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12/03/2023

THE GUARDIAN
L'affaire Lineker menace de faire tomber les dirigeants de la BBC et de compromettre les projets des conservateurs britanniques en matière d'asile

Vanessa Thorpe, Michael Savage et Toby Helm, The Observer/The Guardian, 11/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La chaîne est contrainte de réduire sa couverture télévisuelle, tandis que le président et le directeur général de la BBC sont appelés à démissionner en raison de la crise.



Le 7 mars, Gary Lineker a publié deux tweets.
Le premier commentait l’annonce de la ministre Suella Braverman* intitulée “Trop c'est trop. Nous devons arrêter les bateaux” par ces mots : “Ciel, c'est plus qu'horrible”.
Le deuxième disait : “Il n'y a pas d'afflux massif. Nous accueillons beaucoup moins de réfugiés que les autres grands pays européens. Il s'agit juste d'une politique incommensurablement cruelle dirigée contre les personnes les plus vulnérables dans un langage qui n'est pas différent de celui utilisé par l'Allemagne dans les années 30, et je suis à côté de la plaque?”

Le conflit déclenché par la suspension de Gary Lineker de la BBC est devenu incontrôlable samedi soir, menaçant de faire tomber les plus hauts dirigeants de la société et même de faire dérailler certaines parties de la nouvelle politique controversée du gouvernement en matière de droit d'asile.

La crise a atteint de nouveaux sommets lorsque la BBC a été contrainte de réduire considérablement sa couverture sportive à la télévision et à la radio et de mettre à l'antenne son émission Match of the Day - normalement animée par Lineker - sans présentateurs, sans experts et sans les interviews habituelles d'après-match avec les joueurs, dont beaucoup se sont montrés solidaires de Lineker. L'émission, prévue pour 80 minutes, ne sera diffusée que pendant 20 minutes samedi soir.

Samedi soir, le président de la BBC, Richard Sharp, et son directeur général, Tim Davie, ont tous deux fait l'objet de pressions croissantes pour qu'ils démissionnent, après que des personnalités du monde du sport et des médias ont défendu le droit de Lineker de critiquer ce qu'il considère comme un langage raciste utilisé par les ministres pour promouvoir leur politique d'immigration. Samedi soir, Davie a insisté sur le fait qu'il ne démissionnerait pas.

Signe que le gouvernement craignait d'être considéré comme étant à l’origine de la suspension de Lineker, le premier ministre, Rishi Sunak, l'a décrit comme « un grand footballeur et un présentateur talentueux ». Il a déclaré qu'il espérait « que la situation actuelle entre Gary Lineker et la BBC pourra être résolue rapidement, mais c'est à juste titre une question qui relève de la BBC et non du gouvernement ».

 
Un supporter de Manchester City avec une pancarte en soutien à Gary Lineker, présentateur de la BBC, avant le match de Première Division de samedi contre Crystal Palace (gagné par 1 à 0 par Manchester). Photographie : Tony Obrien/Reuters

Le personnel de la BBC, ancien et actuel, a critiqué la manière dont la société a traité les questions plus larges de liberté d'expression et de neutralité qui sont au cœur de la dispute.

Plusieurs ont comparé l'affaire Lineker à la controverse qui entoure Sharp, qui fait l'objet d'un examen minutieux pour le rôle qu'il a joué dans l'obtention d'un prêt de 800 000 livres sterling par Boris Johnson, lorsqu'il était premier ministre, à un moment où Sharp lui-même postulait pour le poste de président de la BBC.

Samedi, alors que les répercussions se faisaient sentir dans le monde du sport, des médias et de la politique, le manager allemand de Liverpool, Jürgen Klopp, est intervenu pour défendre le droit de Lineker à s'exprimer sur ce qu'il considère comme des questions de droits humains : « C'est un monde très difficile à vivre, mais si je comprends bien, il s'agit d'une opinion sur les droits humains et cela devrait être possible de le dire ».

Lineker a été critiqué par la ministre de l'Intérieur Suella Braverman après avoir comparé le langage utilisé par les ministres pour décrire leurs politiques d'asile à celui des nazis dans l'Allemagne des années 1930. Vendredi soir, la société a demandé à l'ancien attaquant anglais de se retirer de l'émission Match of the Day, le temps de trouver une solution.

The Observer croit savoir que Lineker s'est vu signifier qu'il n'avait pas d'autre choix après avoir refusé une offre visant à régler l'affaire par des excuses. Plus tôt dans la semaine, il avait reçu l'assurance qu'aucune mesure ne serait prise à son encontre, ce qui a amené certains à soupçonner que les pressions exercées par le gouvernement ont fait changer d'avis la BBC à son égard.

Immédiatement après l'annonce de sa suspension, d'autres présentateurs et experts ont manifesté leur solidarité, notamment Ian Wright, Alan Shearer et Jermaine Jenas, des habitués de Match of the Day. Alex Scott, présentatrice de Football Focus, s'est retirée de son émission, tandis qu'une grande partie des reportages sportifs de BBC Radio 5 Live ont été remplacés par du contenu enregistré.

Alors que des signes indiquent que la querelle pourrait changer la perception du public sur la politique du gouvernement, il y avait des signes d'un profond malaise parmi les principaux Tories [Conservateurs] sur la nouvelle approche de la crise des petites embarcations [small boats crisis, expression médiatique en usage au Royaume-Uni, NdT]. Selon la nouvelle politique, les réfugiés arrivant au Royaume-Uni seront détenus et expulsés « dans les semaines qui suivent », soit vers leur propre pays s'il est sûr, soit vers un pays tiers [en l’occurrence, le Rwanda, NdT].

Plusieurs députés conservateurs de haut rang, dont Priti Patel, elle-même partisane d'une ligne dure en matière d'immigration lorsqu'elle était en charge du ministère de l'intérieur, devraient faire part de leurs inquiétudes quant aux conséquences du projet de loi, qui sera examiné en deuxième lecture aux Communes lundi, sur le traitement des enfants qui arrivent au Royaume-Uni avec leurs parents. D'autres députés conservateurs craignent qu'il n'enfreigne le droit international et les obligations du Royaume-Uni en matière de traités internationaux.

Tobias Ellwood, président conservateur de la commission parlementaire de la défense, a déclaré qu'il avait besoin d'être rassuré sur l'existence d'itinéraires praticables permettant aux véritables demandeurs d'asile d'atteindre le Royaume-Uni « afin que cela soit perçu comme une véritable tentative de sauver des vies ... et pas seulement comme une rhétorique grandiloquente qui a mis en colère des gens comme Gary Lineker ».

Cette querelle a éclipsé un mini-sommet bilatéral entre Sunak et Macron vendredi, qui était censé “réinitialiser” les relations anglo-françaises et tracer une voie à suivre concernant les bateaux transportant des demandeurs d'asile traversant la Manche.

La BBC s'est excusée pour les changements apportés au programme sportif du week-end et a déclaré qu'elle « travaillait dur pour résoudre la situation et espérait le faire bientôt ».

Le leader travailliste Sir Keir Starmer a accusé la BBC de “céder” aux députés conservateurs, déclarant qu'un tel comportement était “le contraire de l'impartialité”. « La BBC s'est gravement trompée dans cette affaire et elle est maintenant très, très exposée », a déclaré Starmer. « Car au cœur de cette affaire se trouve l'échec du gouvernement en matière de système d'asile. Et plutôt que d'assumer la responsabilité du gâchis qu'il a provoqué, le gouvernement cherche à blâmer n'importe qui d'autre - Gary Lineker, la BBC, les fonctionnaires, le “blob**” ».

Ed Davey, le chef de file des libéraux-démocrates, a appelé Sharp à démissionner. « Nous avons besoin d'une direction à la BBC qui défende nos fières valeurs britanniques et qui puisse résister à la politique constamment turbulente d'aujourd'hui et aux tactiques d'intimidation des conservateurs.

« Malheureusement, sous la direction de Richard Sharp, ce n'est pas le cas : sa nomination et sa position sont désormais totalement intenables et il doit démissionner ».

28/10/2022

SUPRIYO CHATTERJEE
Un curry korma pour la Britannia blanche : Rishi Sunak Premier ministre

Supriyo Chatterjee, Tlaxcala, 28/10/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Près de deux siècles après que Thomas Babington Macaulay,
peut-être l'idéologue le plus éloquent de l'empire britannique, eut rédigé sa vision de la création d' « une classe qui puisse être l'interprète entre nous et les millions de personnes que nous gouvernons ; une classe de personnes, indiennes par le sang et la couleur, mais anglaises par le goût, les opinions, la morale et l'intellect », l'un de ses produits gouverne maintenant la Grande-Bretagne. Ce n'est pas sans importance, mais ce n'est pas non plus une revanche des indigènes périphériques sur la métropole. Il s'agit plutôt d'un triomphe des intérêts de classe sur la couleur de peau de tous les côtés.

Rishi Sunak (ou Rashid Sanook, comme l’a appelé le comique en chef Joe Biden) est jeune, riche, très riche, soigné comme le sont les hommes de sa classe, et un enfant de l'Empire qui ne s'en cache pas. Ses grands-parents ont migré du Pendjab vers l'Afrique et ses parents se sont installés en Grande-Bretagne. En Afrique, les Indiens étaient des travailleurs qualifiés et des commis et servaient de contremaîtres pour superviser la main-d'œuvre africaine. Ils jouaient le rôle d'intermédiaires coloniaux que Macaulay leur avait assigné, cette fois sur un continent étranger.

Les Africains détestaient largement ces colons indiens. La plupart d'entre eux, en tant qu'orientalistes de couleur, suivirent leurs maîtres coloniaux en Grande-Bretagne, préférant affronter le racisme des Britanniques blancs plutôt que de rester dans l'Afrique indépendante ou de retourner en Inde. Le contingent afro-indien, comme la Brigade chinoise de Hong Kong, est férocement fidèle à la Grande-Bretagne et croit en l'idée de son empire civilisé.

Le jeune Sunak, né en Grande-Bretagne, a bénéficié d'une éducation privée privilégiée, a travaillé dans le secteur financier, notamment chez Goldman Sachs, comme le font les yuppies indiens de caste supérieure qui réussissent, car cela n'implique pas de travail manuel, et a épousé la fille d'un milliardaire indien. La plupart des richesses de la famille Sunak proviennent du côté de sa femme, mais elle a maintenant le droit de vivre à Downing Street, un privilège que l'argent peut acheter s'il est investi intelligemment.

En tant qu'enfant fidèle de l'empire, le foyer politique de Sunak est le parti conservateur, qui croit en la devise de Mme Thatcher, à savoir que la cupidité est une bonne chose. Il est le membre du Parlement le plus riche, deux fois plus riche que le roi Charles, et on murmure qu'il a mis de l'argent de côté sur des comptes bancaires offshore. On a découvert que sa femme évitait les impôts en Grande-Bretagne et il a été condamné à une amende pour avoir violé les normes covidiennes. Bref, ses références pour le parti de la loi et de l'ordre sont incontestablement impeccables.

Sunak est un Premier ministre accidentel. Il est au parlement depuis seulement sept ans. En tant que Chancelier pendant le confinement covidien, sa gestion de l'économie se situait entre la médiocrité et le désastre. Il a eu de la chance que Boris Johnson et Liz Truss aient trébuché dans leurs fonctions.  Le parti travailliste d'opposition a purgé son aile socialiste et s'est refondu en équipe B de l'establishment. Le Brexit a radicalisé la base conservatrice, si bien que Sunak a dû être nommé plutôt qu'élu par les membres du parti, qui auraient à nouveau voté Boris.

Les adversaires de Sunak se sont retirés de la course sans dire pourquoi ni qui les avait persuadés de le faire et les hommes de l'ombre ont adoubé Sunak comme leur homme. La version britannique de l'État profond a vu en lui une paire de mains sûres, leur meilleur pari dans un champ médiocre. Sunak n'est pas le premier chef de gouvernement d'origine indienne en Europe : l'Irlande et le Portugal en ont déjà eu. Sa position de Premier ministre britannique de couleur est néanmoins une nouveauté. Macaulay était peut-être un visionnaire, mais il est difficile de croire que même lui aurait prédit que la classe dirigeante britannique aurait un jour besoin d'un “indigène assimilé” pour garder la population blanche sous contrôle. Pire, la menace d'Enoch Powell de rivières de sang a été réduite à un torrent écumant de curry insipide.