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05/11/2025

Pétrole vénézuélien, changement de régime made in USA et politique de gangster de Washington

 

Le prétexte moral vaseux aujourd’hui est la lutte contre les stupéfiants, pourtant l’objectif réel est de renverser un gouvernement souverain, et les dommages collatéraux sont la souffrance du peuple vénézuélien. Si cela vous paraît familier, c’est parce que ça l’est.

Jeffrey D. Sachs & Sybil Fares, Common Dreams, 4/11/2025

Traduit par Tlaxcala

Les USA ressortent leur ancien manuel de changement de régime au Venezuela. Bien que le slogan ait glissé de « rétablir la démocratie » à « combattre les narco-terroristes », l’objectif reste le même : le contrôle du pétrole vénézuélien. Les méthodes employées par les USA sont bien connues : des sanctions qui étranglent l’économie, des menaces de recours à la force, et la tête du président vénézuélien Nicolás Maduro mise à prix pour 50 millions de dollars comme si l’on était au Far West.


Carlos Latuff

Les USA sont accros à la guerre. Avec le renommage du Department of War [ministère de la Guerre], un budget proposé pour le Pentagone de 1,01 billion de dollars, et plus de 750 bases militaires réparties dans quelque 80 pays, ce n’est pas une nation qui poursuit la paix. Depuis deux décennies, le Venezuela est une cible persistante des tentatives usaméricaines de changement de régime. Le motif, clairement exposé par le président Donald Trump, ce sont les quelque 300 milliards de barils de réserves pétrolières sous la ceinture de l’Orénoque, les plus grandes réserves de pétrole de la planète.

En 2023, Trump déclara ouvertement : « Quand je suis parti, le Venezuela était prêt à s’effondrer. Nous l’aurions pris, nous aurions obtenu tout ce pétrole… mais maintenant nous achetons du pétrole au Venezuela, donc nous rendons un dictateur très riche. » Ses mots révèlent la logique sous-jacente de la politique étrangère usaméricaine qui ignore complètement la souveraineté et favorise plutôt l’appropriation des ressources d’autres pays.

Ce qui se déroule aujourd’hui est une opération typique de changement de régime dirigée par les USA, déguisée sous le langage de l’interdiction des drogues. Les USA ont massé des milliers de soldats, des navires de guerre et des avions dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique. Le président a fièrement autorisé la CIA à mener des opérations clandestines à l’intérieur du Venezuela.

Les appels du gouvernement usaméricain à l’escalade reflètent un mépris irresponsable pour la souveraineté du Venezuela, le droit international et la vie humaine.

Le 26 octobre 2025, le sénateur Lindsey Graham (Républicain, Caroline du Sud) est allé à la télévision nationale pour défendre les récentes frappes militaires usaméricaines contre des navires vénézuéliens et pour dire que des frappes terrestres à l’intérieur du Venezuela et de la Colombie sont une « vraie possibilité ». Le sénateur de Floride Rick Scott, dans le même cycle d’informations, a fait la réflexion que s’il était Nicolás Maduro, il « irait en Russie ou en Chine immédiatement ». Ces sénateurs visent à normaliser l’idée que Washington décide qui gouverne le Venezuela et ce qu’il advient de son pétrole. Rappelons que Graham défend de la même manière que les USA combattent la Russie en Ukraine pour sécuriser les 10 000 milliards de dollars de richesses minérales que Graham affirme connement être disponibles pour que les USA se les approprient.

Les mouvements de Trump ne constituent pas non plus une nouveauté en ce qui concerne le Venezuela. Depuis plus de 20 ans, des administrations usaméricaines successives ont tenté de soumettre la politique intérieure du Venezuela à la volonté de Washington. En avril 2002, un coup d’État militaire de courte durée défit brièvement le président de l’époque, Hugo Chávez. La CIA connaissait les détails du coup d’avance, et les USA ont immédiatement reconnu le nouveau gouvernement. Finalement, Chávez reprit le pouvoir. Pourtant, les USA n’ont pas mis fin à leur soutien à un changement de régime.

En mars 2015, Barack Obama a codifié une remarquable fiction juridique. Il a signé l’Ordre Exécutif 13692, déclarant que la situation politique interne du Venezuela constituait une « menace inhabituelle et extraordinaire » pour la sécurité nationale des USA afin de déclencher des sanctions économiques usaméricaines. Cette décision a préparé le terrain à une coercition usaméricaine croissante. La Maison-Blanche a maintenu cette affirmation d’« urgence nationale » usaméricaine depuis lors. Trump a ajouté des sanctions économiques de plus en plus draconiennes pendant son premier mandat. De façon stupéfiante, en janvier 2019, Trump déclara Juan Guaidó, alors figure de l’opposition, « président par intérim » du Venezuela, comme si Trump pouvait simplement nommer un nouveau président vénézuélien. Cette tragicomédie yankee s’est finalement effondrée en 2023, lorsque les USA ont abandonné ce stratagème foireux et grotesque.

Les USA entament désormais un nouveau chapitre d’appropriation des ressources. Trump a longtemps été clair sur le fait de « garder le pétrole ». En 2019, en parlant de la Syrie, le président Trump déclara : « Nous gardons le pétrole, nous avons le pétrole, le pétrole est sécurisé, nous avons laissé des troupes uniquement pour le pétrole. » Pour ceux qui en doutent, des troupes usaméricaines sont encore aujourd’hui dans le nord-est de la Syrie, occupant les champs pétrolifères. Plus tôt, en 2016, au sujet du pétrole irakien, Trump a dit : « Je disais cela constamment et de façon cohérente à quiconque voulait bien écouter, je disais : gardez le pétrole, gardez le pétrole, gardez le pétrole, ne laissez pas quelqu’un d’autre l’avoir. »

Aujourd’hui, avec de nouvelles frappes militaires contre des navires vénézuéliens et des propos ouverts sur des attaques terrestres, l’administration invoque les stups pour justifier un changement de régime. Pourtant l’article 2(4) de la Charte des Nations unies interdit expressément « la menace ou l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État ». Aucune théorie usaméricaine de « guerres de cartels » ne justifie à distance un changement de régime coercitif.

Même avant les frappes militaires, les sanctions coercitives usaméricaines ont fonctionné comme un engin de siège. Obama a construit le cadre des sanctions en 2015, et Trump l’a encore plus instrumentalisé pour renverser Maduro. La prétention était que la « pression maximale » habiliterait les Vénézuéliens. En pratique, les sanctions ont provoqué des souffrances généralisées. Comme l’a constaté l’économiste et spécialiste renommé des sanctions Francisco Rodríguez dans son étude sur les « Conséquences humaines des sanctions économiques », le résultat des mesures coercitives usaméricaines a été un déclin catastrophique du niveau de vie au Venezuela, une détérioration nette de la santé et de la nutrition, et des dommages graves pour les populations vulnérables.

Le prétexte moral vaseux aujourd’hui est la lutte contre les stupéfiants, pourtant l’objectif réel est de renverser un gouvernement souverain, et les dommages collatéraux sont la souffrance du peuple vénézuélien. Si cela vous paraît familier, c’est parce que ça l’est. Les USA ont à plusieurs reprises entrepris des opérations de changement de régime à la recherche de pétrole, d’uranium, de plantations de bananes, de tracés de pipelines et d’autres ressources : Iran (1953), Guatemala (1954), Congo (1960), Chili (1973), Irak (2003), Haïti (2004), Syrie (2011), Libye (2011) et Ukraine (2014), pour ne citer que quelques-unes de ces affaires. Maintenant, c’est le Venezuela qui est sur la sellette.

Dans son excellent livre Covert Regime Change (2017), la professeure Lindsey O’Rourke détaille les manigances, les retombées et les catastrophes d’au moins 64 opérations usaméricaines clandestines de changement de régime durant les années 1947-1989 ! Elle s’est concentrée sur cette période antérieure parce que de nombreux documents clés de cette époque ont aujourd’hui été déclassifiés. Tragiquement, le schéma d’une politique étrangère usaméricaine fondée sur des opérations de changement de régime secrètes (et pas si secrètes) perdure jusqu’à aujourd’hui.

Les appels du gouvernement usaméricain à l’escalade reflètent un mépris irresponsable pour la souveraineté du Venezuela, le droit international et la vie humaine. Une guerre contre le Venezuela serait une guerre que les citoyens usaméricains ne veulent pas, contre un pays qui n’a ni menacé ni attaqué les USA, et sur des bases juridiques qui échoueraient à convaincre un étudiant en première année de droit. Bombarder des navires, des ports, des raffineries ou des soldats n’est pas une démonstration de force. C’est du gangstérisme pur et simple.

NdT
Le discours de Manama de Tulsi Gabbard du 31 octobre, annonçant la fin de la politique de “changement de régime” de Washington (lire ici), a manifestement échappé à l’attention des auteurs.

20/10/2025

Israël entre guerre d’extermination et guerre électorale

Ameer Makhoul, Progress Center for Policies, 18/10/2025

إسرائيل بين حرب الإبادة وحرب الانتخابات

Traduit par Tlaxcala

Guerre sur tous les fronts, par Patrick Chappatte

Introduction

Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et le ministre de la Défense Israël Katz ont de nouveau menacé de reprendre la guerre contre la bande de Gaza, avertissant qu’ils recourraient à la force si le Hamas ne remettait pas les corps des captifs et détenus israéliens.
Dans le même temps, le ministre des Affaires stratégiques, Ron Dermer, a intensifié ses contacts avec l’administration Trump, présentant des rapports de renseignement affirmant que le Hamas serait en mesure de restituer un grand nombre de corps, une manœuvre perçue comme une préparation à un feu vert usaméricain pour une nouvelle escalade militaire.

Parallèlement, le Forum des familles des captifs et détenus a publié un appel public à Netanyahou, exigeant la reprise de la guerre tant que tous les corps ne sont pas restitués,  transformant ainsi une demande humanitaire en instrument politique dans la lutte interne pour le pouvoir en Israël.

La guerre au service de la politique intérieure
Les nouvelles menaces israéliennes semblent motivées davantage par des besoins politiques et électoraux que par des objectifs militaires immédiats. Netanyahou et Katz ont même rebaptisé la guerre contre Gaza, passant de « Épées d’or » à « Guerre de la renaissance » ou « Guerre de la résurrection », cherchant à remodeler le récit israélien et à l’inscrire dans une « Guerre des sept fronts », incluant le Liban, la Syrie, le Yémen, l’Irak, l’Iran, la Cisjordanie et Gaza.

Par ce changement de marque, Netanyahou tente de détourner les appels à la reddition de comptes concernant les événements du 7 octobre 2023 ,  notamment la création d’une commission d’enquête officielle, qu’il continue de refuser sous prétexte que « les enquêtes ne peuvent pas se tenir en temps de guerre ». Cette stratégie est étroitement liée aux élections prévues pour l’été 2026.

Les lacunes du plan Trump et ses répercussions régionales
Les menaces israéliennes coïncident avec les débats autour des détails du « plan Trump » pour mettre fin à la guerre, qualifié par le ministère égyptien des Affaires étrangères de « truffé de failles ». Les points non résolus comprennent :

  • L’échange de corps et de prisonniers.
  • Le désarmement de Gaza et du Hamas.
  • Le retrait progressif d’Israël.
  • La gouvernance et la reconstruction d’après--guerre.

Les estimations palestiniennes évaluent le coût de la reconstruction de Gaza entre 60 et 70 milliards de dollars. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis auraient exprimé une volonté conditionnelle de contribuer chacun à hauteur de 20 milliards, à condition qu’il y ait stabilité, désarmement et retrait du Hamas du pouvoir,  signe que l’aide financière est étroitement liée au cadre politique et sécuritaire en formation.


La règle de Netanyahou…
Dans une lutte pour la survie, les mesures extrêmes sont justifiées !
— … Surtout si c’est la survie de ma carrière politique !
David Horsey

La dimension électorale interne
Un sondage du quotidien Maariv montre une amélioration de la position de la coalition au pouvoir après la libération du dernier groupe de captifs et détenus vivants. Le soutien au Likoud a augmenté, tandis que le parti Sonisme religieux de Bezalel Smotrich a franchi le seuil parlementaire. À l’inverse, le parti de Benny Gantz est passé en dessous de ce seuil.
Le sondage prévoit 58 sièges pour l’opposition, 52 pour la coalition et 10 pour les partis arabes, susceptibles de progresser aux prochaines élections.

Pour Netanyahou, cette configuration est idéale : elle lui permet de former une minorité de blocage empêchant l’opposition de constituer un gouvernement sans s’appuyer sur un parti arabe,  scénario inacceptable pour le consensus sioniste. Il pourrait ainsi rester Premier ministre intérimaire à long terme, avec un contrôle parlementaire minimal, d’où son intérêt pour des élections anticipées si les tendances se confirment.

Entre l’option de guerre et le besoin de stabilité
Malgré la rhétorique belliqueuse, les contraintes internes et internationales limitent la probabilité d’une reprise de la guerre. L’épuisement militaire, moral et économique en Israël, combiné à l’absence de feu vert usaméricain, fait d’un nouveau conflit un risque politique plutôt qu’une opportunité stratégique.

Le plan Trump — bénéficiant d’un large soutien régional et international — constitue la pierre angulaire de la stratégie de Washington pour rétablir l’équilibre au Moyen-Orient, notamment en vue de finaliser les accords de normalisation avec l’Arabie saoudite et l’Indonésie. Un échec affaiblirait la crédibilité des USA dans la gestion des règlements régionaux.

Le dilemme des corps et le rôle des acteurs régionaux
La question des corps des captifs constitue un test réel pour la solidité de l’accord. Des sources israéliennes reconnaissent d’importants obstacles logistiques liés à la destruction des infrastructures et des tunnels de Gaza, où beaucoup de corps seraient encore ensevelis.

Le gouvernement Netanyahou a catégoriquement refusé d’autoriser l’aide d’équipements turcs pour les opérations de récupération, une décision politique visant à limiter l’influence d’Ankara et à instrumentaliser sa position sur la Syrie. Cependant, un courant croissant en Israël plaide pour une administration de Gaza dirigée par l’Autorité palestinienne afin d’éviter un vide administratif qui profiterait au Hamas ou à d’autres acteurs extérieurs.

Conclusion
La menace israélienne de reprendre la guerre est avant tout une manœuvre électorale et médiatique visant à mobiliser le soutien intérieur et à exploiter la question des captifs à des fins politiques.

Aucun signe concret n’indique une réelle intention de relancer la guerre, compte tenu du manque de soutien usaméricain, de l’épuisement social et militaire, et de l’opposition interne de l’armée.
Le changement de nom de la guerre en « Guerre de la résurrection » reflète une tentative d’échapper à la reddition de comptes pour les échecs du 7 octobre.
Les décisions israéliennes majeures — guerre ou paix — demeurent profondément liées au calcul électoral de Netanyahou et à son effort pour préserver son pouvoir.
Le facteur décisif des mois à venir sera l’engagement de Washington envers le plan Trump, qui demeure aujourd’hui le seul cadre viable pour l’arène israélo-palestinienne.

14/10/2025

Après Charm el-Cheikh : la coalition de Netanyahou survivra-t-elle ?

English  عربية

 Ameer Makhoul , Progress Center for Policies , 14/10/2025

Traduit par Tlaxcala

 

Introduction

Dans un ton marqué par ce qu’on pourrait qualifier d’« humour trumpien », parfois proche du chaos, le président usaméricain Donald Trump a adressé plusieurs messages à la Knesset israélienne — des messages révélant un double discours destiné à la fois à l’élite politique israélienne et au grand public.

Cet article examine le contenu de ces messages adressés à la scène politique israélienne et leurs possibles implications pour l’avenir de la coalition au pouvoir dirigée par Benjamin Netanyahou.


I. Les messages de Trump à la classe politique israélienne

De manière directe et spontanée — bien que non totalement improvisée —, Trump a appelé le président israélien Isaac Herzog à utiliser son autorité constitutionnelle pour accorder à Netanyahou une grâce présidentielle, mettant fin à ses procès et les effaçant définitivement.

Il s’est également adressé à Netanyahou lui-même sur un ton « paternel », l’exhortant à faire preuve de « bienveillance » envers le chef de l’opposition, Yaïr Lapid, qui s’était exprimé au nom de l’opposition.

Par ces deux remarques, Trump a placé à la fois Netanyahou et Lapid en position de débiteurs politiques à son égard, se présentant comme leur sauveur et renforçant leur dépendance politique vis-à-vis de son leadership.

La nouvelle approche usaméricaine, sous la bannière de « America First », semble peu disposée à poursuivre le modèle traditionnel où le lobby pro-israélien joue le rôle d’intermédiaire décisif dans l’élaboration de la politique usaméricaine.

Elle redéfinit la relation de sorte que les USA deviennent le principal gardien des intérêts d’Israël, selon une vision strictement usaméricaine, et non l’inverse.


II. Lire l’arrière-plan de la position usaméricaine

Ces deux déclarations traduisent une volonté de favoriser un compromis interne israélien inspiré par l’esprit d’« unité nationale ».

Trump a utilisé son discours à la Knesset pour transmettre des messages liés à la stabilisation de la phase politique post-guerre.

Son administration considère que la coalition actuelle pourrait faire obstacle à cette nouvelle étape, tout en estimant que Netanyahou est la seule figure capable de conduire Israël de la rhétorique de la « guerre perpétuelle » à celle de la paix régionale et de la prospérité partagée entre Israéliens et Palestiniens.

III. Israël entre isolement et soumission à la domination usaméricaine

Trump a souligné que les victoires militaires d’Israël n’avaient été possibles que grâce au soutien usaméricain, promettant que son administration œuvrerait à mettre fin à l’isolement international d’Israël.

Dans le même temps, il a insisté sur le fait que ces réussites devaient lui être personnellement attribuées, concentrant son message sur Netanyahou plutôt que sur le gouvernement dans son ensemble.

Mais Trump a vite découvert que mettre fin à l’isolement régional et international d’Israël s’avérait bien plus complexe qu’il ne l’avait anticipé.

Cela s’est reflété dans la controverse entourant l’absence de Netanyahou au sommet de Charm el-Cheikh (13 octobre 2025), sur lequel les décisions de la Cour pénale internationale (CPI) planaient lourdement — créant un risque juridique pour plusieurs dirigeants européens s’ils défiaient les mandats d’arrêt visant Netanyahou.

Ce dernier a invoqué la « sainteté de la fête de Souccot » comme prétexte pour ne pas y assister, évitant ainsi une humiliation qui aurait révélé l’ampleur de son isolement politique et diplomatique, tant régional qu’international — bien si le principe juridique juif du pikuach nefesh (« sauver des vies ») aurait permis sa participation.

IV. La stratégie régionale de Trump

Trump se montre peu intéressé par les détails juridiques ou constitutionnels internes à Israël, préférant se concentrer sur l’objectif usaméricain plus large : consolider l’hégémonie yankee et s’assurer que les solutions conçues à Washington dominent les dynamiques régionales.

Sous sa direction, Washington paraît se rapprocher d’un axe émergent Turquie–Qatar–Syrie–Indonésie, tout en maintenant une coordination avec le bloc arabe traditionnel — Égypte, Arabie saoudite et Jordanie — qui soutient toujours la création d’un État palestinien.

L’administration usaméricaine actuelle considère cet objectif comme une composante des arrangements régionaux à long terme, même s’il ne figure pas parmi les priorités immédiates de Trump.

Cela signifie que le plan de fin de la guerre de Gaza, adopté à Charm el-Cheikh et officiellement approuvé par Netanyahou, représente désormais un consensus partagé — bien que l’horizon politique d’une paix durable demeure incertain.

V. La dimension religieuse et politique du discours de Trump

Dans son discours à la Knesset comme lors du sommet de Charm el-Cheikh, Trump a évoqué « trois mille ans de conflit », évitant délibérément toute référence à l’histoire moderne, au droit international ou à 1948.

Il a préféré encadrer son message autour du lien religieux entre les trois religions abrahamiques.

Cette rhétorique réactive la vision « abrahamique » de Trump, qu’il présente comme un cadre pour résoudre les différends historiques — sans aborder la nature politique contemporaine du conflit israélo-palestinien.

Ainsi, même si la cessation de la guerre de Gaza semble avoir été convenue par tous les participants du sommet et officiellement approuvée par Netanyahou, la voie politique vers une paix permanente reste incertaine :

— Sera-t-elle fondée sur les Accords d’Abraham, rejetés par la plupart des pays arabes ?

— Ou sur la création d’un État palestinien, que le leadership israélien actuel rejette et n’a nullement préparée ?

Dans les deux cas, un résultat décisif semble repoussé à l’après-Trump, à mesure que le processus avance lentement vers une solution politique et, éventuellement, la reconnaissance d’un État.

VI. Les options de Netanyahou

Netanyahou est désormais confronté à trois scénarios principaux :

  1. Organiser des élections anticipées, pour rechercher un nouveau mandat, s’appuyant sur sa popularité croissante, le soutien total de Trump et la rhétorique de la « victoire ».
  2. Gouverner jusqu’à la fin de son mandat actuel (novembre 2026), faute d’un défi sérieux au sein de la coalition ou de l’opposition.
  3. Former un gouvernement d’union nationale, option que Trump encourage ouvertement pour faciliter la mise en œuvre de son plan régional.

Si ce troisième scénario se concrétise, la durée du gouvernement pourrait être prolongée sous prétexte d’une « situation d’urgence » liée à l’application du plan usaméricain — permettant d’ignorer certaines exceptions juridiques et constitutionnelles, ce dont Trump se soucie peu.

Conclusion

Trump a renforcé la position de Netanyahou en Israël, consolidant son image de « leader incontesté » capable de faire face aux grands défis, et ouvrant la voie à l’idée d’un gouvernement d’unité nationale conforme aux préférences usaméricaines.

La fin de la guerre est désormais une décision usaméricaine, laissant peu de marge à une réinterprétation israélienne.

Les opérations militaires limitées d’Israël à Gaza semblent surtout destinées à tester la réaction de Washington, tandis que l’entrée de forces arabo-palestiniennes dans la bande pourrait restreindre la liberté d’action israélienne et compliquer ses options militaires.

L’issue pratique est la mise en œuvre progressive des phases avancées du plan usaméricain.

La mainmise de Netanyahou sur le pouvoir s’est resserrée après la visite de Trump — mais aussi sa dépendance à l’égard de la stratégie usaméricaine.

Cela s’aligne sur l’objectif de Washington : restructurer la politique interne et les équilibres partisans d’Israël.

L’isolement international d’Israël reste profond, et le sommet de Charm el-Cheikh y a ajouté une dimension juridique avec les mandats d’arrêt de la CPI contre Netanyahou — poussant peut-être Trump à user de pression ou de manipulation politique pour en neutraliser les effets.


Ce monument de style pharaonique postmoderne est pratiquement tout ce qui reste d’une précédente rencontre à Charm el-Cheikh, pompeusement baptisée « Conférence des faiseurs de paix », en mars 1996, réunissant les dirigeants de 29 pays autour de Clinton, Moubarak et Shimon Pérès

 

13/10/2025

From one to another Nobel
Open Letter from Adolfo Pérez Esquivel to María Corina Machado

Adolfo Pérez Esquivel, Página12, 13/10 /2025
Translated by Tlaxcala

 


I send you the greeting of Peace and Good, so greatly needed by humanity and by peoples living amid poverty, conflict, war, and hunger.
This open letter is meant to express and share a few reflections.

I was surprised by your designation as Nobel Peace Prize laureate, awarded by the Nobel Committee. It brought back memories of the struggles against dictatorships across our continent and in my own country — the military dictatorships we endured from 1976 to 1983. We resisted prisons, torture, and exile, with thousands of disappeared persons, abducted children, and the death flights, of which I am a survivor.

In 1980, the Nobel Committee awarded me the Nobel Peace Prize. Forty-five years have passed, and we continue working in service of the poorest, alongside the peoples of Latin America. In their name, I accepted that high distinction — not for the prize itself, but for the commitment shared with the peoples who struggle and hope to build a new dawn.
Peace is built day by day, and we must be consistent between what we say and what we do.

At 94, I remain a student of life, and your social and political stances concern me. Therefore, I send you these reflections.

The Venezuelan government is a democracy with its lights and shadows. Hugo Chávez charted the path of freedom and sovereignty for his people and fought for continental unity — a reawakening of the Great Homeland. The United States attacked him constantly: it cannot allow any country in the Americas to escape its orbit and colonial dependence. It still views Latin America as its “backyard.”
The U.S. blockade against Cuba, lasting over 60 years, is an attack on freedom and the rights of peoples. The Cuban people’s resistance stands as a lesson in dignity and strength.

I am astonished by how tightly you cling to the United States: you must know that it has no allies or friends — only interests.
The dictatorships imposed in Latin America were orchestrated to serve its aims of domination, destroying the social, cultural, and political life of peoples striving for freedom and self-determination.
We, the peoples, resist and fight for our right to be free and sovereign, and not colonies of the United States.

The government of Nicolás Maduro lives under the constant threat of the United States and its blockade — one need only recall the U.S. naval forces stationed in the Caribbean and the danger of invasion.
You have not uttered a word, nor condemned this interference by a great power against Venezuela. Yet the Venezuelan people are ready to face the threat.

Corina, I ask you: why did you call on the United States to invade Venezuela?
Upon learning of your Nobel Peace Prize, you dedicated it to Trump — the aggressor of your own country, the man who lies and accuses Venezuela of being a narco-state, a falsehood akin to George Bush’s claim that Saddam Hussein possessed “weapons of mass destruction.”
That was the pretext to invade Iraq, plunder it, and cause thousands of deaths among women and children.
I was in Baghdad at the end of the war, in a children’s hospital, and saw with my own eyes the destruction and death caused by those who proclaim themselves defenders of freedom.
The worst form of violence is the lie.

Do not forget, Corina, that Panama was invaded by the United States, causing death and destruction to capture a former ally, General Noriega.
The invasion left 1,200 dead in Los Chorrillos.
Today, the U.S. once again seeks to reclaim control of the Panama Canal.
It is a long list of U.S. interventions and suffering inflicted upon Latin America and the world.
The veins of Latin America remain open, as Eduardo Galeano once wrote.

I am troubled that you dedicated your Nobel not to your people, but to the aggressor of Venezuela.
I believe, Corina, you must reflect and understand where you stand — whether you are merely another piece in the U.S. colonial system, submissive to its interests of domination, which can never serve the good of your people.
As an opponent of the Maduro government, your stances and choices create much uncertainty, especially when you call for a foreign invasion of your homeland.

Remember that building peace requires great strength and courage for the good of your people — a people I know and deeply love.
Where once there were shantytowns clinging to the hills, surviving in poverty and destitution, there are now decent homes, healthcare, education, and culture.
The dignity of a people cannot be bought or sold.

Corina, as the poet* says:

“Traveler, there is no path; the path is made by walking.”

You now have the chance to work for your people and build peace, not provoke greater violence.
One evil cannot be cured by a greater evil: we would have two evils and never a solution.

Open your mind and your heart to dialogue, to meeting your people.
Empty the jug of violence and build peace and unity among your people, so that the light of freedom and equality may finally enter.

*Another Machado, named Antonio (no relation to Mrs. María Corina) [Transl. n.]

De Nobel à Nobel
Lettre ouverte d’Adolfo Pérez Esquivel à María Corina Machado

Adolfo Pérez Esquivel, Página12, 13/10 /2025
Traduit par Tlaxcala



Je t’adresse le salut de Paix et de Bien, dont l’humanité et les peuples plongés dans la pauvreté, les conflits, les guerres et la faim ont tant besoin. Cette lettre ouverte vise à t’exprimer et à partager quelques réflexions.

J’ai été surpris par ta désignation comme Prix Nobel de la paix, attribué par le Comité Nobel. Cela m’a rappelé les luttes contre les dictatures sur notre continent et dans mon propre pays — les dictatures militaires que nous avons subies de 1976 à 1983. Nous avons résisté aux prisons, à la torture et à l’exil, avec des milliers de disparus, des enfants enlevés, et les vols de la mort, dont je suis moi-même un survivant.

En 1980, le Comité Nobel m’a décerné le Prix Nobel de la paix. Quarante-cinq ans ont passé, et nous continuons à œuvrer au service des plus pauvres, aux côtés des peuples latino-américains. Au nom de tous ceux-là, j’ai accepté cette haute distinction — non pour le prix en soi, mais pour l’engagement partagé avec les peuples qui luttent et espèrent construire un nouvel horizon.
La paix se construit jour après jour, et nous devons être cohérents entre nos paroles et nos actes.

À mes 94 ans, je demeure un apprenti de la vie, et ta posture, tes décisions sociales et politiques m’inquiètent. Je t’envoie donc ces réflexions.

Le gouvernement vénézuélien est une démocratie, avec ses lumières et ses ombres. Hugo Chávez a tracé la voie de la liberté et de la souveraineté du peuple, et il a lutté pour l’unité du continent — un réveil de la grande patrie latino-américaine. Les USA l’ont constamment attaqué: ils ne peuvent tolérer qu’un pays du continent échappe à leur orbite et à leur dépendance coloniale. Ils continuent de considérer l’Amérique latine comme leur « arrière-cour ».
Le blocus imposé à Cuba depuis plus de 60 ans est une attaque contre la liberté et les droits des peuples. La résistance du peuple cubain demeure un exemple de dignité et de force.

Je m’étonne de voir à quel point tu t’accroches aux USA: tu devrais savoir qu’ils n’ont ni alliés ni amis, seulement des intérêts.
Les dictatures imposées en Amérique latine ont été orchestrées au service de leurs intérêts de domination, détruisant la vie et le tissu social, culturel et politique des peuples qui luttent pour leur liberté et leur autodétermination.
Nous les peuples, nous résistons et nous luttons pour le droit d’être libres et souverains, et non des colonies des USA.

Le gouvernement de Nicolás Maduro vit sous la menace constante des USA et du blocus — il suffit de rappeler la présence des forces navales usaméricaines dans la Caraïbe et le danger d’une invasion.
Tu n’as pas dit un mot, ni condamné cette ingérence d’une grande puissance contre le Venezuela. Pourtant, le peuple vénézuélien est prêt à affronter la menace.

Corina, je te demande : pourquoi as-tu appelé les USA à envahir le Venezuela ?
Lorsqu’on a annoncé que tu avais reçu le Prix Nobel de la paix, tu l’as dédié à Trump — l’agresseur de ton propre pays, celui qui ment et accuse le Venezuela d’être un État narcotrafiquant, un mensonge semblable à celui de George Bush, qui accusa Saddam Hussein de détenir des « armes de destruction massive ».
Ce fut le prétexte pour envahir l’Irak, le piller et provoquer des milliers de morts, de femmes et d’enfants.
J’étais à Bagdad à la fin de la guerre, dans un hôpital pour enfants, et j’ai vu la destruction et les morts causées par ceux qui se proclament défenseurs de la liberté.
La pire des violences est le mensonge.

N’oublie pas, Corina, que le Panama fut envahi par les USA, provoquant morts et destructions pour capturer un ancien allié, le général Noriega.
L’invasion fit 1 200 morts à Los Chorrillos.
Aujourd’hui, les USA cherchent à nouveau à s’emparer du canal de Panama.
C’est une longue liste d’interventions et de souffrances infligées à l’Amérique latine et au monde par les USA .
Les veines de l’Amérique latine restent ouvertes, comme l’écrivait Eduardo Galeano.

Je suis troublé que tu aies dédié le Nobel non pas à ton peuple, mais à l’agresseur du Venezuela.
Je crois, Corina, que tu dois réfléchir et comprendre où tu te tiens : es-tu une pièce de plus dans le système colonial des USA, soumise à leurs intérêts de domination — ce qui ne peut jamais être au bénéfice de ton peuple ?
En tant qu’opposante au gouvernement de Maduro, tes positions et tes choix suscitent beaucoup d’incertitudes, surtout lorsque tu en viens à appeler une puissance étrangère à envahir ton pays.

Il faut se souvenir que construire la paix demande force et courage, au service de ton peuple — un peuple que je connais et que j’aime profondément.
Là où il y avait jadis des bidonvilles dans les collines, vivant dans la pauvreté et la misère, il y a aujourd’hui des logements décents, des soins, de l’éducation et de la culture.
La dignité d’un peuple ne s’achète ni ne se vend.

Corina, comme le dit le poète* :

« Voyageur, il n’existe pas de chemin ; le chemin se fait en marchant. »

Tu as aujourd’hui la possibilité de travailler pour ton peuple et de construire la paix, non de provoquer davantage de violence.
Un mal ne se résout jamais par un mal plus grand : on n’aura alors que deux maux, et jamais la solution du conflit.

Ouvre ton esprit et ton cœur au dialogue, à la rencontre de ton peuple.
Vide le baril de la violence et construis la paix et l’unité de ton peuple, pour que la lumière de la liberté et de l’égalité puisse enfin entrer.

*Un autre Machado, prénommé Antonio (aucun lien avec Mme María Corina) [NdT]

05/10/2025

GIDEON LEVY
Oui, il faut pleurer sur le sang versé : des générations passeront avant que Gaza oublie le génocide


Gideon Levy, Haaretz, 5/10/2025
Traduit par Tlaxcala

Il faut une dose extraordinaire d’optimisme pour ne pas être accablé – ou rabat-joie – face à l’accord sur Gaza. Mais c’est possible : la proposition présente certains points positifs.


Des Palestiniens inspectent les dégâts dans un quartier résidentiel après une opération israélienne dans la zone, samedi.
Photo Ebrahim Hajjaj / REUTERS


Ce n’est pas un accord de paix entre Israël et Gaza, ce qui aurait bien sûr été préférable, mais plutôt un accord que les USA ont imposé à Israël. Il est depuis longtemps évident que seul un accord imposé peut amener Israël à changer. Le voici donc. C’est un signe d’espoir pour la poursuite d’une politique usaméricaine contraignante — sans laquelle rien ne bouge.

Des dizaines de milliers de vies ont été sauvées ce week-end. La peur, la faim, les maladies, les souffrances et les privations de plus de deux millions de personnes pourraient peu à peu prendre fin. Dimanche, elles auront au moins leur première nuit de sommeil sans la menace des bombardements au-dessus de leurs têtes. Des centaines de personnes retrouveront aussi leur liberté : les 20 otages israéliens encore en vie, les 250 prisonniers palestiniens purgeant des peines à perpétuité en Israël, et les 1 800 habitants de Gaza, pour la plupart innocents, détenus en Israël.

Oui, dans un même souffle : les détenus palestiniens ont eux aussi des familles qui ont enduré des mois, voire des années, d’angoisse et d’incertitude quant au sort de leurs proches. La plupart méritent enfin d’être libérés. Aucun des 1 800 détenus de Gaza qui seront libérés n’a été jugé. Eux aussi ont été enlevés. Il vaut mieux éviter de comparer les conditions de détention : elles ont été terribles des deux côtés. Leur libération est donc une source de joie – pour tous : tous les otages et toutes les familles.

Cet accord rétablit l’ordre dans les relations usaméricano-israéliennes : Israël est l’État client, et les USA la superpuissance. Ces définitions s’étaient complètement brouillées ces dernières années, au point que, surtout sous les administrations Obama et Biden, il semblait parfois qu’Israël était le patron et l’USAmérique son protectorat. Enfin, un président usaméricain ose utiliser le levier immense dont il dispose pour dicter les actions d’Israël. Les décisions imposées par Donald Trump sont bénéfiques pour Israël — même si peu l’admettent.

Mettre fin à la guerre est bien sûr une bonne chose pour Gaza, mais c’est aussi une bonne chose pour Israël. Ce n’est pas le moment d’énumérer tous les dommages terribles que cette guerre a causés à Israël, certains irréversibles. Le monde n’oubliera pas de sitôt le génocide ; il faudra des générations avant que Gaza oublie.
Arrêter la guerre maintenant est le moindre mal pour Israël, qui a perdu son chemin. Ces derniers mois, le pays était au bord de l’effondrement moral et stratégique. L’oncle Donald le ramène à ses proportions d’origine et, peut-être, lui ouvre une voie différente.

Israël aurait pu éviter cette guerre, qui ne lui a causé que du tort. Mais il aurait aussi pu gérer sa fin autrement. Des négociations directes avec le Hamas et des gestes de bonne volonté auraient pu changer la donne. Un retrait total de la bande de Gaza et la libération de tous les prisonniers auraient signalé un nouveau départ. Mais Israël, comme toujours, a choisi d’agir différemment — de ne faire que ce qu’on lui impose.

Gaza, et même le Hamas, sortent de cette guerre debout. Battus, saignants, épuisés, ruinés, mais debout. Gaza est devenue une Hiroshima, mais son esprit vit encore. La cause palestinienne avait complètement disparu de l’agenda international — encore un moment de paix avec l’Arabie saoudite, et les Palestiniens seraient devenus les Indiens d’Amérique de la région — puis la guerre est venue, les ramenant au centre de l’attention mondiale. Le monde les aime, le monde les plaint.

Il n’y a pas de consolation pour les habitants de Gaza, qui ont payé un prix indescriptible — et le monde pourrait encore les oublier —, mais pour l’instant, ils sont au sommet de l’attention mondiale.

Ce moment doit être saisi pour changer l’état d’esprit en Israël : il est temps que les Israéliens ouvrent les yeux et voient ce qu’ils ont fait.

Peut-être qu’il ne sert à rien de pleurer sur le lait renversé, mais le sang versé est autre chose. Il est temps d’ouvrir la bande de Gaza aux médias et de dire aux Israéliens : “Voyez, voilà ce que nous avons fait”.
Il est temps d’apprendre que s’appuyer uniquement sur la force militaire mène à la dévastation.
Il est temps de comprendre qu’en Cisjordanie, nous créons un autre Gaza.
Et il est temps de regarder droit devant et de dire : nous avons péché, nous avons agi avec perversité, nous avons transgressé.

JORGE MAJFUD
Les Accords de paix de l’homme blanc accro

Jorge Majfud pour La Pluma et Tlaxcala, 5/10/2025
Traduit par Tlaxcala

 

Le 29 septembre 2025, le New York Times a rendu compte de la réunion à la Maison-Blanche entre le président Trump et le premier ministre israélien Netanyahou.
Son titre annonçait : 
« Trump et Netanyahou disent au Hamas d’accepter leur plan de paix — ou sinon… »
Le sous-titre précisait ces points de suspension : « Le président Trump a déclaré qu’Israël aurait feu vert pour “finir le boulot” si le Hamas refusait d’accepter l’accord de cessez-le-feu. »


Cessez-le-feu…
Ce n’est pas que l’histoire rime : elle se répète.
Depuis le XVe siècle, tous les accords signés par les empires européens ont été imposés par la force des armes et systématiquement violés dès qu’ils cessaient de leur être utiles ou lorsqu’ils avaient réussi à avancer leurs lignes de feu.
Destruction et spoliation, assaisonnées d’une bonne cause : la civilisation, la liberté, la démocratie et le droit de l’envahisseur à se défendre.

Ce fut, pendant des siècles, la même histoire, celle de la diplomatie entre peuples autochtones et colons blancs — en rien différente du cas le plus récent de « l’Accord de paix » proposé et imposé sous menace par Washington et Tel-Aviv à la Palestine.
C’est la même histoire : la violation de tous les traités de paix conclus avec les nations autochtones, de part et d’autre des Appalaches, avant et après 1776.
Puis, ce que les historiens appellent « l’Achat de la Louisiane » (1803) ne fut pas un achat mais une spoliation brutale des nations autochtones, propriétaires ancestrales de ce territoire aussi vaste que tout le jeune pays anglo-américain.
Aucun autochtone ne fut invité à la table des négociations à Paris, bien loin des spoliés.
Et lorsque l’un de ces accords compta un “représentant” des peuples agressés — comme dans le cas du traité cherokee de 1835 — il s’agissait d’un faux représentant, un Guaidó inventé par les colons blancs.

Il en alla de même du transfert des dernières colonies espagnoles (Cuba, Porto Rico, Philippines, Guam) aux USA.
Alors que des centaines de Sioux teignaient de rouge les neiges du Dakota pour réclamer le paiement prévu par le traité les ayant forcés à vendre leurs terres, à Paris on signait un nouvel accord de paix concernant les peuples tropicaux.
Aucun représentant des spoliés ne fut invité à négocier l’accord censé rendre possible leur libération.

Pour Theodore Roosevelt, « la plus juste de toutes les guerres est la guerre contre les sauvages (…) les seuls bons Indiens sont les Indiens morts. »
Plus au sud, il écrivit et publia : « les Noirs sont une race stupide. »
Selon Roosevelt, la démocratie avait été inventée au bénéfice de la race blanche, seule capable de civilisation et de beauté.

À cette époque, l’ethnie anglo-saxonne avait besoin d’une justification à sa brutalité et à sa manie de voler puis de blanchir ses crimes par des accords de paix imposés par la force.
Comme, dans la seconde moitié du XIXe siècle, le paradigme scientifique avait remplacé la religion, cette justification devint la supériorité raciale.

L’Europe tenait la majeure partie du monde sous sa coupe grâce à son fanatisme et à son addiction à la poudre.
Les théories sur la supériorité de l’homme blanc allaient de pair avec sa victimisation : les Noirs, Bruns, Rouges et Jaunes abusaient de sa générosité tout en menaçant la minorité de la race supérieure d’un remplacement par la majorité des races inférieures.
Cela ne vous rappelle rien ?

Comme ces théories biologisantes n’étaient pas suffisamment étayées, on fit appel à l’histoire.
À la fin du XIXe siècle, l’Europe pullulait de théories linguistiques puis anthropologiques sur l’origine pure de la race noble (aryenne, iranienne), la race blanche issue des Védas hindous.
Ces histoires tirées par les cheveux — et les symboles hindous comme la croix gammée nazie ou ce que l’on appelle aujourd’hui l’étoile de David (utilisée par diverses cultures depuis des siècles mais originaire de l’Inde) — se popularisèrent comme symboles raciaux imprimés.



Ce n’est pas un hasard si, à ce moment précis, les théories suprémacistes et le sionisme furent fondés et articulés dans leurs concepts historiques, dans l’Europe blanche, raciste et impérialiste du Nord.
Même le fondateur du sionisme, Theodor Herzl, considérait que les Juifs appartenaient à la « race aryenne supérieure ».

Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, ces suprémacismes coexistèrent avec quelques frictions, mais pas au point de les empêcher de conclure des accords : comme l’Accord Haavara entre nazis et sionistes, qui transféra pendant des années des dizaines de milliers de Juifs blancs (de « bon matériel génétique ») vers la Palestine.
Les premiers antisionistes ne furent pas les Palestiniens qui les accueillirent, mais les Juifs européens qui résistèrent à cet accord de nettoyage ethnique.
Au moment même où l’on colonisait et spoliait les Palestiniens de leurs terres, on colonisait et spoliait le judaïsme de sa tradition.

Lorsque les Soviétiques écrasèrent les nazis de Hitler, être suprémaciste devint une honte. Soudain, Winston Churchill et les millionnaires américains cessèrent de se vanter d’être nazis. Auparavant, la déclaration Balfour-Rothschild de 1917 avait été un accord entre Blancs pour diviser et occuper un territoire de « races inférieures ». Comme le déclara le raciste et génocidaire Churchill, alors ministre de la Guerre : « Je suis tout à fait favorable à l’usage de gaz toxiques contre les tribus non civilisées. » [et il le fit en Irak, NdT]

Mais la brutale irrationalité de la Seconde Guerre mondiale mit également fin à l’ère moderne fondée sur la raison et le progrès. Les sciences et la pensée critique cédèrent la place à l’irrationalité du consumérisme et des religions.

Ainsi, les sionistes d’aujourd’hui n’insistent plus devant l’ONU ou la Maison-Blanche sur leur supériorité aryenne, mais sur leurs droits spéciaux en tant que Sémites élus de Dieu.
Netanyahou et ses escortes évangéliques invoquent mille fois la sacralité biblique d’Israël, comme si lui et le roi David ne faisaient qu’un et comme si ce peuple sémite à la peau foncée d’il y a trois mille ans était le même que les Khazars du Caucase ayant adopté le judaïsme dans l’Europe médiévale.

L’accord de Washington entre Trump et Netanyahou, destiné à être accepté par les Palestiniens, est illégitime dès le début. Peu importe combien de fois on répète le mot paix — tout comme il importe peu de répéter le mot amour pendant qu’on viole une femme. Ce sera toujours un viol, comme le sont l’occupation et l’apartheid d’Israël sur la Palestine.

Le mardi 30 septembre, le ministre de la Guerre des USA, Pete Hegseth, réunit ses généraux et cita George Washington : « Celui qui désire la paix doit se préparer à la guerre », non pas parce que Washington « voulait la guerre, mais parce qu’il aimait la paix ».

Le président Trump conclut : ce serait un affront pour les USA s’il ne recevait pas le prix Nobel de la paix.

En 1933, dans son discours devant le Reichstag, le candidat au prix Nobel de la paix Adolf Hitler déclara que l’Allemagne ne désirait que la paix. Trois ans plus tard, après avoir occupé militairement la Rhénanie, il insista sur le fait que l’Allemagne était une nation pacifiste cherchant simplement sa sécurité.

Même si le nouvel accord entre Washington et Tel-Aviv était accepté par le Hamas (l’une des créatures de Netanyahou), tôt ou tard il serait violé par Tel-Aviv. Car, pour la race supérieure, pour les peuples élus, il n’existe pas d’accords avec les êtres inférieurs, mais des stratégies de pillage et d’anéantissement : des stratégies de diabolisation de l’esclave, du colonisé, et de victimisation du pauvre homme blanc, cet accro à la poudre — désormais à la poudre blanche.


JORGE MAJFUD
The Peace Agreements of the Addicted White Man

Jorge Majfud for La Pluma y Tlaxcala, Oct. 5, 2025

Translated by Tlaxcala

On September 29, 2025, The New York Times reported on the meeting at the White House between President Trump and Israeli Prime Minister Netanyahu. under this headline with a clarifying subtitle:

Cease-fire…It is not that history rhymes—it repeats itself.
Since the fifteenth century, all the treaties signed by the European empires have been made at gunpoint and systematically ignored once they stopped serving their purposes or when they managed to push forward their lines of fire.
Destruction and dispossession were always seasoned with some noble cause: civilization, freedom, democracy, and the invader’s right to defend himself.


For centuries, it was the same story repeated in the diplomacy between Indigenous peoples and white settlers—no different from the most recent case of the “Peace Agreement” proposed and imposed under threat by Washington and Tel Aviv on Palestine.
It is the same history of the violation of every peace treaty signed with the Native Nations on either side of the Appalachians, before and after 1776.
Later, what historians call the “Louisiana Purchase” (1803) was not a purchase at all, but a brutal dispossession of the Indigenous nations who were the ancestral owners of that territory, as large as the entire rising Anglo country in America.
No Native person was invited to the negotiating table in Paris, far from those being dispossessed.
And when one of these agreements included some “representative” of the attacked peoples—as in the 1835 Cherokee Treaty—the representative was false, a Guaidó invented by the white settlers.

The same occurred with the transfer of Spain’s last colonies (Cuba, Puerto Rico, the Philippines, Guam) to the United States.
While hundreds of Sioux dyed the snows of Dakota red demanding payment according to the treaty that had forced them to sell their lands, in Paris a new peace agreement was being signed over tropical peoples.
No representative of the dispossessed was invited to negotiate the accord that supposedly made their “liberation” possible.

For Theodore Roosevelt, “the most righteous of all wars is the war against savages… the only good Indians are dead Indians.”
Further south, he wrote and published that “Negroes are a stupid race.”
According to Roosevelt, democracy had been invented for the benefit of the white race, the only one capable of civilization and beauty.

During those years, the Anglo-Saxon ethnicity needed a justification for its brutality and its habit of stealing and then washing its crimes away with peace agreements imposed by force.
Since in the second half of the nineteenth century the epistemological paradigm of science had replaced religion, that justification became racial superiority.

Europe kept most of the world subjugated through its fanaticism and its addiction to gunpowder.
Theories about the superiority of the white man went hand in hand with his victimization: Blacks, Browns, Reds and Yellows took advantage of his generosity while threatening the minority of the superior race with replacement by the majority of inferior ones.
Sound familiar?

Because those biologicist theories were not sufficiently grounded, history was invoked instead.
At the end of the nineteenth century, Europe was teeming with linguistic and later anthropological theories about the pure origin of the noble race (Aryan, Iran), the white race derived from the Hindu Vedas.
These far-fetched stories—and Hindu symbols such as the Nazi swastika and what is now known as the Star of David (used by different cultures centuries earlier but originally from India)—became popular as racial symbols in print.



It is no coincidence that it was precisely at that moment that supremacist theories and Zionism were founded and articulated within their historical concepts in the white, racist, imperialist Europe of the North.
Even the founder of Zionism, Theodor Herzl, understood that Jews belonged to the superior “Aryan race.”

Until the Second World War, these supremacisms coexisted with certain frictions but not enough to prevent them from forming agreements, such as the Haavara Agreement between Nazis and Zionists, which for years transferred tens of thousands of white Jews (of “good genetic material”) to Palestine.
The first anti-Zionists were not the Palestinians who received them, but the European Jews who resisted that ethnic-cleansing agreement.
At the same time that the Palestinians were colonized and stripped of their lands, Judaism itself was colonized and stripped of its tradition.

When the Soviets crushed Hitler’s Nazis, being a supremacist became a disgrace.
Suddenly, Winston Churchill and the USAmerican millionaires stopped boasting of being Nazis.
Earlier, the 1917 Balfour-Rothschild Declaration had been an agreement among whites to divide and occupy a territory of “inferior races.”
As the racist and genocidal Churchill—then Minister of War—said:

“I am strongly in favor of using poisonous gas against uncivilized tribes.” [and he used it in Iraq, Transl. n.]

But the brutal irrationality of the Second World War also ended the Modern Era, founded on the paradigms of reason and progress.
Science and critical thought gave way to the irrationality of consumerism and religion.

Thus, today’s Zionists no longer insist before the UN or the White House on their Aryan racial superiority, but rather on their special rights as God’s chosen Semites.
Netanyahu and his evangelical escorts quote the biblical sacredness of Israel a thousand times, as if he and King David were the same person and as if that dark-skinned Semitic people of three thousand years ago were the same Khazars of the Caucasus who adopted Judaism in medieval Europe.

The Washington agreement between Trump and Netanyahu, to be accepted by the Palestinians, is illegitimate from the start.
It does not matter how many times the word peace is repeated—just as it does not matter how many times the word love is repeated while a woman is being raped.
It will always be a violation, just as Israel’s occupation and apartheid over Palestine are.

On Tuesday, September 30, U.S. Secretary of War Pete Hegseth gathered his generals and quoted George Washington:

“He who desires peace must prepare for war,”
not because Washington “wanted war, but because it loved peace.”
President Trump concluded: it would be an insult to the United States if he were not awarded the Nobel Peace Prize.

In 1933, in his speech before the Reichstag, the Nobel Peace Prize candidate Adolf Hitler declared that Germany sought only peace.
Three years later, after remilitarizing Rhineland, he insisted that Germany was a pacifist nation seeking its security.

Even if the new agreement between Washington and Tel Aviv is accepted by Hamas (one of Netanyahu’s own creations), sooner or later it will be violated by Tel Aviv.
For the superior race—for the chosen peoples—there are no agreements with inferior beings, only strategies of plunder and annihilation: strategies of demonizing the slave and the colonized, and of victimizing the poor white man, that addict to gunpowder—now to white powder.