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21/08/2024

RIFAT KASSIS
Pourquoi le “camp de la paix” israélien a disparu

 Il appartient avant tout aux Israéliens de rejeter l’occupation coloniale, les lois d’apartheid, le gouvernement actuel et les partis nationalistes. L’alternative signifie la perte de leur humanité.

Rifat Kassis, Mondoweiss, 18/8/2024
Traduit par 
Fausto GiudiceTlaxcala

 

Rifat Odeh Kassis, Palestinien chrétien né à Beit Sahour, est coordinateur de Kairos Palestine, le plus vaste mouvement œcuménique chrétien palestinien non violent, qui appelle à la paix pour mettre fin à toutes les souffrances en Terre sainte en œuvrant pour la justice, l’espoir et l’amour. Il a fondé en 1991 la section palestinienne de l’organisation internationale de défense des droits de l’enfant Defence for Children International (DCI) et en a été le président. Meta

Depuis sa création en 1948, Israël a été impliqué dans de nombreuses guerres avec les Palestiniens et certains pays arabes. Historiquement, ces guerres ont suscité des débats en Israël, avec des segments non négligeables de la population exprimant leur inquiétude quant au traitement sévère des Palestiniens et plaidant pour le respect de leurs droits humains. Toutefois, la récente guerre contre Gaza a été marquée par une absence frappante de toute dissidence interne significative ou même de débat timide. Cela soulève une question cruciale : Comment la société israélienne s’est-elle transformée au point que les protestations publiques contre les guerres et les violations des droits humains des Palestiniens ont largement disparu ?

Tout au long de l’histoire d’Israël, il y a eu des occasions d’opposition interne aux actions militaires de l’État. Pendant la guerre du Liban de 1982, le mouvement « La paix maintenant » a organisé des manifestations de masse pour dénoncer l’invasion et l’occupation de certaines parties du Liban. La première Intifada, à la fin des années 1980, a également suscité une opposition importante, certains Israéliens ayant été confrontés aux implications morales de l’occupation militaire et aux mesures sévères prises à l’encontre des Palestiniens. Même pendant la seconde Intifada et les guerres ultérieures contre Gaza, certains groupes de la société israélienne ont protesté activement, appelant à une approche plus humaine et à une solution fondée sur la coexistence de deux États.

 Les forces d’occupation israéliennes bloquent des militants pacifistes palestiniens et israéliens qui manifestent à l’entrée de Huwara, en Cisjordanie, le 3 mars 2023 suite à un premier pogrom commis par des colons. Photo : Mohammed Nasser/APA Images

Mais ces dernières années, lorsqu’il s’agit du traitement des Palestiniens par Israël, cette tradition de dissidence s’est affaiblie et, lors de la guerre contre Gaza, elle a pratiquement disparu. Les voix de protestation, autrefois vibrantes, ont été remplacées par un silence glacial.

Pourquoi ?

1. Un glissement politique vers la droite

L’un des facteurs les plus importants de cette transformation a été le glissement constant vers la droite de la politique israélienne. Au cours des deux dernières décennies, le paysage politique israélien a été de plus en plus dominé par des partis de droite, nationalistes et fascistes. Cette évolution s’est accompagnée d’un durcissement des attitudes à l’égard des Palestiniens et d’une importance croissante accordée à la sécurité personnelle. La montée en puissance de dirigeants comme Benjamin Netanyahou, qui a cultivé une propagande de menace perpétuelle et de danger existentiel, a contribué à créer une atmosphère sociétale dans laquelle la dissidence est considérée non seulement comme malavisée, mais aussi comme une trahison potentielle.

2. Normalisation de la guerre et de l’occupation par les colons

Pour de nombreux Israéliens, l’occupation et les escalades périodiques à Gaza font désormais partie de la vie quotidienne, d’un statu quo accepté. Cette normalisation est aggravée par le fait que de nombreux jeunes Israéliens ont grandi sans rien connaître d’autre, ayant été élevés dans une société où la guerre est une constante. Il en résulte un sentiment de fatalisme et de résignation, le changement étant soit impossible, soit indésirable.

Le traumatisme et la peur persistants générés par des années de conflit ne doivent pas être passés sous silence. De nombreux Israéliens ont fait l’expérience directe de la violence de la guerre et des attaques militaires. Ce sentiment permanent de menace a créé une mentalité d’assiégés, où toute mesure prise au nom de la sécurité est considérée comme justifiée.

3. Érosion des libertés civiles et des normes démocratiques

Ces dernières années, on a assisté à une érosion notable des libertés civiles et des normes démocratiques en Israël. Des lois et des règlements ont été introduits pour étouffer la dissidence et limiter la capacité des organisations à critiquer le gouvernement et ses politiques. L’étiquetage des ONG en tant qu’« agents étrangers », la désignation de certaines d’entre elles comme que factions terroristes, le ciblage des activistes et la suppression de la liberté des médias ont contribué à créer un environnement dans lequel il est de plus en plus difficile et dangereux de protester publiquement. Cette érosion a créé un effet de refroidissement, où ceux qui auraient pu autrefois s’exprimer sont aujourd’hui réduits au silence par peur des répercussions.

4. Évolution de la perception du public et du cadrage des médias

Le cadrage du conflit par les médias israéliens a joué un rôle crucial dans l’évolution de la perception du public. Les médias israéliens et, dans une large mesure, les médias internationaux présentent souvent un récit qui met l’accent sur l’agression palestinienne et minimise ou justifie les agressions israéliennes et les violations du droit international. Ce discours, combiné à une couverture nettement unilatérale de la guerre à Gaza et à la présentation du conflit comme un jeu à somme nulle où toute critique du gouvernement est assimilée à un manque de patriotisme, a rendu difficile l’émergence de voix alternatives. Le résultat est une société où la majorité de la population soutient les actions du gouvernement ou reste indifférente.

5. Tendances mondiales et montée du populisme

La montée mondiale du populisme et de l’autoritarisme a eu un impact sur la société israélienne. Les leaders populistes se nourrissent souvent d’un discours « nous contre eux ». En Israël, cela s’est traduit par un sentiment accru de nationalisme et une diminution de la tolérance à l’égard de la dissidence. L’influence des tendances mondiales, où des dynamiques similaires peuvent être observées dans des pays comme les USA et de nombreux autres pays, a renforcé l’évolution vers une société plus autoritaire et moins tolérante.

6. L’industrialisation de l’Holocauste et de l’antisémitisme

L’exploitation de l’Holocauste et de l’antisémitisme a contribué à réduire au silence les dernières forces progressistes au sein de la société israélienne. En Israël, ces tragédies historiques sont parfois utilisées pour créer un récit qui assimile la critique interne des politiques gouvernementales - en particulier en ce qui concerne le traitement des Palestiniens - à de la déloyauté ou à de la haine de soi, voire à de l’antisémitisme. Cela a créé un climat de peur et d’autocensure, où les voix dissidentes sont marginalisées et où le débat ouvert sur des questions cruciales est étouffé. Le poids émotionnel de l’Holocauste et la menace de l’antisémitisme sont des outils puissants qui peuvent être utilisés pour unifier les Israéliens contre leurs ennemis internes et externes, mais au prix de la suppression du discours critique, de la montée de la cruauté entre les gens et de la perte de leur humanité.

Sur la scène internationale, ce récit est également utilisé pour détourner les critiques des politiques israéliennes en les présentant comme intrinsèquement antisémites ou comme un déni de la souffrance juive. Cette stratégie peut réduire au silence les voix internationales qui cherchent à rendre Israël responsable de ses actes, notamment en ce qui concerne les violations des droits humains commises à l’encontre des Palestiniens. En invoquant l’Holocauste et en lançant l’accusation d’antisémitisme, le gouvernement israélien et ses partisans peuvent décourager l’examen et détourner l’attention des réalités actuelles de la région. Non seulement cette attitude entrave les efforts déployés pour lutter contre le nettoyage ethnique et le génocide en cours, mais elle risque également de confondre critique légitime et sectarisme, compliquant ainsi le discours mondial sur la question israélo-palestinienne.

Tout en reconnaissant ces réalités, les dirigeants mondiaux et les membres informés de la société civile savent que l’avenir des Israéliens et des Palestiniens est inextricablement lié. Nous, chrétiens palestiniens, l’avons exprimé dans le document de Kairos Palestine, Un moment de vérité (2009): «Notre avenir et le leur ne font qu’un : ou bien un cercle de violence dans lequel nous périssons ensemble, ou bien une paix dont nous jouissons ensemble. (4.3) ».

Il appartient en premier lieu aux Israéliens de rejeter l’occupation coloniale, les lois d’apartheid, le gouvernement actuel et les partis nationalistes qui perpétuent le conflit et la division. En reconnaissant le destin commun des deux peuples, les Israéliens devraient prendre position contre les politiques et les pratiques qui violent les droits et les vies des Palestiniens, en reconnaissant que la paix et la justice pour tous est la seule voie vers un avenir sûr et harmonieux. Cette compréhension mutuelle et le rejet de l’oppression sont essentiels pour que les deux peuples puissent prospérer ensemble sur la terre qu’ils considèrent tous deux comme sainte.


La Terre sainte, par Darrin Bell

12/06/2024

ALLISON KAPLAN SOMMER
Ces Israéliens qui se mettent le doigt dans l’œil en se réjouissant de la montée de l’extrême droite “pro-israélienne” en Europe

Allison Kaplan Sommer, Haaretz, 10/6/2024
Traduit par Layân Benhamed, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les Israéliens feraient bien d’d’écouter des personnalités comme le chef de la Conférence des rabbins européens, le rabbin Pinchas Goldschmidt, qui a écrit à la veille des élections européennes qu’il n’y avait « pas de bons choix » pour les Juifs européens.


Israel Katz, janvier 2023. Photo Olivier Fitoussi

Dans des circonstances normales, les dirigeants et experts israéliens montreraient au moins une certaine détresse en apprenant que les partis d’extrême droite liés au passé nazi et fasciste et aux scandales d’antisémitisme actuels ont dominé les élections au Parlement européen.

Mais, comme pour bien d’autres choses, la guerre contre le Hamas à Gaza et la condamnation mondiale d’Israël ont modifié ce calcul. Après les récentes annonces de l’Espagne, de l’Irlande, de la Norvège et de la Slovénie selon lesquelles elles reconnaîtraient officiellement un État palestinien, la victoire de la droite en Europe a plutôt suscité l’optimisme quant au ralentissement, voire à l’arrêt de la tendance.

Le chef du bureau européen de la chaîne de télévision la mieux notée d’Israël, Elad Simchayoff, a célébré sur X la démission du Premier ministre belge Alexander De Croo , qui avait sévèrement critiqué Israël au cours de la guerre. Les responsables du ministère israélien des Affaires étrangères avaient craint que De Croo ne soit sur le point d’amener la Belgique à suivre les traces des autres pays et à reconnaître un État palestinien.

 Simchayoff a tweeté une vidéo de l’annonce en larmes de De Croo, commentant joyeusement : « Au revoir et prenez soin de vous. Nous nous souviendrons toujours de votre manque de clarté morale et de tact, en voyageant jusqu’en Égypte pour prononcer un discours au passage de Rafah quelques instants avant le passage du premier groupe defemmes et d’ enfants otages de retour en Israël. »

En effet, le 24 novembre, De Croo se trouvait à Rafah avant qu’un accord n’aboutisse à la libération de 13 otages du Hamas. Alors que le Premier ministre belge a salué cette libération et appelé à la libération de davantage d’otages, il a réservé des propos durs à l’égard d’Israël , dénonçant la « violence des colons », la violation du droit humanitaire international, le « meurtre de personnes innocentes » et appelant à un « cessez-le-feu permanent ».

Le ministre de la Diaspora, Amichai Chikli, s’est lui aussi moqué des larmes de De Croo, affirmant :« soutenir le terrorisme ne trouve pas un écho auprès du peuple belge ».


Le Premier ministre belge @alexanderdecroo a pleuré hier lorsque son parti a été vaincu. Apparemment, soutenir le terrorisme ne trouve pas un écho auprès du peuple belge.

Le ministre israélien des Affaires étrangères, Israel Katz, censé être le plus haut diplomate du pays, a publié un tweet extrêmement peu diplomatique en anglais et en espagnol, qui présentait un mème des principaux dirigeants espagnols avec des œufs crus et dégoulinants écrasés sur la tête, célébrant le fait que la reconnaissance de l’État palestinien ait été « punies» par les électeurs.

« Le peuple espagnol a puni la coalition @sanchezcastejon et @Yolanda_Diaz_ par une défaite retentissante aux élections. Il s’avère que soutenir les meurtriers et les violeurs du Hamas n’est pas payant », a écrit Katz.

Un satiriste israélien, Matan Blumenblat, a souligné dans un article sur X l’ironie du fait que la position d’Israël et de l’Europe est si lamentable que des Israéliens sont maintenant reconnaissants que « les nazis soient de retour au pouvoir ».

 Il y a des raisons pratiques à l’oscillation du pendule. Comme l’a noté le correspondant diplomatique de Haaretz, Amir Tibon, les responsables israéliens croisent les doigts pour que les résultats des élections améliorent les chances de voir les propositions anti-israéliennes rejetées par l’UE et créent plus d’obstacles aux mesures propalestiniennes que les partis de gauche ont cherché à promouvoir après le déclenchement de la guerre.

Même si cela est compréhensible, il est inconvenant pour un État juif de se réjouir de la montée de personnalités d’extrême droite et xénophobes comme la française Marine Le Pen, le néerlandais Geert Wilders et les représentants d’Alternative pour l’Allemagne, le parti d’extrême droite avec un passé néo-nazi qui a obtenu 16 pour cent des voix aux élections européennes en Allemagne, ce qui en fait le deuxième parti allemand au parlement.

Parmi les autres vainqueurs d’extrême droite : le politicien Grzegorz Braun, le député polonais qui avait utilisé en décembre dernier un extincteur pour éteindre une bougie sur une menorah allumée pour Hanoukka dans l'enceinte du Parlement polonais, expliquant que  son geste visait à « restaurer la normalité et l’harmonie en mettant fin à l’acte de victoire de Satan, du Talmud et du sectarisme » . [voir vidéo]

Les Européens juifs sont beaucoup plus circonspects quant aux résultats, comme ils l’ont été lors des élections. Les Israéliens feraient bien d’écouter des personnalités comme le rabbin Pinchas Goldschmidt, chef de la Conférence des rabbins européens, qui a écrit à la veille des élections qu’il n’il n’y avait « pas de bons choix » pour les Juifs européens.

« Nous craignons pour l’avenir de l’Europe et pour la place que nous y occupons en tant que minorité, quelle que soit la manière dont nous votons et quel que soit le vainqueur », a-t-il écrit.

Une fois les résultats connus, les dirigeants israéliens devraient envisager de faire de même.