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17/08/2024

DOHA CHAMS
“Les effacés” : massacres familiaux

Doha Chams, Al Araby, 16/8/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 Jusqu’à la fin du mois de juillet dernier, plus de cinq cents familles ont été rayées des registres d’état civil de la bande de Gaza. Elles ont été complètement anéanties, il n’y a plus personne. Certaines familles ne comptent plus qu’un ou deux membres. Quelqu’un qui, dans l’horreur de la catastrophe, pourrait souhaiter ne pas avoir survécu, comme je l’aurais fait.

L’imagination diabolique d’Israël, avec son appétit génocidaire, a inventé un nouveau type de massacre : les « massacres familiaux ». Quelle étrange juxtaposition que ces deux mots : à l’oreille, à l’esprit, au cœur.


Cette photo du 21 avril 2023 fournie par Ahmed al-Naouq, réfugié en Turquie, à l’agence Associated Press montre sa nièce Tala al-Naouq, son frère Mohammed al-Naouq, Alaa al-Naouq, son père Nasri al-Naouq, Mahmoud al-Naouq et Dima al-Naouq à Deir Al Balah, dans la bande de Gaza. Des générations entières de familles palestiniennes de la bande de Gaza assiégée ont été tuées par des frappes aériennes Ahmed al-Naouq précise qu'aucun des 21 membres de sa famille, dont 13 enfants, tués lors d'une frappe israélienne sur la maison de sa famille n'appartenait au Hamas.

Vous vous dites que vous avez l’habitude d’entendre chacun des deux mots qui composent cette incroyable expression, seuls, dans deux mondes complètement séparés, voire opposés : le monde effervescent, luxuriant et bruyant de la vie et le monde sinistre de la mort, muet et mortel dans sa sauvagerie et sa primitivité modernisée.

Piscines  pour familles. Restaurants pour familles. Entrées réservées aux familles. Parcs d’attractions pour familles. Films pour familles. Albums de famille. Les massacres, c’est quoi ? Deux mots qui s’annulent l’un l’autre. Non, ce n’est pas une faute de frappe, même si cela y ressemble. C’est le nom d’un nouveau péché.

La juxtaposition des deux mots est étrange. Comment ce mot terrible a-t-il pu se faufiler dans les familles ? Comment sa férocité s’est-elle jetée sur la douceur du mot et l’intimité qui accompagne la multiplication humaine ? Qui aurait pu l’insérer avec son agressivité effrontée si Israël, son auteur, ne l’avait pas inséré dans la phrase ?

Lorsque l’on parle d’Israël, il ne s’agit plus d’une simple insertion dans une phrase. Il s’agit d’une occupation, d’une colonisation forcée et violente, d’un effacement du sens originel. Le viol de la paix par la brutalité, des parcs familiaux par les décombres, des parcs d’attractions par les éclats de roquettes, des fosses profondes bientôt remplies par les restes des familles. Les mots font ce que font les chiffres lorsqu’on leur ajoute un zéro. Ils prennent de la valeur et deviennent le contraire d’eux-mêmes.

Comment des massacres peuvent-ils être familiaux ? C’est un nouveau nom pour le crime génocidaire d’Israël à Gaza.

Vous vous souvenez des photos que vous aviez vues dans les archives d’une organisation qui s’occupe de photos anciennes, en sépia et en noir et blanc. Des photos collectées par un collectionneur dans les archives négligées d’anciens studios photo de Sidon et de Beyrouth. Des studios qui ont disparu et dont les archives sont devenues vides de sens avec l’invention des appareils photo perfectionnés, puis des téléphones portables. Les photos ne sont pas identifiables. La plupart d’entre elles sont des portraits de famille où tous les membres de la famille se sont rassemblés pour capturer un moment qui prouve qu’ils sont un groupe connecté, et qui fait connaître leur identité. Des enfants jouent autour de leurs parents dans un vieux restaurant. D’autres photos, peut-être d’un barbecue en plein air au bord d’une rivière avec une grosse pastèque nageant dedans, attendant d’être refroidie. Des balançoires dans la nature, ou des nageuses en bikini coquin posant au bord de la mer. Des photos d’écolières avec leurs bavoirs et leurs rubans noués dans les cheveux, assises dans leur salle de classe, des photos de garçons nus, ou des photos de jeunes mariés qui ont emprunté leur costume de mariage à un studio photo, comme c’était la norme.

Il s’agit de photos de famille, alors comment les massacres peuvent-ils être familiaux ? C’est un nouveau nom pour le crime de génocide, mais il est plus exact. Le premier rassemble des étrangers, le second des parents.

Au Liban, nous avons aussi eu notre part de massacres familiaux, ceux qui ont été réduits en morceaux sous les décombres, ou qui ont été dispersés dans l’air comme de la poussière par des armes conçues pour effacer, et pas seulement pour tuer. « Effacé » est le nouveau terme que la barbarie contemporaine a ajouté aux dictionnaires de la brutalité que nous connaissions de nos guerres précédentes. Dans notre guerre civile libanaise, au cours de laquelle on a enlevé certains d’entre nous et fait disparaître d’autres par la force, nous connaissions des termes tels qu’enlevés (aux points de contrôle de l’identité religieuse), disparus de force (aux points de contrôle des belligérants) et disparus tout court  (remis à Israël par ses alliés mais non reconnus par eux). Chacun de ces termes a ses propres circonstances et une signification précise. Mais nous n’avons pas été « effacés » au sens invasif du terme. Il s’agit d’une catastrophe dont je ne mesure même pas toute l’ampleur. Il me faut du temps pour en comprendre la brutalité, pour saisir ce que signifie commettre un tel péché, avec préméditation et détermination, contre l’instinct de survie de l’humain.

Oui, nous avons connu des massacres familiaux commis par Israël lors de ses nombreuses agressions contre le Liban, mais il s’agissait de coïncidences. Je me souviens, par exemple, de la famille Al-Barji de Cana, au Sud-Liban, dont les membres ont été tués lors de l’agression israélienne des Raisins de la colère, ou de la famille Bzea de Zibqin, également au Sud-Liban. Je me souviens très bien de la façon dont ces familles, qui étaient presque anéanties, ont essayé de se réunir grâce à un montage de photos des martyrs d’une même famille en une seule grande photo : les anciens au centre pour signifier leur valeur et leur respect, puis les enfants et leurs épouses, puis les petits-enfants, et même les nourrissons. C’est ainsi que les Barajis ont résisté à l’anéantissement. À Gaza, il n’y a aucune trace des maisons, ni des quartiers où elles se trouvaient.

La seule trace laissée est celle des plateformes de médias sociaux, remplies de la volonté de ceux qui étaient certains de « l’inévitabilité du martyre » et n’attendaient que leur tour.

Il n’y a pas eu de massacres génocidaires au Liban. Mais l’intention était claire à Gaza, et les Gazaouis l’ont compris avant tout le monde. Gaza, où les Israéliens connaissent tous ceux qui respirent : Où vit-il ? À quel étage ? Avec qui ? Sur quel lit dort-il ? Avec qui ? Quels types de cuisinières se trouvent dans la cuisine ?

« On commence aujourd’hui par la famille Shihab ? », pourrait dire un soldat à son collègue dans le cockpit d’un avion de guerre perfectionné, avant de lancer ses missiles à 20 000 mètres d’altitude. Il est assis en toute sécurité dans son avion, tout comme un gameur est en sécurité devant son écran d’ordinateur.

« Quelle famille on va anéantir aujourd’hui ? » dit le soldat en bâillant. « La famille Saidam, la famille Abu Daqqa ou la famille Dawas ? »

« Allons-y », dit le copilote. « Commençons par leurs maisons, pétrissons-les avec et ne leur laissons aucune raison d’avoir une tombe. Nous voulons toute la terre, sans un seul Palestinien dessus, dessous ou dans sa mémoire. Nous voulons une terre propre et vierge, même si c’est par la force. Une terre amnésique, atteinte de la maladie d’Alzheimer. Infectons-la. Nous n’en laisserons aucun, pas même un grain de poussière, et nous aurons tout ». C’est ce que dit le pilote colon à son collègue dans le cockpit de l’avion de guerre perfectionné, alors qu’il franchit le mur du son et s’amuse beaucoup. Effaçons-les, crient-ils ensemble. Jouons.

 

 

11/08/2024

GIDEON LEVY
Pour Israël, les enfants assassinés méritent d’être pleurés, sauf s’ils sont palestiniens

Gideon Levy, Haaretz, 11/8/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala  

Une fois de plus, ce n’était pas intentionnel. Une fois de plus, ce n’était pas un génocide, absolument pas un génocide ; après tout, le génocide n’est pas seulement déterminé par le nombre horrible de morts, mais aussi par l’intention, et cette fois-ci, il n’y avait pas d’intention génocidaire, après tout.


Lorsque « le Hezbollah a tué 12 enfants à Majdal Shams » il y a deux semaines, Israël s’est insurgé : “massacre”, “meurtre” et “cruauté indicible”. Quelqu’un en Israël pensait-il vraiment que le Hezbollah avait l’intention de tuer 12 enfants druzes sur le plateau du Golan occupé ? Mais en ce qui concerne le Hezbollah, la question des intentions ne se pose jamais ; ils sont toujours meurtriers. Si 12 enfants druzes ont été tués, cela signifie que le Hezbollah avait l’intention de les assassiner.

Pour les Forces de “défense” israéliennes, c’est une autre histoire. Elles ont la pureté des armes. Ce ne sont pas des meurtriers. Mais les personnes qui ont été tuées samedi à l’école de Tab’een dans la ville de Gaza ont été tuées exactement comme les enfants de Majdal Shams ont été tués sur leur terrain de football - et la culpabilité dans le meurtre est identique.

Au cours des dix derniers jours, les FDI ont bombardé huit écoles, tuant un nombre à deux chiffres de personnes déplacées dans chacune d’entre elles. Un record a été établi tôt samedi matin, lorsqu’une centaine de personnes ont été tuées alors qu’elles se préparaient pour la prière de l’aube à la mosquée adjacente à l’école. Certaines des victimes n’étaient arrivées que récemment, après avoir fui leur précédent refuge suite à un bombardement. Certaines d’entre elles avaient perdu une partie de leur famille, qui a été définitivement rayée de la carte.

Les images diffusées par Al-Jazeera étaient choquantes : des adolescentes pleurant à la vue des corps de leurs parents, des couvertures synthétiques colorées enveloppant les parties du corps de plusieurs personnes. Ils se sont levés pour la prière et ont été massacrés, comme par Baruch Goldstein, mais presque deux fois plus, par l’armée.

L’unité du porte-parole des FDI a fait ses déclarations habituelles, que plus personne au monde ne croit : « Avant la frappe, de nombreuses mesures ont été prises pour atténuer le risque de blesser des civils, notamment l’utilisation de munitions précises, la surveillance aérienne et l’information fournie par les renseignements ».

Si 100 personnes ont été tuées après toutes les mesures touchantes prises par les FDI, imaginez combien de personnes auraient été tuées si elles n’avaient pas pris ces mesures. La tentative de prétendre que les Palestiniens surestiment le nombre de victimes parce que le ministère palestinien de la Santé est contrôlé par le Hamas est également pathétique. Le ministère israélien de la Santé est contrôlé par le parti Shas. Et alors ? L’armée israélienne n’a jamais été en mesure de réfuter le ministère palestinien de la Santé de manière significative.

Il est déjà impossible d’accepter ces absurdités, surtout lorsqu’il s’agit de la huitième école en dix jours. Les histoires de centres de commandement du Hamas dans les écoles sont également difficiles à avaler : l’armée n’a pas encore présenté la moindre preuve solide de l’existence d’un centre de commandement dans l’un des huit abris touchés. Cela n’a bien sûr aucune importance pour les Israéliens, qui justifient tout à l’avance ; tout est éthique, mais personne d’autre qu’eux n’est encore prêt à l’accepter.

Il faut le dire : même s’il existait un tel “centre de commandement” - un terme vague - rien ne justifie le meurtre de dizaines de personnes sans défense, démunies et effrayées, dont de nombreux enfants. Tout “centre de commandement”, qui se résume parfois à un seul officier de police du Hamas caché, ne justifie pas un massacre. En fait, jamais. Lorsque cela se produit huit fois en dix jours, il est clair qu’il y a une politique. Une politique intentionnelle de crimes de guerre.

La possibilité que la guerre la plus inutile et la plus criminelle qu’Israël ait jamais menée soit susceptible de prendre fin incite le gouvernement, et en particulier l’armée - l’armée est coupable de tels crimes - à faire un dernier effort pour tuer le plus grand nombre possible, sans discrimination et sans retenue. Huit écoles en dix jours, c’est une urgence pour La Haye. Le juriste capable de réfuter l’accusation n’est pas encore né.

En 1996, lors de l’opération “Raisins de la colère” au Liban, les FDI ont tué 102 personnes déplacées dans un abri de l’ONU à Kafr Kana. Là aussi, Israël a tenté de nier et de trouver des excuses ; quelques jours plus tard, il a été contraint de mettre fin à l’opération. La tuerie de samedi n’aboutira pas, à notre grand effroi, à un résultat similaire. Israël est déjà un État différent, et ses militaires le sont également. Leurs cœurs sont endurcis, comme ceux de la plupart des Israéliens.

Dessins de Sanouni Imad  

 

31/07/2024

ADDAMEER
Appel international à l’action : Enquêtez sur le raid à Sde Teiman et les violations des droits humains des détenus gazaouis

Addameer, 29/7/2024

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

 

ADDAMEER (conscience en arabe) Prisoner Support and Human Rights Association est une institution civile non gouvernementale palestinienne qui s’efforce de soutenir les prisonniers politiques palestiniens détenus dans les prisons israéliennes et palestiniennes. Créé en 1991 par un groupe d’activistes intéressés par les droits de l’homme, le centre offre une aide juridique gratuite aux prisonniers politiques, défend leurs droits au niveau national et international et s’efforce de mettre fin à la torture et aux autres violations des droits des prisonniers par le biais d’un suivi, de procédures juridiques et de campagnes de solidarité.

 

Le 29 juillet 2024, la police militaire de l’occupation a fait une descente dans le camp militaire de Sde Teman, arrêtant des soldats accusés d’avoir brutalement agressé sexuellement un détenu de Gaza. Le détenu présenterait de graves signes de viol à l’aide d’outils de torture tranchants. Des avocats ont documenté de nombreux cas de torture et de violence sexuelle à l’encontre de détenus de Gaza, révélant un sinistre schéma d’abus au sein du camp militaire de Sde Teman. Malgré ces cas bien documentés, 99 % des enquêtes sur les actes de torture et les abus commis par les FOI (Forces d’occupation israéliennes) à l’encontre des Palestiniens n’aboutissent pas, ce qui fait que les auteurs de ces actes ne sont pas tenus de rendre des comptes et ne connaissent aucune répercussion. Cette absence persistante de justice met en évidence l’impunité systémique au sein des FOI qui permet à des violations aussi flagrantes de se poursuivre sans contrôle.

 

Les avocats ont documenté de nombreux cas où l’armée israélienne a procédé à des fouilles à nu excessives sur des détenus gazaouis. Au cours de ces fouilles, les détenus ont été contraints de se placer dans des positions humiliantes et ont été soumis à l’utilisation de détecteurs de métaux sur leur corps, qui ont été déplacés autour de leurs parties intimes pendant que les soldats se moquaient d’eux et les agressaient verbalement en les maudissant constamment et en les forçant à se maudire eux-mêmes.

18/06/2024

REEM HAMADAQA
La nuit où Israël a tué ma famille

Dans la nuit du 2 mars, Israël a éliminé quatre générations de ma famille. J’ai à peine survécu au massacre. Il m’incombe désormais de raconter leur histoire.

Reem A. Hamadaqa, Mondoweiss, 13/6/2024
Traduit par Layân Benhamed, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala

Reem A. Hamadaqa, 24 ans, est assistante d’enseignement à l’Université islamique de Gaza et traductrice. Elle écrit pour et sur la Palestine. Vous pouvez la suivre sur X @reemhamadaqa et instagram reemhamadaqa

La nuit du 2 mars 2024, Israël a anéanti quatre générations de ma famille en une seule nuit. Une frappe israélienne vers minuit a tué 14 membres de ma famille. Cela a emporté l’essence même de ma vie, mes êtres les plus chers, et m’a marquée comme une survivante.

Reem Hamadaqa, à l’extrême droite, avec ses parents Sahar et Alaa’, et ses deux sœurs, Heba, 29 ans, et Ola, 19 ans. Ces quatre membres de la famille de Reem sont tombés en martyrs avec 10 autres membres de la famille lors d’une attaque israélienne le 2 mars dans le sud de la bande de Gaza.

« Allez vers le sud, sinon nous ferons tomber cette école sur votre tête », ont prévenu les soldats israéliens lorsque nous avons décidé de quitter notre maison dans le nord de Gaza. À ce moment-là, ma famille avait déjà survécu à 40 jours de bombardements, accueillant souvent des dizaines de personnes déplacées chez nous. Après ce message, nous n’avions pas d’autre choix que de fuir.

Notre premier arrêt fut une école voisine de l’UNRWA. C’était notre première tentative pour trouver un semblant de “sécurité”. Nous avons marché pendant plus de six heures sous un soleil brûlant pour atteindre le sud, où, en fin de compte, ma famille a été tuée dans une zone soi-disant “sûre” où l’occupation israélienne nous avait dit d’aller.

Nous avons survécu près de 100 jours chez mon oncle maternel à Khan Younès. Ce n’était pas le meilleur endroit pour trouver de la nourriture ou de l’eau, mais on nous avait assuré que c’était sûr. Sa maison se trouvait dans le bloc 89, désigné par l’occupation comme un bloc “vert”. C’est pourquoi nous sommes restés sur place et n’avons pas fui. Mais nous étions déjà déplacés.

La maison était remplie d’une douzaine de femmes et d’enfants lorsque, le 2 mars, les bombardements intensifs ont commencé vers 22h30.

Environ une heure plus tard, j’ai échangé un dernier regard avec mes parents, mes sœurs, mes cousins, ma grand-mère, et sans le savoir à l’époque, avec toute ma vie. J’ai lu le troisième chapitre d’un roman, j’ai discuté avec mes parents, nous avons appelé ma sœur qui était déplacée à Rafah dans une tente. J’ai taquiné ma sœur cadette. Je me suis endormie, fermant involontairement le dernier chapitre de ma vie.

J’ai été réveillée par des bombardements massifs, des explosions en chaîne qui semblaient interminables.

Terrifiée, je me suis réveillée en hurlant. Mon père et ma mère étaient près de la porte. Heba, ma sœur aînée, était à mes côtés. Nous avons crié. Par la fenêtre, tout ce que je pouvais voir devant la maison était en feu. Ces scènes résonnaient avec l’état de nos cœurs.

« Papa ! N’ouvre pas la porte ! » avons-nous crié. En quelques secondes, la maison était sur nous. J’ai senti les murs et le plafond s’effondrer, la pièce explosait autour de moi. J’ai vu le dos de papa et maman, et j’ai senti Heba à mes côtés, criant. J’ai vu Ola, endormie, insensible à l’explosion massive.

Je me suis réveillée sous les décombres.

C’était la pleine lune. Il faisait si sombre qu’il étaitprobablement minuit, et il faisait si froid. L’hiver ne nous avait pas encore quittés. J’étais seule, coincée sous les décombres, incapable de bouger.

Même après avoir lu des histoires sur la sensation d’être piégé sous les décombres, cela n’avait rien à voir avec ce que j’avais imaginé. Je ne savais pas combien de temps j’étais restée inconsciente. Quand je me suis réveillée, j’ai cru que c’était un rêve, un cauchemar. La douleur était insupportable.

J’ai crié de toutes mes forces, cherchant je ne sais quoi. J’ai retiré les pierres qui pesaient sur mes mains, ma poitrine, mon ventre. Elles étaient lourdes, mais ma respiration l’était encore plus. J’ai attendu l’inconnu.

J’ai entendu mon oncle crier, appelant ses fils, et j’ai entendu un homme fuyant devant les chars appeler mon oncle, venant de derrière. J’étais incapable de dégager mes jambes des décombres. Près d’une heure plus tard, mon frère et mon cousin, qui vivaient dans la maison en face, m’ont trouvée. Miraculeusement, Ahmad m’a sauvée. Il a soulevé des tonnes de pierres qui m’écrasaient.

Au lieu d’ambulances, des tanks

Ahmad m’a soulevée et m’a portée sur son dos en courant. Chaque pas qu’il faisait brisait mon âme de douleur. Il m’a emmenée chez lui, à quelques mètres de là. Cette maison aussi avait été touchée. Des éclats de verre et des meubles jonchaient le sol, coupant quiconque entrait. Ahmad m’y a déposée.

11/05/2024

GIDEON LEVY
Les dirigeants d’Israël doivent être arrêtés pour crimes de guerre


Gideon Levy, Haaretz, 5/5/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Tout Israélien digne de ce nom doit se poser les questions suivantes : son pays commet-il des crimes de guerre à Gaza ? Si c’est le cas, comment les arrêter ? Comment punir les coupables ? Qui peut les punir ? Est-il raisonnable que les crimes ne soient pas poursuivis et que les criminels soient disculpés ?

Rahma Cartoons

 On peut bien sûr répondre par la négative à la première question - Israël ne commet pas de crimes de guerre à Gaza - ce qui rend le reste des questions superflues.

 Mais comment répondre par la négative face aux faits et à la situation à Gaza : environ 35 000 personnes tuées et 10 000 autres disparues, dont environ deux tiers de civils innocents, selon les Forces de défense israéliennes ; parmi les morts, on compte environ 13 000 enfants, près de 400 travailleurs médicaux et plus de 200 journalistes ; 70 % des maisons ont été détruites ou endommagées ; 30 % des enfants souffrent de malnutrition aiguë ; deux personnes sur 10 000 meurent chaque jour de faim et de maladie. (Tous les chiffres proviennent des Nations unies et d’organisations internationales).

Est-il possible que ces chiffres horribles aient été atteints sans que des crimes de guerre aient été commis ? Il y a des guerres dont la cause est juste et les moyens criminels ; la justice de la guerre ne justifie pas ses crimes. Les meurtres et les destructions, la famine et les déplacements de population à cette échelle n’auraient pas pu se produire sans que des crimes de guerre ne soient commis. Des individus en sont responsables et doivent être traduits en justice.

La hasbara israélienne, ou diplomatie publique, n’essaie pas de nier la réalité à Gaza. Elle se contente d’invoquer l’antisémitisme : pourquoi s’en prendre à nous ? Et le Soudan et le Yémen ? La logique ne tient pas : un conducteur arrêté pour excès de vitesse ne s’en sortira pas en arguant qu’il n’est pas le seul. Les crimes et les criminels demeurent. Israël ne poursuivra jamais personne pour ces délits. Il ne l’a jamais fait, ni pour ses guerres ni pour son occupation. Dans les bons jours, il poursuivra un soldat qui a volé la carte de crédit d’un Palestinien.

Mais le sens humain de la justice veut que les criminels soient traduits en justice et empêchés de commettre des crimes à l’avenir. Dans cette logique, nous ne pouvons qu’espérer que la Cour pénale internationale de La Haye fera son travail.

Tous les patriotes israéliens et tous ceux qui se soucient du bien de l’État devraient le souhaiter. Ce n’est qu’ainsi que la norme morale d’Israël, selon laquelle tout lui est permis, changera. Il n’est pas facile d’espérer l’arrestation des chefs de son État et de son armée, et encore plus difficile de l’admettre publiquement, mais y a-t-il un autre moyen de les arrêter ?

Les tueries et les destructions à Gaza ont mis Israël dans l’embarras. C’est la pire catastrophe à laquelle l’État ait jamais été confronté. Quelqu’un l’a conduit là - non, pas l’antisémitisme, mais plutôt ses dirigeants et ses officiers militaires. Sans eux, Israël ne serait pas passé si rapidement, après le 7 octobre, du statut de pays chéri et inspirant la compassion à celui d’État paria.

Quelqu’un doit être jugé pour cela. Tout comme de nombreux Israéliens souhaitent que Benjamin Netanyahou soit puni pour la corruption dont il est accusé, ils devraient souhaiter que lui et les auteurs qui lui sont subordonnés soient punis pour des crimes bien plus graves, les crimes de Gaza.

Ils ne peuvent rester impunis. Il n’est pas non plus possible de blâmer uniquement le Hamas, même s’il a une part de responsabilité dans les crimes. C’est nous qui avons tué, affamé, déplacé et détruit à une telle échelle. Quelqu’un doit être traduit en justice pour cela. Netanyahou est le chef, bien sûr. L’image de lui emprisonné à La Haye avec le ministre de la défense et le chef d’état-major de Tsahal est un cauchemar pour tout Israélien. Et pourtant, elle est probablement justifiée.

Elle est cependant très improbable. Les pressions exercées sur la Cour par Israël et les USA sont énormes (et erronées). Mais les tactiques de peur peuvent être importantes. Si les fonctionnaires s’abstiennent réellement de voyager à l’étranger au cours des prochaines années, s’ils vivent réellement dans la crainte de ce qui pourrait arriver, nous pouvons être sûrs que, lors de la prochaine guerre, ils réfléchiront à deux fois avant d’envoyer l’armée dans des campagnes de mort et de destruction aux proportions aussi insensées. Nous pouvons au moins trouver un peu de réconfort là-dedans.

 

12/02/2024

GIDEON LEVY
Une incursion israélienne à Rafah, dans la bande de Gaza, entraînera une catastrophe humanitaire sans précédent

Gideon Levy, Haaretz, 11/2/2024
Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala

Tout ce que nous pouvons faire maintenant, c’est demander, supplier, crier : « N’entrez pas dans Rafah ». Une incursion israélienne à Rafah sera une attaque contre le plus grand camp de personnes déplacées au monde. Elle entraînera l’armée israélienne dans des crimes de guerre d’une gravité que même elle n’a pas encore commis. Il est impossible d’envahir Rafah aujourd’hui sans commettre de crimes de guerre. Si les forces de défense israéliennes envahissent Rafah, la ville deviendra un charnier.

Environ 1,4 million de personnes déplacées se trouvent actuellement à Rafah, s’abritant parfois sous des sacs en plastique transformés en tentes. L’administration usaméricaine, gardienne supposée de la loi et de la conscience israéliennes, a conditionné l’invasion de Rafah à un plan israélien d’évacuation de la ville. Un tel plan n’existe pas et ne peut pas exister, même si Israël parvient à élaborer quelque chose.

Il est impossible de transporter un million de personnes totalement démunies, dont certaines ont déjà été déplacées deux ou trois fois, d’un lieu “sûr” à un autre, qui se transforment toujours en champs de bataille. Il est impossible de transporter des millions de personnes comme s’il s’agissait de veaux destinés à être expédiés. Même les veaux ne peuvent être transportés avec une telle cruauté.

Il n’y a pas non plus d’endroit où évacuer ces millions de personnes. Dans la bande de Gaza dévastée, il n’y a plus d’endroit où aller. Si les réfugiés de Rafah sont déplacés à Al-Mawasi, comme le propose Tsahal dans son plan humanitaire, Al-Mawasi deviendra le théâtre d’une catastrophe humanitaire sans précédent dans la bande de Gaza.

Yarden Michaeli et Avi Scharf rapportent que l’ensemble de la population de la bande de Gaza, soit 2,3 millions de personnes, est censée être évacuée dans une zone de 16 kilomètres carrés, soit environ la taille de l’aéroport international Ben-Gourion. Toute la bande de Gaza dans la zone de l’aéroport, imaginez un peu.

Amira Hass a calculé que si un million de personnes seulement se rendent à Al-Mawasi, la densité de population y sera de 62 500 personnes par kilomètre carré. Il n’y a rien à Al-Mawasi : pas d’infrastructure, pas d’eau, pas d’électricité, pas de maisons. Seulement du sable et encore du sable, pour absorber le sang, les eaux usées et les épidémies. Cette idée n’est pas seulement à glacer le sang, elle montre aussi le niveau de déshumanisation qu’Israël a atteint dans sa planification.

Le sang sera versé à Al-Mawasi, comme il l’a été récemment à Rafah, l’avant-dernier refuge offert par Israël. Le service de sécurité Shin Bet trouvera un cadre du Hamas qu’il faudra éliminer en larguant une bombe d’une tonne sur le nouveau camp de tentes. Vingt passants, pour la plupart des enfants, seront tués. Les correspondants militaires nous parleront, les yeux brillants, du merveilleux travail accompli par Tsahal pour liquider le haut commandement du Hamas. La victoire totale est proche, les Israéliens seront à nouveau rassasiés.

Mais malgré ce gavage, le public israélien doit se réveiller, et avec lui l’administration Biden. Il s’agit d’une situation d’urgence plus grave que n’importe quelle autre durant cette guerre. Les USAméricains doivent bloquer l’invasion de Rafah par des actes et non par des mots. Ils sont les seuls à pouvoir arrêter Israël.

Le secteur consciencieux du public israélien cherche des sources d’information autres que les stations de « gâteaux pour soldats » qui s’autoproclament chaînes d’information. Regardez les images de Rafah sur n’importe quelle chaîne étrangère - vous ne verrez rien en Israël - et vous comprendrez pourquoi on ne peut pas l’évacuer. Imaginez Al-Mawasi avec les deux millions de personnes déplacées, et vous comprendrez les crimes de guerre qui sévissent ici.


Samedi, le corps de Hind Rajab Hamada, âgée de six ans, a été retrouvé. La fillette était devenue célèbre dans le monde entier après les moments de terreur qu’elle et sa famille avaient vécus le 29 janvier face à un char israélien - moments qui avaient été enregistrés lors d’un appel téléphonique avec le Croissant-Rouge palestinien, jusqu’à ce que les cris de terreur de sa tante s’arrêtent. Sept membres de la famille ont été tués ; seule la petite Hind avait survécu, et son sort était resté mystérieux depuis lors.

Hind a été retrouvée morte dans la voiture brûlée de sa tante, dans une station-service de Khan Younès. Blessée, recouverte par les sept corps de ses proches, elle s’est vidée de son sang avant d’avoir pu s’extraire du véhicule. Hind et sa famille avaient répondu à l’appel « humanitaire » d’Israël à évacuer. Ceux qui veulent des milliers d’autres Hind devraient envahir Rafah, dont la population sera évacuée vers Al-Mawasi.



palestinianyouthmovement

16/12/2023

GIDEON LEVY
Comme si la violence des colons ne suffisait pas :
Israël prive désormais d’eau les Palestiniens de la vallée du Jourdain

Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz, 16/12/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Depuis le début de la guerre, une vingtaine de familles palestiniennes ont été chassées de leurs maisons dans la vallée du Jourdain par la violence accrue des colons. Pendant ce temps, l’armée refuse aux communautés de bergers l’accès à l’eau. Des volontaires israéliens tentent de les protéger jour et nuit

Un campement bédouin abandonné par ses habitants en raison de la violence des colons.

Douze heures quarante-cinq, ce lundi, dans le nord de la vallée du Jourdain. Le tronçon nord de la route Allon (route 578) est désert, comme d’habitude, mais au bord de la route, entre les colonies de Ro’i et Beka’ot, un petit convoi de réservoirs d’eau, tirés par des tracteurs et des camions, est stationné et attend. Et attend. Il attend que les moutons rentrent à la maison. Des soldats des Forces de défense israéliennes étaient censés venir il y a quelques heures pour ouvrir la barrière en fer, mais les FDI ne viennent pas et n’appellent pas non plus, comme le dit la chanson. Lorsque l’on appelle le numéro indiqué par l’armée sur le portail jaune, on répond au téléphone de l’autre côté de la ligne, puis on est immédiatement déconnecté. Une militante de Machsom Watch : Women for Human Rights, Tamar Berger, a essayé trois fois ce matin, et à chaque fois, dès qu’elle s’est identifiée, l’autre partie a raccroché de manière démonstrative. Les chauffeurs palestiniens ont peur d’appeler.

C’est le temps du vent jaune, le temps des porteurs d’eau dans le nord de la vallée du Jourdain, qui sont obligés d’attendre des heures et des heures jusqu’à ce que les forces de l’armée qui détiennent la clé arrivent et ouvrent la porte pour que ceux qui transportent l’eau puissent entrer. Dans cette région desséchée, Israël n’autorise pas les résidents palestiniens à se raccorder à un quelconque réseau d’approvisionnement en eau : eux et leurs moutons doivent dépendre de l’eau coûteuse transportée dans les citernes, et les chauffeurs des camions et des tracteurs sont totalement tributaires d’un soldat muni d’une clé.

Le soldat qui détient la clé devait être ici dans la matinée. Les chauffeurs attendent ici depuis 8 heures du matin, et dans quelques minutes, il sera 13 heures. Après l’ouverture du portail, ils se dirigeront vers Atuf et rempliront les réservoirs d’eau, puis reviendront par le chemin de terre en direction des villages situés du côté est de la route, où ils devront à nouveau attendre qu’un soldat muni d’une clé daigne leur ouvrir le portail, afin qu’ils puissent distribuer l’eau aux hommes et aux animaux qui n’ont pas d’autre source d’approvisionnement.

Depuis le début de la guerre, cette barrière est fermée par défaut, après être restée ouverte pendant des années. Depuis l’attaque à la voiture piégée qui s’est produite ici il y a deux semaines, au cours de laquelle deux soldats ont été légèrement blessés, les soldats disposant de la clé ont tardé à venir ou ne sont pas venus du tout. Au cours de cette dernière période, des journées entières se sont écoulées sans que la porte ne soit ouverte et sans que les habitants n’aient accès à l’eau. Les camionneurs et les bergers doivent être punis pour une attaque terroriste (non mortelle) perpétrée par un habitant de la ville de Tamun, à l’ouest d’ici, qui a lui-même été abattu. Ainsi, les Palestiniens sont laissés à sec.

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Le côté est de la route est officiellement privé d’eau. Il est interdit de boire et d’irriguer, par ordre. C’est ce qu’a décidé Israël, dans le but inavoué d’envenimer la vie des bergers jusqu’à ce qu’elle devienne intenable pour eux, puis de les expulser de cette zone. Les colons aussi terrorisent les Palestiniens dans le but de les expulser, encore plus intensément dans l’ombre de la guerre. Comme à l’autre extrémité de l’occupation, dans les collines du sud de l’Hébron, ici aussi, à son point le plus septentrional, dans la zone appelée Umm Zuka, l’objectif principal est de se débarrasser des bergers - le groupe de population le plus faible et le plus impuissant - et de s’emparer de leurs terres.

De nouvelles clôtures ont déjà été érigées le long de la route, apparemment par des colons, autour de toute la zone, dans le but d’achever le processus de nettoyage. À ce jour, une vingtaine de familles, soit près de 200 personnes, enfants compris, ont fui, emportant leurs moutons et laissant derrière elles, dans leur fuite, des tranches de vie et des biens.

Un camion bloqué à un barrage improvisé dans la vallée du Jourdain en attendant que l’armée se décide à déverrouiller la barrière. Si les camions transportant de l’eau ne peuvent pas passer, les bergers et leurs troupeaux n’auront rien à boire.

Retour à la barrière jaune. Dafna Banai, une vétérane de Machsom Watch dans la vallée du Jourdain, qui aide les résidents avec un dévouement sans faille depuis des années, attend avec les chauffeurs de camion depuis le matin. Elle et Berger ont été arrêtés par des soldats au poste de contrôle de Beka’ot au motif fallacieux qu’elles étaient entrées dans la zone A. « Je sais qui vous êtes et ce que vous faites », leur a lancé le commandant de l’unité. Rafa Daragmeh, un chauffeur de camion qui attend depuis 9h30, est censé faire quatre tournées de livraison d’eau par jour, mais c’est maintenant le milieu de la journée, son réservoir est plein et il n’a pas encore terminé une seule tournée. Un jour, il a demandé à un soldat pourquoi ils ne venaient pas. Le soldat a répondu : « Demandez à celui qui a commis l’attaque terroriste », ce qui ressemble à une punition collective - mais ce n’est pas possible, puisque la punition collective est un crime de guerre [et que l’armée la plus morale du monde ne commet pas de crimes de guerre, NdT].

De l’autre côté du poste de contrôle, un camion-citerne vide attend également depuis le matin. Le chauffeur, Abdel Khader, du village de Samara, est là depuis 8 heures du matin. Un autre camion est rempli d’aliments pour animaux - il est peu probable que les soldats le laissent passer. Son chauffeur doit apporter la cargaison à une communauté qui vit à 200 mètres à l’est de la barrière. Deux pièges à mouches sont suspendus à côté du poste de contrôle, le temps s’écoule.

Après 13 heures, une Nissan Jeep civile avec un feu jaune clignotant s’arrête. Les forces armées en sortent, déterminées et confiantes : Quatre soldats, armés et protégés comme s’ils étaient à Gaza. Ils prennent rapidement position. Un soldat grimpe sur un cube de béton et pointe son fusil sur nous sans broncher ; son commandant, masqué et portant des gants, nous demande de « ne pas interférer avec le travail » et nous menace de ne pas laisser passer les camions si nous osons prendre des photos. Peut-être a-t-il honte de ce qu’il fait.

Un troisième soldat ouvre le compartiment à bagages de la Nissan et en sort une clé qui pend au bout d’un long lacet. C’est la clé convoitée, la clé du royaume. Le soldat se dirige vers la barrière et l’ouvre. C’est maintenant l’étape du contrôle de sécurité. Peut-être que l’eau est empoisonnée, peut-être que c’est de l’eau lourde, peut-être que c’est un engin explosif. Avec les Arabes, on ne sait jamais.

Pour passer ici, il faut de la “coordination”. Un chauffeur bédouin israélien du nord du pays affirme qu’il a de la coordination. Son camion transporte des matériaux de construction. Le chauffeur du camion-citerne nous dit que la cargaison est destinée aux colons ; le chauffeur bédouin le nie et dit que c’est pour les bergers. Mais il n’y a pas un seul berger dans ces régions qui ait l’autorisation de construire ne serait-ce qu’un muret.

Un berger allemand se réchauffe au soleil et observe les événements avec émerveillement. Un tracteur passe sans encombre ; un camion, celui qui vient de l’ouest, est retardé et son chauffeur s’assoit par terre au poste de contrôle en attendant. Mais le grotesque ne fait que commencer. Le summum est atteint lorsqu’un minibus portant des plaques d’immatriculation israéliennes arrive et déverse un groupe d’étudiants de yeshiva haredi, équipés d’un amplificateur diffusant de la musique hassidique et d’un plateau de sufganiot, des beignets de Hanoukka. Les chauffeurs palestiniens qui attendent encore n’en croient pas leurs yeux - ils pensaient avoir déjà tout vu aux postes de contrôle.

Dafna Banai, vétérane de Machsom Watch dans la vallée du Jourdain, près du barrage routier cette semaine.

Les étudiants de la yeshiva, originaires de la ville de Migdal Ha’emek, dans le nord d’Israël, font une mitzvah en distribuant des beignets envoyés par le centre Chabad de Beit She’an aux soldats à ce point de contrôle et à d’autres, au grand étonnement des transporteurs d’eau palestiniens qui ne demandent qu’à traverser et à livrer leur cargaison d’eau.

Le soldat au fusil qui nous vise mâche paresseusement son beignet, une main le tenant, l’autre sur la gâchette. Tous ensemble maintenant : “Maoz tzur yeshuati” – “O puissante forteresse de mon salut”. Le camion de nourriture pour animaux ne passe pas. Pas de coordination. Un officier portant une kippa est appelé sur les lieux et, de loin, nous prend en photo avec son téléphone.

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L’unité du porte-parole des FDI, en réponse à une question de Haaretz sur le fonctionnement irrégulier du point de contrôle : « À la suite d’un certain nombre d’événements liés à la sécurité qui se sont produits ici, la porte a été partiellement bloquée. Le passage par la porte est uniquement coordonné et est autorisé en fonction de l’appréciation de la situation opérationnelle dans le secteur ».

À quelques kilomètres au nord, on trouve des vestiges de vie sur le bord de la route. Ici, deux familles d’éleveurs de moutons ont vécu pendant des années, mais les colons des avant-postes voisins ont fait de leur vie une misère jusqu’à ce qu’ils partent, il y a deux semaines, en abandonnant leurs maigres biens. Un parc pour enfants, deux réfrigérateurs, un lit en fer rouillé, deux enclos pour animaux, quelques livres pour enfants et un dessin de chaussettes légendé par le mot chaussettes en hébreu, probablement tiré d’un livre d’école.

Dafna Banai explique que les colons ont clôturé toute la zone de la réserve naturelle d’Umm Zuka, soit quelque 20 000 dunams (2 000 hectares), afin de la débarrasser de ses bergers. C’est toujours le même système, explique Banai : d’abord, on empêche les moutons de paître et on réduit les pâturages, puis les habitants des petites communautés sont attaqués presque chaque nuit - parfois les assaillants urinent sur leurs tentes, parfois ils commencent aussi à labourer le sol au milieu de la nuit, afin de créer des “faits sur le terrain”. Tareq Daragmeh, qui vivait ici avec sa famille, n’en pouvait plus et est parti, tout comme son frère, qui vivait à côté de lui avec sa famille. Nous ne sommes pas à Gaza, mais ici aussi, les gens sont forcés de quitter leur maison sous les menaces et les agressions violentes.

Plus au nord encore se trouve une communauté de bergers bien aménagée et animée. Il s’agit d’El-Farsiya, à l’extrême nord de la vallée du Jourdain, presque à la périphérie de Beit She’an. Trois familles de bergers vivent ici et deux autres non loin de là. Deux familles sont parties. L’une d’elles est revenue après que des volontaires israéliens ont commencé à dormir ici chaque nuit après le début de la guerre, protégeant ainsi les habitants. Ils sont 30 à 40 de ces beaux Israéliens, la plupart d’un âge relativement avancé (60 ans ou plus), à se partager les quarts de travail pour protéger les Palestiniens dans la partie nord de la vallée du Jourdain, qui s’étend de la colonie de Hemdat jusqu’à Mehola. « Mais combien de temps pourrons-nous les protéger 24 heures sur 24 ? » demande Banai, qui a organisé cette force bénévole.

Yossi Gutterman, l’un des volontaires, cette semaine. « Je ne pense pas que le but de la violence des colons soit de causer des dommages en tant que tels - c’est l’usure, l’intimidation, la création du désespoir », dit-il.

Trois des volontaires descendent de la colline. Amos Megged de Haïfa, Roni King de Mazkeret Batya et Yossi Gutterman, le vétéran du groupe, de Rishon Letzion. Ils sont deux ou trois par équipe de 24 heures. King était jusqu’à récemment le vétérinaire de la Direction de la Nature et des Parcs’ ; Megged, le frère cadet de l’écrivain Eyal Megged, est un historien spécialisé dans les annales des Indiens du Mexique ; et Gutterman est un professeur de psychologie à la retraite. Il est équipé d’une caméra corporelle.

Aujourd’hui, ils reviennent d’un incident de vol de moutons à des Palestiniens, et il n’y a pas encore de volontaires pour la nuit à venir. Depuis le début de la guerre, il est devenu urgent de dormir ici, explique Gutterman. « La violence des colons est devenue une affaire quotidienne, considérée comme allant de soi, et comprend des invasions nocturnes du camp de tentes, la casse d’objets, le bris de panneaux solaires. Je ne pense pas que le but soit de causer des dommages en tant que tels - c’est l’usure, l’intimidation, la création du désespoir ».

Une famille est partie, racontent les volontaires, après que des colons de Shadmot Mehola et leurs invités du shabbat d’un internat religieux du kibboutz Tirat Zvi ont cassé le bras du père de famille. « Il y a deux semaines », explique Gutterman, « alors que trois de nos amis étaient ici, des colons ont réveillé tout le camp de tentes à 2h30 du matin avec des cris et des lampes de poche, et ont effrayé tout le monde. Ils ont ensuite commencé à labourer une parcelle de terre privée qui avait récemment été déclarée “terre abandonnée”».

Il y a moins de deux semaines, deux volontaires ont été attaqués ici. L’un a été frappé avec un gourdin et a reçu un spray au poivre dans les yeux, l’autre a reçu une pierre à la tête. « Une campagne de nettoyage ethnique est en cours ici », dit Gutterman.

Suite à un appel téléphonique, les trois hommes se précipitent vers leur voiture et se dirigent vers le nord, en direction de Shdemot Mehola. Un berger leur dit que des colons viennent de lui voler des dizaines de chèvres. La police et l’armée se rendent sur place et, avec l’aide des trois volontaires, 37 chèvres sont retrouvées et rendues à leur propriétaire. Ce ne sont pas toutes les chèvres qui ont été volées.

Pendant ce temps, les chauffeurs de tracteurs et de camions finissent de faire le plein d’eau et se dépêchent de revenir afin de passer par la même porte, qui devait rester ouverte pendant une heure. A leur arrivée, à 14h30, ils constatent que la barrière est fermée et les soldats partis. Ils ont attendu leur retour pendant quatre heures, jusqu’à 18h30. Sans doute “en raison de l’appréciation de la situation opérationnelle dans le secteur”.