée depuis plus de vingt ans par des massacres, des tromperies, des dossiers et des chantages : « Un historien qui essaierait de déchiffrer cette affaire en renonçant préventivement à toute attitude “diétrologique” n’irait guère plus loin - si l’on entend par “diétrologie” une sobre défiance envers l’interprétation qui ne se contente pas de rester à la surface des événements et des textes », ajoutait Carlo Ginzburg en 1991.

Une historienne qui emprunte cette voie est, par exemple, Benedetta Tobagi qui, dans son essai Segreti e lacune. Le stragi tra servizi segreti, magistratura e governo (Secrets et lacunes. Les massacres entre les services secrets, la magistrature et le gouvernement), note qu’ « en raison d’usages et d’abus dans les médias et dans la publicité, des termes comme "occulte" ou "indicible" ont mauvaise presse. Il serait nécessaire de les récupérer et de les utiliser de manière circonstancielle, en clarifiant leur signification et leurs implications. En effet, en relation avec la politique et le pouvoir, ils ne sont pas simplement des expressions suggestives, mais renvoient à des concepts et à des questions spécifiques, qui sont souvent négligés ou traités avec méfiance dans la sphère historiographique, où ils sont facilement marqués de la lettre écarlate de "diétrologie" ou de "complotisme" ».

Par exemple, Tobagi rappelle que le magistrat qui avait enquêté le plus longtemps sur la P2 nous invitait à considérer le pouvoir occulte « non pas comme une reconstruction diétrologique d’un mystérieux centre de décision, mais comme la mise en place de facto d’une nouvelle dislocation des pouvoirs réels ». Bref, plutôt que de rire des diétrologues et des complotistes, il faut les étudier : « La capacité de reconstruire et d’analyser les actions et les récits du pouvoir politique et économique avec esprit critique, méthode et sérieux reste le meilleur antidote à la diffusion de la paranoïa conspirationniste », écrivait Tobagi. La prise de conscience de la dimension occulte et indicible du pouvoir sert précisément à contrer la prolifération incontrôlée des fantasmes conspirationnistes.

En effet, ces derniers ne circulent pas par hasard. Récemment, le philosophe espagnol Daniel Innerarity, dans son ouvrage La società dell’ignoranza. Sapere e potere nell’epoca dell’incertezza, a observé que c’est précisément lorsque la bataille politique se joue sur le terrain de la connaissance qu’émerge un « refus excentrique de la connaissance ». Une attitude qui s’exprime aujourd’hui sous la forme de la désinformation, du négationnisme ou encore des théories du complot. Des phénomènes typiques d’une société comme la nôtre, dans laquelle la connaissance est à la fois la source principale de l’innovation technologique et de la croissance économique et la ressource première de la politique. Phénomènes propres à une société opaque, dans laquelle certaines informations décisives ne sont accessibles qu’à un petit nombre, et où des institutions telles que les services secrets jouent un rôle déterminant.

Lorsque quelqu’un prend trop de pouvoir, on peut s’attendre à ce que quelqu’un d’autre résiste. C’est également la raison pour laquelle les théories du complot et les soi-disant « vérités alternatives » deviennent particulièrement virulentes. Il en va ainsi lorsque l’asymétrie entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas devient plus forte. En d’autres termes, les fantasmes de complot prolifèrent lorsqu’un déséquilibre de pouvoir coïncide avec un déséquilibre de connaissance. Et c’est peut-être là la réponse à ceux qui se demandent ce qui se cachait et se cache derrière la diétrologie.

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Antonio Sgobba (1983), journaliste, a été responsable des pages culturelles de IL, le magazine mensuel du journal Il Sole 24 Ore, et a collaboré avec La Lettura du Corriere della Sera, Wired, Pagina 99 et d’autres journaux. Depuis 2016, il travaille à la RAI de Milan et est l’un des présentateurs de TGR Petrarca - Le parole della cultura sur RAI 3. En 2017, il a publié Il paradosso dell’ignoranza da Socrate a Google (Le paradoxe de l’ignorance de Socrate à Google) et en 2020 La società della fiducia (La société de la confiance) chez Il Saggiatore. Son livre le plus récent s’intitule Sei scettico? Una filosofia antica per i tempi moderni (Tu es sceptique ? Une philosophie ancienne pour les temps modernes (Einaudi, 2023).

 

13/06/2023

PAOLO PERSICHETTI
Berlusconi, le 68 patronal et l’hédonisme de possédants

 Paolo Persichetti, l’Unità /Insorgenze, 13/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Qu’est-ce qu’a été le berlusconisme ? Comment a-t-il réussi à imposer son hégémonie ?

Repas de Noël à la Villa San Martino, le manoir du Cavaliere à Arcore, 2011

Depuis son entrée directe en politique en 1994, le dispositif de Berlusconi a agi comme une grande machine de diversion, un puissant aimant capable de capter des passions opposées. Une sorte de sortilège qui a permis au maître de la télévision commerciale de se placer immédiatement au centre de la scène, de perturber les alignements, de rebattre les cartes, de mettre sens dessus-dessous  la table de jeu. C’est peut-être en reconnaissant cette irrésistible capacité d’illusionnisme que l’on peut aussi réussir à expliquer l’essence contradictoire, cette combinaison de contraires qu’est l’antiberlusconisme.

C’est la seule façon de comprendre pourquoi des figures historiques de droite comme Indro Montanelli ou des populistes de droite comme Antonio Di Pietro sont devenus les champions du peuple de gauche, ou pourquoi un dandy réactionnaire comme Marco Travaglio a pu inspirer d’abord les courants justicialistes de gauche, des Girotondi (Chaînes humaines, 2002) au Peuple violet (2009-2013), puis au Mouvement 5 étoiles.

Berlusconi a certainement été en mesure d’intercepter et d’interpréter à sa manière ce nouvel esprit du capitalisme décrit par Luc Boltanski et Ève Chiappello dans un volume publié par Gallimard en 2000 et qui n’est arrivé en Italie qu’en 2014 avec Mimesis (Il nuovo spirito del capitalismo). Version italienne de cette nouvelle éthique de la valorisation du capital qui, selon les deux sociologues, après la phase puritaine originelle et l’ère de la planification et de la rationalité fordiste qui a suivi, a trouvé une nouvelle source d’inspiration et de légitimité dans une partie de la critique du mode de production capitaliste lors de la contestation des années 1970. La critique du taylorisme fordiste, de l’aliénation en série du travail, des relations sociales rigides et hiérarchiques, de la société du spectacle, a été absorbée et métabolisée au point de faire de la créativité et de la flexibilité les traits saillants du nouveau système de l’économie de flux, de la valeur ajoutée, du travail immatériel incarné dans le produit fini. L’inventivité, le plaisir et la folie - toujours selon l’analyse de Boltanski et Chiappello - sont devenus des ingrédients du succès capitaliste bien plus que les valeurs constipées du travail, de la prière et de l’épargne qui ont inspiré l’aube du capitalisme, mais aussi le calvinisme de la valeur-travail dont était imprégné le togliattisme [Palmiro Togliatti, 1893-1963, secrétaire général à vie du Parti communiste italien, NdT].

Si l’imagination n’a jamais accédé au pouvoir, elle a certainement trouvé sa place sur la Market Place., démontrant la capacité dynamique et innovante de l’“entreprenariat déviant”, selon une catégorie forgée par la sociologie criminelle. L’ambivalence du comportement de Berlusconi, à l’intérieur et à l’extérieur de l’ordre établi, a permis de mener des expériences, voire d’explorer des possibilités illégitimes. Une ressource nécessaire pour que l’initiative économique innovante puisse avoir lieu. De cette manière, l’homme d’Arcore a conservé « une légèreté distincte qui a permis à ses entreprises, d’une manière wébérienne, de s’élever au-dessus du bien et du mal », comme l’a écrit Vincenzo Ruggiero dans Crimes de l’imagination. Déviance et littérature, il Saggiatore, Milan 2005.

Le patron de la publicité avec ses télévisions a été le visage italien de cette révolution du capital. Par sa capacité à produire de l’idéologie, il a aussi su synthétiser des intérêts et des pulsions sociales différents, mais unis par une rapacité individualiste hypertrophiée. Vendeur de rêves et d’illusions, dealer de marques, vendeur d’un monde réduit à la domination du logo et de ses imitations. Une fois devenu système-monde, et une fois ocupée la société, il ne manquait à Berlusconi que la politique. Pas de la vraie politique. Il en a toujours fait, comme il s’en est vanté un jour dans une interview. Son réseau d’affaires n’était rien d’autre qu’un parti de type léniniste. Le seul qui reste. Le parti des professionnels de la publicité. Une structure de cadres sélectionnés, enracinés dans le territoire et les districts économiques, avec des relations et des alliances étendues avec les entreprises, les organisations commerciales et les entrepreneurs légaux et illégaux. Un véritable modèle d’organisation bolchevique de la bourgeoisie. Et en effet, à la fin de 1993, en quelques mois, il a réussi à en faire l’épine dorsale de Forza Italia pour lancer l’attaque contre la citadelle de la politique institutionnelle, contre les occupants de la machine d’État. Grâce à une activité de lobbying scientifique et aux protections obtenues de secteurs influents de la politique, plutôt qu’à la capacité de s’imposer sur le marché, il a pu construire sa position dominante dans les années 1980 dans le secteur de la télévision commerciale et de la vente de publicité.

Mais c’est l’effondrement du système politique des partis provoqué par les enquêtes judiciaires [opération Mains propres, NdT] qui a ouvert la voie à son entrée directe dans le monde des palais romains. Alors que des formes opposées de populisme s’affrontaient sur les cendres de la Première République, Berlusconi a réussi à bouleverser la scène politique du pays en déracinant la tradition des partis de masse déjà en crise et en imposant son propre modèle même à ses adversaires. Capable de mélanger des éléments élitistes et plébiscitaires, pré-modernes et hyper-modernes, celui de Berlusconi apparaît comme un modèle de populisme où s’intègrent l’ancien et le nouveau. Soutenu par le retour à l’affirmation d’un leadership charismatique et providentiel, dans lequel le pouvoir patrimonial remplace l’ancienne légitimité paternaliste-patriarcale, le paradigme berlusconien s’accompagne de l’éloge d’un entrepreneuriat généralisé au sein duquel même des formes archaïques et bestiales de taylorisme peuvent coexister. Le rêve et la tromperie de millions de petites entreprises, une nouvelle configuration de la relation de travail qui cache derrière le mythe de l’entrepreneuriat individuel les hiérarchies d’un nouveau modèle d’exploitation. L’illusion d’un accès facile à la classe moyenne et d’un enrichissement personnel modelé sur les valeurs propagées par la télévision commerciale, y compris les ragots, les nouvelles criminelles, les show-girls et les émissions de téléréalité.

Une exaltation rhétorique et rêveuse de l’affirmation individuelle, de la propriété (d’autant plus quand celle-ci est insignifiante et se réduit à une maison ou une voiture achetée en contractant des emprunts bancaires sur plusieurs décennies ou à la conversion de ses économies en obligations et en parts de titres financiers). Une idéologie qui parvient à jongler, avec un admirable tour de passe-passe, entre des thèmes liés à la redécouverte de valeurs morales, comme la patrie, la famille et la prétendue éthique de la vie (hostilité à l’avortement et à l’utilisation des cellules souches), et une sorte d’“hédonisme de possédant” débridé, de “68 des patrons”" (les partouzes bunga bunga).

 « Maladroitement rusé, astucieusement naïf, balourdise sublime, superstition calculée, farce poétique, anachronisme génialement stupide, bouffonnerie de l’histoire mondiale, hiéroglyphes inexplicables », l’apparent manque de substance du personnage Berlusconi s’est en fait révélée être l’une de ses forces : « C’est précisément parce qu’il n’était rien qu’il pouvait tout signifier », comme l’écrivait Marx à propos d’un autre “homme providentiel” » (Louis-Napoléon Bonaparte), et être ainsi réinventé par chaque classe sociale ou chaque individu à son image et ressemblance. Comment cela a-t-il été possible ?

Lorsque la société des travailleurs et des citoyens volontaires est mise hors jeu, a répondu Mario Tronti, « la politique devient le monopole des magistrats, des grands communicateurs, de la finance, des lobbies, des salons. Elle cesse d’être le lieu où les projets de société s’affrontent et se confrontent pour devenir le lieu de l’indifférence, un espace indistinct où l’apparence prime sur le contenu, où l’esthétique s’impose sur la substance ». C’est pourquoi l’antiberlusconisme justicialiste s’est non seulement révélé inefficace, mais il s’est même avéré nuisible en ne se répercutant que comme un reflet subordonné de son ennemi juré, ouvrant la voie au gouvernement de la droite fasciste.

 

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