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05/06/2025

VERA WEIDENBACH
La position de l’Allemagne à l’égard d’Israël est devenue un dilemme politique sans précédent

Vera WeidenbachHaaretz, 3/6/2025

Vera Weidenbach est une auteure et journaliste indépendante allemande qui vit à Berlin. En tant que reporter, elle écrit sur la politique nationale allemande. Son livre „Die unerzählte Geschichte - Wie Frauen die moderne Welt erschufen und warum wir sie nicht kennen“ [L’histoire cachée : comment les femmes ont créé le monde moderne et pourquoi nous l’ignorons] a été publié en 2022. Elle a étudié la philosophie, la biologie et la politique à l’université Humboldt de Berlin et au King’s College de Londres avant de fréquenter l’école de journalisme de Munich.

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Malgré la volonté du nouveau gouvernement de Berlin de critiquer la conduite de la guerre de Gaza par Israël, ce dernier n’a encore subi aucune répercussion de la part de l’Allemagne. Le chancelier Friedrich Merz devra finir par choisir entre des menaces en l’air et la sauvegarde du droit humanitaire.

Le changement était la plus grande promesse de Friedrich Merz lorsqu’il a fait campagne pour devenir chancelier de l’Allemagne. Les temps d’hésitation et de stagnation seraient révolus, promettait-il, lorsque son parti, l’Union chrétienne-démocrate (CDU) de centre-droit, prendrait la tête du pays. Finies les querelles qui ont finalement entraîné la chute de ce que les Allemands appellent la coalition feu tricolore - l’union des partis soc-dém, libéral et vert, dirigée plus récemment par l’ancien chancelier Olaf Scholz. Merz s’est engagé à faire avancer les choses et à agir rapidement.


C’est un génocide
ou de la légitime défense ?
Contentons tout le monde et disons que c'est les deux
Dans ce cas, on a besoin d'une nouvelle terminologie
Je propose “légitime défense génocidaire”
ça devrait donner du grain à moudre aux deux parties
Dessin de Joe Sacco

De nombreux Allemands ont été surpris de constater que le plus grand changement opéré par Merz après trois semaines de mandat était une violation de l’un des principes directeurs de la politique étrangère de l’Allemagne : ne pas critiquer Israël trop intensément. Plus sévère que tous les chanceliers allemands avant lui, Merz a critiqué le gouvernement israélien pour sa conduite de la guerre en cours et la situation humanitaire désastreuse dans la bande de Gaza.

Dans une interview accordée le 27 mai, il a estimé que l’offensive actuelle d’Israël “n’est plus compréhensibleet a déclaré : « Porter atteinte à la population civile dans une telle mesure, comme cela a été de plus en plus souvent le cas ces derniers jours, ne peut plus être justifié comme une lutte contre le terrorisme du Hamas ».

Pendant sa campagne et lors de l’accord conclu avec les sociaux-démocrates (SPD) pour former son gouvernement de coalition, Merz s’est positionné comme étant fortement pro-israélien et a souligné ses relations personnelles étroites avec le Premier ministre Benjamin Netanyahou - qui, selon Merz, l’a appelé pour le féliciter juste après qu’il eut remporté les élections de février. Au cours de ce long appel téléphonique, Merz a déclaré qu’il avait promis à Netanyahou de « trouver les moyens de lui permettre de se rendre en Allemagne et de pouvoir repartir sans être arrêté ».

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Cette déclaration a suscité l’indignation des autres partis politiques, l’Allemagne étant l’un des plus grands soutiens de la Cour pénale internationale, qui a a délivré un mandat d’arrêt à l’encontre de Netanyahou en novembre, en raison des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité qu’il aurait commis à Gaza.

Le revirement rhétorique de Merz à l’égard d’Israël intervient dans un contexte de pression politique croissante en Allemagne et dans toute l’Europe pour condamner l’offensive israélienne en cours à Gaza. L’UE a annoncé son intention de réexaminer la base juridique de son accord d’association de 1995 avec Israël. Entre-temps, le Royaume-Uni a suspendu ses négociations commerciales. Et L’Espagne a intensifié ses efforts diplomatiques pour inciter ses alliés européens à imposer des sanctions à Israël.

Pour la nouvelle coalition gouvernementale CDU-SPD, le sujet présente un potentiel de conflit, une impression que Merz souhaite éviter. Lars Klingbeil, chef de file du SPD et ministre des Finances, a annoncé que la coalition avait l’intention d’accroître la pression politique sur Israël. « Nous devons également faire comprendre à nos amis, compte tenu de la responsabilité historique que nous portons à l’égard d’Israël, ce qui n’est plus acceptable », a déclaré Klingbeil. le 26 mai, ajoutant que ce point a été atteint.

À la différence de plusieurs hauts responsables du SPD, Klingbeil s’est toutefois abstenu d’appeler à un embargo sur les armes à destination d’Israël. Le manque d’unité des sociaux-démocrates sur cette question donne à la CDU une plus grande marge de manœuvre.

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Zeitenwende, Peter Wall, Allemagne, 2024. Acrylique sur toile 100 x 120 cm

Merz s’est engagé à devenir un “Außenkanzler” [“exochancelier”], c’est-à-dire qu’il s’est engagé à faire de son mandat de chancelier une affaire de politique étrangère. Pour la première fois depuis plus de cinquante ans, la CDU dirige le ministère des Affaires étrangères. L’ancien chancelier Olaf Scholz est largement considéré comme n’ayant pas tenu sa promesse de “Zeitenwende” (tournant historique, changement d’époque) concernant le rôle de l’Allemagne en tant que puissance de premier plan en Europe et l’augmentation de ses capacités militaires pour contrer l’agression russe contre l’Ukraine.

Et c’est là que le soutien de l’Allemagne à Israël entre en conflit non seulement avec les principes normatifs de l’Allemagne, mais aussi avec ses intérêts politiques, explique Maya Sion-Tzidkiyahu, maîtresse de conférences à l’Université hébraïque de Jérusalem et directrice du programme de relations Israël-Europe de la boîte à idées Mitvim. Elle souligne qu’en Europe, les attentes à l’égard de Merz ne concernent pas principalement Israël.

« Un alignement non critique sur Israël risque de miner la crédibilité de l’Allemagne et de l’exposer à des accusations croissantes de deux poids-deux mesures. Cela pourrait diminuer la crédibilité de l’Allemagne dans l’arène géopolitique au sens large, notamment en ce qui concerne la guerre entre la Russie et l’Ukraine », dit Sion-Tzidkiyahu.

Merz a clairement l’ambition de faire de l’Allemagne un acteur diplomatique de premier plan, ce qui est étroitement lié au fait de jouer un rôle important dans la fin de la guerre en Ukraine. Depuis son entrée en fonction, le nouveau chancelier allemand a rencontré à deux reprises le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy et a promis d’accroître le soutien militaire de l’Allemagne.

Selon Mme Sion-Tzidkiyahu, la mise en œuvre par l’Allemagne de mesures politiques à l’encontre d’Israël dépendra en grande partie de la manière dont le gouvernement Netanyahou choisira de poursuivre la guerre à Gaza. Si la guerre se transforme en une occupation à long terme - ce qui est de plus en plus probable au vu de l’évolution de la situation sur le terrain, car Israël continue de repousser les civils de Gaza dans trois zones tout en exerçant un contrôle militaire sur 75 % de la bande. Cela pourrait amener Netanyahou à suivre les demandes de ses copains de la coalition d’extrême droite, qui rêvent de voir Tsahal administrer Gaza de la même manière que la Cisjordanie.

« Si ce scénario devait se réaliser, l’Allemagne serait confrontée à de sérieuses difficultés politiques et juridiques pour justifier la poursuite des exportations d’armes vers Israël », prédit Sion-Tzidkiyahu. « « Dans ce cas, la question dépasserait le stade de la rhétorique et entrerait dans le domaine des changements politiques concrets.

Portes fermées, téléphones ouverts

Par le passé, Merz s’était largement abstenu de critiquer publiquement le gouvernement israélien, privilégiant ce que lui et son ministre des Affaires étrangères, Johann Wadephul, appellent la “diplomatie des portes fermées”, c’est-à-dire que l’Allemagne fait part de ses préoccupations dans le cadre de discussions directes, plutôt qu’en public.

Wadephul a assuré qu’il était en contact téléphonique quasi quotidien avec des responsables israéliens pour discuter des préoccupations de l’Allemagne. Lors de sa visite en Israël il y a deux semaines, le ministre a publiquement appelé à une augmentation de l’aide humanitaire à Gaza, tout en acceptant largement les justifications du gouvernement israélien pour la guerre en cours. Mercredi, son homologue israélien Gideon Sa’ar se rendra à Berlin et les deux hommes auront à nouveau l’occasion de discuter de cette question en face à face.


Staatsräson, par Peter Wall, 2013

Depuis la reprise des combats à Gaza, Wadephul décrit la position de l’Allemagne à l’égard d’Israël comme un dilemme politique et moral. Le principe selon lequel la sécurité d’Israël est une raison d’État - Staatsräson, une idée lancée par l’ancienne chancelière Angela Merkel en 2008 en référence à la responsabilité historique de l’Allemagne après l’Holocauste - contredit l’engagement de l’Allemagne à respecter le droit humanitaire et international.

Malgré cette nouvelle volonté du gouvernement allemand de critiquer plus ouvertement, les conséquences concrètes restent assez vagues. Wadephul a rejeté un embargo sur les armes proposé par le gouvernement espagnol, en évoquant la responsabilité de l’Allemagne en matière de sécurité d’Israël. Dans une récente interview, le ministre a laissé entendre que le Conseil fédéral de sécurité, un comité du cabinet qui décide des livraisons d’armes, examinera si l’utilisation d’armes allemandes dans la bande de Gaza est conforme au droit international.

Un arrêt des livraisons d’armes allemandes à Israël ne semble pas très probable dans un avenir proche, d’autant plus qu’il existe une résistance au sein de la CDU et de la CSU, la branche bavaroise la plus conservatrice du parti.

 

“Espérons que ça marche !”. Sur la caisse : ARMES - SEULEMENT POUR LES GENTILS ! À  N'UTILISER QUE CONTRE DES MÉCHANTS !
Dessin d'ERL, 2014

D’octobre 2023 à la mi-mai 2025, l’Allemagne a exporté pour 485 millions d’euros d’armes vers Israël, ce qui la met en deuxième position après les USA. 73 % des Allemands souhaitent un contrôle plus strict des exportations d'armes vers Israël, dont 30 % sont favorables à une interdiction totale, selon un sondage réalisé mercredi. [NdT]

24/02/2025

Friedrich Merz, un portrait

Friedrich Merz, chef des chrétiens-démocrates conservateurs, s’est engagé à renforcer le leadership en Europe, où la nouvelle administration Trump a semé l’inquiétude.

Steven Erlanger et Christopher F. Schuetze, The New York Times, 24/2/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Steven Erlanger est le correspondant diplomatique en chef du New York Times pour l'Europe, basé à Berlin. Il a réalisé des reportages dans plus de 120 pays, dont la Thaïlande, la France, Israël, l’Allemagne et l’ex-Union soviétique.

Christopher F. Schuetze est un reporter du Times basé à Berlin, couvrant la politique, la société et la culture en Allemagne, en Autriche et en Suisse

Friedrich Merz, l’homme qui est presque certain d’être le prochain chancelier d’Allemagne, est un homme d’affaires conservateur qui n’a jamais été ministre et qui a été contraint de quitter le gouvernement il y a des années lors d’une lutte de pouvoir avec Angela Merkel.

Chef de l’Union chrétienne-démocrate conservatrice, qui a terminé en tête des élections de dimanche, Merz a fait fortune dans le secteur privé avant de revenir à la politique à 63 ans.

Cette expérience du monde des affaires a séduit de nombreux Allemands dans un contexte de turbulences politiques causées en partie par la stagnation de l’une des plus grandes économies européennes.

Merz, aujourd’hui âgé de 69 ans, est né et vit toujours dans le Sauerland, une région de l’ouest de l’Allemagne connue pour ses collines, sa gastronomie et sa nature pittoresque. C’est de là qu’il a été élu pour la première fois au Parlement européen en 1989, puis au Parlement allemand en 1994.

Bien qu’il soit issu du même parti que Merkel, l’ancienne chancelière, Merz, un politicien pugnace de la vieille école, est à bien des égards son opposé.

Il a gravi les échelons pour diriger le groupe parlementaire des chrétiens-démocrates, mais a été évincé par l’ étoile montante du parti, Merkel. C’est alors que Merz a quitté la politique et s’est lancé dans une lucrative carrière d’avocat.

Il s’est enrichi en travaillant comme avocat et lobbyiste. Lorsque Merkel s’apprêtait à prendre sa retraite, Merz est revenu à la politique. En 2018, à son retour sur la scène politique, il a promis qu’il pourrait endiguer la montée du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne, connu sous le nom d’AfD, en déplaçant son parti plus à droite sur des questions clés telles que la migration et la criminalité.

Merz est revenu au Parlement en 2021 et, après deux tentatives infructueuses, a remporté la direction du parti en 2022.

En tant que chef du parti, il a toutefois commis un certain nombre de gaffes, comme lorsqu’il a affirmé en septembre 2023 que les demandeurs d'asile se faisaient refaire les dents aux frais des contribuables alors que les patients allemands ordinaires ne pouvaient pas obtenir de rendez-vous. (Le président de l’Association dentaire allemande a démenti ces propos.) Et son insistance à dire qu’il n’est qu’un membre ordinaire de la classe moyenne - malgré des moyens personnels importants - a été raillée par certains Allemands qui le considèrent comme déconnecté de la réalité économique à laquelle sont confrontés de nombreux membres de la classe moyenne.

Néanmoins, Merz a réussi à rallier son parti autour de lui et à le faire évoluer vers une position conservatrice plus traditionnelle après que le long mandat de Merkel eut fait basculer le parti plus à gauche. Son expérience des affaires est considérée comme un atout, car il promet de relancer la croissance de l’économie allemande.

En tant que chancelier, conservateur et atlantiste engagé, Merz serait considéré comme un meilleur choix pour le président Trump que l’actuel chancelier social-démocrate, Olaf Scholz. Merz devrait également mener une politique étrangère plus conforme aux idées de Trump sur la prise en charge par l’Europe de sa propre défense.

Néanmoins, Merz, connu pour être assertif et direct, bien qu’un peu maladroit, a vivement réagi aux derniers commentaires de Trump, qui a pris le parti de la Russie au sujet de l’Ukraine, ainsi qu’à ce qui a été considéré comme une ingérence dans les élections allemandes de la part du vice-président JD Vance, qui a critiqué l’Europe pour avoir marginalisé les électeurs d’extrême droite et leurs partis.

Selon les analystes, Merz se caractérise par son audace, qui reflète sa conviction que l’Allemagne doit s’engager plus fermement dans les affaires européennes et mondiales. Scholz a souvent été critiqué pour son hésitation et sa prudence, même au sein de sa propre coalition.

Le mois dernier, Merz a montré sa volonté d’agir avec audace en présentant au Parlement une mesure sur l’immigration, puis un projet de loi qu’il savait ne pouvoir faire adopter qu’avec  les voix de l’AfD, parti d’extrême droite, malgré ses promesses antérieures de ne jamais travailler avec eux. La manœuvre politique n’a pas bien fonctionné : elle a incité des centaines de milliers d’Allemands à descendre dans la rue pour protester, a provoqué des dissensions au sein de son parti et lui a valu une rare réprimande publique de la part de Merkel.

Merz s’est engagé à donner à l’Allemagne un rôle plus important au sein de l’Union européenne et de l’OTAN, à améliorer les relations avec la France et la Pologne et à adopter une position plus ferme à l’égard de la Chine, qu’il a décrite comme un membre à part entière de « l’axe des autocraties ».

Il a également promis un soutien plus franc à l’Ukraine dans sa lutte contre la Russie, affirmant par exemple qu’il fournirait à l’Ukraine le missile de croisière à longue portée allemand Taurus. Et il a promis que l’Allemagne atteindrait et dépasserait l’objectif actuel de l’OTAN de consacrer à long terme 2 % du produit intérieur brut aux dépenses militaires.

Dans un récent discours sur la politique étrangère prononcé à la Fondation Körber, Merz, ancien membre du Parlement européen, a promis d’assurer le leadership allemand en Europe, ce qui n’a pas été une priorité pour Scholz, et de créer un conseil national de sécurité à la chancellerie.