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30/10/2022

GIDEON LEVY
Nous nous déguisons tous en démocrates
Tout vote pour un parti sioniste est un vote pour la poursuite d'une tyrannie

Gideon Levy, Haaretz, 30/10/2022Fausto Giudice, Tlaxcala

« Riez, riez de tous mes rêves », a écrit le poète Saül Tchernikhovsky. Les élections de mardi en Israël ne sont pas des élections générales, et ne sont donc pas démocratiques. L'Afrique du Sud de l'apartheid avait exactement la même supercherie : le régime était défini comme une démocratie parlementaire, puis comme une démocratie présidentielle. Des élections étaient organisées dans le respect de la loi, le Parti national et le Parti afrikaner formant une coalition. Une seule chose séparait l'Afrique du Sud de la démocratie : les élections étaient destinées uniquement aux Blancs.

« Riez, riez de tous mes rêves. » En Israël aussi, seuls les Blancs - ou l'équivalent israélien - participeront aux élections. Israël règne actuellement sur 15 millions de personnes, mais 5 millions d'entre elles sont empêchées de participer au processus démocratique qui choisit le gouvernement qui dirige leur vie. La mascarade dans laquelle Israël joue à la démocratie devrait enfin prendre fin par un démasquage. Ce n'est pas une démocratie.

Un régime dans lequel les élections ne sont organisées que pour les Blancs, à savoir les Juifs, ou pour ceux qui ont une citoyenneté qui n'est pas accordée à tous les sujets, y compris les autochtones vivant sous le régime permanent qui s'applique à leur terre, n'est pas une démocratie.

Lorsqu'une occupation cesse d'être temporaire, elle définit le régime de l'ensemble du pays. La démocratie partielle, ça n »existe pas. Même s'il y a une démocratie de Dan à Eilat, le fait qu'entre Jénine et Rafah il y ait une tyrannie militaire entache le régime de tout le pays. C'est incroyable de voir comment, pendant des décennies, les Israéliens se sont sciemment menti à eux-mêmes, tout comme les Blancs dans les partis des Afrikaners.

Qaddum et Kedumim, deux villages adjacents, existent côte à côte. Qaddum existe depuis le deuxième siècle de l'ère chrétienne et compte actuellement une population de 3 000 habitants. Kedumim existe depuis moins de 50 ans et compte aujourd'hui 4 500 habitants. Quelques centaines de mètres seulement séparent les deux communautés. Le village juif a été construit sur les terres du village palestinien, étouffant le village lorsque la route de sortie de Qaddum a été bloquée par Kedumim.

Mardi, seuls les habitants de Kedumim iront voter. Les habitants de Qaddum resteront chez eux. Comme si cela ne suffisait pas, ils seront soumis à un ordre de confinement, afin d'assurer la sécurité de la démocratie. Le sort des résidents de Qaddum sera affecté par les résultats de l'élection bien plus que celui de leurs voisins de Kedumim. Aucun gouvernement n'osera nuire à Kedumim. Tout gouvernement continuera à nuire à Qaddum et à tourmenter ses résidents. Mais Qaddum n'a pas de voix, pas de droit de vote, pas de liberté de choisir ou de droit d'exercer une influence.

Une élection dans laquelle une seule communauté peut voter, alors que sa voisine plus ancienne et indigène est interdite de participation, est antidémocratique. Comment les Israéliens peuvent-ils se tromper eux-mêmes si effrontément ? Comment peut-on dire que ce n'est pas à cela que ressemble l'apartheid ? Au nom de quelle valeur les résidents de Kedumim ont-ils le droit de vote, alors que ce droit est refusé aux résidents de Qaddum ? Les Juifs de Kedumim sont-ils supérieurs aux Palestiniens de Qaddum ? Après tout, ils partagent la même terre et vivent sous le même gouvernement. Mais la propagande sioniste a toujours une réponse appropriée à tout mal perpétré en son nom.

Participer à une élection dans un régime d'apartheid est problématique, presque impossible. Néanmoins, nous allons tous nous déguiser en démocrates mardi et aller voter. Aucune personne de conscience ne peut voter pour quiconque soutient la poursuite du régime actuel, dans lequel une partie de la population de ce pays vit sous une tyrannie militaire. Aucun vrai démocrate ne peut voter pour un parti qui a gravé sur sa bannière la continuation de la suprématie juive, ce qu'implique le sionisme. Tous les partis juifs, du Otzma Yehudit au Meretz, soutiennent la continuation d'un État juif, qui ose s'appeler démocratie, dans une réalité binationale. C'est pourquoi ils ne peuvent être pris en considération par quiconque prend une décision en toute conscience.

Il n'est pas facile de le dire, il est difficile de l'écrire, mais tout vote pour un parti sioniste est un vote pour la poursuite d'une tyrannie se faisant passer pour une démocratie.

23/10/2022

GIDEON LEVY
Tout à coup, tout le monde a peur pour la démocratie israélienne

Gideon Levy, Haaretz, 23/10/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Une vague de sursaut démocratique a frappé Israël avant les élections : tout le monde a peur pour la démocratie.

Le danger ne guette que sur la droite, bien sûr. Le centre-gauche est agité et perturbé. Le pathos fait des heures sup, tout comme les exagérations dramatiques. Nehemia Shtrasler met en garde contre l'assassinat de la démocratie (Haaretz, 21 octobre) ; l'ancien chef du service de sécurité Shin Bet, Yuval Diskin, met en garde contre la guerre civile. Le journaliste Ben Caspit s'écrie : « Un cheveu sépare l'Israël libéral et démocratique d'un gouvernement de Ben-Gvir/Smotrich ». Certaines personnes parlent déjà de quitter le pays après les élections. Soudain, tout le monde craint pour la démocratie.

Des Palestiniens regardent un caterpillar israélien démolir une maison palestinienne à Masafer Yatta, le 25 juillet 2022.Photo : MUSSA ISSA QAWASMA / REUTERS

Soudain, tout le monde craint pour la démocratie dans un pays dont environ la moitié des sujets vivent sous une tyrannie militaire qui compte parmi les plus cruelles du monde. Soudain, tout le monde s'inquiète de l'avenir du système judiciaire, dans un pays où ce système légitime presque tous les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité et défie ouvertement le droit international. Tout à coup, tout le monde s'inquiète de la possibilité de dépénaliser le délit de fraude et d'abus de confiance, dans un pays où le crime de meurtre a été presque entièrement éliminé lorsque le meurtrier est un soldat ou un colon et que la victime est palestinienne. Tout à coup, tout le monde est horrifié par l'extrémisme religieux, dans le pays le plus coercitif sur le plan religieux du monde occidental actuel. Et les gens sont choqués par la possibilité que le procès de Benjamin Netanyahou puisse être annulé, dans un pays où Avigdor Lieberman n'a même pas été jugé, alors que les soupçons qui pesaient sur lui étaient plus graves que ceux qui pesaient sur Netanyahou.

La plupart des personnes qui poussent des cris étaient silencieuses jusqu'à présent. Elles étaient silencieuses face aux crimes de l'occupation et à la menace que ces crimes font peser sur la démocratie. Elles étaient silencieuses face à la légitimation honteuse des crimes par la Cour suprême et les tribunaux militaires, comme si le fait d'être impliqué dans les événements dans les territoires  occupés depuis 1967ne faisait pas partie du système judiciaire en Israël. Elles sont restées silencieuses lorsque les meurtriers et autres criminels n'ont pas été traduits en justice ni même interrogés ; et elles sont restées silencieuses face à l'entreprise de colonisation, la racine du régime d'apartheid israélien - et le plus grand danger pour la démocratie dont les gens s'inquiètent tant aujourd'hui. La plupart d'entre eux sont trop lâches pour appeler ce régime pour ce qu'il est, un État d'apartheid, de peur que cela ne leur porte préjudice, mais ils se battent courageusement pour préserver la loi contre la corruption ; pour eux, supprimer cette loi du code pénal est plus dangereux que toutes les lois d'apartheid réunies.

Démocrates acharnés et déterminés, ils s'éveillent maintenant à la lutte sur le régime. Cela ne se produit que lorsque Netanyahou menace de revenir au pouvoir et qu’Itamar Ben-Gvir est son partenaire. Cela ne se produit que lorsque le feu du danger pour la démocratie lèche leurs vêtements. Tant que les éléments anti-démocratiques ne font du mal qu'aux Palestiniens, le camp libéral et éclairé n'est pas vraiment intéressé. Mais quand le feu s'approche d'eux et menace leurs libertés personnelles, et quand Netanyahou est celui qui l'allume, ils se lèvent pour se battre comme s'ils étaient mordus par un serpent.

Vous vous réveillez maintenant ? Où étiez-vous jusqu'à présent ? L'Israël “libéral et démocratique” est en danger ? Il n'est plus libéral ou démocratique depuis longtemps maintenant, en partie parce que vous avez fermé les yeux. En fait, il ne l'a jamais été. Un pays où il y a toujours eu un régime militaire (à l'exception des quelques mois précédant la guerre des Six Jours de juin 1967) ne peut être considéré comme une démocratie, quel que soit le critère utilisé.

La différence, c'est qu'il s'agit maintenant de Netanyahou, et que le danger pourrait également toucher les Juifs israéliens privilégiés, qui ont jusqu'à présent bénéficié d'une impressionnante démocratie libérale. La lutte pour cela, et pour cela seulement, est un deux poids deux mesures. Lorsque vous parlez du danger existentiel que représente Ben-Gvir pour la démocratie, après avoir ignoré pendant toutes ces années des dangers bien plus graves, vous vous mentez à vous-même. Mais que ne ferions-nous pas pour susciter encore plus de peur de Netanyahou et de Bezalel Smotrich, pour nous sentir les gardiens de la lumière contre ceux qui cherchent à la détruire et pour oublier qui est responsable des véritables dommages causés à la démocratie, et des véritables dangers qui la guettent.

Demandez-vous ce qui est le plus dangereux pour la démocratie : l'abrogation de la loi contre l'abus de confiance, ou le soutien absolu de l'armée aux pogroms des colons ? Qu'est-ce qui menace le plus de la détruire ? Et à qui la faute ? Netanyahou et Ben-Gvir ? Vraiment, eux seuls ?

19/10/2022

GIDEON LEVY
L'espoir s’appelle Ben-Gvir

Gideon Levy, Haaretz, 16/10/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L’espoir s’appelle donc Itamar Ben-Gvir. C'est déjà évident, avant même qu'il ne remporte un quelconque succès à l'élection. Le nouvel épouvantail du centre-gauche produit déjà des résultats dont la vraie gauche ne pouvait que rêver. Le colon violent de la Colline des Patriarches d'Hébron, pourrait être enfin celui, d’entre tous, qui pourrait faire basculer le navire de l'apartheid et perturber son voyage tranquille.

Échange d'amabilités au siège de la Cour suprême en mars 2019. Ben Gvir  (Otzma Yehudit, Force ou Puissance juive) : « Terroriste, ta place n'est pas ici ! ». Ata Abou Medeghem  (liste arabe Raam-Balad). ; « Tu n'es qu'une ordure de raciste »

Les premiers signes de l'espoir ont déjà été observés aux USA. Le sénateur Robert Menendez, un « un supporter juré  d’Israël», c'est-à-dire un partisan aveugle de l'occupation, a mis en garde le chef de l'opposition, membre de la Knesset, Benjamin Netanyahou contre l'établissement d'une coalition de pouvoir avec l'extrême droite. Les principales organisations juives usaméricaines craignent qu'un gouvernement avec Ben-Gvir ne nuise au standing d'Israël. L'éditorial de Haaretz vendredi l'a rappelé, comme preuve du danger que représente Ben-Gvir. La vérité est tout le contraire : Ben-Gvir, c’est el’spoir.

Ben-Gvir mettra le standing d'Israël en danger – et que pourrions-nous vouloir de plus ? Après tout, c'est le but que poursuivent les groupes de défense des droits humains en Israël et dans le monde entier, qui cherchent à mettre fin à l'apartheid. L'apartheid ne s'effondrera pas tout seul. Un matin, Israël ne se réveillera pas et ne dira pas : « L'apartheid, c’est pas sympa. Mettons-y un terme. » Seule la pression internationale réveillera Israël.

La communauté internationale a refusé d'agir, à l'exception de déclarations creuses. De toutes les personnes, c'est notre Itamar, le joueur d'extrême droite qui sourit, qui crie, qui met tout son cœur et son âme dans le jeu, la gâchette la plus rapide de la Knesset, pourrait galvaniser le monde pour agir, et peut-être réveiller la gauche israélienne de son interminable hibernation. Un sénateur  ami a émis une menace, des organisations juives ont émis un avertissement, alors que Ben-Gvir n'a même pas encore été nommé ministre. Quand il prendra les rênes d'un ministère, le monde s'éveillera à une nouvelle réalité, pire que celle de la Hongrie et de l'Italie. La droite de Ben-Gvir est beaucoup plus extrême et violente que qui que ce soit dans son genre en Europe aujourd'hui.

Tout comme Israël a dans le temps rompu ses liens avec les pays européens où l'extrême droite était arrivée au pouvoir, les USA et l'Europe feront peut-être le même pas. Israël pourrait sentir qu'il y a un prix à payer pour l'apartheid. Pour la première fois de leur histoire, les Israéliens pourraient être punis pour l'occupation et ses crimes. Pour la première fois, ils seront peut-être obligés de les payer en image, en condamnations et en argent pour les armes. Et tout ça grâce à Ben-Gvir.

Ben-Gvir arrachera les masques. La gauche a créé les colons, David Ben-Gourion et Ephraim Katzir étaient ceux qui avaient prévu d'empoisonner les puits palestiniens, pas le punk violent Ben-Gvir. Et Ben-Gvir n'a pas inventé la cruauté de l'occupation, ni même Netanyahou ; au contraire, ce sont des personnages du Parti travailliste qui l'ont fait, dont certains ont remporté le prix Nobel de la paix.

Dans un avertissement contre Ben-Gvir, le Professeur Yoram Yovell a récemment présenté un scénario horrible : 400 bus vont dans l'année à venir déporter 200 000 Arabes israéliens, sous prétexte d'une guerre dans le nord si, Elohim nous en préserve, un gouvernement Ben-Gvir-Netanyahou est formé.

Le scénario de Yovell est terriblement réaliste, mais Ben-Gvir ne sera pas nécessairement celui qui sera derrière. La gauche est experte en transferts de population et en nettoyage ethnique, en 1948 et 1967, à Masafer Yatta et dans la vallée du Jourdain, et son expérience sera très précieuse lors du prochain transfert. Nous devons avoir plus peur de la gauche à cause de son passé que de Ben-Gvir à cause de ses menaces.

Le monde a embrassé le centre-gauche israélien à cause d'une illusion. Ben-Gvir y mettra fin. Un gouvernement avec Ben-Gvir pourrait resserrer son étranglement du peuple palestinien, mais rien ne peut être plus diabolique que le plan d'empoisonner les puits. Le monde a embrassé les généraux qui ont mené les assauts barbares sur Gaza  mais il peut rejeter Ben-Gvir. Bonjour le monde. Mieux vaut tard que jamais.

Si cela se produit, je tirerai mon chapeau à Ben-Gvir, l'homme que j'aime personnellement et dont je déteste les opinions, et je le remercierai du fond du cœur pour sa contribution à l'avancement de la justice.

 

13/10/2022

ANSHEL PFEFFER
Élections israéliennes : qui bénéficiera de l'accord maritime avec le Liban ?

Anshel Pfeffer, Haaretz, le 12/10/2022
 
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Benjamin Netanyahou dépeint l'accord comme un signe de faiblesse et un acquiescement au Hezbollah, tandis que le Premier ministre Yair Lapid le salue comme une avancée historique. Tous les deux espèrent que cela fera basculer les élections en leur faveur

Dans son adolescence, Amos Hochstein – le diplomate usaméricain qui vient de négocier l'accord maritime entre Israël et le Liban – était un leader dans la branche jeunesse de Meimad. Ce petit parti religieux de gauche s'est présenté aux élections israéliennes de l'époque (1988), mais n'a pas franchi le seuil électoral. Finissant son service militaire au milieu des années 1990, il quitta Israël pour la terre de ses parents, où il devint un acteur influent dans un parti légèrement plus prospère : les Démocrates.

Amos avec Oncle Joe


Oncle Joe avec les 4 enfants d'Amos dans un gazouillis électoral

Maintenant, en tant que conseiller principal pour la sécurité énergétique mondiale au Département d'État, il est une fois de plus impliqué dans une élection israélienne. Cette fois, cependant, il peut avoir un peu plus d'impact.

À moins de trois semaines du jour des élections du 1er novembre, l'accord avec le Liban est devenu étonnamment la principale question pour faire des news politiques. Mais qui est-ce que ça aide ?

D'une part, le passage quasi unanime de l'accord au cabinet de sécurité (Ayelet Shaked s'est abstenue) est un accomplissement pour le Premier ministre Yair Lapid. D'autre part, cela donne à son principal adversaire, Benjamin Netanyahou, une occasion inattendue de l'accuser, lui et ses collègues, de défaitisme passif face aux menaces du Hezbollah de mettre le feu à la Méditerranée si Israël commençait à pomper du gaz naturel du champ offshore de Karich.

Un navire de stockage et de déchargement de production flottant énergétique dans le champ de gaz naturel de Karich en mer Méditerranée le mois dernier. Photo : AFP

L'équipe de Lapid semble satisfaite du timing du deal, annonçant ce qui est essentiellement un compromis commercial comme une percée « historique ». Les réponses grincheuses de ses collègues du cabinet (et de ses rivaux), qui, tout en votant en faveur, ont dit que ce n'était ni historique ni hystérique, n'ont pas terni l’éclat de l'accord pour le leader de Yesh Atid.

En ce qui le concerne, c'est exactement l'image qu'il veut projeter au public israélien : un premier ministre compétent et efficace qui a réussi à conclure l’accord que deux de ses prédécesseurs – Netanyahuo et Naftali Bennett – n'ont pas scellé, conjurant ainsi la perspective d'une nouvelle guerre avec le Hezbollah.

À quel point l’accord est-il bon ? ça dépend bien sûr de votre position politique. Mais le fait que Netanyahou, malgré toutes ses critiques, n'ait pas menacé une seule fois d'abandonner l'accord s'il devenait premier ministre le mois prochain est révélateur. En attendant, l'intérêt de Netanyahou pour l'accord est purement ce qu'il peut lui apporter dans les trois prochaines semaines.

25/09/2022

YOSSI VERTER
Quand Lapid parle de solution à deux États, ce n'est pas à Mahmoud Abbas qu'il s'adresse


Yossi Verter, Haaretz, 23/9/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

En reprenant la solution à deux États, le Premier ministre israélien a cherché à gagner des voix de gauche, mais même s'il gagne les élections, il devra former une coalition avec des députés qui s'opposent à un État palestinien Netanyahou a créé un Likoud alternatif, un autre jalon important dans la transformation du parti en un mouvement d’un seul homme et d’une seule famille

Dessin d'Amos Biderman

Qu'est-ce qu'un chef de parti peut vouloir pour lui-même au milieu d'une campagne électorale interminable si ce n'est donner du grain à moudre, décider de l'ordre du jour, susciter un débat idéologique, déclencher une « tempête » (qui s'éteindra avant même Rosh Hashanah) ? Le Premier ministre Yair Lapid a réussi à se faire ce cadeau jeudi soir à l'Assemblée générale des Nations Unies. Quelques phrases génériques sur la nécessité d'une solution à deux États « à condition que l'État palestinien recherche la paix et ne devienne pas une nouvelle base de terrorisme » ont provoqué une émeute du feu de Dieu dans notre petit shtetl tout droit sorti d’ Un violon sur le toit.

Il s'avère que le vrai et éprouvé conditionnement pavlovien n'a pas rouillé après des années pendant lesquelles sa cause moisissait au grenier. Tout le monde a joué son rôle dans le show : à gauche, ils ont ont fait un bon accueil (même si c’était avec des dents serrées pour des raisons expliquées ci-dessous), à droite ils ont fulminé, au centre ils l'ont ignoré et la claque de l'orateur a fait la fête.

Peu importe que Lapid ait déjà dit ces choses il y a environ deux mois à côté de Joe Biden à Jérusalem. Peu importe que Benjamin Netanyahou ait annoncé sur cette même tribune en 2016 qu'il « restait attaché à la solution à deux États », ait exhorté le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas à se rencontrer, l'ait invité à faire un discours à la Knesset et lui-même au parlement à Ramallah. Peu importe que quatre ans plus tard, il ait inauguré avec Donald Trump l '« Accord du siècle », dont le résultat final était le même : deux États.

Il n'est pas non plus important que la déclaration de Lapid en soi n'ait aucune signification pratique et aucune probabilité de mise en œuvre. Il n'y a pas de partenaire. Abou Mazen est en phase terminale, la Cisjordanie s'effrite entre ses doigts et même si Lapid parvient à former un gouvernement après les élections, il devra inclure des éléments qui s'opposent à un État palestinien. Incidemment, quelle différence cela fait-il que ce soit la position connue de Lapid, d'autant plus qu'il s'est rendu compte qu'il était inutile pour lui de se déguiser en homme de droite ? Dans ce pâturage il n'y a pas d'herbe pour son parti Yesh Atid, il n'y en a jamais eu et il n'y en aura jamais.

Les émotions qui ont explosé dans le sillage de ce qui a été rapporté la veille du discours, de sorte qu'il pourrait occuper tout un cycle de nouvelles avant vendredi, samedi et une longue fête, étaient excessives. Tout comme l'ancien Premier Ministre Naftali Bennett a exprimé son point de vue contraire à chaque occasion, que ce soit dans une déclaration proactive ou en ignorant la question de manière démonstrative, son successeur a le droit d'exprimer un point de vue opposé. Le ministre de la Justice de Nouvel Espoir, Gideon Sa'ar, et le ministre du Logement, Zeev Elkin, ainsi que les chefs de l'aile droite du Parti de l'unité nationale, ont dénoncé les petites phrases de Lapid. Le ministre des Finances, Avigdor Lieberman, de Yisrael Beiteinu, les a rejoints – lui aussi avec en tête les élections. Le ministre de la Défense Benny Gantz et l'ancien chef d'état-major Gadi Eisenkot, dans l'autre partie de l'Unité nationale, n'ont pas moufté.

Le Premier ministre Yair Lapid s'adressant à l'Assemblée générale des Nations Unies jeudi. Photo : Mike Segar/Reuters

Eisenkot est sur la même longueur d’ondes que Lapid. Et Gantz aussi, plus ou moins. Si Lapid espérait révéler les atomes crochus entre eux, il y est parvenu. Il espère non seulement les révéler, mais aussi ramasser des votes. En fin de compte, l'histoire est entièrement politique. Quarante jours avant les élections, le prisme ne reflète qu'une seule valeur : TOUT est politique. Le bien-être est politique, le crime est politique, l'économie est politique. Même une mariée ivre qui embarrasse un crooner célèbre est politique. Lorsque le Premier ministre par intérim et chef de Yesh Atid déclare son soutien à la solution à deux États, il dit partition mais il pense occupation. Lapid délimite des territoires qu'il entend annexer : des territoires du centre-gauche. Pour le moment, c'est sa devise : le parti d'abord, le bloc plus tard.

Le virage à gauche s'adresse aux électeurs de Meretz et des travaillistes et à gauche de l'Unité nationale. Lapid aspire à plus que les 23 ou 24 sièges de la Knesset que les sondages d'opinion lui prédisent. S'il réussit à piquer au moins un siège aux trois autres listes (son maximum a été et reste sa percée en 2013, avec 19 sièges), il en sortira heureux. La cheffe de Meretz Zehava Galon, la ministre travailliste des Transports Merav Michaeli et Gantz le seront moins.

01/09/2022

GIDEON LEVY
Meretz ne doit pas faire liste commune avec le parti travailliste, aveugle à l'occupation

Gideon Levy, Haaretz, 1/9/2022
Traduit par
Fausto Giudice

Avec la formation de deux listes sionistes de gauche à la Knesset, l'une pour le parti travailliste et l'autre pour le parti Meretz, il n'est plus possible de prétendre qu'il n'y a pas de différence entre eux.

Meretz a présenté une liste dans laquelle se distinguent les opposants à l'occupation, ceux pour qui la lutte est la première bannière, au-dessus de toute autre. Les travaillistes ont présenté une liste qui ne compte pas un seul opposant actif à l'occupation. Ce n'est pas une question insignifiante.

Conclusion : Les deux partis ne doivent pas se présenter ensemble, sinon la différence idéologique qui les sépare pourrait bien être occultée.

Zehava Galon (g.), Meretz et  Merav Michaeli (travaillistes)

Le prix de la dilution est plus élevé que le risque, qui n'existe presque pas, que l'un ou l'autre parti ne passe pas le seuil électoral. Les sionistes qui ne peuvent pas dormir à cause de l'occupation plus qu'autre chose, et qui croient encore au mensonge des deux États, ont voté pour Meretz. Ceux qui se considèrent de gauche, pour qui l'occupation est une question épuisante, importante mais pas cruciale, « on-veut-bien-deux-États-mais-yapadepartenaire », ont voté pour le parti travailliste. Ces deux approches ne doivent pas être combinées. Il n'y a pas de place dans le petit camp mourant de la gauche sioniste pour plus de goulasch, même si le désir du cœur est l'existence d’une gauche non sioniste en Israël.

Il est difficile de comprendre pourquoi c'est Meretz qui appelle à l'unité. Il serait plus approprié pour les travaillistes de faire tout leur possible pour s'unir, comme ils l'ont toujours fait. De mélanger le Mapai avec Ahdut Ha'avoda, les deux avec Rafi, les travaillistes avec le Mapam, malgré toutes les différences. On peut dire à la décharge de la lideure travailliste Merav Michaeli qu'elle voit les différences. À son détriment, on peut dire qu'elle fuit ces différences comme le feu. L'aspiration de Meretz à une fusion découle de la peur de l'échec et de l'impression de faire passer les intérêts du parti avant les intérêts nationaux, mais c'était censé être l'héritage du Meretz précédent. Avec Zehava Galon à sa tête, Mossi Raz en deuxième position et Gaby Lasky en sixième position - trois personnes qui ont passé leur carrière d'une manière qui suscite l'admiration pour la lutte contre l'occupation - Meretz n'a pas à rougir de son caractère unique, et il doit le préserver par tous les moyens. S'il s'associe aux travaillistes, Meretz perdra son image, qui a finalement été rajeunie. 

En revanche, les travaillistes présentent une liste de personnes aveugles à l'occupation. Aucun de ses candidats ayant une chance réaliste d'être élu à la Knesset ne sait quoi que ce soit de l'occupation, de son aspect de près et de son caractère criminel et maléfique. L'occupation ne les intéresse même pas. Il se peut que la dernière visite de Michaeli en Cisjordanie remonte à l'époque où nous sommes allés ensemble dîner dans le village de Ramin en l'honneur du plus ancien détenu administratif de l'époque, Osama Barham. Un quart de siècle s'est écoulé depuis lors. Aujourd'hui, elle et son parti n'ont pas un mot à dire sur la détention administrative - l'emprisonnement sans charges - même lorsque l'une de ses victimes les plus courageuses est en train d’agoniser.

Meretz ne peut pas se présenter sur la même liste que ceux qui ignorent l'occupation. Il y en a plus qu'assez à la Knesset, presque tous ses membres juifs. Un Meretz qui s'unit à de tels politiciens trahira sa voie. Il l'a fait ces dernières années, et c'est une bonne chose qu'il se soit, dans une certaine mesure, remis de cela. « Naama Lazimi [travailliste, militante LGBTQ+, NdT] et ses collègues sont plus à gauche que Meretz », a écrit Nehemia Shtrasler (Haaretz, mardi), menaçant de permettre la montée de l'extrême droite au pouvoir en raison du refus de Michaeli de s'unir à Meretz. Pour Shtrasler, la gauche, c'est d'abord et avant tout le mouvement syndical, pas l'occupation. Même l'éditorial du Haaretz de lundi encourageait Michaeli à accepter la fusion, mettant en garde contre une "tragédie politique" - le retour de Benjamin Netanyahou au pouvoir.

Pour les amateurs du genre horreur, ce sont des considérations qui ne doivent pas être prises à la légère. Mais il y a aussi des considérations plus importantes, d'ordre idéologique. Si un parti sioniste qui combat l'occupation n'a pas sa place, même la plus petite, à la Knesset, alors il n'y a plus de gauche sioniste en Israël, elle aura été mise à mort.

Il est très difficile, voire impossible, de s'opposer à l'occupation et de rester sioniste. Il est très difficile, voire impossible, d'être un Juif non sioniste en Israël. Nous devons donner à Meretz l'infime chance de prouver que c'est possible. Si Meretz est dilué dans le parti travailliste, seuls les Arabes s'opposeront à l'apartheid - et cela montrera qu'Israël est pire que l'Afrique du Sud. Là-bas, au moins, des Blancs, dont beaucoup de Juifs, se sont battus contre le régime.