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09/10/2024

MUHAMMAD SAHIMI
Les “Ahmed Chalabi” iraniens aident Israël à planifier le bombardement de l’Iran

Muhammad Sahimi, antiwar.com,  9/10/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Muhammad Sahimi (Téhéran, 1954), professeur de génie chimique et de science des matériaux et titulaire de la chaire NIOC de génie pétrolier à l’université de Californie du Sud (Los Angeles), est cofondateur et rédacteur en chef du site ouèbe Iran News & Middle East Reports.

Depuis l’invasion de l’Irak en mars 2003, les conservateurs, le lobby israélien aux USA et les groupes qui leur sont alliés ont cherché une version iranienne d’Ahmed Chalabi, le célèbre personnage irakien allié aux néoconservateurs lors de la préparation de l’invasion de l’Irak en 2003, qui a fabriqué pendant des années des mensonges sur les armes de destruction massive inexistantes de Saddam Hussein.

Depuis au moins une décennie, le principal candidat est Reza Pahlavi, le fils du dernier roi d’Iran, Mohammad Reza Pahlavi, dont le régime a été renversé par la révolution de 1979. Pahlavi junior tente depuis plus de 40 ans de rétablir la monarchie en Iran, mais comme je l’ai expliqué ailleurs, ses efforts ont été consacrés à l’obtention du soutien de gouvernements étrangers pour le mettre au pouvoir.


Atelier Populaire des Beaux-Arts, Paris, juin 1968

Dans les années 1980, la CIA a financé Reza Pahlavi. Il entretient également des relations de longue date avec le lobby israélien aux USA. Il a rencontré Sheldon Adelson, l’homme qui a suggéré que les USA attaquent l’Iran avec des bombes nucléaires, et a pris la parole à l’Institut Hudson, à l’Institut de Washington pour la politique du Proche-Orient, au Sommet israélo-américain et dans d’autres organismes pro-israéliens. Pahlavi a également appelé Israël - ce même pays qui mène des guerres brutales à Gaza et au Liban depuis un an -à aider la « cause de la démocratie » en Iran.

Les nouveaux efforts pour soutenir Pahlavi ont commencé immédiatement après l’élection de Donald Trump en novembre 2016, avant même qu’il ne prenne officiellement ses fonctions, mais les manifestations à grande échelle qui ont eu lieu en Iran en septembre-décembre 2022 à la suite de la mort de Mahsa Amini, la jeune femme décédée alors qu’elle était détenue par les forces de sécurité, ont fourni une nouvelle occasion de présenter le Chalabi iranien comme le « prochain dirigeant » de l’Iran. Parmi les proches conseillers de Pahlavi figurent Amir Taheri, Amir Etemadi et Saeed Ghasseminejad, tous partisans d’Israël.

Taheri, 82 ans, « journaliste », est président de Gatestone, Europe, institution islamophobe de droite, qui a menti sur l’Iran à de multiples reprises, dans le but de provoquer une réaction brutale contre ce pays. Par exemple, en mai 2006, le National Post, journal canadien de droite, a publié un article de Taheri dans lequel il affirmait que le Majlis [parlement iranien] avait adopté une loi qui « envisage des codes vestimentaires distincts pour les minorités religieuses, les chrétiens, les juifs et les zoroastriens, qui devront adopter des couleurs distinctes pour être identifiables en public ». Ces propos ont été rapidement réfutés par de nombreuses personnes, comme Maurice Motamed, qui était à l’époque le membre juif du Majlis. Le National Post a retiré l’article et s’est excusé de l’avoir publié, mais Taheri ne l’a pas fait.

Taheri a également accusé l’ancien ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, de faire partie des étudiants qui ont pris d’assaut l’ambassade des USA à Téhéran en novembre 1979, alors qu’à l’époque, Zarif était étudiant à l’université d’État de San Francisco. Juste après la signature de l’accord nucléaire avec l’Iran, officiellement connu sous le nom de Plan global d’action conjoint (JCPOA), en juillet 2015, Taheri a affirmé : « Akbar Zargarzadeh, 14 ans, a été pendu à un arbre dans un camp de garçons islamiques après que le mollah du camp l’a accusé d’être gay et de mériter la mort ». Cette affirmation s’est également révélée être un canular.

Si Taheri est trop âgé pour être un Ahmed Chalabi iranien, Ghasseminejad et Etemadi sont relativement jeunes et ambitionnent d’être le prochain Chalabi. Etemadi, 43 ans, a cofondé le petit groupe monarchiste Farashgard [qui signifie renaissance en persan ancien] en 2018. Ghasseminejad et lui appartenaient tous deux au soi-disant « Groupe des étudiants libéraux iraniens », un petit groupe d’ultra-droite composé d’étudiants activistes en Iran, dont la plupart ont déménagé au Canada et aux USA.  Avant l’élection de Trump en 2016, Etemadi a reposté un gazouillis de Mitt Romney dans lequel il qualifiait Trump de « bidon et de fraude », mais dès que Trump a été élu, Etemadi et ses acolytes monarchistes sont tombés amoureux de sa politique iranienne et ont soutenu la « politique de pression maximale » de l’administration Trump contre l’Iran, que l’administration Biden a, plus ou moins, poursuivie. Une source bien informée à Washington a dit à l’auteur qu’Etemadi est payé par la Foundation for the Defense of Democracies (FDD), bien que je n’aie pas pu confirmer cette affirmation de manière indépendante. La FDD est un lobby israélien, un ardent opposant au JCPOA et un défenseur des sanctions économiques et même de la guerre contre l’Iran

Ghasseminejad est aujourd’hui chercheur principal à la FDD. Il s’est fait le champion du « nettoyage des rues des bêtes islamistes » et s’inquiète d’une « apocalypse chiite » imminente alimentée par l’Iran. Mais ce qui est plus important que ce titre, c’est le travail de Ghasseminejad au nom de la « fausse opposition » iranienne, un assortiment flou d’activistes réactionnaires qui soutiennent les sanctions économiques et la pression militaire contre l’Iran, mais dont la politique contraste fortement avec les groupes de la « vraie opposition » en Iran et leurs partisans dans la diaspora, qui se compose d’une large coalition de syndicats de travailleurs et d’enseignants, de groupes de défense des droits humains, de droits des femmes et d’activistes sociaux, de réformistes radicaux, de nationalistes, de gauchistes laïques et de nationalistes religieux.

Ghasseminejad était étudiant en génie civil à l’université de Téhéran, qui - à l’exception de la période du gouvernement éphémère du Premier ministre Mohammad Mosaddegh en 1951-1953 - a toujours été un foyer d’activités antigouvernementales. En 2002, Ghasseminejad et Etemadi ont publié un bulletin d’information étudiant intitulé Farda [« demain »] dans lequel ils prônaient le « libéralisme », c’est-à-dire des aventures militaires du type de celles envisagées par les néoconservateurs partisans d’une « intervention libérale » afin de répandre la « démocratie » par la force. Ghasseminejad a soutenu l’invasion usaméricaine de l’Irak en 2003 et, dans un article intitulé « Pourquoi les USA attaqueront l’Iran », il a implicitement préconisé des attaques militaires contre son pays natal.

En juin 2003, après des manifestations sporadiques contre le gouvernement à Téhéran, Ghasseminejad a été brièvement détenu. Lors d’une conférence de presse tenue après sa libération, il s’est excusé auprès du leader suprême de l’Iran, l’ayatollah Ali Khamenei, a promis d’être « un bon citoyen » et a mis fin à ses activités politiques. Deux ans plus tard, au printemps 2005, Ghasseminejad et un petit groupe d’autres étudiants ont commencé à publier une autre lettre d’information appelée Talangar [en gros, « appel au réveil »], qui se concentrait sur la critique des étudiants de gauche et des lettres d’information qu’ils publiaient.

Bien qu’il ait exprimé son « amour » pour la démocratie et les droits humains, qu’il se soit présenté comme un « libéral classique » et qu’il ait travaillé pour une fondation qui « défend » les démocraties, Ghasseminejad s’est à plusieurs reprises rallié à l’autoritarisme. Dans un article intitulé « Qu’apprenons-nous de Lénine », publié dans Talangar, il a exprimé son admiration pour Vladimir Lénine et son concept de « centralisme démocratique ». Il a qualifié Augusto Pinochet, le dictateur chilien, de « cher [dirigeant] disparu qui a sauvé le Chili... et qui était bien meilleur que Salvador Allende », le président socialiste chilien qui, comme Mohammad Mosaddegh en 1953, a été renversé par un coup d’État soutenu par la CIA en 1973.

Ghasseminejad s’est également prononcé en faveur du massacre des Égyptiens lors des manifestations qui ont suivi le coup d’État d’Abdel Fattah el-Sissi en 2013, en écrivant sur sa page Facebook: « J’ai pensé que je devais venir sur Facebook et exprimer mon appréciation pour l’armée égyptienne qui a nettoyé les rues des fondamentalistes islamiques criminels. » Il a ajouté : « En fait, la bonne question n’est pas de savoir pourquoi l’armée égyptienne nettoie l’Égypte des bêtes islamistes, mais plutôt pourquoi l’armée iranienne a permis aux islamistes de prendre le contrôle de notre pays » pendant la révolution iranienne, alors qu’au moins 3 000 personnes ont été assassinées par l’armée du Shah pendant la révolution de 1979.

J’ai beaucoup écrit sur Ghasseminejad. Dans sa jeunesse, il était opposé à la monarchie en Iran, qualifiant Mohammad Reza Shah de « dictateur insensé », mais, comme tous les opportunistes monarchistes, lui, Etemadi, Taheri et Farashgard soutiennent tous Reza Pahlavi et le retour de la dictature monarchique en Iran, ainsi qu’Israël. Taheri est un monarchiste si ardent qu’à un moment donné, il a exprimé le souhait de lécher les bottes de Mohammad Reza Shah.

Le point le plus important concernant ces aspirants Chalabi est qu’eux et leurs partisans ne disposent pas d’une base sociale de soutien significative en Iran. Reza Pahlavi n’a jamais osé appeler le peuple iranien à lui manifester son soutien en Iran par le biais d’une manifestation ouverte, et lorsqu’en décembre 2018 et janvier 2019, le monarchiste  Farashgard a appelé à de telles manifestations, personne ne s’est présenté. Même dans la diaspora, une grande majorité d’Iraniens, tout en s’opposant aux religieux en Iran, méprisent les sanctions économiques, les menaces militaires et le soutien des monarchistes à la guerre du Premier ministre Benjamin Netanyahou contre l’Iran. En Iran, l’hostilité entre Netanyahou et les monarchistes iraniens a transformé les Iraniens généralement favorables à l’Occident en de fervents opposants à Israël.

Les monarchistes savent que l’absence d’une base sociale significative en Iran implique qu’ils ne reviendront jamais au pouvoir par le biais d’un mouvement social ou d’une révolution dans le pays. Leur seul espoir réside donc dans une intervention étrangère en Iran, raison pour laquelle ils prônent toujours la guerre et les sanctions économiques et soutiennent Israël. C’est pourquoi, après les grandes manifestations qui ont eu lieu en Iran en 2022, Etemadi et Ghasseminejad ont convaincu Reza Pahlavi qu’il devait faire connaître son alliance avec Israël et l’ont incité à s’y rendre. Accompagné de deux hommes, Pahlavi se rend en Israël en juin 2023 et rencontre Netanyahou et le président israélien Isaac Herzog. Pendant son séjour, Pahlavi a rencontré toutes sortes de groupes sociaux et religieux, à l’exception des Palestiniens et des musulmans.

Après l’attaque de l’Iran contre Israël la semaine dernière, les spéculations sur la réponse possible d’Israël à cette attaque vont bon train. Ici aussi, les Chalabi monarchistes ne sont pas seulement des alliés d’Israël, mais certains d’entre eux participent activement à la planification du bombardement de l’Iran par Israël. Interrogé sur la manière dont Israël décide où bombarder en Iran lors d’une interview avec Erin Burnett de CNN, le lieutenant-colonel (Re.) Jonathan Conricus, ancien porte-parole de Tsahal et actuellement chercheur principal à la FDD, a répondu que les sites potentiels sont étudiés et analysés par les experts de la  FDD, dont Ghasseminejad, Behnam Ben Taleblu - un autre « chercheur principal » iranien - et Andrea Stricker, chercheuse anti-iranienne à la  FDD, experte en prolifération nucléaire. En d’autres termes, les Chalabi iraniens empruntent la même voie que celle empruntée par les Irakiens.

Mais, contrairement à l’Irak où le nationalisme sous le régime de Saddam Hussein était faible, puisque ce dernier avait toujours prôné le panarabisme, les Iraniens sont farouchement nationalistes et ne pardonneront jamais aux renégats tels que ces aspirants Chalabi. Ceux-ci doivent également se rappeler le sort des Chalabi irakiens : une fois que les USA ont atteint leur objectif d’envahir et d’occuper l’Irak avec l’aide des mensonges et des exagérations de Chalabi, celui-ci a été jeté sans cérémonie comme une vieille serpillère :  il n’a jamais accédé au pouvoir et est mort dans l’infamie.

BONUS TLAXCALA

Trombinoscope chalabiesque


Carnet Mondain

Leurs Altesses Impériales Reza Pahlavi (qui aura 64 ans le 31 octobre) et sa maman, la Chahbanou Farah (qui aura 86 ans le 14 octobre) se sont vu décerner le Prix Architecte de Paix de la Fondation Richard Nixon. Reza sera l’hôte d’un dîner de gala le 22 octobre à la Bibliothèque/Musée présidentielle Richard Nixon, à  Yorba Linda, Californie, tandis que la Chahbanou le recevra plus tard, lors d’une cérémonie privée. Vous pouvez acheter vos tickets pour le dîner, dont le prix va de 1 000 à 50 000 $, ou faire une donation, si vous ne pouvez pas assister au dîner, ici. Malheureusement, le menu du dîner n'a pas été communiqué par les organisateurs. On espère qu'il y aura du caviar de la Caspienne et du vin de Shiraz californien.

Le jeune Reza avec Tricky Dickie Nixon, papa et maman, en 1979, au country  club de Cuernavaca. Nixon et Pahlavi senior furent les meilleurs amis du monde, s’étant connus à Téhéran après le coup d’État organisé par la CIA en 1953, puis rencontrés une douzaine de fois, jusqu’à l’enterrement du despote déchu au Caire en 1980, auquel Nixon fut le seul (ex)président à assister. Lors de la première visite de Nixon, alors vice-président, le 7 décembre 1953, 3 étudiants iraniens en grève qui protestaient contre sa présence furent tués par la police : Ahmad Ghandchi appartenait au Jebhe-e Melli (Front national de Mossadegh), Shariat-Razavi et Bozorg-Nia au Hezb-e Tudeh (parti communiste). Leur mémoire est honorée en Iran chaque 16 de mois d'Azar.

 

 

25/09/2024

KIT KLARENBERG/MAX BLUMENTHAL
Des documents fuités révèlent les plans de contre-révolution en Iran concoctés par les habituels suspects yankees

Kit Klarenberg et Max Blumenthal, The GrayZone,  19/9/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Des fuites révèlent les efforts secrets déployés par Carl Gershman, dirigeant retraité de la National Endowment for Democracy[1], pour consolider le contrôle des néoconservateurs assoiffés de guerre sur l’opposition iranienne, tout en canalisant les fonds du gouvernement usaméricain vers ses propres initiatives de changement de régime.


Carl Gershman (à g.) et Bill Kristol (à dr.)

Des documents et des courriels ayant fait l’objet d’une fuite et obtenus par The Grayzone révèlent un effort apparemment secret de la part d’agents usaméricains chargés du changement de régime pour imposer une direction radicale aux vestiges du mouvement de protestation iranien contre le tchador obligatoire, afin de renverser le gouvernement de l’Iran.

L’initiative a été lancée par Carl Gershman, directeur de longue date de la National Endowment for Democracy (NED), une organisation à but non lucratif financée par le gouvernement usaméricain qui soutient les opérations de changement de régime dans le monde entier. Conçue à l’origine par la CIA de l’administration Reagan, la NED s’est immiscée dans des élections et a soutenu des putschistes du Nicaragua au Venezuela, en passant par Hong Kong et bien d’autres pays encore.

Les fuites révèlent comment Gershman a comploté en privé pour canaliser les ressources du département d’État vers la construction d’une « coalition pour la liberté de l’Iran » composée de militants iraniens pro-occidentaux et d’agents néoconservateurs usaméricains qui réclament à cor et à cri une attaque militaire usaméricaine contre l’Iran.

Tout en visant à « mobiliser un soutien international » en faveur du mouvement « Femmes, vie, liberté », « et à faire tout ce qui est possible pour soutenir [leur] lutte" » la Coalition pour la liberté représente une tentative manifeste d’imposer une direction en exil à l’opposition iranienne de base qui est dirigée et parrainée par les éléments les plus belliqueux de Washington.

Les tentatives de The Grayzone de joindre plusieurs membres de la Coalition pour obtenir des commentaires ont été infructueuses. Nous n’avons donc pas pu déterminer si les personnes citées par Gershman s’étaient explicitement engagées à participer, ou si elles avaient été nommées par le vétéran de la NED en tant que leaders potentiels.

Quel que soit le niveau de participation des membres énumérés, la composition de la Coalition pour la liberté de l’Iran proposée par Gershman montre comment le mouvement pro-démocratique autoproclamé de l’Iran est devenu un jouet pour le lobby Bomb Iran. Parmi les personnes triées sur le volet par Gershman pour diriger l’initiative, on trouve William Kristol, l’impresario néocon qui mène depuis des décennies une campagne de lobbying en faveur d’une invasion militaire de l’Iran par les USA. Joshua Muravchik, un partisan flamboyant du Likoud israélien, a également été choisi, car il affirme que « la guerre avec l’Iran est probablement notre meilleure option ».

Les membres iraniens de la Coalition pour la liberté sont essentiellement des personnalités culturelles parrainées par le gouvernement usaméricain et des membres du personnel des laboratoires d’idées occidentaux interventionnistes tels que l’Institut Tony Blair. Alors que ces personnalités sont citées dans les médias occidentaux comme les leaders de la lutte pour la « liberté » en Iran, leur implication dans des campagnes soutenues par le gouvernement usaméricain, comme celle conçue par Gershman, révèle qu’elles ne sont rien d’autres que des figurants de façade persans pour les bellicistes de Washington.

Des manifestations ont éclaté dans les villes iraniennes en septembre 2022 après la mort d’une jeune femme iranienne, Mahsa Amini, brièvement placée en garde à vue à Téhéran pour avoir enfreint les codes moraux imposant aux femmes de porter le tchador. Le mouvement a attiré le soutien zélé de gouvernements occidentaux, de célébrités et d’ONG féministes, qui l’ont encouragé même après qu’il se fut éteint dans les rues.

Comme l’illustre la proposition divulguée par Gershman, ces éléments ont rapidement détourné les manifestations, en insérant des exilés parrainés par le gouvernement usaméricain comme figures et voix internationakles du mouvement, garantissant ainsi que leur effet final serait un renforcement des sanctions usaméricaines contre les Iraniens moyens.

Dans une enquête publiée en août dernier, The Grayzone a révélé qu’après s’être retiré de son poste de longue date à la tête de la NED en 2021, Gershman s’est enfermé dans une lutte de pouvoir vicieuse avec ses successeurs plus jeunes et plus progressistes sur le plan social. Les fuites sur l’Iran que nous avons obtenues montrent comment, même à la retraite, Gershman a tenté de contourner la bureaucratie, en mobilisant ses relations dans les réseaux de politique étrangère des USA pour canaliser les ressources gouvernementales vers ses propres projets de changement de régime.

Demande d’une part du fonds “illégitime” de 55 millions de dollars du département d’État

Lorsque Gershman a voulu donner le coup d’envoi à son dernier complot de changement de régime en Iran, il s’est adressé à un allié de longue date qui a enregistré un “hommage à la retraite” de trois minutes pour honorer son mandat à la NED. Il s’agit du député Mario Díaz-Balart, un représentant républicain du lobby cubano-usaméricain basé dans le sud de la Floride. En tant que président de la sous-commission du département d’État au sein de la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants, Diaz-Balart exerçait une influence considérable sur les opérations étrangères des USA.

Le 27 août 2023, Gershman a envoyé un courriel à Díaz-Balart et à son assistant parlementaire, Austin Morley, déclarant que l’une de ses “initiatives de retraite” était de « travailler avec Freedom House pour créer une coalition de groupes de travail ». En l’appelant Iran Freedom Coalition (IFC), Gershman a affirmé que la Coalition était déjà “établie”. Cependant, aucune trace de son existence ne peut être trouvée en ligne.

Gershman a expliqué à Díaz-Balart que ses « amis iraniens ont été surpris » par les lignes directrices du Fonds pour la démocratie en Iran 2023 du Département d’État, qui réservent 55 millions de dollars à des propositions visant à « renforcer l’engagement de la société civile dans les processus électoraux ». Selon Gershman, étant donné que le mouvement “Femmes, vie, liberté”, à l’origine des manifestations nationales, « ne reconnaît pas la légitimité du régime qui gérera ces processus électoraux » une partie de l’argent devrait être affectée à une initiative plus dure.

La Coalition devait être composée « d’une douzaine de groupes de travail solidaires représentant [...] les femmes, la société civile et les groupes de défense des droits de l’homme, les parlementaires, les syndicalistes et les médecins qui aident les manifestants blessés et traumatisés ». Bizarrement, alors que les manifestations s’étaient éteintes en Iran, Gershman a proposé à son IFC de « soutenir... le soulèvement de masse » en Iran, comme s’il s’agissait d’un phénomène contemporain.

Il a suggéré à Díaz-Balart d’user de son influence au sein du Congrès pour « diriger... peut-être 10 % » du budget annuel de 55 millions de dollars du Fonds controversé pour la démocratie en Iran du département d’État vers sa propre NED.

« Les fonds pourraient être gérés par la NED, écrit Gershman, qui dispose déjà d’un petit programme de subventions pour l’Iran et qui est en contact étroit avec des groupes aux USA et ailleurs qui tentent très discrètement d’aider le mouvement de résistance.  En fait, cela permettrait à la NED d’étendre ce qu’elle fait déjà. Prendre une telle initiative en ce moment serait un acte de solidarité important ».

22/09/2024

GIDEON LEVY
La “grande chance” d’Israël: une autre guerre
La course à l'abîme des sionihilistes

Gideon Levy, Haaretz, 22/9/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Après avoir épuisé la grande occasion de Gaza, Israël se tourne vers l’épuisement de la prochaine grande occasion, une guerre au Liban. En matière de guerre, Israël est le pays des opportunités illimitées. Chaque guerre est une opportunité et chaque opportunité amène une guerre.

Y a-t-il un problème à Gaza ? La guerre. Y en a-t-il un à la frontière nord ? Une autre guerre. De nombreux Israéliens sont enthousiastes. Après tout, ils attendent une telle occasion depuis des années. D’autres la soutiennent en silence, sous un nuage oppressant, et presque tous sont convaincus qu’il n’y a pas d’autre option.

 C’est une chose de considérer la guerre comme une horrible nécessité, mais c’en est une autre lorsqu’elle est perçue comme une opportunité : une opportunité de façonner un nouveau monde, une nouvelle réalité, une meilleure réalité. Le Hamas sera éradiqué, les otages libérés et le Hezbollah ridiculisé. Les habitants évacués du nord retourneront chez eux, la Galilée prospérera et ses fleurs s’épanouiront. Il en ira de même pour les communautés situées le long de la frontière de Gaza. Quelle merveilleuse opportunité que la guerre.

Le fait que, tout au long de son histoire, Israël n’ait pas encore entrepris une seule guerre qui ait amélioré sa situation ou résolu ses problèmes, certaines d’entre elles, comme la guerre de 1967, ayant même, sans le reconnaître, aggravé sa situation, n’a convaincu personne. Il suffit d’attendre la prochaine guerre. Elle résoudra tous nos problèmes une fois pour toutes.

« Une fois pour toutes », c’est la “victoire totale” d’antan. Après avoir soi-disant vaincu le Hamas - une fois pour toutes - Israël vaincra également le Hezbollah, une fois pour toutes. Le problème, c’est que ça se termine toujours par quelques années de calme suivies d’une guerre pire que les précédentes. Les partisans d’une grande guerre au Liban expliquent aujourd’hui leur soif de revoir les FDI aux abords de Beyrouth en disant qu’il s’agit d’une grande opportunité.

Au cours du week-end, ils ont exhorté les décideurs à agir. Après tout, ont-ils fait valoir, les 500 personnes devenues aveugles au Liban à la suite de l’explosion de bipeurs constituent une occasion en or qui ne se représentera pas de sitôt. Alors, qu’attendez-vous pour déclencher la guerre ?

Le concept même de la guerre en tant qu’opportunité révèle un état d’esprit malsain. Considérer la guerre comme le seul et principal moyen de résoudre les problèmes suggère une distorsion mentale. Mais dans un pays où Karni Eldad, chroniqueuse au quotidien Israel Hayom, qualifie les dizaines de morts, les milliers de blessés et les centaines de personnes rendues aveugles par l’explosion de bipeurs au Liban « d’immense cadeau à notre nation, qui le mérite grandement à l’approche de la nouvelle année », on ne s’étonne de rien.

Une vraie tueuse sionihiliste : Karni Eldad, une ancienne de Haaretz passée avec armes et bagages au quotidien gratuit Israel Hayom, mégaphone likoudien propriété du milliardaire Sheldon Adelson

« Les coups incroyables portés à l’ennemi au nord étaient exactement ce dont notre nation avait besoin : l’élégance, la précision, l’humiliation, le fait de penser un million de fois à l’avance », a-t-elle déclaré avec lyrisme. Un million de pas en avant. Cependant, pour les personnes saines d’esprit, la guerre n’est qu’une occasion d’effusion de sang, de destruction et de perte.

L’école qui a adopté le concept « une fois pour toutes » semble particulièrement stupide après la guerre à Gaza. Après tout, cette guerre était censée résoudre nos problèmes une fois pour toutes. Aucun d’entre eux n’a été résolu après une année de combats acharnés, avec des dizaines de milliers de morts et une destruction totale. Israël sortira de la guerre de Gaza dans une situation bien pire que celle dans laquelle il est entré.

Comment peut-on même penser qu’une guerre contre un ennemi beaucoup plus puissant, sur un terrain beaucoup plus difficile, avec une armée épuisée, confrontée à la réprobation mondiale, aboutira à un meilleur résultat que le fiasco de Gaza ? Cela ne peut que signifier que la plupart des Israéliens n’ont pas encore pris conscience de l’ampleur de l’échec à Gaza. Ils ne sont pas encore parvenus à la conclusion évidente qu’il aurait mieux valu qu’Israël ne se lance pas dans une guerre à Gaza, pour ensuite se précipiter vers Sidon. Tout comme dans le cas de Rafah, il n’y a rien. Il y a des protestations, mais pas contre une guerre.

Il est difficile d’imaginer une telle conjonction de développements inconcevables : alors que les soldats continuent de tuer, d’être tués et de semer la ruine à Gaza, inutilement et sans but, d’autres forces se dirigent vers le nord pour une guerre encore plus maudite, elle aussi destinée à résoudre les problèmes une fois pour toutes. Et tout le monde voit les voix et achète les mensonges. Après le Liban, nous nous attaquerons à l’Iran. Là aussi, nous aurons une opportunité, là aussi nous résoudrons nos problèmes une fois pour toutes.

Prévenons un autre Holocauste : bombardons lIran
Carlos Latuff, 2010

 

06/08/2024

JEREMY SCAHILL
“Quelque chose est venu de l’extérieur” : Khaled Qaddoumi, témoin oculaire des suites immédiates de l’assassinat d’Ismail Haniyeh

L’Iran et le Hamas contestent la version du New York Times d’une bombe placée à l’avance

 Jeremy Scahill, Drop Site News, 3/8/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le Guide suprême Ali Khamenei assiste à la prière funéraire pour le chef politique du Hamas, Ismail Haniyeh. Photo : Bureau de presse du Guide suprême

 « La seule chose qui m’est venue à l’esprit, c’est qu’Israël a tué notre chef », a déclaré Khaled Qaddoumi, représentant du Hamas en Iran, qui dormait dans un appartement situé deux étages en dessous du chef politique du groupe, Ismail Haniyeh, lorsqu’une explosion a secoué l’immeuble. « Que ce soit avec les outils usaméricains ou par l’intermédiaire des USAméricains, ce qui m’est venu directement à l’esprit, c’est que l’ennemi israélien a tué notre dirigeant ».

Aujourd’hui, le Corps des gardiens de la révolution a directement accusé Israël d’avoir assassiné Haniyeh à Téhéran tôt mercredi matin en tirant un « projectile à courte portée avec une ogive d’environ 7 kilogrammes » depuis l’extérieur du complexe d’appartements. Bien que le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) n’ait fourni aucune preuve médico-légale à l’appui de ses allégations, cette déclaration constitue un défi direct à un article publié jeudi dans le New York Times, selon lequel Haniyeh aurait été tué par une bombe placée secrètement dans la résidence il y a plusieurs mois.

D’après ce que Qaddoumi a vu, il semble qu’un projectile ait fait un trou dans le côté du bâtiment, directement sur l’appartement où se trouvait Haniyeh. Dans une interview accordée à Drop Site News, M. Qaddoumi, qui est également membre du bureau des relations politiques du Hamas dans le monde arabe et islamique, a déclaré avoir rencontré M. Haniyeh dans la résidence située dans le nord de Téhéran, à la suite d’un dîner d’État organisé en l’honneur du président iranien nouvellement investi. Qaddoumi n’a pas assisté au dîner, mais attendait le retour d’Haniyeh dans le complexe d’appartements, situé dans une enceinte gérée et gardée par le Corps des gardiens de la révolution islamique. Qaddoumi et d’autres personnes se sont alors réunis avec le chef du Hamas pour discuter de la récente attaque israélienne dans un quartier sud de Beyrouth, qui a coûté la vie à Fouad Shukr, haut commandant du Hezbollah.

Au bout d’une heure environ, « il est parti dans sa chambre au quatrième étage de l’immeuble. Je suis allé chez moi, au deuxième étage », se souvient M. Qaddoumi.

Il s’est endormi et a été réveillé par les secousses de l’immeuble autour de lui. « Vers 1 h 37, j’ai ressenti un choc dans le bâtiment. Cela m’a donné une sensation très étrange ». Il a pensé qu’il s’agissait « peut-être d’un tremblement de terre », mais « avec plus d’ampleur.

« Je suis sorti pour vérifier. J’ai constaté que de la fumée s’échappait de partout. Les toilettes de ma suite étaient détruites, le plafond était détruit. Et puis je suis sorti. Mes amis m’ont raconté ce qui s’était passé. Je me suis alors précipité vers la chambre d’Ismail », raconte-t-il. « Je suis entré dans la [suite] et j’ai trouvé une pièce où les deux murs du côté extérieur du bâtiment avaient été détruits. Le plafond de cette pièce était également détruit. J’ai donc eu l’impression que quelque chose était venu de l’extérieur, [tiré] dans la pièce ».

Qaddoumi dit avoir vu le corps de Haniyeh et, dans une pièce adjacente, son garde du corps, qui a également été tué. Après cela, lui et d’autres responsables palestiniens à Téhéran ont été informés par leurs homologues iraniens. « Au départ, tout le monde, d’après l’évaluation faite sur le terrain, était d’accord pour dire que quelque chose avait attaqué le bâtiment de l’extérieur. Puis, avec le temps et la vérification des processus techniques, [le CGRI] a publié cette déclaration ».

01/08/2024

Révélations du New York Times : Ismail Haniyeh aurait été tué par une bombe télécommandée placée dans la maison d’hôtes de Téhéran il y a deux mois

Un engin explosif caché dans un complexe lourdement gardé où Ismail Haniyeh était réputé séjourner en Iran est à l’origine de sa mort, selon une enquête du NY Times.

 
Une photo circulant sur Telegram et parmi les officiels iraniens mercredi montre un bâtiment endommagé dans le nord de Téhéran.

 Ronen Bergman, Mark Mazzetti et  Farnaz Fassihi, The New York Times, 1/8/2024

 Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Ismail Haniyeh, l’un des principaux dirigeants du Hamas, a été assassiné mercredi par un engin explosif introduit clandestinement dans la maison d’hôtes de Téhéran où il séjournait, selon sept responsables du Moyen-Orient [manière élégante de dire « israéliens », NdT], dont deux Iraniens, et un responsable usaméricain.

La bombe avait été dissimulée il y a environ deux mois dans la maison d’hôtes, selon cinq des responsables du Moyen-Orient. La maison d’hôtes est gérée et protégée par le Corps des gardiens de la révolution islamique et fait partie d’un grand complexe, connu sous le nom de Neshat, dans un quartier huppé du nord de Téhéran.

M. Haniyeh se trouvait dans la capitale iranienne pour assister à l’investiture présidentielle. La bombe a été déclenchée à distance, selon les cinq responsables, une fois qu’il a été confirmé que M. Haniyeh se trouvait dans sa chambre à la maison d’hôtes. L’explosion a également tué un garde du corps.

L’explosion a secoué le bâtiment, brisé quelques fenêtres et provoqué l’effondrement partiel d’un mur extérieur, selon les deux responsables iraniens, membres des gardiens de la révolution informés de l’incident. Ces dégâts sont également visibles sur une photographie du bâtiment communiquée au New York Times.

M. Haniyeh, qui a dirigé le bureau politique du Hamas au Qatar, avait séjourné dans la maison d’hôtes à plusieurs reprises lors de ses visites à Téhéran, selon les responsables du Moyen-Orient. Tous ces responsables ont parlé sous le couvert de l’anonymat afin de ne pas divulguer de détails sensibles sur l’assassinat.

Des personnes en deuil se sont rassemblées à Téhéran jeudi pour les funérailles du chef du Hamas, Ismail Haniyeh. L’Iran a déclaré qu’Israël était derrière son assassinat. Photo Arash Khamooshi pour le New York Times

Des responsables iraniens et le Hamas ont déclaré mercredi qu’Israël était responsable de l’assassinat, un avis partagé par plusieurs responsables usaméricains ayant requis l’anonymat. Cet assassinat risque de déclencher une nouvelle vague de violence au Moyen-Orient et de compromettre les négociations en cours pour mettre fin à la guerre à Gaza. M. Haniyeh avait été l’un des principaux négociateurs des pourparlers sur le cessez-le-feu.

Israël n’a pas reconnu publiquement sa responsabilité dans l’assassinat, mais les services de renseignement israéliens ont informé les USA et d’autres gouvernements occidentaux des détails de l’opération dans les jours qui ont suivi, selon les cinq responsables du Moyen-Orient.

Mercredi, le secrétaire d’État Antony J. Blinken a déclaré que les USA n’avaient pas été informés à l’avance du projet d’assassinat.

Dans les heures qui ont suivi l’assassinat, les spéculations se sont immédiatement concentrées sur la possibilité qu’Israël ait tué M. Haniyeh à l’aide d’un missile, peut-être tiré à partir d’un drone ou d’un avion, de la même manière qu’Israël avait lancé un missile sur une base militaire à Ispahan en avril dernier.

Cette théorie du missile a soulevé des questions sur la manière dont Israël aurait pu échapper à nouveau aux systèmes de défense aérienne iraniens pour exécuter une frappe aérienne aussi effrontée dans la capitale.

Il s’avère que les assassins ont pu exploiter un autre type de faille dans les défenses iraniennes : une faille dans la sécurité d’un complexe supposé étroitement gardé, qui a permis de poser une bombe et de la dissimuler pendant de nombreuses semaines avant qu’elle ne soit finalement déclenchée.

Un panneau d’affichage à Téhéran en avril représentant des missiles. Photo Arash Khamooshi pour The New York Times

Trois responsables iraniens ont déclaré qu’une telle violation constituait un échec catastrophique en matière de renseignement et de sécurité pour l’Iran et un énorme embarras pour les Gardiens, qui utilisent le complexe pour des retraites, des réunions secrètes et l’hébergement d’invités de marque tels que M. Haniyeh.

La manière dont la bombe a été dissimulée dans la maison d’hôtes n’a pas été élucidée. Les responsables du Moyen-Orient ont déclaré que la préparation de l’assassinat avait pris des mois et avait nécessité une surveillance approfondie du complexe. Les deux responsables iraniens qui ont décrit la nature de l’assassinat ont déclaré qu’ils ne savaient pas comment ni quand les explosifs avaient été placés dans la chambre.

Israël a décidé de procéder à l’assassinat en dehors du Qatar, où vivent M. Haniyeh et d’autres hauts responsables politiques du Hamas. Le gouvernement qatari joue le rôle de médiateur dans les négociations entre Israël et le Hamas en vue d’un cessez-le-feu à Gaza.

L’explosion meurtrière survenue tôt mercredi a brisé des fenêtres et fait s’effondrer une partie du mur de l’enceinte, comme l’ont montré des photographies et comme l’ont indiqué les responsables iraniens. Des dégâts minimes au-delà du bâtiment lui-même, comme l’aurait probablement fait un missile, n’ont été que minimes.

Vers 2 heures du matin, heure locale, l’engin a explosé, selon les responsables du Moyen-Orient et les sources iraniennes. Les membres du personnel de l’immeuble, surpris, ont couru à la recherche de la source de l’énorme bruit, ce qui les a conduits à la chambre où M. Haniyeh se trouvait avec un garde du corps.

Une image satellite prise le 25 juillet ne montre pas de dégâts visibles ni de bâche verte sur le bâtiment, ce qui suggère que l’image avec les dégâts visibles a été prise plus récemment. Photo Maxar Technologies

Le complexe dispose d’une équipe médicale qui s’est précipitée dans la pièce immédiatement après l’explosion. L’équipe a déclaré que M. Haniyeh était mort immédiatement. L’équipe a tenté de ranimer le garde du corps, mais il était lui aussi mort.

Le chef du Jihad islamique palestinien, Ziyad al-Nakhalah, se trouvait dans la chambre voisine, ont déclaré deux des responsables iraniens. Sa chambre n’a pas été gravement endommagée, ce qui laisse supposer que M. Haniyeh a fait l’objet d’un ciblage précis.

Khalil al-Hayya, le commandant adjoint du Hamas dans la bande de Gaza, qui se trouvait également à Téhéran, est arrivé sur les lieux et a vu le corps de son collègue, selon les cinq responsables du Moyen-Orient.

28/07/2024

RASHA HILWI
D’Akka à Téhéran : être mère face à l’injustice

Rasha Hilwi, Raseef22, 9/7/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Rasha Hilwi est une écrivaine palestinienne, mère de famille, journaliste, éditrice, programmatrice culturelle, conteuse, DJ, féministe, et activiste culturelle. Née et élevée dans la ville d’Akka (Acre) en Palestine de 1948, elle vit aujourd’hui à Amsterdam.
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Je n’ai pas écrit un seul article depuis le début de la guerre génocidaire contre mon peuple à Gaza. Pendant des mois, j’ai évité d’écrire.

Lorsque j’ai commencé à écrire à la fin de mon adolescence à Akka, c’était parce que j’étais convaincue que l’écriture ne se résume pas à poser un stylo sur du papier ou des doigts sur un clavier. Même la création d’un texte personnel peut avoir des implications plus larges dans le monde extérieur et peut influencer le changement. Pour moi, l’écriture est un acte de résistance face à l’injustice, une tentative d’élever la voix des opprimés.

Mais la machine à tuer israélienne qui extermine les Palestiniens de Gaza - enfants, femmes et hommes - sous les yeux des gouvernements du monde et de leurs justifications, a créé un espace de doute quant à l’efficacité de l’écriture.

Je suis une femme palestinienne dont l’identité, les sentiments et les choix ont été façonnés par l’injustice qui a frappé sa famille lors de la Nakba de 1948, ainsi que par ce qu’elle a vécu à l’intérieur de la Palestine pendant plus de trente ans. Alors que j’étais partie, mon peuple était toujours là. Naturellement, l’écriture a été la première action face à ceux et celles qui tentaient d’effacer les récits de notre peuple, ses journaux intimes, ses peurs, ses rêves et sa résilience, ainsi que son insistance sur la vie.

Plus important encore, l’écriture est une tentative de récupérer la maison volée, ou du moins d’y appartenir, à l’intérieur d’un État qui a tout fait depuis la Nakba pour que les Palestiniens se sentent étrangers. La ghorbah est un sentiment pénible que nous ne connaissons que trop bien.

Plus important encore, l’écriture est une tentative de récupérer la maison volée, ou du moins d’y appartenir, dans un État qui, depuis la Nakba, a tout fait pour que les Palestiniens se sentent étrangers. Ghorbah est un sentiment difficile que nous ne connaissons que trop bien.

“Ghorbah” (غربة) vient du mot arabe “Gharb” (l’Occident), le mot “Tagharraba” (تغرّب) signifie se déplacer vers un autre endroit, loin de chez soi, être éloigné ou étranger. “Ghorbah” ne désigne pas seulement un lieu géographique, mais implique également la distance émotionnelle par rapport à la maison, même pour quelqu’un qui n’a jamais déménagé physiquement.

J’ai décidé de quitter la Palestine il y a neuf ans, à la recherche d’une autre maison à l’étranger. C’était un choix qui, au fond, était un privilège, car je suis une Palestinienne détentrice d’un passeport israélien, ce qui me permet de circuler librement en Europe.

Je ne m’attendais pas à ce que cette recherche de Ghorbah me permette de fonder un foyer, de former une famille et de devenir mère.


Mais maintenant que c’est fait, j’ai reçu une autre leçon : la maternité n’est pas une identité qui vous est donnée d’un seul coup, c’est une pratique avec laquelle vous devez vous familiariser chaque jour, dont vous devez apprendre et même désapprendre des choses. La maternité est une pratique qui a commencé lorsque j’ai donné naissance à mes filles, un événement qui s’est produit loin de mon premier foyer, la Palestine. Pendant les jours, les mois et les années où j’ai été confrontée à cette nouvelle identité, la Palestine a connu le « soulèvement de mai », l’assassinat de sa journaliste Shireen Abu Akleh, la guerre génocidaire contre Gaza et tant d’autres événements qui l’ont placée, ainsi que moi, la mère palestinienne éloignée, face à la question suivante : « Comment puis-je continuer à faire quoi que ce soit ? Comment puis-je continuer à faire quelque chose, même si c’est un simple acte, face à l’injustice ? »

Il y a quelques semaines, je me préparais à quitter la maison pour rejoindre une manifestation pour Gaza à Amsterdam. L’une de mes filles m’a demandé où j’allais. Lorsque je le lui ai dit, elle n’a d’abord pas compris. Puis j’ai dit : « Free, free Palestine ! ». En tant que famille, nous étions allées à une manifestation quelques jours auparavant, et j’ai pensé que ce chant clarifierait mon propos. Elle a réagi en portant la main à son oreille et en disant « Mama, owie » - elle se souvenait avoir été dérangée par les chants bruyants. Je lui ai dit : « Ce n’est pas grave, ma chérie. J’ai une vieille oreille. Elle a plus de soixante-dix ans ». Elle m’a souri, même si elle ne comprenait rien.

Je suis devenue mère de mes jumelles à la fin du mois de mars 2021. J’ai toujours voulu être mère, même lorsque je vivais encore en Palestine. Mais lorsque je pensais à la maternité, je n’imaginais pas que le père de mes enfants serait un non-Palestinien, ou même un non-arabe. Ce que nous imaginons est sans importance, car le cœur a toujours d’autres plans. Mon cœur s’est tourné vers la Perse. Plus précisément, vers un Iranien qui avait été contraint de quitter l’Iran et de fuir à Amsterdam. Lorsque j’ai fait part à ma mère de nos projets de mariage, elle m’a dit d’un ton sarcastique : « Nous t’avons envoyée en Europe pour que tu épouses un Iranien ? Qu’est-ce qui ne va pas avec les Néerlandais ? » Elle a ri, j’ai ri, et je lui ai dit : « Mais, maman, mon cœur va toujours vers celui qui a la même douleur ».

Sa douleur, même si elle n’est pas exactement la même que la mienne, est aussi celle de la perte de sa maison. Je n’ai pas perdu ma maison directement, mais mes grands-parents ont perdu la leur après que les milices sionistes ont procédé au nettoyage ethnique de leur village d’Iqrith. Ils ont vécu leur vie comme des réfugiés dans leur patrie et sont morts avant que leur rêve de retourner dans leur village natal ne se réalise. Un fait qui a façonné ma vie, mon identité, mes rêves et mes peurs. C’est ce qu’on appelle le traumatisme intergénérationnel.

Mon mari a perdu sa maison directement. Il était un enfant de trois ans lorsque son père s’est enfui pour la première fois afin d’éviter d’être tué après la prise de pouvoir des islamistes en Iran. Il s’est enfui à travers les montagnes et a atteint la Turquie. Son fils en bas âge et sa femme l’ont ensuite suivi sur la même route jusqu’à ce qu’ils se retrouvent à Istanbul pour finalement arriver aux Pays-Bas en tant que famille de réfugiés. Mon mari, qui a grandi en exil, ne peut pas se rendre dans sa ville natale, Téhéran, et sa mère, qui a souffert de démence pendant de nombreuses années, est morte en exil alors qu’elle rêvait de retourner dans son pays.

La question de la confrontation de l’injustice à l’intersection de la maternité s’est élargie depuis que je suis devenue mère de filles iraniennes-palestiniennes. Il aurait peut-être été plus facile d’y répondre si je ne m’étais pas réveillée chaque jour à la maison avec la douleur de la Palestine et de l’Iran. Cette douleur est présente et vit dans deux tableaux accrochés à notre mur. Notre propre galerie d’exilés décédés, expulsés de leur pays mais ayant une place dans notre maison, est exposée : ma grand-mère Salma et la mère de mon mari, Parvin.

Dans ma vie, l’espace personnel est un espace de deuil partagé, mais c’est aussi un espace de questions difficiles, de légitimité d’une réalité complexe qui ne veut pas que le deuil d’une partie de la maison soit plus important que le deuil de l’autre. Plus important encore, la confrontation avec l’injustice, cette graine qui m’anime, ne se fait pas au détriment d’une autre injustice.

Je ne parle pas beaucoup de la Palestine à mes filles. Plus précisément, je ne leur parle pas avec des mots. J’ai trouvé d’autres méthodes indirectes pour le faire. Je m’efforce de préparer les plats palestiniens que j’ai appris de ma mère et nous écoutons ensemble des chansons palestiniennes, des plus traditionnelles à celles qui sont sorties hier. Je leur parle dans mon dialecte hétéroclite, qui est un mélange de la montagne (ma mère) et de la mer (mon père), et tous les soirs, je leur chante des berceuses palestiniennes avant qu’elles s’endorment.

En novembre dernier, après une journée passée à regarder des images et des vidéos en provenance de Gaza, et avec le sentiment de culpabilité qui me rongeait en comparant la sécurité du toit qui me protège à celle des mères gazaouies et de leurs enfants, je me suis jetée entre mes filles ; la première tenait ma main droite et la seconde ma main gauche. Je leur ai demandé : « Que voulez-vous que je chante pour vous ? » Elles ont répondu ensemble : « Ya Siti ! (Oh ma grand-mère !) ». C’est la berceuse qui leur tient le plus à cœur. Au milieu de la chanson, la sonnette de la maison a retenti. « Maman, n’aie pas peur », a dit l’une de mes filles, ce qui était sa façon de dire qu’elle avait peur.

Je leur ai dit que c’était le facteur et j’ai recommencé à chanter jusqu’à ce qu’elles s’endorment.

Tout comme je ne leur parle pas directement de la Palestine, je ne leur dis pas non plus que j’ai souvent très peur de beaucoup de choses, d’un monde qui ne considère pas l’enfant palestinien comme aussi précieux que les autres enfants. J’ai peur que des filles et des femmes iraniennes soient encore tuées parce qu’elles ne portent pas le hijab “correctement”. J’ai peur qu’Israël ne soit pas tenu pour responsable de ses crimes, les anciens, les nouveaux et ceux à venir. Je crains que la République islamique d’Iran ne soit pas tenue de rendre des comptes pour les exécutions de jeunes gens qu’elle continue de commettre... et la liste est encore longue.

Je reviens à l’écriture aujourd’hui, au milieu de ce qui se passe, pour me dire et souligner que ma maternité, en effet, est un fil qui s’étend vers la réflexion sur la justice pour la Palestine dans ma maison, à travers la nourriture, les odeurs, les chansons, ma voix, mon visage, et ma tristesse héritée qui flotte à la surface fortement ces jours-ci. Mais c’est aussi un fil qui s’étend vers la réflexion sur la justice pour l’Iran. Parce que Téhéran devrait être un jour une maison pour mes filles, tout comme Akka. La douleur est la même, même si les “garde-barrières” de nos pays sont différents ou prétendent être des ennemis.