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08/12/2025

Comment le sionisme a été vendu au monde
Harriet Malinowitz parle de son livre Selling Israel: Zionism, Propaganda, and the Uses of Hasbara

Le nouveau livre de Harriet Malinowitz, Selling Israel: Zionism, Propaganda, and the Uses of Hasbara, révèle comment la propagande et les relations publiques israéliennes ont promu le sionisme tout en dissimulant l’oppression et la dépossession des Palestiniens.

Eleanor J. Bader, Mondoweiss, 29/11/2025
Traduit par Tlaxcala

Eleanor J. Bader est une journaliste indépendante vivant à Brooklyn, NY, qui écrit sur les questions sociales et politiques intérieures pour Truthout, The Progressive, Lilith, In These Times, The Indypendent, Ms. Magazine et Mondoweiss.

Un certain nombre de questions urgentes se trouvent au cœur du nouveau livre de Harriet Malinowitz, Selling Israel: Zionism, Propaganda, and the Uses of Hasbara [Vendre Israël : sionisme, propagande et usages de la hasbara]. « Comment un groupe initialement restreint de penseurs et d’activistes juifs d’Europe de l’Est a-t-il pu convaincre les Juifs du monde entier qu’ils constituaient un seul “peuple”, confronté à une même menace, doté d’un même chemin vers le salut — et tenu par un impératif commun de le suivre ? », demande-t-elle. « Comment ont-ils pu convaincre le reste du monde de les inclure dans la famille des nations ? Et comment ont-ils pu convaincre toutes les parties impliquées — y compris eux-mêmes — que leur projet de libération était bienveillant, noble et légitime, et qu’il ne produisait ni victimes ni dommages collatéraux ? »

Les réponses à ces questions sont au centre de Selling Israel. Le livre ne se contente pas de les examiner de manière systématique : il se penche aussi sur la manière dont la hasbara — une propagande et un effort de relations publiques mis en œuvre à l’échelle mondiale mais initiés par le gouvernement israélien — ont servi à promouvoir le sionisme, à diminuer la perception de l’oppression des Palestiniens et à diffuser le mythe selon lequel ce pays, âgé de 78 ans, serait né sur une terre sans peuple.

L’ouvrage, fruit d’une recherche exhaustive, a été salué par Publisher’s Weekly comme « un défi impressionnant et méticuleux aux récits établis ».

Malinowitz s’est entretenue avec la journaliste Eleanor J. Bader au sujet d’elle-même, de ses recherches et de ses conclusions peu après la publication du livre.

Eleanor J. Bader : Avez-vous grandi en croyant qu’Israël était nécessaire à la survie juive ?

Harriet Malinowitz : En réalité, on ne m’a pas présenté le discours habituel selon lequel Israël aurait été fondé pour offrir un refuge sûr aux Juifs. Ce qu’on me disait plutôt, c’est qu’Israël était merveilleux parce que tout le monde y était juif — les conducteurs de bus, les éboueurs, les enseignants, les banquiers, les policiers. Tout le monde !

Bader : Quand avez-vous commencé à remettre ça en question ?

Malinowitz : ça a été un processus graduel. Je suis allée en Israël pour la première fois en 1976 avec ma mère et mon frère, puis j’y suis retournée en 1977 et j’ai passé plusieurs mois dans un kibboutz. J’y suis retournée encore en 1982 et 1984.

Quand j’avais huit ans, ma tante s’y est installée. Elle y a vécu de 1962 à 1969, et nous correspondions par lettres. Ses lettres regorgeaient de détails sur le kibboutz où elle vivait. Mon professeur d’hébreu me faisait les lire à haute voix en classe et rayonnait de fierté jusqu’au jour où l’une d’elles se terminait par : « Israël est un endroit formidable à visiter, mais pas pour y vivre ». La lettre m’a alors été arrachée des mains.

Quand ma tante est revenue aux USA, elle a ramené son mari, né en Irak, qui nourrissait un ressentiment bien-fondé face à la manière dont les Juifs mizrahis étaient traités par l’élite ashkénaze en Israël. Il était économiste et se heurtait à un plafond de verre professionnel. Il était heureux d’être parti.

Pendant mon séjour au kibboutz, des hommes palestiniens travaillaient dans les champs, non loin des membres du kibboutz et des volontaires internationaux ; mais lorsque nous étions tous appelés à faire une pause dans la “hutte du petit déjeuner”, j’ai constaté qu’eux continuaient simplement à travailler. J’ai aussi rencontré et bu du thé avec des commerçants palestiniens dans le shuk [version hébreue de l’arabe souk, NdT], le marché arabe de la Vieille Ville de Jérusalem, ce qui m’a fait comprendre que ce qu’on m’avait raconté — que tout le monde en Israël était juif — était faux. On m’a dit qu’ils étaient des “Arabes israéliens”, sans aucune explication cohérente. ça m’a laissée complètement perplexe. Malgré ça, j’étais persuadée que c’était moi qui ne comprenais pas quelque chose.

Quand je suis rentrée aux USA en 1984, je me suis engagée dans le mouvement de solidarité avec l’Amérique centrale, ce qui m’a éveillée aux structures internationales de soutien militaire et à la propagande que nous recevions en tant qu’USAméricains. Entre-temps, j’ai lu le livre de Lenni Brenner, Zionism in the Age of Dictators (1983), qui évoquait la complicité sioniste avec les nazis. Ce fut un autre choc.

J’en savais juste assez pour être enthousiaste lors de la première Intifada en 1987. Mais au moment de la seconde Intifada, en 2002, les gens avaient des téléphones portables, et je pouvais entendre les coups de feu à Jénine via Democracy Now! à la radio. Les blogs et les listes de diffusion permettaient désormais de transmettre l’information autrement. Pourtant, j’étais encore assez naïve pour être stupéfiée qu’Israël refuse l’entrée d’une mission d’enquête de l’ONU dans la zone. ça a vraiment été un tournant pour moi.

Lorsque j’étais en Australie en 2004, j’ai lu The History of Modern Palestine d’Ilan Pappe, en préparation d’une petite rencontre de journalistes, universitaires et militants à Sydney, dont Pappe était l’invité d’honneur. L’une des principales leçons de cette soirée a été qu’en réalité, c’est 1948 — et non 1967 — qui est l’année clé pour comprendre la situation. Une autre a été que le changement ne viendrait pas de l’intérieur d’Israël, mais relèverait des Palestiniens et de leurs alliés dans le reste du monde. Cette discussion a eu un impact énorme sur moi, et lorsque je suis revenue aux USA , je me suis plongée dans la recherche sur l’histoire de la Palestine et du sionisme, que j’ai ensuite fusionnée avec ma recherche sur la propagande, déjà bien avancée. J’ai rapidement su que je voulais écrire un livre sur le sionisme et la propagande, mais il m’a fallu vingt ans pour mener le projet à terme !

Bader : L’idée que Dieu aurait promis Israël aux Juifs est largement incontestée. Pourquoi ?

Malinowitz : Je pense que les gens craignent de toucher aux croyances religieuses d’autrui, surtout quand Dieu est en jeu. Et puis beaucoup de gens croient réellement à cette affirmation !

Bader : Vous écrivez que les Israéliens n’évoquaient guère la Shoah avant les années 1960, car la perte de six millions de Juifs était perçue comme un signe de faiblesse — comme s’ils étaient allés à la mort “comme des moutons à l’abattoir”. Pourtant, vous notez aussi que David Ben-Gourion considérait ce génocide comme un “désastre bénéfique”. Pouvez-vous développer ?

Malinowitz : J’ai été choquée de voir à quel point les survivants de la Shoah étaient méprisés dans les premières années du pays, comme s’ils constituaient une tache sur la masculinité israélienne qu’il fallait effacer. Plus tard, cependant, il y a eu un tournant idéologique : l’armée israélienne rassurait le monde en se montrant forte, déterminée et capable de se défendre si elle était attaquée ; mais en même temps, la Shoah pouvait être invoquée pour rappeler leur victimisation perpétuelle, justifiant toutes leurs actions au nom de la prévention d’un nouveau génocide. De même, la Shoah a été utilisée stratégiquement lorsqu’il s’agissait de collecter des fonds à l’international ou de susciter l’empathie envers Israël en tant que nation prétendument assiégée.

Bader : Le sionisme a été principalement promu par des Juifs ashkénazes qui affirmaient l’existence d’un peuple juif unifié. Comment cette idée s’est-elle diffusée ?

Malinowitz : Le sionisme est né parmi des Juifs d’Europe de l’Est et d’Europe centrale à la fin du XIXe siècle, en réponse à leur propre situation critique. On parlait alors beaucoup du “peuple juif”, mais les Juifs hors d’Europe n’apparaissent véritablement sur leur radar que bien plus tard, lorsqu’ils sont devenus nécessaires pour accroître la population. À mes yeux, l’idée qu’Israël représente tous les Juifs est une imposture. Pour ma part, je n’ai jamais été consultée !

Certaines personnes parlent au nom d’autres — et, en fin de compte, les utilisent. La prétention d’un groupe à représenter tout le monde et à incarner un unique peuple juif relève de la propagande. Cela me rappelle le féminisme blanc des années 1970, où quelques femmes prétendaient parler “au nom de toutes les femmes”. Qui les avait élues ?

Bader : Qu’est-il advenu de l’élan socialiste qui animait tant de sionistes à la fin du XIXe et au début du XXe siècle ?

Malinowitz : Jusqu’en 1977, lorsque Menahem Begin a été élu et que le Likoud est devenu une force politique, les kibboutzim étaient dominés par les Ashkénazes et recevaient d’importantes subventions du Parti travailliste au pouvoir. Ils n’étaient pas réellement autosuffisants. En un sens, leur “socialisme” était davantage idéologique et lié au mode de vie que véritablement économique — plus sioniste que marxiste. Dans les années 1980, les kibboutzim ont dû changer de cap pour survivre, passant de l’agriculture à l’industrie : tourisme, fabrication, immobilier, technologie. L’humeur collectiviste utopique avait disparu.

Bader : Comment le doute fabriqué à propos de la Nakba de 1948 a-t-il servi la machine de propagande israélienne ?

Malinowitz : Le doute peut être une arme puissante. Il existe un modèle élaboré par l’industrie du tabac, et utilisé depuis par les sionistes, les négationnistes du climat, de la Shoah, du génocide arménien et d’autres encore. L’idée consiste à dire qu’il existe des récits concurrents qui doivent être considérés comme également valides — au lieu d’en examiner la crédibilité. C’est pour cette raison qu’il a fallu tellement de temps pour convaincre le public que le tabac causait le cancer : l’industrie défiait les expertises scientifiques avec ses propres “recherches”, laissant les gens croire que le verdict n’était pas établi et qu’ils pouvaient continuer à fumer tant qu’un danger clair et manifeste n’était pas établi. Il en a été de même pour le déni de la Nakba. Si les sionistes n’ont pas réellement expulsé les Palestiniens en 1948, alors ils ne portent aucune responsabilité envers les réfugiés, n’est-ce pas ?


« Travailleur ! Ton journal, c'est la Folks-tsaytung ! » Affiche en polonais et yiddish. Illustration de H. Cyna. Imprimée par Blok, Varsovie, 1936.


Enfants au sanatorium Medem regroupés autour de la Folks-tsaytung, le quotidien du Bund, Międzeszyn, Pologne, années 1930.

Bader : L’idée selon laquelle Israël serait essentiel à la survie juive a longtemps été acceptée comme une vérité. Pourquoi les alternatives au sionisme n’ont-elles pas réussi à s’imposer ?

Malinowitz : L’assimilation est une alternative choisie par beaucoup, mais elle sape le projet sioniste, et la dénigrer a donc été une tâche majeure du mouvement sioniste. Le Bund européen soutenait qu’il fallait lutter contre toutes les formes de discrimination et soutenir les luttes ouvrières tout en combattant l’antisémitisme. Ses membres s’opposaient à la création d’un État juif distinct. Cela m’a toujours semblé logique. L’émigration vers l’Amérique du Nord ou ailleurs était également considérée comme une alternative souhaitable. Il existait des sionistes culturels qui pensaient que la Palestine pouvait être un refuge sûr sans devenir un État-nation.

Le Bund n’a jamais été bien connu aux USA et son programme n’a jamais pris racine comme l’a fait le sionisme. Les sionistes ont plutôt imposé l’idée qu’Israël constituait la seule solution à l’antisémitisme, le seul moyen pour les Juifs d’être en sécurité.

Bader : Il existe de nombreux mythes sur Israël, depuis l’idée que la terre était vide jusqu’à celle selon laquelle les Israéliens auraient “fait fleurir le désert”. Comment ces idées ont-elles été popularisées ?

Malinowitz : “Une terre sans peuple pour un peuple sans terre” et “ils ont fait fleurir le désert” sont deux slogans publicitaires, pour reprendre le terme utilisé par l’Israélien expatrié et antisioniste Moshe Machover. Bien qu’il s’agisse de mensonges absurdes, ces expressions ont perduré. C’est comme l’idée que Christophe Colomb aurait “découvert” l’Amérique : on y croit jusqu’à ce que l’on rencontre des preuves et que l’on comprenne combien cela est absurde.

Je pense également que des expressions comme “faire fleurir le désert” séduisent parce qu’elles confèrent aux Israéliens des capacités quasi surnaturelles. Elles leur donnent l’air de pouvoir accomplir des miracles et les élèvent dans l’imaginaire populaire. Tant que les partisans du sionisme restent confortablement enfermés dans la bulle logique d’organisations telles que le Fonds national juif, le Congrès juif mondial, Hillel ou Birthright, ils reçoivent une récompense considérable : un sentiment de camaraderie et d'appartenance.

05/12/2025

Quand l’armée se fait prédicatrice : les dangers de la campagne israélienne “Pour la Judée”

Gideon Levy, Haaretz, 4-12-2025
Traduit par Tlaxcala

Alors que le camp libéral se bat jusqu’à la dernière goutte de sang sur la question de l’enrôlement des Haredim [ultra-orthodoxes] dans les Forces de défense israéliennes, l’armée elle-même s’est transformée en armée de Dieu, même si elle ne compte pas beaucoup de recrues ultra-orthodoxes. Parallèlement à la fermeture de la radio militaire, l’armée a créé une agence de voyage confessionnelle, IDF Tours, qui propose une sélection de visites à Dieu et à la Terre promise.

Une conférence de colons au Tombeau des Patriarches (Sanctuaire d’Ibrahim) à Hébron/Al Khalil en septembre. La campagne présente des contenus proposés par des officiers, des soldats, des guides touristiques civils et des archéologues, ainsi que par des personnalités politiques issues des colonies. Photo Itai Ron

La radio militaire était-elle une anomalie ? Attendez de découvrir l’agence de voyage de l’armée. Avec le lancement de la campagne « Pour la Judée », menée par la Brigade de Judée, il ne fait plus aucun doute que l’armée israélienne n’est pas seulement l’armée du peuple, mais aussi l’armée de Dieu.

Et qu’en est-il de ceux qui ne sont pas pour le Seigneur ? Seront-ils également tenus de s’enrôler dans l’armée de Dieu ? Que feront les jeunes hommes et femmes laïques qui ne croient pas aux contes religieux ? Comment serviront-ils en Cisjordanie ?

Ces questions se posent désormais après la révélation par Noa Shpigel et Nir Hasson sur la nouvelle campagne touristique de l’armée israélienne (Haaretz, 2 décembre). Non seulement cette campagne invite les soldats et les civils à visiter la Cisjordanie occupée et pillée, ignorant de manière flagrante la majorité des personnes qui y vivent et à qui elle appartient, mais elle invoque également des explications pour justifier la présence de l’armée dans cette région que seuls ceux qui souffrent d’un délire messianique pourraient croire.

La prochaine fois qu’un pogrom aura lieu en Cisjordanie et que des soldats y participeront, sachez qu’ils ont subi un lavage de cerveau par cette campagne et d’autres similaires. Et ce ne sont pas seulement les colons militants qui leur font subir un lavage de cerveau, mais aussi leurs commandants et leurs adjoints.

« L’objectif est de répondre à une question apparemment simple mais très importante, à savoir : pourquoi ? Pourquoi sommes-nous ici ? », déclare le colonel Shahar Barkai, commandant de la brigade de Judée, comme s’il prononçait son discours de bar-mitsva. « Pourquoi sommes-nous ici, dans la campagne samaritaine ? », demande son collègue Ariel Gonen, commandant de la brigade de Samarie.

Le lavage de cerveau est opéré. « Maintenant que j’ai fait le tour, je vois à quel point les liens sont étroits, et ma capacité à mener à bien la mission est renforcée par une compréhension globale de ce qu’est cet endroit », déclare le lieutenant Avishag Yonah, commandant de l’unité d’information de Judée-Samarie. Les soldats sont plus efficaces pour maltraiter les Palestiniens aux postes de contrôle, encore plus efficaces pour enlever des parents de leur lit devant leurs enfants et encore plus cruels envers les habitants. Après tout, c’est leur mission.


Des soldats israéliens arrêtent des suspects lors d’un raid à Jénine, en Cisjordanie, jeudi. Photo AFP/ZAIN JAAFAR

Les textes semblent avoir été rédigés pour les officiers par des colons militants, et c’est peut-être le cas. Quoi qu’il en soit, la vérité qui en ressort est frappante : si les soldats croient aux contes de fées qui leur sont présentés – que Nabal le Carmélite a pataugé dans le magnifique réservoir du village palestinien d’al-Karmil, et que par conséquent, celui-ci nous appartient ; que l’histoire du miracle d’Abraham, notre ancêtre, venu compléter le minian dans une synagogue au cœur d’Hébron il y a des centaines d’années, est vraie – ils seront de meilleurs soldats. Il y a même des endroits recommandés pour emmener votre petite amie. Qu’en dites-vous ? Passons une soirée dans les 56 sources palestiniennes que les colons ont prises de force ?

Le message est simple. L’armée israélienne est là parce que Nabal le Carmélite était là. Les soldats peuvent tuer parce que le patriarche Abraham a erré dans ces lieux. Peut-être que la plupart du public n’accepte pas cela, mais une armée populaire qui a été transformée en armée du Seigneur ne s’intéresse pas aux majorités ou aux minorités, à la vérité ou à la fiction. Elle va endoctriner les jeunes hommes et femmes qui s’engagent.

La campagne ne fait aucune mention des Palestiniens, les habitants de cette terre. Pour l’armée israélienne, et cette fois-ci officiellement, ils n’existent pas. Ils sont comme de l’air, on peut donc les maltraiter, les torturer et les tuer. Et ainsi, génération après génération, les Israéliens envoient leurs enfants tuer et se faire tuer dans la bande de Gaza et leur laver le cerveau en Cisjordanie.

Barkai, vous voulez savoir pourquoi nous sommes là-bas ? Parce que nous avons conquis cette terre par la force. Parce que nous étions avides de territoire, parce que nous sommes avides de vengeance contre les Palestiniens, parce que nous croyons aux absurdités de la campagne que vous avez lancée. Voilà pourquoi nous sommes là-bas.

NdT
La campagne « pour la Judée » a, d’après une rapide enquête, une portée très limitée : sa page Instagram a 149 followers, son compte Telegram en a 70 et son groupe WhatsApp 573. Bref, pas de quoi fouetter trois chats de rabbin.

05/06/2025

GIDEON LEVY
Des millions d’Israéliens croient encore qu’il est obligatoire d’aimer les FDI

Gideon Levy, Haaretz, 4/6/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Deux images et une conclusion : Le rédacteur en chef du site de critique des médias Presspectiva, Hanan Amiur, a publié cette semaine sur son compte X la couverture du supplément du magazine Haaretz du week-end en hébreu, ainsi que la couverture du magazine Makor Rishon du week-end. À gauche, une image dure, affligeante et sombre qui ne peut que choquer et toucher le cœur de tout être humain, à l’exception des sadiques fous qui sont de plus en plus nombreux ici. Une mère vêtue de noir porte dans ses bras son fils mourant, un squelette d’être humain, qui s’accroche à elle avec les derniers bouts de sa force, les derniers bouts de son âme, son regard déchirant implorant de l’aide. Un chef-d’œuvre de photographie et un chef-d’œuvre de texte de Nir Hasson du Haaretz : « Nous sommes entrés dans la phase monstrueuse ».


À droite, une photo plus lumineuse et plus colorée, une photo de groupe de quatre femmes posant, trois d’entre elles portant des turbans élaborés - typiques de l’esprit de l’époque et de ce journal - leurs mains reposant sur les épaules l’une de l’autre. Le texte : « Des héroïnes pour eux » - les partenaires des soldats blessés commencent leur combat. La couverture du supplément du Makor Rishon.

La conclusion d’Amiur : « À droite, l’amour des forces de défense israéliennes. À gauche - la haine des FDI ». Un vrai critique des médias aurait dû écrire : À droite, le militarisme ; à gauche, le journalisme. Amiur et des millions d’autres Israéliens pensent qu’il est obligatoire d’aimer les FDI. Et aussi qu’il est interdit de montrer les souffrances de la bande de Gaza, de peur de nuire à l’obligation d’aimer notre armée sacrée.

Le lien entre ça et le journalisme a été rompu il y a longtemps. Tout ce qui reste, c’est le fascisme, le lavage de cerveau, le déni de la réalité et la dissimulation de celle-ci - non seulement dans le journal Makor Rishon, mais aussi dans la plupart des médias israéliens. Les lecteurs de Makor Rishon, comme la plupart des consommateurs de médias en Israël, ne veulent pas voir la véritable image que Haaretz tente de présenter. La souffrance des femmes enturbannées est la seule souffrance qu’ils veulent connaître. Cependant, entre la colonie d’Elazar en Cisjordanie et la ville de Rafah à Gaza, c’est la moindre des souffrances humaines aujourd’hui.

La vision du monde d’Amiur n’aurait dû intéresser personne si la droite des colons n’était pas devenue le courant dominant en Israël. Combien d’Israéliens remettent encore en question l’affirmation selon laquelle il est obligatoire d’aimer les FDI et interdit de montrer la réalité de la bande de Gaza ?

Selon cette logique journalistique malsaine, il est interdit de montrer Gaza parce qu’il est interdit de ne pas aimer l’armée. Il est donc obligatoire de montrer Gaza comme le fait le supplément hebdomadaire de Haaretz, avec détermination et courage, et il est permis de critiquer l’armée et même de la haïr. Il n’y a pas d’alternative pour un individu qui a une conscience et qui est humain.


Comment est-il possible d’aimer les FDI aujourd’hui ? Qu’y a-t-il à aimer ? Si l’on met de côté leurs incroyables échecs avant et pendant le 7 octobre, il reste à considérer leur travail depuis lors. Les FDI des 20 derniers mois sont une armée de massacre comme le monde n’en a jamais vu. Une armée qui ouvre la voie au génocide et au transfert de population. Rien ne l’arrête, elle ne fait preuve d’aucune discrimination et d’aucune retenue. Elle n’a jamais tué autant d’enfants, elle n’a jamais démoli autant de maisons et de mondes d’êtres humains. Elle détruit et s’enorgueillit, tue et se vante.

Le nouvel esprit de Tsahal s’est également rapidement propagé en Cisjordanie. L’armée, l’organisation d’aide aux colons violents, traite les Palestiniens avec une cruauté sans précédent, même pendant les années les plus dures de l’occupation.

Le changement d’esprit de l’armée doit entraîner un changement d’attitude à son égard. L’aimer ? Aimer une armée dont les soldats ont tué un millier de nouveau-nés ? Comment est-il possible d’aimer une armée qui massacre des files de personnes affamées luttant pour une simple portion de nourriture afin de survivre ?

Une armée n’a pas besoin d’être un objet d’amour. Dans ses meilleurs jours, elle est un mal nécessaire. L’aimer aujourd’hui, c’est aimer ses actes, et ils sont criminels. Pour l’aimer, pour ne pas l’aimer, il faut regarder la couverture du supplément de Haaretz et se rappeler qu’il y a quelqu’un qui, de manière maligne, a fait mourir cet enfant sans défense dans les bras de sa mère.



15/04/2025

MEIRAV MORAN
Comment les « tracts » du Shabbat sont devenus une machine médiatique pour les sionistes religieux israéliens

Avec des articles rédigés par des auteurs populaires couvrant des dizaines de pages et des dizaines de milliers d'exemplaires atteignant environ un demi-million de lecteurs, les «  tracts » distribués gratuitement chaque semaine dans les synagogues du pays sont devenus des influenceurs majeurs de l'opinion publique sioniste religieuse.
Meirav Moran, Haaretz, 12/4/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala



« La notion de Temple est surréaliste ? Le fait que nous soyons revenus ici après 2 000 ans d’exil est bien plus surréaliste. En comparaison, la construction d’un temple est une question technique sans importance. Nous déciderons que nous sommes prêts - et cela se produira », a déclaré l’artiste Elisha Katz, habitant de la ville religieuse d’Elad en Cisjordanie, au journaliste Elazar Levy.
Katz est connu pour ses peintures du Troisième Temple sur fond de vues de Jérusalem contemporaine. Dans ses tableaux apparemment populaires – l’un d’eux a récemment été exposé à l’ambassade d’Israël à Washington, D.C. – le dôme argenté de la mosquée al-Aqsa et d’autres monuments sont clairement visibles à côté de l’édifice juif qui n’est pas encore construit. « Nous sommes en conflit avec les Palestiniens, qui sont de la lignée des Amalécites, mais ceux qui suivent la religion de l’Islam prient le même dieu que nous. Et la mosquée est de toute façon située sur le site de la Stoa royale, la structure construite à l’origine par le roi Hérode pour les gentils, plutôt que sur le mont sacré lui-même », ajoutait Katz.
L’entretien avec Katz, qui discutait avec son interlocuteur de manière neutre d’un projet de rénovation urbaine dans la région la plus instable du Moyen-Orient, a été publié le mois dernier dans Olam Katan, l’une des publications communément appelées alonei Shabbat, littéralement « tracts du Shabbat ». Mais le terme « tracts » est trompeur. Il minimise ce qui est devenu un phénomène médiatique répandu et en pleine expansion. Il s’agit en fait de véritables journaux, imprimés chacun à environ 30 à 60 000 exemplaires et distribués juste avant le début du Shabbat à quelque 4 à 5 000 synagogues sionistes religieuses de Kiryat Shmona à Eilat, ainsi que dans les colonies de Cisjordanie. En règle générale, le nombre d’exemplaires des hebdomadaires, distribués gratuitement et dont les revenus, comme ceux de la presse régulière, proviennent principalement de la vente d’espaces publicitaires, est déterminé par l’évaluation de la demande dans une communauté donnée par les éditeurs. Le format varie : certains sont des journaux de 30 à 40 pages imprimés sur du papier journal ordinaire ; d’autres ressemblent à des magazines sur papier glacé avec leur papier chromé coloré et comptent jusqu’à 80 pages.
Ce qui distingue ces hebdomadaires synagogaux des journaux du week-end classiques, entre autres choses, c’est le fait que le nom de la portion de la Torah de la semaine occupe une place de choix à côté de la date hébraïque sur leurs premières pages, et apparaît aussi souvent sur toutes les autres pages. Parfois, la date grégorienne n’apparaît pas du tout.
Les premières pages reflètent également généralement l’actualité : par exemple, les principaux titres récents - et les accroches, faisant référence aux éditoriaux souvent cinglants à l’intérieur - ont relaté la reprise des combats à Gaza, le limogeage du chef du service de sécurité du Shin Bet, la bataille pour le poste de procureur général et les relations avec le Qatar. En outre, vous pouvez trouver en première page une image vantant une « interview révélatrice » avec un chanteur populaire, ou un article satirique ou une rubrique sur les voyages ou la gastronomie avec des recommandations de restaurants gastronomiques (casher). Parmi les contributeurs réguliers figurent des personnalités connues des médias grand public, dont Akiva Novick, Shahar Glick, Sivan Rahav-Meir, Yishai Friedman, Zvi Yehezkeli et d’autres. Et, oui, il se peut même qu’il y ait une chronique de la femme du ministre de la Sécurité nationale, Ayala Ben-Gvir.
Des exemplaires gratuits sont distribués dans les synagogues, souvent pendant les offices de la veille du Shabbat. Le samedi, ils sont généralement transmis de maison en maison dans les quartiers, voire dans des communautés entières, touchant ainsi pas moins d’un demi-million de lecteurs israéliens chaque semaine.
Il s’agit d’un public captif. Du début à la fin du shabbat, les religieux éteignent leur téléphone portable, ne regardent pas la télévision et n’écoutent pas la radio. Certaines familles religieuses lisent peut-être des journaux ordinaires pendant la semaine, mais refusent de lire les suppléments du week-end publiés par la presse grand public le jour du sabbat. Après tout, quelle que soit leur orientation politique, ces suppléments contiennent généralement des images impudiques.
Les hebdomadaires, que certains s’obstinent encore à appeler des tracts, sont à la communauté sioniste religieuse ce que les journaux du week-end à grand tirage - Maariv, Yedioth Ahronoth, Haaretz et d’autres, à l’époque - sont aux Israéliens laïques, du moins avant qu’ils ne préfèrent consommer du contenu et obtenir des mises à jour par le biais de notifications 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 sur leur téléphone, ou via les médias sociaux et les groupes WhatsApp. Pour de nombreux juifs pratiquants, les gratuits sont une source principale d’information et de divertissement le jour du repos.
Les hommes politiques ont rapidement compris l’importance d’une mention dans les publications du Shabbat, dont certaines existent depuis des décennies. À l’approche des élections de 2022, par exemple, les hebdomadaires ont donné un élan, sous la forme de nombreuses interviews, à la perspective d’une alliance entre Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir. Il y a quelques semaines, l’hebdomadaire Shvi’i a publié une longue interview de Yoaz Hendel, ancien homme politique laïc de droite, sous le titre : « Quel type de judaïsme nous guide : celui qui a fondé ce pays ou celui qui s’y oppose ? ».
De plus, l’importance des hebdomadaires n’a pas échappé aux partis plus centristes, notamment Yesh Atid et l’Union nationale, bien qu’ils cherchent principalement à être couverts dans les mois précédant une élection.
Quoi qu’il en soit, et surtout ces dernières années, avec des cycles électoraux fréquents, les rédacteurs en chef de ces publications ont pris clairement position. Lorsque des rumeurs ont circulé début 2021 selon lesquelles Benjamin Netanyahou envisageait une « coopération parlementaire » avec le parti islamiste Ra’am, Shvi’i a, pour sa part, couvert sa première page des couleurs du drapeau palestinien – noir, rouge et vert – ainsi que d’une photo du Premier ministre et du titre provocateur « Où allez-vous ? ». Il présentait ce que les rédacteurs pensaient être des rencontres du député arabe Mansour Abbas avec des terroristes et posait de sérieuses questions sur les futures politiques du Premier ministre ; en réponse, Netanyahou a accepté d’être interviewé par Shvi’i et d’autres hebdomadaires religieux.
« Tout politicien qui se respecte et qui se considère comme représentant le public national-religieux, et ils sont nombreux, lit attentivement ce qui a été écrit à leur sujet et à celui de leurs rivaux dans Shabaton », explique Motti Zaft, rédacteur en chef de l’hebdomadaire du même nom, qui a été lancé en 2000. « Les hommes politiques considèrent le fait de ne pas être mentionnés dans l’une de ces publications comme un signe de faiblesse ou de préférence politique [de la part des rédacteurs en chef], et ils s’efforcent donc d’y maintenir une présence régulière et de bonnes relations avec les rédacteurs en chef. »
« Pour moi, ces publications sont comme SIGINT », déclare Uri Erlich, porte-parole de l’organisation de gauche Emek Shaveh, en référence aux renseignements d’origine électromagnétique. Il dit qu’il compte sur les hebdomadaires pour obtenir des informations qui l’aideront à orienter les activités de l’ONG, qui cherche à lutter contre la politisation des sites culturels et historiques.


Un numéro de mars de Shvi’i. Le titre principal dit « La dernière guerre ? » Qualifier les hebdomadaires de synagogue de « tracts » est réducteur pour ce qui est devenu un phénomène médiatique répandu et en expansion. Photo David Bachar

Erlich : « Les fonctionnaires, les élus des ministères et leurs électeurs font souvent attention à ce qu’ils disent. Ils n’utiliseront pas le mot « judaïser » de manière déclarative ou en public, même si c’est exactement ce qu’ils veulent dire. En comparaison, les journaux du Shabbat laissent libre cours à des expressions ouvertes et sans complexe des diverses pratiques et processus nécessaires à une prise de contrôle [totale] par Israël des territoires occupés, et en général. »
Plus précisément, le vétéran militant pour la paix Erlich et ses collègues se sont battus, parfois même physiquement, contre l’exploitation de sites archéologiques et autres à des fins politiques par des groupes d’extrême droite et des organisations de colons, ce qui le met en porte-à-faux avec de nombreux lecteurs des hebdomadaires.
« Je recueille des informations à partir de ces « tracts » qui n’ont très probablement pas paru dans d’autres médias, parfois même pas dans les médias des colons », explique-t-il. « Le porte-parole du ministre des Affaires de Jérusalem et du Patrimoine, Amichai Eliyahu, du parti Otzma Yehudit [Force juive, kahaniste, NdT], a publiquement et fièrement fait des déclarations sur les projets de développement du mont Ebal [dans le nord de la Cisjordanie] en tant que site du patrimoine juif. Eliyahu a tout intérêt à promouvoir cette idée ; cela lui donne des points supplémentaires auprès de sa base. Les journaux du Shabbat mettront ces informations en évidence, car il s’agit d’une nouvelle intéressante et positive pour leurs lecteurs.
« Je pense qu’Eliyahu aurait également pu tirer profit d’un tel reportage dans les médias grand public, même d’un article négatif à ce sujet dans Haaretz, sauf que les rédacteurs en chef de Haaretz, et en fait les rédacteurs en chef de probablement tous les grands journaux, auraient jeté le communiqué de presse du porte-parole du ministre du Patrimoine à la corbeille. L’appropriation culturelle ou la judaïsation des sites archéologiques n’intéresse pas une grande partie du public : quelle personne laïque se soucie de ces sites ou de ce que les colons en ont fait ? La plupart de ces lecteurs ne savent même pas aujourd’hui où se trouve le mont Ébal, sans parler de sa désignation comme faisant partie de la zone B, ce qui signifie qu’en vertu du droit international, Israël n’a pas le droit d’y effectuer des fouilles archéologiques ou de s’impliquer de quelque manière que ce soit dans le type de fouilles dont Eliyahu a parlé ».
En général, la couverture des hebdomadaires religieux aide Erlich et son équipe à évaluer l’humeur des électeurs de droite et de leurs dirigeants et à identifier les projets avant qu’ils ne se concrétisent, afin de pouvoir tenter de les bloquer.
Il cite l’exemple suivant : « Peu après l’entrée des forces israéliennes dans la partie syrienne du mont Hermon [en décembre], l’un de ces journaux a publié un grand article sur l’archéologie en Syrie. Il contenait un reportage semi-historique sur une étude menée là-bas par des archéologues israéliens, sous la protection du gouvernement militaire, en 1973, après la guerre du Kippour. J’ai vu l’article et j’ai immédiatement compris où diriger mon radar. En effet, peu de temps après, le chef de l’Autorité des antiquités d’Israël a publié des images récentes de soldats sur des sites archéologiques dans le Golan et la région de Bashan [dans le sud-ouest de la Syrie], et a évoqué l’importance de leur lien avec le judaïsme, également amplifié par les colons dans divers médias. Ce fut également le cas lorsque les hebdomadaires publièrent des articles exprimant la crainte et l’inquiétude quant à l’avenir de certains sites patrimoniaux situés dans la zone B. Cela a également déclenché un signal d’alarme dans ma tête. Naturellement, peu après, le ministre Eliyahu a fait des déclarations sur la question, puis - dans un développement bien trop familier - des résolutions du cabinet ont été prises concernant une application plus stricte de la construction palestinienne dans la zone B.
Tsuriel Rashi, maître de conférences en éthique juive à l’école de communication de l’université d’Ariel, a étudié, avec le regretté professeur Max McCombs, spécialiste de la communication politique, comment les différents médias influencent l’opinion publique, en dictant d’abord ce que leurs consommateurs pensent, puis en leur dictant aussi ce qu’ils doivent penser. On peut observer ce phénomène dans les hebdomadaires du Shabbat.
Juif pratiquant lui-même, qui assiste aux offices dans les synagogues et a été témoin des effets de ces publications, Rashi décrit comment leur influence s’est accrue : « Tout a commencé dans les années 1980. Le mouvement Chabad a été le premier à en réaliser le potentiel et à publier Sichat Hashavua [« La Conversation hebdomadaire »], qui paraît régulièrement à ce jour. Depuis, des dizaines d’autres « tracts » ont vu le jour, et le phénomène ne se limite pas à Israël : il se produit également dans d’autres centres juifs du monde entier, avec des publications en anglais, en français et en espagnol.
« Le modèle est clair et simple », poursuit Rashi. « Il y a un public qui se rend régulièrement à un endroit précis chaque semaine : la synagogue. Il s’agit d’un point de distribution pratique et efficace. Comme ce public peut être caractérisé en fonction de ses affiliations religieuses, ethniques, sociologiques et démographiques, les publications sont souvent adaptées aux aspirations politiques, sociales ou commerciales de leurs éditeurs et des entrepreneurs. La question est seulement la taille de la « feuille de vigne ». C’est-à-dire : quel est le rapport entre les textes liés à la Torah et les autres contenus qui remplissent le dépliant.
« La prière est une routine qui peut être assez pénible lorsqu’elle est répétée trois fois par jour et tous les samedis », déclare Menahem Blondheim, doyen de l’école de communication du College of Management, qui a étudié le phénomène des hebdomadaires du Shabbat. « Lorsque les prières vous ennuient à mourir, vous vous évadez et lisez quelque chose d’intéressant, voire divertissant, quelque chose qui est considéré comme un matériel de lecture légitime à la synagogue. »


Un article dans un numéro de Shvi’i, sur les jeunes (colons) des collines (du sud de Hébron) et le Shin Bet. Photo David Bachar

Le professeur Blondheim voit un lien entre ce phénomène récent et la tradition des sermons juifs, qui remonte à l’époque tannaïque (deuxième et troisième siècles de notre ère). Autrefois, les sermons se concentraient généralement sur des commentaires de la Torah. Mais aujourd’hui, après que les coutumes liées au culte ont subi de nombreux changements, dit-il, un sermon dans une synagogue sioniste religieuse est susceptible de s’adresser à un public plus hétérogène : adultes et enfants, femmes et hommes, riches et pauvres, instruits et non instruits, professionnels et non professionnels. « Qu’est-ce qui intéresse tous ces gens ? Les affaires courantes qui ont commencé à être associées à la portion hebdomadaire de la Torah », dit-il - qui sont couvertes dans les hebdomadaires.
En revanche, dans le monde ultra-orthodoxe, les sermons ont généralement conservé leur rôle traditionnel et important jusqu’à ce jour, bien que les orateurs intègrent parfois des éléments de sagesse juive, d’humour et même d’actualité. Ces congrégations, d’ailleurs, ne reçoivent généralement pas les hebdomadaires, car le contenu des journaux, qui peut inclure des images de femmes, est souvent jugé offensant.
Quoi qu’il en soit, poursuit Blondheim, les synagogues séfarades orthodoxes continuent également de mettre l’accent sur l’importance des sermons aujourd’hui. Il se souvient d’être allé dans une synagogue ashkénaze lorsqu’il était enfant, mais de s’être faufilé dans la synagogue séfarade adjacente pour y entendre un prédicateur talentueux qui « faisait des merveilles » avec la portion hebdomadaire de la Torah, excitant et même amusant les fidèles. C’était Ovadia Yosef, qui devint plus tard le grand rabbin séfarade d’Israël.
« Cependant, contrairement aux juifs ultra-orthodoxes et séfarades », explique-t-il, « parmi le public sioniste religieux d’aujourd’hui, le sermon a perdu beaucoup de son charme et s’est transformé en une sorte de conférence sérieuse pleine de messages abstraits et idéologiques sur Dieu et sa Torah, le nationalisme juif et la Terre d’Israël, au lieu de s’appuyer sur des sujets d’actualité, accessibles à tous. Dans certains cas, il n’y avait pas de sermon, si la congrégation n’avait pas de rabbin. C’est dans cette faille, pour combler le vide et répondre à une demande, que les journaux du Shabbat sont apparus. Aujourd’hui, ces publications offrent aux fidèles un contenu léger et intéressant : des rubriques de conseils personnels avec une touche halakhique, des potins sur la communauté et des mises à jour sur divers développements intéressants. Ils servent en quelque sorte de « prédicateurs de papier » qui s’expriment dans un langage moderne et dispensent en fait les fidèles de la prière. »
Alors que le contenu des premiers hebdomadaires synagogaux, il y a une trentaine d’années, se concentrait sur des commentaires liés à la portion hebdomadaire de la Torah, ainsi que sur quelques éléments du folklore hassidique, ils sont aujourd’hui très différents : s’ils ne traitent pas des faits divers, par exemple, ils n’hésitent pas à aborder des sujets d’actualité nationale, comme, ces jours-ci, la guerre à Gaza ou les otages. Le meurtre et la prostitution, non, mais la législation concernant la conscription des ultra-orthodoxes, bien sûr.
De plus, tout ce qui est jugé trop extrême peut être coupé, parfois tardivement, face à une menace quelconque. Par exemple, l’illustrateur Or Reichert a dessiné une caricature pour Shvi’i représentant l’ancienne présidente de la Cour suprême Esther Hayut marchant sur le dos d’un soldat israélien apparemment mort, brandissant un drapeau aux écailles de la justice de couleur verte, semblable au drapeau du Hamas. Il a posté le dessin à l’avance sur les réseaux sociaux, comme un teaser avant la publication de l’hebdomadaire le vendredi. L’image est devenue virale et l’administration des tribunaux a publié une déclaration la dénonçant comme une incitation. Le centre de distribution des journaux, propriété du quotidien Israel Hayom, qui est chargé de livrer le journal gratuit aux synagogues, a exigé que la caricature soit retirée, le PDG de Shvi’i a arrêté le tirage - et finalement le journal a été publié sans l’image offensante.
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« Voyager entre les colonies de peuplement de la région orientale de Binyamin [en Cisjordanie] – certaines dans des endroits où, il y a quelques années à peine, on ne voyait que des avant-postes arabes illégaux – donne un sentiment de rédemption, mais ce n’est qu’une des nombreuses étendues juives qui doivent être établies »
– Chronique « Sommet des collines », dans l’hebdomadaire Olam Katan
Olam Katan (« Petit monde ») est apparemment l’un des hebdomadaires les plus populaires et les plus recherchés distribués dans les synagogues ; les exemplaires sont rapidement arrachés. Yossef Russo, rédacteur en chef jusqu’à il y a un an et actuellement membre du conseil d’administration et copropriétaire de la publication, vit à Tefahot, un moshav religieux en Galilée. Il explique que le journal gratuit est né il y a une vingtaine d’années du besoin de fournir quelque chose qui, selon lui et ses partenaires, manquait : une perspective politique basée sur la foi qui ne s’exprime pas dans les médias généraux. « Il y a des voix importantes qui souhaitent participer à l’élaboration du discours en Israël, mais qui ne sont tout simplement pas entendues », dit-il.
Outre cette voix inaudible, ajoute Yossef Russo, il y avait un sentiment de déconnexion. Le désengagement de la bande de Gaza il y a 20 ans, explique-t-il, a été un moment décisif pour les membres de sa communauté : « Nous avons senti qu’il y avait un énorme vide entre le groupe qui contrôlait le domaine public et ceux qui étaient incapables d’exercer la moindre influence, quels que soient leurs efforts. Il s’agissait d’un choc entre une vision du monde et une réalité médiatique qui ne laissait aucune place à d’autres positions. »


Yossef Russo. Photo Olivier Fitoussi

Olam Katan ne se fonde pas seulement sur une certaine vision politique du monde, mais aussi sur une philosophie d’entreprise. Il ne s’agit pas d’une initiative philanthropique soutenue par des parties intéressées, et elle s’efforce de présenter ses opinions sans se soucier de savoir si elles attireront des lecteurs ou des annonceurs. « C’est une entreprise privée », souligne Yossef Russo, 49 ans, « ce qui signifie que nous ne dépendons de personne ». Quelque 60 000 exemplaires sont imprimés chaque semaine ; son personnel basé à Jérusalem – rédacteurs, auteurs et correcteurs – est rémunéré.
En ce qui concerne le contenu, Russo est fier de la diversité et de l’ouverture d’Olam Katan. Il affirme que le journal n’a pas peur de publier des interviews de personnes ayant des opinions différentes, y compris les chefs de parti Yair Lapid et Yair Golan – « des gens qui ne sont pas tout à fait d’accord avec nous », dit-il en riant. Mais comme c’est souvent le cas en matière de liberté d’expression, il existe ici aussi des lignes rouges. « Nous n’inclurons pas de messages qui ne sont pas conformes au respect de la Torah et de ses commandements », déclare-t-il, en citant l’interdiction des contenus liés aux questions LGBTQ.
« Nous n’avons aucune objection à ce que des individus soient confrontés aux défis posés par une orientation homosexuelle », explique-t-il. « Mais nous nous opposons à ce que de telles histoires soient présentées comme un modèle pour la promotion d’une culture anti-juive dans son ensemble. »
D’autres questions qui remettent en question la halakha (loi religieuse) parce qu’elles entrent en conflit avec la réalité séculière sont généralement présentées sous un angle conservateur. Par exemple, les propos de quelqu’un qui affirme qu’il n’y a aucun problème à conduire une voiture le jour du shabbat et que c’est une ordonnance anachronique ne seront pas publiés. En revanche, un débat qui reconnaît l’interdiction de conduire mais fait allusion au sentiment de coercition religieuse qu’elle pourrait susciter peut être couvert. Olam Katan parvient ainsi habilement à être une plateforme de débat interne au sein du camp religieux-sioniste, tout en empêchant toute discussion qui nie l’importance de la halakha.
Interrogé sur ses propres opinions politiques, Russo n’hésite pas à déclarer : « En fin de compte, la question est de savoir si Israël est un État juif ou un État pour les Juifs. Quiconque croit que nous sommes ici parce que nous n’avons pas d’autre choix se trompe. Nous sommes ici parce que nous avons une vocation morale nationale vis-à-vis des autres nations du monde qui a commencé avec le patriarche Abraham, et l’existence de la Terre d’Israël est une condition inaliénable pour l’accomplissement de cette vocation nationale. Il y a un vide entre la vision nationale, fondée sur la foi, et la vision qui considère cette terre, Dieu nous en préserve, comme un simple refuge politique. »
Qu’en est-il de la représentation des femmes dans la presse écrite ? Par le passé, les rédacteurs en chef exigeaient que les annonceurs s’abstiennent de montrer des images de femmes, non pas parce qu’elles n’ont pas le droit d’être vues, mais parce que « précisément parce qu’une femme est si belle et si importante, il est inconvenant que sa silhouette soit exposée pendant le culte dans une synagogue », explique Russo. Cependant, dans les éditions plus récentes d’Olam Katan, des images de femmes apparaissent à la fois dans les publicités et dans les articles, note-t-il, à condition qu’elles soient pertinentes par rapport au sujet traité.

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« On entend souvent : « Il est religieux, il veut se marier ? Vas-y, dis oui ! » Non ! Le mariage n’est pas comme acheter du chewing-gum au supermarché. Le désir de trouver un partenaire adéquat et de ne pas faire de compromis n’est pas une question de sélectivité, c’est une preuve de responsabilité »
- Chronique « Le journal d’une célibataire », dans l’hebdomadaire Shabaton
« Quand nous avons commencé, il y a environ un quart de siècle, il n’y avait que deux dépliants dans les synagogues, avec seulement des rabbins écrivant uniquement sur la portion hebdomadaire de la Torah et les textes liés à la Torah », se souvient Zaft, 68 ans, rédacteur en chef de Shabaton, qui s’adresse à un public aisé et a été le premier hebdomadaire de synagogue imprimé en couleur. « Alors je me suis dit : pourquoi seuls les rabbins devraient-ils écrire ? Il pourrait s’agir d’une agente immobilière, d’un médecin ou d’une professeure d’université, et ils/elles aussi peuvent avoir quelque chose d’intéressant à dire sur la portion de la Torah. Le public religieux national, contrairement aux ultra-orthodoxes, est impliqué dans la vie quotidienne du pays. Lorsque Hatzofeh [le quotidien du Parti national religieux, disparu depuis longtemps] a fermé, c’était la fin d’un moyen d’expression clair, et aucun quotidien n’a été créé pour le remplacer. Pendant des années, Maariv et Yedioth étaient monnaie courante dans les foyers religieux sionistes, mais avec le temps, ils sont également devenus inconfortables à apporter à la maison en raison de leur contenu devenu très à gauche, ainsi qu’en raison des publicités. Vous ne voulez pas qu’une photo d’une fille en bikini vendant une voiture traîne chez vous le jour du Shabbat. Ce n’est pas convenable. »
Zaft se souvient : « J’ai fait appel aux meilleurs chroniqueurs et écrivains », di-il, énumérant diverses personnalités professionnelles et rabbiniques, dont Shai Piron, le professeur Aviad Cohen, le rabbin Yuval Cherlow et l’avocat Avi Weinroth. « Lorsque nous avons constaté, dans les dépliants qui ont suivi, qu’il y avait moins de textes liés à la Torah et plus de documents relatifs à la vie quotidienne, nous avons mené des sondages et appris que le public voulait les deux, et nous avons également commencé à combiner les deux. Aujourd’hui, Shabaton a le plus de pages, et nous nous efforçons toujours d’avoir au moins 50 % de textes liés à la Torah et pas plus de 50 % de publicités en général. »
Pour sa part, Shabaton, dont les 60 000 exemplaires hebdomadaires sont distribués dans les synagogues et sont également envoyés par courriel à des milliers d’autres personnes le jeudi, a été le premier à soulever ouvertement des questions controversées touchant la communauté religieuse, explique Zaft. Il s’agissait notamment de critiquer les rabbins incriminés dans des affaires d’agression sexuelle, et de raconter des histoires de personnes qui ont quitté la vie religieuse et de célibataires d’âge moyen. « C’était notre quête », ajoute-t-il. « Fournir aux parents religieux les outils nécessaires pour gérer certains problèmes, tant en termes de halakha que sur le plan psychologique, afin de garder leurs enfants près d’eux plutôt que de les repousser. Nous n’avons pas peur d’aborder n’importe quel sujet, même le plus explosif. Dans ma chronique régulière, j’ai récemment écrit : Pourquoi ne sommes-nous pas présents, nous, les sionistes religieux, sur la Place des Otages [à Tel-Aviv] ? »
L’essentiel, dit-il, est que les lecteurs rapportent les hebdomadaires chez eux après les offices pour en discuter avec les membres de leur famille autour de la table du shabbat, « c’est pourquoi j’ai refusé d’autoriser les publicités pour les cigarettes ou les publicités appelant à désobéir aux ordres militaires ».
Shabaton est distribué dans les communautés sionistes religieuses de Rehovot, Nes Tziona, Jérusalem, Petah Tikva, Givat Shmuel, Haïfa, Netanya, Hadera et ailleurs. Il atteint également des lecteurs de l’autre côté de la Ligne verte. « À Elkana, les lecteurs sont moins à droite, donc il y a plus de demande », explique Zaft, « mais plus on va vers l’est, plus les publications plus idéologiques sont populaires ».
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« Voici Tal et Yonatan Shoham, des jeunes mariés vivant dans une caravane délabrée à Peduel, en Samarie, qui partagent leurs réflexions sur le mariage et les relations de couple avec le peuple d’Israël sur TikTok. Si vous souhaitez en savoir plus sur les relations de couple, ne les suivez pas ! Si vous voulez rire et vous reconnaître dans chaque vidéo, vous êtes au bon endroit. »
– Chronique « Mashpi’im Letova » sur les réseaux sociaux, dans l’hebdomadaire Hador
Récemment, trois nouveaux acteurs ont rejoint la scène des « tracts » religieux établis, qui compte une dizaine de publications particulièrement populaires : l’un d’eux est le magazine Ofek (« Horizon »), un mensuel publié par le parti sioniste religieux. Il y a quelques mois, un hebdomadaire innovant appelé Hador (« La Génération ») a fait ses débuts. Il s’agit d’une initiative sociale et commerciale née de la reconnaissance d’un potentiel commercial croissant - une plateforme qui s’adresse aux jeunes pratiquants qui sont de grands consommateurs de médias sociaux en semaine, mais ne se laissent pas aller à cette habitude le jour du Shabbat, et qui sont également devenus désabusés par les hebdomadaires de synagogue plus anciens.

Le rabbin Avraham Stav. Photo Gil Eliyahu

Hador est édité dans le style des journaux qui ciblent les jeunes lecteurs : des articles ne dépassant pas deux petites pages, des colonnes courtes, des images graphiques relativement grandes (également de femmes, mais aucune ne porte de vêtements impudiques), beaucoup d’infographies et, en général, beaucoup de place pour l’expression et les réactions des lecteurs qui cherchent à partager leurs sentiments personnels.
Le rabbin Avraham Stav, membre de l’organisation rabbinique Tzohar, est l’âme de cette initiative. Il affirme qu’il considère le dépliant comme un projet éducatif et idéologique. Le titre « La génération » a été choisi en référence à la génération dite de la victoire qui a combattu dans la guerre de Gaza et qui grandit dans une réalité post-7 octobre. « Cette génération a actuellement besoin d’une voix sioniste religieuse modérée, une voix qui s’est quelque peu affaiblie ces dernières années en politique et dans les médias », explique-t-il.
Le but de Hador, avec son format et son contenu élégants, semble être d’éloigner les jeunes de la communauté des extrêmes militants, messianiques et hardalistes, pour les ramener au centre de la carte religieuse et politique.
Dans un article publié dans le cinquième numéro de Hador, la journaliste Reut Gizbar a fait part de ses sentiments négatifs en tant que femme se tenant derrière la mehitza (cloison entre les sexes) dans la synagogue. Ses propos ont suscité des réactions vives des deux côtés : d’une part, des voix qui ont soutenu son droit d’expression et ont également appelé à revoir la question de l’égalité des sexes dans la sphère religieuse ; d’autre part, des réactions qui lui ont rappelé qu’« une synagogue est un lieu sacré, pas un laboratoire social ».
Dans l’esprit du temps et pour intéresser son public cible, Hador accorde une place importante à la technologie, à la musique et à l’art contemporains. Si elle ne publiera pas d’article sur les troupes de danse mixtes, elle rendra compte d’une danseuse religieuse qui se produit uniquement devant un public féminin.
« Nous maintenons un équilibre entre l’ouverture idéologique et le respect des valeurs halakhiques », explique Stav. « L’objectif est de soulever des questions considérées comme taboues, mais de le faire avec prudence et respect. Lorsque nous avons discuté de la recolonisation [juive] de Gaza, nous avons présenté un éventail d’opinions, pour et contre. Nous avons soulevé la question de savoir s’il est approprié d’exempter les femmes religieuses de la conscription et s’il devrait y avoir un service actif plus court pour les hommes des yeshivas hesder [écoles religieuses militarisées, NdT]. Sur ces deux questions, nous avons présenté une variété d’opinions et avons essuyé de nombreuses critiques - et présenté les critiques dans notre numéro suivant. »
Avant même les nouveaux venus mentionnés ci-dessus, Darchei Noam s’est joint à la mêlée - un hebdomadaire lancé par Yair (alias Yaya) Fink, un juif pratiquant et l’un des leaders des récentes manifestations antigouvernementales. Qu’est-ce qui l’a poussé à rejoindre la scène ?
Fink : « Après la fin du shabbat, la deuxième semaine de septembre de l’année dernière, j’ai allumé mon téléphone portable et j’ai été submergé par un tsunami de messages à propos de trois femmes d’Herzliya qui avaient fait quelque chose d’horrible : elles étaient entrées dans une synagogue fréquentée par le député Yuli Edelstein alors qu’il n’y avait personne, et avaient déposé sur les sièges des brochures appelant à la libération des otages. Lorsque les trois femmes ont été arrêtées par la suite, la mini-crise qui en a résulté a été l’occasion de publier un journal libéral, démocratique et modéré pour le shabbat. Je vais à la synagogue depuis que je suis né et je connais ces journaux. Ils ne font que donner la parole au type de sionisme religieux qui préfère le caractère sacré de la terre à la sainteté de la vie, comme s’il n’y avait qu’un seul type de sionisme religieux. J’ai donc lancé une campagne de financement participatif et j’ai réussi à convaincre suffisamment de personnes de soutenir Darchei Noam par des versements mensuels. »
Fink ne cache pas son intention d’utiliser la publication pour défier le sionisme religieux dominant, de droite. Le langage est religieux et orienté vers la Torah, avec de fréquentes références à la décision du Rambam [Maïmonide] selon laquelle libérer des captifs est la plus grande de toutes les mitzvahs, et que sauver une seule âme d’Israël équivaut à sauver le monde entier. Une rubrique régulière est consacrée aux otages, aux soldats et aux civils tombés au combat, et il y a une discussion permanente sur la poursuite de la guerre et les intérêts politiques qu’elle sert. Dans un numéro, Yair Golan, chef du parti Les Démocrates, a écrit une chronique sur le leadership dans l’esprit du prophète Jérémie. Lorsque la destitution du chef du Shin Bet a commencé à figurer en tête de l’ordre du jour, la couverture a montré une image de Ronen Bar portant une kippa noire.
Fink dit que dans les hebdomadaires de synagogues rivales, il a vu des contenus apparemment destinés aux hommes et aux femmes homosexuels, suggérant un traitement de conversion. « J’ai été choqué », dit-il. « J’ai des amis religieux gays, hommes et femmes. Pourquoi devraient-ils voir un tel contenu à la synagogue ? Ils ont déjà assez de difficultés comme ça. Cela ne fait qu’alimenter la dépression et les pensées suicidaires. J’ai décidé de réagir. Peu après, dans Darchei Noam, il y avait une publicité avec une kippa aux couleurs de la gay pride, avec les coordonnées des organisations Bat Kol et Havruta [qui s’adressent à la communauté LGBTQ religieuse]. En ce qui me concerne, il ne s’agissait pas seulement de publicités, mais d’une véritable réponse juive à une réalité dans laquelle les membres de la communauté sont contraints de lire à la synagogue que leur orientation sexuelle est une maladie. Parce que c’est mon judaïsme - un judaïsme selon lequel “une personne est aimable parce qu’elle est faite à l’image de Dieu” ».
Cette attitude provocatrice a suscité quelques remous : certains responsables de synagogues ont refusé d’autoriser la distribution de l’article de Fink. Les rédacteurs en chef ont décidé d’être plus circonspects. « Nous n’abandonnons pas », insiste Fink. « Nous essayons d’être idéologiques et incisifs, mais sans faire de vagues, afin qu’ils n’interdisent pas notre publication dans leurs synagogues. L’objectif est d’atteindre les personnes religieuses qui se sentent en marge, de leur faire sentir qu’il y a quelque chose qui parle aussi en leur nom ».
Fink a récemment créé le forum des administrateurs de Darchei Noam, un groupe de messagers-adorateurs chargés de veiller à ce que tous les fidèles de la synagogue voient le journal, qu’il soit accessible à tous.
Fink : « Quand des gens m’appellent de lieux tels que les colonies de Talmon et d’Efrat et me disent : “Je veux être responsable de Darchei Noam pour m’assurer qu’il est affiché, comme il se doit, dans la synagogue”, je me rends compte que nous sommes sur la bonne voie. Mon rêve est que les partis politiques, tant de la droite traditionnelle que de la gauche sioniste, commencent à réaliser qu’ils ont des électeurs potentiels dans les synagogues. Trente pour cent des personnes religieuses en Israël se disent libérales, et elles ont besoin d’entendre des voix juives exprimer leur vision du monde.
« Lorsque je me suis rendu récemment à Jérusalem pour protester contre le licenciement du chef du Shin Bet, se souvient Fink, un religieux portant une pancarte contre Bibi s’est joint à nous. Il s’est approché de moi et s’est présenté comme un habitant de la colonie de Revava en Samarie. Il tenait à me dire à quel point il était heureux de pouvoir lire Darchei Noam dans sa synagogue. « Pour la première fois, une voix exprime ce que je pense », m’a-t-il dit. Et puis, Revava est une colonie très à droite. Ce type, Zvika, a ajouté qu’il n’était pas le seul à attendre notre publication là-bas, et a souligné qu’elle suscitait des débats et des discussions. Cela m’a rendu si heureux. En fin de compte, c’est exactement ce que je voulais accomplir. »