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03/06/2023

GIANFRANCO LACCONE
Italie : une unanimité parlementaire déconcertante en faveur des aliments transgéniques
Il faut les arrêter !

  Gianfranco Laccone, Climateaid.it, 1/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les Commissions VIII et IX (Agriculture et Environnement) du Sénat italien ont approuvé à l'unanimité, dans une manœuvre sournoise classique, un amendement au décret “sécheresse” (Projet de loi 660) qui introduit la possibilité d'essais expérimentaux dans le domaine agricole, visant à expérimenter des plantes obtenues avec des techniques génomiques de nouvelle génération [NGT en anglais]. Celles-ci, de manière moins évidente et traumatisante que les OGM jusqu'à présent, introduisent dans la plante des éléments d'ADN provenant de plantes de la même espèce ou d'autres espèces, capables de modifier son comportement. Le financement correspondant de 60 millions d'euros sur la période triennale 2023-25, inclus dans la même loi et destiné à l'élimination du matériel végétal produit, démontre l'intention d'avancer rapidement dans cette direction ainsi que le caractère pas trop “inoffensif” pour l'environnement de cette expérimentation, combinée au désir d'inciter les maires à accorder des autorisations, en leur garantissant un remboursement généreux des frais d'élimination.

 

 

Pour éviter que l'on dise que ce financement n'a rien à voir avec la sécheresse, à l'article 9 bis, paragraphe 1, le mot est introduit dans le texte avec une référence générique aux finalités, suivie des définitions :  « Afin de permettre la réalisation urgente d'activités de recherche, de vérification et de surveillance, sur des sites expérimentaux autorisés, à l'appui de productions végétales capables de répondre de manière adéquate à la pénurie d'eau et en présence de stress environnementaux et biotiques d'une intensité particulière, la dissémination volontaire dans l'environnement, à des fins scientifiques et expérimentales, d'organismes produits au moyen de techniques d'évolution assistée telles que la cisgénèse et la mutagénèse dirigée est autorisée, conformément aux dispositions du présent article et dans le respect du principe de précaution et de la législation de l'Union européenne applicable en la matière. La cisgénèse désigne les techniques génomiques visant à insérer, sans modification, du matériel génétique appartenant à un organisme donneur de la même espèce que le receveur, ou appartenant à une espèce apparentée sexuellement compatible, comme indiqué par l'Autorité européenne de sécurité des aliments et la Commission européenne. La mutagenèse dirigée désigne les techniques génomiques visant à modifier l'ADN d'un organisme sans introduire de matériel génétique étranger à l'organisme, appelées SDN-1 et SDN-2 par l'Autorité européenne de sécurité des aliments et la Commission européenne ». L'acronyme NBT, utilisé au niveau international, signifie New Breeding Techniques, et comprend toutes les techniques de correction ciblée du génome, également connues sous le nom d'édition du génome ; ces techniques ont maintenant été nommées TEA (Tecniche di Evoluzione Assistita) en italien, affirmant que le changement de terme peut démontrer leur plus grande “naturalité”. 


 

L'épisode est grave pour plusieurs raisons : pour l'unanimité des forces politiques, qui montre que la protection de l'environnement et la sécurité alimentaire sont considérées par nos parlementaires comme une affaire à résoudre, avec une grande témérité, par un artifice législatif ; pour la confiance que les dirigeants des entités publiques montrent dans les résultats possibles de la recherche, pensant encore une fois à tort - comme par le passé - que la chasse aux brevets et à la propriété du génome ne sont qu'un problème technologique et non une affaire énorme sur la peau des populations de la planète ; pour l'excès de confiance dans la possibilité de progrès de la recherche, renouvelant à travers les TEA le mythe de la pierre philosophale, sûrs que cette fois-ci il ne s'agit pas d'un mythe. Comme le rappelle à juste titre le communiqué de toutes les associations environnementales, de producteurs et de consommateurs, dont beaucoup se sont regroupées à l’enseigne “Changeons l'agriculture”, le vote unanime des commissions renforce un modèle de production intensive basé sur l'illusion que seule la technologie peut résoudre les problèmes de la crise environnementale d’origine anthropogéniques. En réalité, on renforcerait le pouvoir de contrôle des multinationales, des détenteurs de brevets et des entreprises agroindustrielles sur les chaînes agroalimentaires, au détriment des agriculteurs et des citoyens.

 

L'ACU demande la suppression immédiate de l’amendement inutile et nuisible au texte du projet de loi 660, censé soutenir l'agriculture en temps de crise.

 

Alors qu'à l'étranger la discussion implique de nombreux secteurs de la société et que les arguments sont approfondis, ici le sujet lui-même est obscurci et détourné par les motivations d'urgence habituelles (il faut lutter contre la sécheresse), jouant sur le malentendu du “nouveau” comme synonyme d'inoffensif, contrairement aux OGM précédents.  Mais l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne dans l'affaire C-528/16, déjà en 2018, a assimilé à toutes fins utiles les NBT/TEA aux OGM, en soumettant l'expérimentation aux mêmes conditions que les OGM, c'est-à-dire qu'elle n'est possible qu'en respectant certains critères.  Une partie de ces critères sont déjà présents dans la loi sur les semences de 2001 - et sont toujours en vigueur - et concernent l'information sur les champs expérimentaux et l'évaluation des risques pour l'agro-biodiversité, les systèmes agraires et les chaînes agro-alimentaires. La tentative subreptice de la loi de considérer l'expérimentation comme respectant le principe de précaution va à l'encontre de la nécessité d'une information transparente et publique sur l'activité, non pas pendant mais avant qu'elle ne soit réalisée.   En substance, il s'agit d'un coup d'État d'une poignée d'inconnus qui entend balayer des décennies de discussions sur les OGM qui, dans l'UE, ont abouti à l'inclusion du principe de précaution dans les traités. Dans notre pays, les variétés locales ont donc été favorisées, ce qui a certainement été l'un des facteurs de l'affirmation du “Made in Italy”, du maintien d'une production qui, autrement, aurait été retirée du marché et du développement généralisé de la culture biologique. Les méthodes de culture moins technologiques, telles que l'agriculture biologique, sont aujourd'hui rentables, évitent de polluer davantage et favorisent la réhabilitation des terres, et sont en mesure de donner une personnalité et une image au “Made in Italy”. Mais il semble que la pensée dominante des organisations agricoles majoritaires soit de sauver leurs chaînes d'approvisionnement et, avec elles, le système de marché qui est aujourd'hui en crise.

 

Comme l'ont montré les inondations en Romagne, le système le plus avancé d'agriculture de marché est très vulnérable au changement climatique et la lutte contre la sécheresse ne trouvera pas de sitôt un réconfort dans la recherche sur le génome. Depuis le début des années 1980, la recherche sur le génome espère trouver un élément d'ADN à transférer pour rendre toutes les variétés de plantes possibles résistantes au stress hydrique, à commencer par le riz, sans y parvenir jusqu'à présent. Mais il y a là une contradiction interne insurmontable, que tant le monde de la recherche que les parlementaires qui l'ont votée si superficiellement ne prennent pas en compte : c'est le marché. Le même marché qui pousse à financer des recherches coûteuses et à arracher les connaissances agricoles des mains des agriculteurs rendra les inventions introduites inutiles. Parce que les cultures à hauts revenus sont irriguées, parce que les plantes produisent plus si elles sont irriguées, et parce qu'il est plus facile de cultiver des plantes nées dans des climats de savane et des variétés de céréales plus rustiques et anciennes que les variétés actuelles, que d'acheter (très cher) du blé issu de la recherche sur les variétés transgéniques. Les anciens OGM ont échoué sur le marché pour des raisons économiques et pas tellement pour des questions génétiques ; ces dernières étaient importantes en raison de la perte de biodiversité qui s'est produite et des mutations induites, des faits qu'il faut empêcher de continuer à expérimenter dans le dos des populations de la planète. L'unanimité obtenue lors du vote en faveur de des TEA ne fait que montrer la distance qui existe désormais entre la vie des gens et celle des hommes/femmes politiques italien·nes. On dit que ce vote contribuera à soutenir les produits fabriqués en Italie : j'aimerais que l'on m'explique comment et pourquoi. Ce que je vois tous les jours quand je vais au marché local, c'est la foule (en constante augmentation) devant les étals de légumes de rebut, ceux qui sont vendus aujourd'hui pour 1,5/2 euros, alors qu'il y a encore trois mois, ils coûtaient moins d'un euro le kg. Et dans les supermarchés, je vois les offres du jour s'épuiser rapidement, au détriment des produits certifiés et plus chers.

 

Les Italiens mangent de plus en plus ce qu'ils peuvent acheter avec les faibles revenus dont ils disposent, et il faudrait pousser la recherche pour trouver des systèmes de culture moins coûteux et moins polluants, capables d'améliorer l'alimentation de masse et, à travers elle, la santé de la population.   

   

19/04/2023

GIANFRANCO LACCONE
De la “bonification intégrale” à l’économie circulaire intégrale
Réflexions après la 3e Conférence nationale sur l’agroécologie en Italie

 Gianfranco Laccone, climateaid.it, 13/4/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

« Pousser l’accélérateur de la transition agroécologique en Italie » : tel était l’objectif de la troisième conférence nationale sur l’agroécologie, organisée par l’Association italienne d’agroécologie et la coalition Cambiamo Agricoltura.

La conférence s’est conclue par un appel aux décideurs politiques, aux associations agricoles et aux autres acteurs sociaux et économiques des systèmes agroalimentaires italiens à ne pas ralentir le processus initié par la Commission européenne pour relever les défis d’une véritable transition agroécologique et maintenir les objectifs des stratégies européennes "De la ferme à la table" et "Biodiversité 2030".

Paolo Calleri

Alors qu’à Vinitaly (la foire italienne du vin à Vérone), la présidente du Conseil, soutenue par plusieurs associations sectorielles, a lancé la proposition d’un lycée futuriste (et improbable), appelé “du made in Italy” (traduction : lycée du produit en Italie), à Rome, soixante expert·es des secteurs les plus divers se sont succédé pour parler de l’agroécologie, un sujet proposé comme un outil clé pour permettre la transition écologique de l’agriculture, elle-même un élément clé dans la lutte contre le changement climatique. Il s’agit d’un changement de paradigme tant au niveau des outils à appliquer pour réaliser la “proposition agroécologique” qu’au niveau de la place de l’agriculture dans les activités humaines, puisque l’un des nœuds clés de ce sujet est la valorisation des processus sociaux dans la conception et la gestion de systèmes agroalimentaires durables et la recherche de modèles qui mettent en œuvre les capacités collectives des agriculteurs et les approches communautaires. Fini le dualisme ville/campagne, fini le rôle auxiliaire de l’agriculture, parent pauvre qu’il faut soutenir avec des fonds et des soins forcés pour qu’il ne soit pas à la traîne des autres secteurs dans les processus de “développement”. Au contraire, l’agriculture est le pivot qui permet d’initier des processus de réhabilitation agro-environnementale et de permettre la transition vers une société écologiquement démocratique.

Ce n’est pas la première fois que les sociétés humaines changent de paradigme pour s’organiser ; le changement le plus récent, admirablement décrit par Karl Polanyi dans son livre “La grande transformation”, concerne le passage à la société industrielle, dans laquelle la production de biens et l’économie, en tant que science de la gestion de cette production, prennent un rôle stratégique et entraînent la transformation des cycles de production, de systèmes circulaires en systèmes linéaires. Les effets sont aujourd’hui visibles pour tout le monde : exploitation accélérée des ressources de la planète, accroissement des inégalités sociales, modification des conditions environnementales et propagation de la pollution au point que les variations climatiques peuvent remettre en cause le système biologique actuel de la planète.  

L’agriculture a été au cœur de ce changement, perdant le rôle central qu’elle avait joué pendant des siècles dans la construction sociale pour devenir le réservoir matériel et social dans lequel on puise les ressources nécessaires à la croissance du système urbain-industriel, dont la production est basée sur l’extraction des ressources de la planète. Ce changement s’est produit, comme pour la Renaissance, sur plusieurs siècles et de manière spécifique dans différents pays.  En Italie, le changement a commencé en même temps que la formation du Royaume, dans la seconde moitié du 19e siècle, par le biais de ce que l’on appelle les “chaires ambulantes”. Ces “cattedre ambulanti”  étaient un instrument de vulgarisation et de formation professionnelle en agriculture et se sont avérées fondamentales pour la transformation du système primaire et l’organisation de l’administration du secteur. L’enquête agraire de Jacini décrit en même temps les conditions de l’agriculture, de loin le secteur le plus important pour les citoyens du nouveau Royaume d’Italie, un secteur qui, dans la logique libérale des gouvernements de l’époque, est regroupé avec toutes les autres activités productives dans un seul département : le ministère de l’Agriculture, du Commerce et de l’Industrie. Ces chaires furent appelées à combler un vide technique que l’enquête Jacini mettrait en évidence dans le cours de sa réalisation et, en substance, à jouer un rôle institutionnel dans la transformation du système économique du pays.

Elles étaient dirigées par un directeur (avec le titre de professeur) et un ou deux assistants, tous titulaires d’un diplôme en sciences agricoles et assistés de diverses manières par des aides ayant des qualifications différentes. Les activités étaient menées selon un concept moderne de vulgarisation : conférences données dans des lieux publics, visites de fermes, consultations données les jours de marché à ceux qui en faisaient la demande et, dans de nombreux cas, publication de brochures et de journaux. Parmi les nombreux noms de professionnels qui se sont engagés dans cette activité (avec des résultats et une qualité d’enseignement plus ou moins efficaces), il convient de mentionner Nazareno Strampelli, agronome et généticien, défini comme un précurseur de la “révolution verte” en raison de l’activité de recherche menée, visant à la transformation productive des plantes, à qui l’on doit le nom encore utilisé aujourd’hui de semences sélectionnées, utilisé pour définir les variétés sélectionnées et certifiées, ainsi qu’une importante variété de blé qui porte son nom, sélectionnée par lui parmi les nombreuses variétés identifiées au cours de son activité. Les chaires ambulantes ont joué un rôle fondamental dans la diffusion de nouvelles techniques et de nouvelles semences pendant la “bataille du blé” de la période fasciste et ce n’est pas un hasard si Strampelli a été nommé sénateur par le régime. Leur rôle est si important qu’elles sont réglementées en 1928, puis transformées en 1935 en “inspections agricoles provinciales”, fonctionnant comme des bureaux exécutifs de l’administration centrale.


“La guerre que nous préférons”, carte postale fasciste de la Bataille du blé, 1933). Musée Piana delle Orme, Latina, Photo EDOARDO DELILLE/Le Monde

Cette transformation institutionnelle a été possible parce qu’elle s’est accompagnée d’une transformation socioculturelle qui a conduit l’agriculture à devenir le bras opérationnel du système industriel, en lui prenant les moyens techniques (moyens mécaniques, engrais et ensuite pesticides) comme matière première indispensable à l’augmentation de la production.  Cette conception s’est manifestée pleinement dans la bataille du blé, lorsque la monoculture céréalière s’est imposée aux autres cultures (et a provoqué la réduction du secteur de l’élevage), comme conséquence des politiques gouvernementales, formulées dans le but de réduire le déficit de la balance import/export et de stabiliser les prix dans le secteur.  Si, d’une part, la campagne d’augmentation de la production, qui s’est déroulée avec le développement de la monoculture et d’un nombre toujours plus réduit de variétés, a permis de résoudre certains aspects du budget de l’État, d’autre part, le processus de modernisation industrielle déclenché a produit des effets d’entraînement, tels que les premières migrations de salariés entre les secteurs de production (le passage de l’agriculture à l’industrie, un phénomène qui caractérisera les années postérieures à 1945).  Les campagnes ont stabilisé le régime et ont aussi eu, bien sûr, des effets secondaires négatifs qui ont manifesté leur importance au fil du temps, comme la poursuite de la déforestation au détriment de la stabilité des sols et l’appauvrissement de l’alimentation des populations, plus exposées aux maladies et aux épidémies.  

Le triomphe de cette conception technique, qui a transformé le secteur agricole en un secteur agro-industriel, a été rendu possible par la théorisation économique de type productiviste, dont Arrigo Serpieri a été le plus grand représentant. Sa théorisation du système de valorisation des terres, conçu comme une “bonification intégrale”, a permis d’offrir un rôle au système agricole en l’ancrant dans la conception productiviste de l’ensemble du système économique, une conception qui marquera le20e siècle. Alors qu’à une certaine époque la mise en valeur des terres signifiait la transformation des terres marécageuses, la discipline de la bonification intégrale avait pour objet non seulement celle-ci, mais aussi les opérations effectuées en vue de l’amélioration des terres cultivables ou d’une transformation radicale de l’usage productif. Ces transformations présupposaient une compréhension sociale qui permettait le transfert des rôles, le déplacement de la population, la création de “voies de modernisation”. Le fascisme a réalisé tout cela en agissant de manière préventive avec les moyens que tout le monde connaît malheureusement : la destruction (par des actions criminelles et meurtrières) des organisations paysannes et ouvrières autonomes et de la structure sociale préexistante, ce qui était la condition préalable pour entamer ensuite le processus de modernisation italien avec quelques interventions modèles : par exemple, le transfert des paysans de Vénétie vers les marais Pontins pour leur mise en valeur. En particulier, dans des conditions modifiées et avec des objectifs radicalement différents des conditions actuelles des systèmes agricoles et de la société dans son ensemble, l’agroécologie se rattache à la voie qui, dans la seconde moitié du19e  siècle, a caractérisé la transformation industrielle de l’agriculture italienne par la création des chaires ambulantes d’agriculture et pousse les nouvelles idées de gestion agricole à se répandre dans la société et à permettre aux communautés locales de trouver des moyens de sortir de la crise socio-économique en préservant les ressources locales et en réduisant la pollution et la dissipation de l’énergie.

Il est essentiel d’expliquer les aspects qui ont façonné le visage de l’agriculture italienne pour clarifier le chemin ardu que l’agroécologie doit parcourir et les difficultés à éliminer les hypothèses idéologiques qui ancrent aujourd’hui l’agriculture dans le système industriel de type fordiste. Couper le cordon qui ligote l’agriculture dans une position subordonnée à l’industrie et à la finance est une entreprise complexe qui prend du temps. Comme l’indique le communiqué de la conférence sur l’agroécologie, « il est nécessaire d’établir un pacte éthique et social entre tous les acteurs du secteur agroalimentaire pour accompagner les agriculteurs sur les chemins de la transition écologique au niveau de l’assistance technique et au niveau de la durabilité économique ». C’est pourquoi il est nécessaire de se souvenir des parcours passés, en comprenant comment s’est créée la subalternité qui oblige l’agriculture à avoir un bilan énergétique négatif, ce qui incite les autres secteurs productifs à toujours injecter de l’énergie nouvelle et en plus grande quantité, en l’extrayant des réserves de la planète.

La création de l’agriculture moderne, aujourd’hui appelée “agriculture conventionnelle”, a fait perdre le rôle d’“accumulateur d’énergie” qu’elle avait conservé grâce aux plantes et à leur capacité à capter l’énergie solaire. L’agroécologie promet de le restaurer, agissant ainsi comme un pivot pour le développement d’une économie circulaire basée sur des sources d’énergie renouvelables et des activités de production “respectueuses de la planète” qui minimisent la dissipation d’énergie. Si l’on regarde les groupes de discussion initiés lors de la conférence, on retrouve tous les thèmes qui lient l’agriculture non seulement aux activités humaines, mais aussi aux cycles planétaires dans leur ensemble.   

La préservation de la biodiversité à toutes les échelles, la réduction de tous les intrants chimiques de synthèse, sont les fondements sur lesquels s’appuient la formation, l’information et l’assistance technique adéquates aux exploitations agricoles.

 Les modèles agroécologiques permettent d’atténuer le changement climatique et de s’y adapter grâce à des pratiques respectueuses de l’écologie des sols, ainsi qu’à un changement de modèle, passant d’un élevage intensif à un élevage spécialisé, à un système d’agro-élevage qui maintient une autosuffisance alimentaire maximale et un retour approprié des nutriments dans le sol.

Enfin, le problème au cœur du changement : comment répondre aux aspects critiques et aux vulnérabilités du système agroalimentaire mondial par la reconstruction de systèmes agroalimentaires à l’échelle locale, des systèmes qui combinent le changement nécessaire des pratiques de production, de distribution et de consommation, avec la construction et le partage de nouveaux systèmes de connaissances. Si toutes les conditions sont réunies, il manque encore, pour que le projet de changement devienne central, une théorie générale, capable de transformer l’agroécologie d’une mosaïque de compétences en un système intégré, capable de s’appliquer localement et de construire un système en réseau dans lequel tous les autres secteurs "productifs" peuvent s’insérer. Pour ce faire, nous avons également besoin d’un nouveau langage, car nous ne pouvons pas parler de “matières premières” lorsque nous devons réutiliser ce que nous avons déjà, nous ne pouvons pas parler de déchets lorsque nous devons les envoyer au recyclage, nous ne pouvons pas parler de filières alors que nous devrions développer des circuits auto-renouvelables.

Nous devons systématiser et diffuser le langage de l’agroécologie, créer et diffuser des procédures d’intervention dans les nouvelles normes de production, créer des méthodes de transformation qui tiennent compte non seulement du produit, mais aussi du producteur et du consommateur, afin de permettre à chacun de savoir ce qu’il mange, qui le produit et comment. Jusqu’à présent, ceux qui se sont préoccupés de ces questions étaient divisés en de nombreuses organisations, de nombreuses réalités, parfois sans langage commun. Il s’agit de recréer localement la toile d’araignée qui peut nous soutenir et nous relier au monde.

Ils ont eu beau jeu, ceux qui, jusqu’à présent, ont proposé à la manière du Guépard que “tout change pour que rien ne change”, par le biais de nouvelles “inventions” qui résoudraient nos problèmes, et nous nous en sommes toujours rendu compte très tard. Le développement a toujours été ainsi, proposant de nouveaux objectifs plus lointains dès qu’un objectif était atteint et que l’on découvrait que ce n’était pas le paradis promis, comme ce fut le cas avec la soi-disant révolution verte en Inde ou les 100 quintaux/ha de production de blé tendre en France.

Plantu

L’agroécologie nous invite à accepter la réalité, à vivre avec le changement climatique en essayant d’en réduire les effets négatifs mais surtout en découvrant qu’il est possible d’améliorer notre vie en repartant de l’énergie qui nous entoure et que nous dissipons généralement sans même nous en rendre compte, à partir de la production agricole et du développement d’une économie circulaire intégrale qui remplace le concept obsolète de “bonification intégrale”.

11/03/2023

GIANFRANCO LACCONE
Durabilité, consommateurs et Made in Italy*

Gianfranco Laccone, ClimateAid.it, 9/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Relier des faits apparemment éloignés, comme l’image de la production italienne et le changement climatique, n’est pas difficile si l’on a l’habitude de regarder la réalité en perspective et d’essayer de comprendre où elle va finir par aboutir. 

J’aborde cette question parce que les institutions italiennes et européennes vont bientôt légiférer sur la manière, le lieu et les raisons de produire des biens manufacturés de manière durable, en les intégrant dans un système d’économie circulaire. Ce débat est en cours au sein de notre Parlement, avec une enquête sur le “Made in Italy”, et il est bien avancé au sein des institutions européennes, qui sont désormais sur le point de lancer (si la médiation de la présidence suédoise porte ses fruits) un règlement-cadre pour l’élaboration de spécifications d’éco-conception {éco-design) pour les produits durables (abrogeant ainsi la directive 2009/125/CE actuellement en vigueur.


 En gros, on discutera de ce qu’il faut faire pour soutenir les marques italiennes et l’UE interviendra pour réglementer l’éco-conception, un secteur de production fondamental pour ceux qui prétendent, comme les entreprises italiennes, être des diffuseurs de qualité et d’originalité.

Je tiens pour acquis que les productions et les produits manufacturés affectent le changement climatique, qu’ils soient originaux et le fruit de l’ingéniosité locale ou fabriqués à l’aide de méthodes et de matériaux introduits artificiellement dans une région. La question est de savoir ce qu’il faut faire pour réduire leur impact sans provoquer des effets secondaires de plus en plus désastreux : qu’il s’agisse d’impacts négatifs tels que la pollution par des matériaux et résidus toxiques ou la destruction de la stabilité sociale, ou même d’impacts écologiquement positifs mais sans réelle articulation sociale (par exemple des produits trop chers pour être diffusés en masse), on tentera de réglementer et de contrôler leur organisation et leur diffusion, dans le but d’atteindre les objectifs de l’Agenda 2030 - de facto étendu à 2050 - en améliorant la condition sociale dans l’UE et, pour notre part, en faisant du Made in Italy une marque communautaire. Si seulement !

Le Made in Italy joue un rôle clé dans notre économie, par exemple dans des secteurs tels que l’agroalimentaire, le textile, l’habillement et la chaussure qui couvrent une grande partie des produits manufacturés et représentent les exportations italiennes en expansion. Son image est un élément d’affirmation sur les marchés, car elle permet de vendre certaines productions très particulières (produits sélectionnés parmi les vins, les vêtements, les chaussures, par exemple) comme des productions d’élite, entraînant également le prix et l’image des autres productions italiennes vers des niveaux plus élevés, en particulier à l’exportation. Un effet sonore, obtenu lorsqu’un produit est formellement imité, évoquant ses caractéristiques, sans utiliser ses ingrédients et sans reproduire les processus de production et les propriétés considérées comme “authentiques”, qui existe dans le Made in Italy lui-même et ne doit pas être sous-estimé. Il doit être corrigé car il est à la base d’un “effet papillon”, négatif à bien des égards, et pour le combattre, il suffirait d’étudier, d’innover et de produire selon les règles qui, à moyen terme, seront les seules à être utilisées pour la vie sur la planète.

Ici commencent les notes douloureuses car la propension actuelle des entreprises italiennes à innover est limitée : elle ne concerne qu’un tiers d’entre elles, et nous pensons que pour ceux qui veulent être à l’avant-garde dans le monde, il serait nécessaire que 75% des entreprises aient une telle propension. Les entreprises italiennes souffrent d’un manque d’évolution numérique et de niveaux de sécurité et de pollution souvent inférieurs aux normes de l’UE (je pense, par exemple, au secteur de la production animale dans la vallée du Pô). En outre, dans le système de production italien, il existe une condition particulière, la diffusion des petites entreprises, qui est sa croix et son bonheur : elle représente sa limite pour faire face à l’augmentation des coûts et, d’autre part, sa grande opportunité pour devenir un exemple de production durable et d’économie circulaire. En effet, ce n’est qu’au niveau local que l’on peut trouver les fondements de la circularité avec un faible impact environnemental, et en Italie, avec ses conditions spécifiques très répandues de climat, de territoire, de distribution sociale et d’organisation de la communauté, les conditions sont réunies pour une grande expérimentation de méthodes innovantes, circulaires et durables dans une économie avancée complexe.