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03/02/2024

ETAN NECHIN
Comme Tal Mitnick, j'ai refusé de servir Israël en tant que soldat. Il est important de comprendre pourquoi

Etan Nechin, The Guardian, 29/12/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Etan Nechin est un écrivain, journaliste et rédacteur, né en Israël, où il a été un refuznik, et vivant à New York, Il est éditeur en ligne de The Bare Life Review: a Journal of Immigrant and Refugee Literature,, fondé en 2017, et contributeur à Haaretz. @Etanetan23

Le service militaire définit l'identité de chacun dans la société israélienne, mais la dissidence a une longue tradition, malgré les nombreux obstacles.

La semaine dernière, Tal Mitnick, 18 ans, a été emprisonné pendant 30 jours pour avoir refusé de s'enrôler dans les Forces de défense israéliennes, devenant ainsi le premier objecteur de conscience emprisonné depuis le début de la guerre d’Israël contre Gaza. « Je refuse de croire que plus de violence apportera la sécurité. Je refuse de prendre part à une guerre de vengeance », a écrit Tal Mitnick dans un communiqué.

Tal Mitnick en novembre dernier, portant un ruban jaune, vieux symbole des Puritains dans la Guerre civile anglaise du XVIIème siècle, qui l’apportèrent aux USA, d’où il s’est répandu sur toute la planète pour signifier les messages les plus divers : soutien aux soldats en guerre, aux prisonniers de guerre, puis, à partir de 1979, aux otages de l’ambassade US à Téhéran. En 2008, il a symbolisé le soutien au caporal Gilad Shalit, prisonnier du Hamas. Après le 7 octobre, il a été relancé par des familles de captifs, qui le distribuent dans la rue. Ils sont accrochés aux parebrises des voitures ou sur la poitrine.

La conscription militaire est une pierre angulaire de l'unité de la société israélienne. Il est difficile de se fier entièrement aux chiffres des FDI en raison d'un manque de transparence, mais les chiffres officiels montrent que 69 % des hommes et 56 % des femmes sont enrôlés à l'âge de 18 ans. Cela fait de l'uniforme militaire un emblème de l'identité nationale collective, peut-être même plus important que le drapeau, incarné par la maxime israélienne : « Une nation qui construit une armée est une nation qui se construit elle-même ».

L'armée est tellement ancrée dans le tissu social que le service est autant un phénomène sociologique qu'un devoir idéologique. La plupart des soldats ne sont pas des combattants. Ils jouent des rôles de cuisiniers, de DJ à la radio ou d'enseignants. L'armée a appris à absorber des groupes qu'elle écartait par le passé, comme les personnes LGBTQ+, et sert même de la nourriture végétalienne. Il est possible de servir dans l'armée tout en vivant à la maison, en considérant cela comme un travail quotidien normal.

Alors qu'aux USA et au Royaume-Uni, le service militaire est considéré comme une « porte de sortie" »- de la pauvreté ou d'une classe sociale inférieure - en Israël, c'est tout le contraire. C'est un moyen d'entrer dans la société, où les offres d'emploi s'adressent aux « post-armée », où l'influence sociale se mesure à l'aune des résultats obtenus dans l'armée, et où les conversations informelles dérivent invariablement vers la question « où est-ce que tu as servi ? » L'armée sert de porte d'entrée à une identité israélienne complète, en jetant un pont entre toutes les strates de la hiérarchie sociale.

Pourtant, malgré l'omniprésence de l'armée, il existe un courant de dissidence. Comme Mitnick, j'ai également refusé de m'enrôler dans les FDI. Les exemples de refus sont rares, mais ils se sont produits tout au long de l'histoire d'Israël. Il y a les 3 000 soldats de réserve qui ont protesté contre la première guerre du Liban en 1983, dont 160 ont été emprisonnés pour leur refus de servir. Il y a aussi des personnalités comme Ofer Cassif, membre de la Knesset, qui s'est opposé à servir en Cisjordanie, ainsi que des pilotes qui ont rejeté des missions qu'ils considéraient comme illégales, et une poignée d'adolescents qui risquent chaque année la prison pour s'être opposés au service dans les territoires occupés, avec des groupes comme Mesarvot qui les soutiennent dans leur démarche.


 Contrairement à la majorité des objecteurs de conscience qui ne représentent qu'une infime partie de la population israélienne et sont souvent issus des classes supérieures, je venais d'un petit village situé à la périphérie d'Israël et j'allais à l'école dans un kibboutz où l'éthique du service et du sacrifice était fortement ressentie. Exprimant des réticences à l'égard de la culture militariste et déjà considéré comme problématique par mon école, j'ai été étiqueté lors de mon passage à l'armée pour être envoyé devant un comité d'évaluation.

23/01/2024

GIDEON LEVY
Pourquoi les Israéliens aiment tant leur armée, malgré l’échec cuisant du 7 octobre

Gideon Levy, Haaretz, 21/1/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Les Israéliens aiment leur armée d’un amour aveugle, illimité et inconditionnel. La gauche sioniste aime les Forces de défense israéliennes encore plus que la droite.

On aurait pu s’attendre à une vague de rage, de critiques et de volonté de punir l’armée qui nous a abandonnés le 7 octobre.

Des soldats israéliens passent devant des maisons détruites le 7 octobre dans le kibboutz Be’eri, dans le sud d’Israël. Photo : Ariel Schalit/AP

Des milliers de personnes, Israéliens et Palestiniens, auraient été sauvées si seulement il y avait eu une armée le 7 octobre. Il n’y aurait eu ni morts, ni enlèvements, ni guerre.

On pourrait également s’attendre à ce que la droite, dont les objectifs - la conquête et la destruction du peuple palestinien - sont beaucoup mieux servis par l’armée que ceux de la gauche, aime l’armée plus que la gauche. Mais ce n’est pas le cas.

La gauche est toujours avec les FDI - et la droite l’est aussi, mais moins. Et rien n’a changé dans ce nombre d’or après le 7 octobre.

Nous sommes en temps de guerre, une période où il est facile de comprendre l’amour de la population pour ses soldats. C’est l’époque des paquets de soins pour les soldats, des remises, des soupirs, des histoires d’héroïsme et de chagrin. Il n’y a rien de plus humain que cela.

Des soldats israéliens visitent un abri anti-bombes dans lequel des personnes ont été attaquées alors qu’elles cherchaient refuge le 7 octobre. Photo : Amir Cohen/Reuters

Et pourtant, en même temps, on peut se demander comment il se fait qu’après le fiasco du 7 octobre, la confiance, l’admiration - pour ne pas dire l’adoration - pour l’armée soit restée la même qu’avant. Après que ses commandants ont assumé la responsabilité de ce qui s’est passé, le niveau d’adoration d’avant-guerre s’est maintenu comme si rien ne s’était passé.

Il est évident que les dirigeants politiques, et surtout le Premier ministre Benjamin Netanyahou, portent la plus grande part de responsabilité, mais c’est l’armée qui a été révélée dans toute sa nudité, sans que le déshonneur du 7 octobre ne lui colle aux bottes.

Malgré les sommes colossales qui lui ont été consacrées, malgré le prestige et la suffisance, il n’y avait pas de renseignements avant le 7 octobre et il n’y avait pas d’armée le jour du massacre. Les FDI ont disparu, se sont évaporées, dématérialisées, et Israël leur pardonne. Leurs commandants, anciens et actuels, sont les héros de l’heure.

04/01/2024

GIDEON LEVY
Aucun soldat israélien ne s’est levé pour refuser de participer à cette guerre infernale

Gideon Levy
, Haaretz, 3/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Personne ne s’est levé. Jusqu’à présent, pour autant que l’on sache, aucun cas de désobéissance n’a été enregistré au sein de Tsahal depuis le début de la guerre, à l’exception d’un jeune homme avant son recrutement.

Les pilotes bombardent comme jamais auparavant, les opérateurs de drones tuent à distance dans des quantités jamais atteintes auparavant, les artilleurs bombardent plus que jamais, les opérateurs de matériel lourd détruisent comme jamais auparavant, et même les gardiens de prison maltraitent les prisonniers comme jamais auparavant - et personne ne s’est levé.

Des Palestiniens se rassemblent pour recevoir leur part de nourriture offerte par des bénévoles, dans un contexte de pénurie alimentaire dans le sud de la bande de Gaza, le mois dernier. Photo : IBRAHEEM ABU MUSTAFA/ REUTERS

Parmi les centaines de milliers de réservistes et d’engagés - laissons de côté les soldats appelés en raison de leur âge, de leur statut et du lavage de cerveau dont ils font l’objet - il n’y a pas un seul soldat ou officier, pilote ou artilleur, parachutiste ou soldat de Golani qui ait dit : « C’est assez : Ça suffit. Je ne suis pas prêt à continuer à participer au massacre, je ne suis pas prêt à être associé à la souffrance inhumaine ». Aucun gardien de prison ne s’est non plus levé pour dire la vérité sur ce qui se passe entre les prisons de sécurité de Sde Teiman et de Megiddo, et poser les menottes sur la table.

A priori, les FDI devraient se réjouir d’une guerre totalement consensuelle, sans bruits de fond. Mais l’absence totale de désobéissance devrait susciter des réflexions inquiétantes ; elle témoigne d’une obéissance automatique plutôt que d’une bonne citoyenneté. Une guerre aussi brutale qui n’a pas encore suscité de doutes parmi les combattants témoigne d’un aveuglement moral. Les pilotes et les opérateurs de drones sont une chose, ils voient leurs victimes comme de petits points sur un écran. Mais les soldats et les officiers au sol à Gaza voient ce que nous avons fait. La plupart d’entre eux sont des réservistes, des parents d’enfants.

Des Palestiniens déplacés s’abritent dans un camp de tentes à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, vendredi. Photo : Shadi Tabatibi/REUTERS

Ils voient plus d’un million de personnes dépourvues de tout s’entasser à Rafah. Ils voient les corps dans les rues, les restes de vie dans les ruines, les poupées des enfants et leurs lits, les haillons en lambeaux et les meubles cassés. Tous les soldats pensent-ils que le Hamas est à blâmer, que tout Gaza est le Hamas, qu’ils méritent tout cela et que cela profitera à Israël ?

L’absence d’insubordination est encore plus évidente si l’on considère ce qui s’est passé ici l’année dernière, avant le 7 octobre. La désobéissance était devenue une arme plus légitime et plus courante que jamais ; des milliers de pilotes et de réservistes ont menacé de l’utiliser.

En juillet, le mouvement des Frères et Soeurs d’armes a annoncé qu’environ 10 000 réservistes de 40 unités ne se porteraient pas volontaires pour le service de réserve si le coup d’État judiciaire du régime était adopté. Ils ont rejoint les 180 pilotes et navigateurs qui avaient déjà déclaré en mars qu’ils ne se présenteraient pas aux exercices d’entraînement, ainsi que 300 médecins militaires et 650 soldats de réserve des opérations spéciales et de la cybernétique. Avec autant de personnes menaçant de désobéir, l’absence totale de désobéissance aujourd’hui est particulièrement tonitruante.


Les manifestants de Frères et Sœurs d’armes au carrefour Hemed en juillet 2023 Photo : Olivier Fitoussi

La conclusion est que de nombreux soldats de carrière et de réserve sont convaincus que le coup d’État du régime était une cause juste et appropriée d’insubordination, contrairement à l’effusion de sang et à la destruction de Gaza. L’armée saccage une région entière avec ses habitants, et cela ne dérange pas la conscience de nos forces. La clause de raisonnabilité a davantage dérangé certains d’entre eux. Où sont les 10 000 soldats qui avaient menacé de désobéir à cause de Benjamin Netanyahou et de Yariv Levin ? Où sont les 180 pilotes ?

Ils sont occupés à bombarder Gaza, à l’aplatir, à la détruire et à tuer ses habitants sans distinction, y compris ses milliers d’enfants. Comment se fait-il qu’en juillet 2002, le bombardement de la maison de Salah Shehadeh, qui avait tué 14 habitants, dont 11 enfants, ait conduit à la “lettre des pilotes”, dans laquelle 27 pilotes déclaraient qu’ils refuseraient de participer à des missions d’attaque - et qu’aujourd’hui, il n’y ait pas même une carte postale d’un seul pilote ? Qu’est-il arrivé à nos pilotes depuis 2003, et qu’est-il arrivé aux soldats ?

La ville de Khan Younès, dans le sud de Gaza, le mois dernier. Photo : Mohammed Salem/Reuters

La réponse semble claire. Israël affirme qu’après l’horreur du 7 octobre, il est autorisé à faire n’importe quoi, et que tout ce qu’il fait est digne, moral et légal. L’insubordination en temps de guerre est une mesure beaucoup plus radicale que l’insubordination à l’entraînement, et elle frise même la trahison. Elle peut nuire aux frères et sœurs au combat. Mais l’absence totale de désobéissance après quelque 90 jours de guerre infernale n’a rien de réjouissant. Ce n’est pas bon. Peut-être que dans quelques années, certains le regretteront. Peut-être que certains en auront honte.

 

29/07/2023

GIDEON LEVY
Quand Israël fait par inadvertance ce qu’il faut

Gideon Levy, Haaretz, 27/7/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La bonne nouvelle : les responsables militaires craignent que le refus des réservistes de servir (“non-volontariat”) n’affecte l’état de préparation au combat de l’armée israélienne. Encore mieux : Amos Harel a estimé, dans Haaretz mercredi 26 juillet, qu’à la lumière des brutalités policières à l’encontre des manifestants, les plus jeunes d’entre eux « réfléchiront à deux fois avant de s’enrôler pour servir » dans les territoires. Que demander de plus, une patrie ?

Des soldats israéliens pointent leurs armes tandis que d’autres arrêtent un Palestinien lors des affrontements qui ont suivi la démolition d’une maison palestinienne à Hébron, en Cisjordanie, ce mois-ci. Photo: MUSSA ISSA QAWASMA/ REUTERS

Il n’y a pas lieu de prendre à la légère la menace du chef d’état-major concernant les dommages qui résulteraient du refus de servir de milliers de réservistes, en particulier des pilotes. C’est le Premier ministre Benjamin Netanyahou qui a déclaré qu’Israël pourrait survivre avec quelques escadrons en moins. Cette remarque contient une vérité importante, même si nous ne pouvons plus croire un mot qui sort de sa bouche. L’expérience des dernières décennies, depuis la dernière bataille aérienne des pilotes, et la situation sécuritaire soulèvent la question de savoir si les Forces de défense israéliennes en général, et l’Armée de l’air israélienne en particulier, ne sont pas trop grandes, trop puissantes et trop gonflées.

Il ne s’agit pas seulement de la quantité scandaleuse de ressources que l’armée consomme, au détriment des besoins civils. L’excès de puissance des FDI les pousse à une hyperactivité inutile dans certains cas et désastreuse dans d’autres. Une réduction des forces - moins de pilotes et moins de soldats pour maintenir l’occupation et protéger les colons violents - pourrait faire du bien. Peut-être que non seulement les jeunes qui refusent de servir y réfléchiront à deux fois, mais peut-être que les FDI elles-mêmes y réfléchiront à deux fois avant chaque frappe aérienne inutile ou chaque raid d’arrestation encore plus inutile.

L’excès de pouvoir conduit à la surutilisation. Les meilleurs développements en matière de défense nécessitent de l’entraînement, et les soldats en surnombre doivent être occupés afin de les maintenir en alerte et de justifier leur conscription. Si plusieurs escadrons sont cloués au sol en raison du refus de leurs pilotes de servir, peut-être l’armée de l’air réduira-t-elle ses frappes aériennes secrètes et inutiles en Syrie et dans d’autres lieux mystérieux. Personne ne connaît leur but, leur efficacité et le moment où nous en paierons le prix. Personne ne le demande non plus.

À l’exception de ces missions et des préparatifs grandioses pour la mère de toutes les attaques aériennes contre l’Iran, qui ne sera jamais réalisée, il semble que l’armée de l’air n’ait pas grand-chose à faire, si ce n’est bombarder périodiquement la bande de Gaza impuissante ou le camp de réfugiés de Jénine. S’il n’y a pas assez de pilotes pour effectuer ces missions, non seulement la sécurité d’Israël ne sera pas compromise, mais elle pourrait même en bénéficier. Ces bombardements n’ont jamais empêché la résistance violente à l’occupation : ils n’ont fait que l’encourager, tout en commettant des crimes de guerre et en créant des tragédies humaines. Il serait donc préférable que les pilotes se reposent chez eux pendant un certain temps - jusqu’à la prochaine guerre, qui semble pour l’instant lointaine. Lorsqu’elle se rapprochera, on peut compter sur eux et sur les autres réservistes pour être les premiers à s’engager, que ce soit dans une semi-démocratie ou dans une semi-dictature.

Les jugements de Harel sur le refus attendu des soldats de servir dans les territoires sont porteurs d’espoir. L’une des réussites de la protestation est la légitimité qu’elle a conférée au refus de servir, pour la première fois dans l’histoire d’Israël. Il sera désormais plus difficile de qualifier les objecteurs de conscience de traîtres. On ne peut pas non plus ignorer le bénéfice qui pourrait résulter du fait de ne pas appeler les réservistes à servir dans les territoires [occupés depuis 1967]. Les territoires sont déjà saturés de soldats.

Voir des soldats assis jour et nuit à l’entrée des colonies illégales de Homesh et d’Evyatar, comme je l’ai fait cette semaine, suffit à faire exploser de rage. Voir les barrages routiers surgir sans rime ni raison, comme je l’ai vu cette semaine à l’entrée d’Anabta ou d’Emek Dotan, devant lesquels des centaines de voitures palestiniennes sont restées pendant des heures jusqu’à ce qu’ils soient enlevés sans raison, comme ils étaient apparus, c’est comprendre qu’il y a beaucoup trop de soldats qui s’ennuient dans les territoires.

L’excès de puissance a toujours été l’un des problèmes d’Israël. L’excès de puissance l’a conduit à l’arrogance, à la vantardise et à des guerres inutiles et l’a empêché de reconnaître les limites de sa puissance et de rechercher des alternatives. Peut-être que, par inadvertance, Israël fera ce qu’il faut et que nous aurons désormais une armée plus petite et plus intelligente, qui sera peut-être même un peu plus morale.

 

 

 

28/07/2023

AMEER MAKHOUL
Crise judiciaire : Israël va-t-il entrer en guerre pour sauver son armée ?


Ameer Makhoul, Middle East Eye, 26/7/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Nous pouvons nous attendre à une double forme d’agression israélienne dans les jours à venir, visant à cibler la présence palestinienne et à affirmer la domination régionale.

Un soldat israélien pointe son fusil vers des manifestants palestiniens près de la colonie juive de Beit El en Cisjordanie occupée, le 26 janvier 2023 (AFP)

Si les USA ne semblent pas préoccupés par une guerre généralisée au Moyen-Orient, ils n’en restent pas moins déterminés à y disposer d’une force militaire hautement préparée : l’armée israélienne, qui fait partie intégrante des intérêts géopolitiques majeurs de Washington dans la région.

D’un point de vue pragmatique, le terme “préparé” implique une capacité claire, tangible et authentique à gérer et à contrôler habilement un conflit, et à remporter la victoire avec un minimum de pertes tout en sauvegardant les intérêts usaméricains, y compris la protection des troupes usaméricaines dans la région, le cas échéant.

Mais il y a des raisons majeures de douter de l’existence de cette préparation à l’heure actuelle. Israël est déchiré par des divisions internes, caractérisées par des clivages de plus en plus profonds, qui se traduisent par un refus national de se soumettre au service de réserve, par un affaiblissement de l’armée et de l’ensemble du système de gouvernement, ainsi que par les dangers potentiels d’une domination fasciste.

En Israël, le déclin actuel de l’état de préparation de l’armée signifie une incapacité à s’engager dans des actions militaires et un manque de vision pour planifier des guerres de manière stratégique ou même pour lancer des opérations à échelle limitée.

Bien que cela ne concerne pas directement la capacité de l’armée à faire face à un conflit immédiat, cela pourrait néanmoins avoir un impact crucial, brisant l’esprit de la population et du personnel militaire, ce qui pourrait avoir de graves conséquences. Certains en Israël considèrent même que la crise politique interne en cours en Israël constitue une plus grande menace que l’Iran.Haut du formulair

La période difficile et chaotique que traverse l’armée israélienne va bien au-delà d’un simple dilemme tactique. La crise politique a fait naître un profond sentiment de fragilité sociale et une relation politique fracturée avec l’État.

Cette situation a fait dérailler le système dirigeant, le privant de tout semblant de conscience et suscitant des inquiétudes quant à sa capacité à gouverner efficacement les affaires de l’État - en particulier lorsqu’il agit de manière immorale, sans consensus populaire.

La fragmentation au sein de l’armée israélienne est exacerbée par l’incapacité du ministre de la Défense à sauvegarder les intérêts de l’armée, la laissant exposée à des conflits politiques prolongés. Pire encore, l’armée doit maintenant faire face au choix difficile de donner la priorité à la loyauté aux principes de la loi plutôt qu’à l’allégeance au dirigeant. En fin de compte, une telle situation conduit à un état de désintégration qui ne cesse de s’étendre.

Des défis exponentiels

Compte tenu des réalités israéliennes sur le terrain, ces conflits présentent des défis exponentiels. Même si un véritable accord collectif visant à résoudre le conflit entre les partis d’extrême droite au pouvoir et l’establishment militaire et du renseignement était possible, à ce stade, ni les déclarations politiques ni un consensus interne ne permettraient de résoudre efficacement la crise de grande ampleur.

Au contraire, ce dont le pays a besoin de toute urgence, selon les perceptions internes, c’est d’une opération militaire limitée qui donnerait à l’armée l’occasion de retrouver une légère apparence de force, même si elle est finalement revendiquée comme une victoire par la partie adverse.

Par exemple, l’administration israélienne dirigée par le Premier ministre Ehud Olmert pendant la guerre du Liban de 2006 pensait avoir réussi à restaurer son pouvoir sur la frontière nord d’Israël, tout en ne reconnaissant pas l’établissement ultérieur d’une dissuasion mutuelle avec le Hezbollah.

Le lien entre la réforme judiciaire du gouvernement de coalition - qui vise à empêcher tout examen des accords qui ont conduit à la création de l’administration israélienne la plus à droite de l’histoire - et les ambitions plus larges du gouvernement mérite d’être examiné, en particulier après la redistribution des pouvoirs ministériels.

Parmi ces développements spectaculaires et notables figure la nomination du ministre des Finances Bezalel Smotrich, qui a été chargé de superviser la légitimation, l’établissement et l’expansion des colonies illégales dans les territoires palestiniens occupés, dans le but de remodeler à terme le statu quo juridique de la Cisjordanie occupée.

Parallèlement, le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, s’est vu confier des pouvoirs étendus pour réprimer les Palestiniens. Il a mené une campagne incessante d’attaques raciales contre la population palestinienne, tandis que le gouvernement a poursuivi sa politique de judaïsation de certaines parties de la Cisjordanie occupée, du Néguev (Naqab) et de la Galilée. Ce programme est au cœur du pouvoir religieux sioniste en Israël.

Une escalade plus large

Il n’est donc pas surprenant que la période à venir se traduise par une forme d’agression israélienne sur deux fronts. Tout d’abord, cette agression se déploiera contre la population palestinienne, avec notamment de nouveaux plans d’annexion de terres, dans le but ultime de modifier l’identité démographique des territoires occupés.

Deuxièmement, Israël s’efforcera de rétablir sa présence à sa frontière nord, ce qui pourrait conduire à une escalade plus large dans la région.

La coalition au pouvoir cherche à consolider et à maintenir son pouvoir en privant les partis et les communautés arabes de participation à la Knesset, dans le seul but de tirer parti des pouvoirs constitutionnels dévolus au gouvernement, au détriment du contrôle de la Cour suprême.

La société israélienne, dont une grande partie est désespérée, passe à un esprit de colère publique, tandis que certains envisagent d’émigrer et de se dissocier de l’État sioniste.

La question demeure : L’administration usaméricaine de Biden réévaluera-t-elle ses relations avec le gouvernement de Netanyahou et protégera-t-elle les Palestiniens et les Arabes des risques imminents qui émergent de plus en plus du résultat du vote de lundi ? Il s’agit d’une question qui peut sembler interne à Israël en apparence, mais qui vise en fin de compte à exploiter la lutte des Palestiniens pour la liberté.

02/06/2022

GIDEON LEVY
Non, ce n'est pas « la situation », ce sont les soldats d'Israël

Gideon Levy, Haaretz, 1/6/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Chaque fois que paraît une nouvelle histoire sur un crime commis par les forces de défense israéliennes dans les territoires occupés depuis 1967 - hier, c'était l'histoire de Hagar Shezaf sur le garçon qui a reçu une balle dans le dos à Al-Khader ; demain, ce sera une histoire sur le flinguage d'un jeune à Al-Rakiz - nous sommes toujours immédiatement rassurés : Ce ne sont pas les soldats. Ils ne sont pas à blâmer. On ne peut pas les blâmer. C'est la situation.

Mais ce sont les soldats.

Des soldats des FDI dans la ville d'Hébron, en Cisjordanie. Photo : Ofen Hagai / Archive

Non seulement ils peuvent être mis en cause, mais ils devraient être jugés et punis pour leurs crimes. Les absoudre de toute responsabilité et culpabilité est une autre façon de laisser les crimes orphelins, leurs auteurs innocents et la société tout entière se sentir justifiée.

L'argument en faveur de l'immunité des soldats repose sur l'idée qu'ils s'engagent tous dans les FDI alors qu'ils sont comme des soldats en chocolat - des jeunes innocents qui pensent s'engager dans l'Armée du Salut, des adeptes du Mahatma Gandhi, des disciples de Janusz Korczak. La voyoucratie et le racisme, la haine des Arabes et la violence leur sont étrangers. Ils n'en ont pas été imprégnés à la maison, à l'école ou dans la société dans laquelle ils ont été élevés. Ils arrivent dans l'armée vertueux et purs, comme des amoureux de la justice, de la fraternité et de la paix. Et puis ils s'engagent et d'un seul coup tout change.

Ils deviennent des monstres qui tirent sur des enfants, frappent des vieilles femmes, lâchent des chiens sur des gens, agressent des handicapés. Mais ce sont eux les victimes, si vous ne l'avez pas compris. Ils ne sont coupables de rien, même lorsqu'ils tirent sur des innocents, même s'ils le font sans raison, comme cela arrive avec une fréquence écœurante.

Alors qui est à blâmer ? Ceux qui les ont envoyés là-bas. Les commandants sont à blâmer, mais ils n'ont pas à être jugés pour les actions de leur garde à la porte, qui était après tout un soldat dévoyé qui a fait une erreur. Les politiciens sont donc à blâmer. Lesquels ? Le premier ministre et le ministre de la défense actuels ? Qu'est-ce que les gens attendent d'eux ? Eux aussi sont pris dans une situation qu'ils ont héritée de leurs prédécesseurs. Il faut remonter plus loin. C'est la faute de Moshe Dayan. C'est la faute d'Yisrael Galili. Yigal Allon est à blâmer, ou David Ben-Gourion, ou remontons jusqu'au roi David. Personne n'est prêt à assumer le crime.

Alors peut-être que c'est la situation ? C'est une force majeure, un décret céleste. Il n'y a plus personne à blâmer, après tout, et rien à leur reprocher.

Retour à la vérité. Les soldats israéliens commettent tous les jours des crimes graves, dont certains sont vraiment effroyables. Avant et après Elor Azaria, ces crimes ont été « orphelins » à un degré incroyable. Personne n'est à blâmer pour quoi que ce soit ; personne n'est responsable de quoi que ce soit. Vous pouvez tuer et massacrer sans vous soucier d'être jugé. Par manque de culpabilité et d'intérêt public.

Même lorsqu'ils tirent des dizaines de balles sur deux étudiants soupçonnés d'avoir jeté des pierres, même lorsqu'ils tirent sur un taxi rempli de femmes, même lorsqu'ils ouvrent la porte d'une jeep en mouvement, tirent, tuent et continuent, même lorsqu'une femme malade mentale agrippée à un couteau est abattue sans aucun effort préalable pour l'arrêter, ils ne sont responsables de rien. Ils tuent et parfois aussi assassinent - et ils sont au-dessus de tout soupçon, avec une immunité plus grande encore que celle accordée aux membres de la Knesset.

Les soldats israéliens jouissent de la plus grande immunité en Israël, encore plus que les colons. Tout soldat peut faire ce qu'il veut dans les territoires - à part voler 20 shekels pour un Coca. Pour cela, ils seront jugés par l'armée la plus morale du monde, qui prend ce genre de choses très au sérieux.

Il est facile de changer ce système de valeurs malade. Il faut commencer par les soldats, qui sont les auteurs directs des crimes. Tout comme dans le monde criminel, où aucune indulgence n'est accordée aux tueurs à gages envoyés par d'autres, le système du « tout est permis » pour les soldats dans les territoires doit également cesser. Les vies palestiniennes comptent. Et quiconque prend ces vies avec une si terrible facilité, comme cela s'est produit assez fréquemment ces derniers mois, doit être puni.

Si des soldats étaient condamnés à de longues peines de prison pour avoir tué un enfant qui s'occupait de ses affaires, pour avoir mutilé un berger ou pour avoir tiré mortellement sur un journaliste, les FDI changeraient. Et la situation en matière de sécurité s'améliorerait également.

 

26/09/2021

GIDEON LEVY
Un soldat israélien jette un vieux contestataire juif à terre : cela ne lui vaut qu’une légère réprimande

Gideon Levy, Haaretz, 26/9/2021
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Vous voulez entendre une blague ? Le major Maor Moshe a été réprimandé. L'officier du Corps du génie qui a bousculé avec colère un manifestant israélien (juif) non violent, un homme âgé, le jetant brutalement au sol, lui causant des blessures à l'œil et au visage, a reçu une réprimande formelle de son commandant. À quand remonte la dernière fois où vous avez entendu quelque chose d'aussi hilarant ?

L’arrestation violente « à la George Floyd » du militant Tuly Flint, 54 ans, coordinateur du mouvement Combattants pour la paix, dans le sud des collines d'Hébron, samedi

S'il s'agissait d'un civil, il aurait été accusé d'avoir causé des lésions corporelles graves en vertu de l'article 333 du code pénal, un délit passible de sept ans d'emprisonnement. Si ce civil était un voyou récidiviste comme le major Moshe - selon les témoignages de Palestiniens, ce n'était pas le premier incident violent dans lequel il était impliqué - il aurait été emprisonné pour la durée de la procédure pénale, en raison du risque qu'il représente pour le public.

Mais le hooligan des collines d'Hébron n'est pas un civil, c'est un officier des FDI, pour qui tout est permis. Sa réprimande n'est pas une blague, c'est la honteuse réalité : une réprimande pour une conduite digne d'un soldat d'assaut. Il s'agit pourtant d'une punition plus grave que celle infligée aux soldats qui ont tué à volonté des Palestiniens innocents ces derniers mois - à Beita, par exemple, il ne se passe pas un vendredi sans qu'il y ait une victime -  il y a deux jours, le père d'un nourrisson a été tué - mais Moshe a agressé un Juif. Un gauchiste, certes, mais un juif quand même. D'où la réprimande.