Gideon Levy et Alex Levac
(photos) Haaretz, 8/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Un sniper israélien a abattu Mohammed Tamimi, âgé
de deux ans et demi, d’une balle dans la tête, puis son père d’une balle dans
la poitrine, alors qu’ils se rendaient à une fête d’anniversaire. L’enfant est
mort quatre jours plus tard. Il s’agit du 150e Palestinien tué cette
année
Haytham Tamimi,
le père endeuillé, à droite, et son frère Hassan. “Un soldat qui tire sur un
bébé de cette façon est un soldat qui a déjà fait ça par le passé”, dit leur
cousin Sameh. “C’est un malade mental”.
Une famille se
rend à l’anniversaire d’une tante, dans le village voisin. En rentrant du
travail, le père s’était arrêté chez la tante pour déposer un gâteau
d’anniversaire de la pâtisserie où il travaille. De retour à la maison, il
prend son fils Mohammed dans les bras, l’installe sur le siège arrière de sa
Skoda, puis fait le tour de la voiture pour s’asseoir à la place du conducteur.
Soudain, une
volée de coups de feu. D’après ce que le père a raconté cette semaine à
d’autres membres de sa famille, une balle l’a atteint avant même qu’il ne
parvienne à entrer dans le véhicule. L’armée a affirmé que le père était déjà à
l’intérieur lorsque le soldat a tiré sur la voiture. Quoi qu’il en soit, il a
réussi à monter dans la voiture malgré sa blessure. Il a rapidement fermé la
portière pour protéger son fils, puis a jeté un coup d’œil sur la banquette
arrière.
Le spectacle
qui s’offre à lui est effroyable. Le petit Mohammed est affaissé, inconscient,
respirant à peine, avec un trou béant dans la tempe droite. Son sang a taché le
siège. S’enfuyant pour sauver sa vie, le père horrifié a réussi à parcourir une
courte distance. Au total, cinq balles ont atteint la voiture. Celle qui a
frappé la tête du bambin a explosé et fait des ravages à l’intérieur, tandis
que la balle qui a touché Haytham, le père, l’a atteint à la poitrine et est
ressortie par l’épaule droite. Il a également été touché par des éclats de plus
gros projectiles.
Lundi dernier,
Haytham Tamimi se trouvait dans la maison de son père lorsqu’il a appris la
mort de Mohammed. Nous étions là précisément à ce moment-là. Tamimi était
naturellement bouleversé, à peine capable de prononcer un mot. De temps en
temps, il éclatait en sanglots et son frère, Hassan, essuyait ses larmes. À
l’hôpital pour enfants Safra, qui fait partie du centre médical Sheba à Ramat
Gan, Marwa, la mère de l’enfant, était à ses côtés lorsqu’il a rendu son dernier
soupir.
Le couple a
encore un enfant, un fils, Osama, âgé de huit ans, qui errait lundi dans la
maison de son grand-père, perplexe, ne comprenant apparemment pas pourquoi tout
ce remue-ménage. Haytham, qui a lui-même été hospitalisé pendant deux jours à Ramallah,
a rendu visite à son fils mourant la veille de sa mort, mais n’a pas pu rester
en raison de son état de santé ; il a embrassé la tête bandée du garçon avant
de partir. Le lundi après-midi, tout était fini. La nouvelle de la mort de
Mohammed a déclenché un torrent de chagrin dans la maison, insupportable à
voir.
Nabi Saleh,
encore Nabi Saleh, le petit village militant, courageux et déterminé près de
Ramallah, dont tous les habitants appartiennent à la famille Tamimi et dont la
plupart participent activement à la lutte non violente contre l’occupation, la
barrière de séparation et la colonie de Halamish, qui est adjacente au village.
Nous étions ici il y a environ un an et demi, lorsque Qusai Tamimi a été tué
par des soldats pour avoir mis le feu à un pneu. C’est également ici que
Mustafa Tamimi a été tué en 2011 lorsqu’une grenade lacrymogène tirée par un
soldat s’est écrasée sur son visage, et c’est ici qu’Ahed Tamimi a giflé un
soldat en 2017, et qu’elle a été emprisonnée pendant huit mois. Son cousin de
15 ans, un autre Mohammed Tamimi, a reçu une balle dans la tête peu avant
l’incident avec Ahed, ce qui lui a déformé le crâne et le visage. Un autre
Mohammed Tamimi, âgé de 17 ans, a été tué par un soldat qui lui a tiré dessus
depuis l’intérieur d’une jeep blindée.
C’est
maintenant au tour du troisième Mohammed Tamimi d’être abattu ici, à l’âge de 2
ans et demi, la plus jeune personne du village à être tuée. Selon
l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, il s’agit du
150e Palestinien tué cette année, qui n’a même pas encore
atteint son milieu.
Ce jeudi soir
1er juin, Faraj Tamimi a conduit en toute hâte son cousin Haytham
et Mohammed, alors à peine vivant, hors du village. Il s’est arrêté en face de
Halamish, où des équipes médicales de Magen David Adom, le service d’ambulance
d’urgence, et des Forces de défense israéliennes ont tenté de réanimer le
bambin. Faraj a ensuite emmené le père de l’enfant à l’hôpital arabe Istishari
de Ramallah.
Haytham et
Hassan Tamimi
Un silence
pesant règne désormais dans la maison du grand-père, seulement brisé par des
cris d’angoisse. Un visiteur des USA, l’oncle Sameh Tamimi, 34 ans,
cyber-ingénieur et natif du village, qui a émigré à San Francisco, est le seul
capable de parler de ce qui s’est passé en ce moment atroce. Il a accompagné Haytham
dimanche pour voir son fils pour la dernière fois à l’hôpital. Il se demande à
voix haute si le soldat qui a tiré une balle dans la tête de l’enfant n’est pas
un psychopathe.
“Parce que
quel autre soldat pourrait faire une telle chose ?” demande-t-il, alors que les
médias israéliens ont déjà décidé, dans un réflexe effrayant, que le bambin
avait été tué “par erreur”. Sameh exige une enquête, il veut savoir quel type
de munitions a été utilisé pour tuer son petit neveu, après avoir appris que la
balle a explosé à l’intérieur du minuscule crâne de Mohammed et détruit 80 % de
son cerveau. « Un soldat qui tire sur un bébé de cette façon est un soldat
qui a déjà fait ça dans le passé. C’est un malade mental. Il a tiré sur un bébé
sans ménagement, dans le but de tuer. Il est susceptible de recommencer ».
Selon Sameh,
la voiture a essuyé des tirs provenant de deux directions, un peu après 20
heures : d’en haut - de la tour de guet qui domine le village - et du côté
droit, où Mohammed était assis. En d’autres termes, il pense que plus d’un
soldat a tiré sur le père et le fils.
La maison de
la famille est la plus proche de la tour menaçante de Nabi Saleh. Les seuls
mots cohérents qu’Haytham a réussi à prononcer lors de notre visite, après
l’annonce de la terrible nouvelle, sont qu’un ordre de démolition est en cours
contre la structure depuis 2013. Le meurtre de son fils pourrait en fait
accélérer le processus, tout comme il a incité l’armée à organiser un raid à
grande échelle sur le village peu après que ses troupes ont abattu Mohammed et
son père, et à revenir pour une deuxième série de raids le samedi soir.
L’unité du
porte-parole des FDI, qui a regretté cette semaine que des non-combattants
aient été blessés, a répondu comme suit à une question posée par Haaretz
sur les raisons pour lesquelles les forces ont continué à envahir le village
qui pleurait la mort de l’enfant : « Dans la nuit du 1er juin,
des terroristes ont tiré en direction de la colonie de Neve Tzuf. Les forces
des FDI qui assuraient la sécurité du poste militaire adjacent à la communauté
ont répondu en tirant plusieurs balles.
« L’enquête
initiale, menée immédiatement après l’événement, a révélé que lorsque deux
terroristes ont tiré des coups de feu pendant plusieurs minutes sur la colonie,
les forces de l’armée israélienne ont répondu par des tirs. Il s’avère qu’à la
suite de ces tirs, deux Palestiniens ont été blessés. Les FDI regrettent que
des non-combattants aient été blessés et s’efforcent d’éviter de tels
incidents.
« Plus
tard dans la nuit, les forces de sécurité sont intervenues dans le village de
Nabi Saleh pour enquêter sur l’attaque. Au cours de cette action [d’enquête],
des troubles violents ont éclaté, avec la participation de dizaines de
Palestiniens qui ont jeté des pierres et des pneus enflammés et ont improvisé
des grenades lacrymogènes [sic] contre les forces de l’ordre. Les forces
ont pris des mesures pour dissiper les troubles et ont répondu avec des moyens
destinés à disperser les manifestations. En outre, les forces ont examiné la
zone le lendemain, dans le cadre de l’enquête sur l’événement. L’événement fait
l’objet d’une enquête approfondie. À l’issue de l’enquête, et compte tenu de
ses conclusions, une décision sera prise quant à l’ouverture d’une enquête
[formelle] ».
Quelques
centaines de mètres séparent la maison de la famille de la tour où était
apparemment perché le soldat armé. Il n’était évidemment pas en danger dans la
tour fortifiée, même si l’on accepte l’affirmation de l’armée selon laquelle
son tir a été précédé d’un tir sur la colonie adjacente de Halamish. Personne à
Nabi Saleh n’a entendu ces tirs. Le fait est que Haytam, qui réside dans une
zone dangereuse, en face de la tour, n’a eu aucun scrupule à emmener son fils à
l’extérieur pour se rendre à une fête d’anniversaire. Il ne l’aurait jamais
fait s’il avait entendu des tirs.
Bilal Tamimi,
56 ans, qui travaille au département des médias du ministère palestinien de
l’Éducation et qui est également bénévole à B’Tselem, a clairement entendu le
bruit des coups de feu. Ce jeudi soir, il rendait visite à un cousin qui habite
près de chez lui lorsqu’il a soudain entendu des coups de feu - probablement
ceux qui ont tué Mohammed et blessé Haytham. Il est rentré chez lui en courant
pour enfiler son gilet “presse” et son casque de protection, puis il est monté
sur le toit avec des membres de sa famille pour observer et documenter le
déroulement des événements avec la caméra de son téléphone. C’est un habitué.
Dans la maison de Bilal, qui abrite une exposition permanente de différents
types de douilles de munitions laissées par les soldats, il raconte ce qu’il a
entendu et vu ce soir-là, après les tirs sur Haytham et Mohammed.
Wissam (à dr.) a été
blessé à la tête
Lorsque nous
avons rencontré Bilal, il revenait de l’hôpital Istishari où il était allé
chercher son neveu Wissam, âgé de 17 ans, qui sortait de l’hôpital après avoir
été soigné pour une blessure à la tête subie lors de cette terrible soirée dans
le village. Wissam, qui a eu besoin de neuf points de suture, a été blessé par
une balle métallique à pointe éponge, et non par une balle réelle, comme le
petit Mohammed. Il a été hospitalisé pendant trois jours. Bilal a également été
blessé par une balle en métal-éponge ; son bras droit est plâtré et maintenu
par une écharpe.
Bilal Tamimi sur la terrasse de sa maison à Nabi Saleh, cette semaine. Sa main a été cassée par une balle métallique à pointe éponge
Les deux
hommes ont été abattus alors qu’ils observaient la scène depuis le toit. Des
soldats sont entrés dans le village à bord de plusieurs jeeps et ont pris
position sur les toits des maisons, y compris sur le toit opposé à celui où se
trouvaient Bilal et les autres. Bilal raconte qu’il n’avait jamais vu de
soldats aussi agressifs et ayant la gâchette aussi facile. Le correspondant
militaire de Channel 11 News, Itay Blumenthal, a rapporté cette semaine que les
soldats appartenaient au bataillon Duchifat de la brigade Kfir, qui est
déployée en permanence en Cisjordanie, et qu’ils étaient arrivés dans le
village ce matin-là pour la première fois. C’est peut-être pour cette raison
qu’ils ont ouvert le feu avec autant d’enthousiasme.
Bilal se
souvient qu’il a d’abord vu une jeep se précipiter sur une voiture
palestinienne, jusqu’à ce que le véhicule disparaisse. La jeep s’est alors
arrêtée à côté de la station-service à l’entrée de Nabi Saleh. Quelques jeunes
ont attendu jusqu’à ce que la jeep se mette en route, puis ils ont commencé à
lui jeter des pierres, leur réaction habituelle après l’invasion du village par
l’armée. Entre-temps, deux autres jeeps sont arrivées. Les soldats ont tiré des
grenades lacrymogènes et des balles métalliques enrobées de caoutchouc sur la
poignée de jeunes qui leur jetaient des pierres. Les soldats sont montés sur le
toit d’un magasin et, de là, ont fait pleuvoir des gaz lacrymogènes et des
balles en caoutchouc sur tout ce qui bougeait, raconte Bilal. Les troupes sont
restées dans le village jusqu’aux premières lueurs du jour, tandis qu’à
l’hôpital de Safra, les médecins tentaient de sauver la vie de Mohammed.
Une grenade assourdissante et des balles en métal à pointe éponge
Bilal, sa
femme, son fils, son frère et son neveu sont restés sur le toit jusqu’à ce que Wissam
soit blessé. Manal, la femme de Bilal, âgée de 50 ans, l’a conduit pour qu’il
reçoive des soins médicaux. N’aviez-vous pas peur de traverser les positions
des soldats ? « J’avais peur qu’ils ne me laissent pas passer, mais
quand j’ai vu le sang sur la tête de Wissam, j’ai oublié toutes mes
craintes », raconte-t-elle. Près de la ville nouvelle palestinienne de
Rawabi, une ambulance du Croissant-Rouge les a recueillis et a transporté Wissam
jusqu’à l’hôpital. Il est en onzième année et a manqué le dernier de ses
examens de fin d’année, en langue arabe, à cause de sa blessure. Il dit qu’il
demandera une seconde session. Il a également manqué la fête de fin d’année de
l’école.
Les soldats
sont revenus à Nabi Saleh dans la nuit de samedi à dimanche. Cette fois, ils
ont pris possession de la terrasse de la maison de Manal et Bilal. Lundi, nous
sommes montés sur la terrasse, une ascension difficile et dangereuse. Des
douilles jonchent encore le sol. En contrebas, tout le village se déploie. Ici,
c’est la maison d’Ahed Tamimi, là-bas ce sont les maisons du premier Mohammed
Tamimi qui a été tué, du deuxième Mohammed Tamimi et du troisième, qui a été
enterré mardi dernier.
La maison dans
laquelle vivait le petit Mohammed était vide cette semaine. La famille a
préféré se recueillir dans la maison du grand-père, plus éloignée de la tour
militaire. C’est de cette maison que provenaient les pleurs.
Les funérailles de Mohammed à Nabi Saleh le mardi 6 juin Photo: AHMAD GHARABLI/AFP
Comparaison d'un trajet similaire entre Nabi Saleh et Ramallah pour une voiture palestinienne (à gauche) et entre les colonies israéliennes de Halamish et Psagot pour une voiture israélienne (la durée pour la voiture palestinienne suppose que les postes de contrôle militaires ne sont pas opérationnels à ce moment-là). Source : Léopold Lambert, The Funambulist, 2018