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25/04/2023

HANNES HOFBAUER
Vert : c’est la nouvelle couleur de la droite en Allemagne et en Autriche

Hannes Hofbauer, NachDenkSeiten, 21/4/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Hannes Hofbauer (Vienne, 1955) est un historien, journaliste et éditeur autrichien. Depuis 1988, il travaille sur la situation sociale, politique et économique en Europe orientale et balkanique. Il avait participé en 1986 au nom de Liste alternative à l'assemblée d'unfication des groupes verts et alternatifs autrichiens d'où l'aile gauche fut écartée par l'aile droitière. Il dirige depuis 1991 les éditions Promedia à Vienne. @promediaverlag

On le voit partout, et ça se densifie. La droite politique est verte. Le brun est oublié depuis longtemps : dans les années 1950, on était chrétien-conservateur et hier, on était national. Désormais, la droite est verte. Elle réunit pour cela tous les ingrédients nécessaires : enthousiasme pour la guerre, culture de l’interdiction, prosélytisme géopolitique et culturel, affinité avec l’État autoritaire et une foule d’images de l’ennemi créées. Le terme de fascisme est inapproprié pour eux, car il contenait la promesse d’un corps de peuple commun avec une fermeture correspondante vers l’extérieur, couplée à une mise en avant de la supériorité raciale. C’est le contraire qui se produit avec la nouvelle droite. Elle le dit elle-même, ce qu’elle représente : l’ouverture au monde et l’accent mis sur la supériorité de ses valeurs forment un mélange toxique qui permet de justifier la répression intérieure et l’expansion extérieure. [réd. NDS]

 

Enthousiasme guerrier

Ce n’est pas un hasard si c’est un ministre des Affaires étrangères allemand vert [Joschka Fischer] qui, de concert avec les USA, a mis fin à l’après-guerre européen. L’attaque du 24 mars 1999 contre la Serbie par l’alliance de l’OTAN, qui venait de passer à 19 membres, a été la première campagne de la plus puissante alliance militaire contre un Etat souverain en Europe depuis 1945. Le gouvernement de coalition rose-vert de Berlin a placé l’armée de l’air allemande en première ligne. Les vieux conservateurs chrétiens avaient encore alimenté le processus de désintégration yougoslave des années 1990 avec le slogan de l’“autodétermination nationale”, mais la justification de la guerre s’est désormais orientée vers une justification verte basée sur des valeurs. Le slogan “Des bombes pour les droits de l’homme” est le premier à utiliser ce nouveau récit post-national. Au lieu de soutenir les Albanais du Kosovo pour leurs revendications d’autodétermination nationale, les belligérants verts (et bientôt d’autres) l’ont fait au nom des droits de l’homme ; le fait que les Albanais du Kosovo les considèrent comme des droits nationaux n’a pas entamé le discours vert antinational. Le résultat était de toute façon le même : le démembrement de la Yougoslavie, qui avait commencé en 1991, s’est poursuivi avec une force internationale et le Kosovo a été détaché de la Serbie. Les conséquences de cette première grande guerre en Europe depuis 1945 déterminent encore aujourd’hui la vie et la politique dans les Balkans.

Entre-temps, l’enthousiasme pour la guerre a également atteint la base des Verts, les électeur·trices vert·es se rangent comme un·e seul·e homme·femme derrière leur ministre des Affaires étrangères belliciste. L’approbation de la guerre contre la Russie n’a nécessité que quelques semaines et l’intervention militaire d’une Russie déjà désignée comme ennemie. Lors de la campagne électorale de 2021, les Verts allemands avaient encore affiché que les livraisons d’armes dans les régions en guerre n’étaient pas envisageables avec eux, mais peu après, ils comptaient parmi les plus fervents partisans de l’utilisation d’armes toujours plus récentes et toujours plus meurtrières contre la Russie. Même dans l’Autriche neutre, ce sont les Verts, qui participent également au gouvernement - ici avec les conservateurs chrétiens -, qui cultivent le plus bruyamment l’image de l’ennemi russe et ne laissent pas passer une occasion de plaider pour des sanctions plus dures contre tout ce qui est russe.

Les arguments en faveur de la prise d’armes contre la Russie ne sont plus raciaux, comme au temps de nos grands-pères - avec le récit du sous-homme slave ; la justification moderne des Verts fait appel à des valeurs grâce auxquelles ils se sentent autorisés à entrer en guerre, ou plus concrètement : à envoyer provisoirement les autres, à savoir les Ukrainiens, au casse-pipe. On leur attribue une identité qui correspond à leurs propres valeurs, mais qui n’existe pas. Il est difficile de définir en quoi consistent ces valeurs propres. Même des termes tels que diversité ne peuvent pas masquer le caractère flou de la définition d’une image verte et identitaire de l’homme. En forçant le trait et en s’exprimant sciemment de manière provocante, le Vert allemand idéal se prononce - comme son homologue autrichien - pour l’utilisation des armes contre un pouvoir qui refuse d’autoriser un couple transgenre à adopter des enfants. Le système de valeurs qui culmine dans cet exemple, certes exagéré, se veut post-politique et universaliste dans le pire sens du terme, n’admettant pas les différences culturelles ou même nationales, car l’image de l’homme est réduite à l’individu et la diversité est définie en premier lieu en fonction du sexe et de l’orientation sexuelle - éventuellement encore de l’infirmité physique. Celui qui n’est pas d’accord avec ce canon de valeurs ou qui s’y oppose même, est annulé, diffamé et dans le pire des cas, on lui fait la guerre.

Des interdictions pour un “monde meilleur”

Rappelons un exemple apparemment secondaire et presque oublié de politique d’interdiction : l’interdiction de fumer dans un nombre croissant de lieux publics. Il ne s’agit certes pas d’une question intrinsèquement verte et elle ne doit pas non plus être poilitisée. Et pourtant, la manière dont la société gère la consommation de tabac permet de mesurer le degré de liberté que le régime en place accorde aux personnes vivant sous son autorité. Au 20e siècle, les hauts et les bas d’une approche libre ou répressive du tabagisme sont clairement visibles. Alors qu’à l’époque de l’effervescence gauchiste des années 1920, la femme fumant une cigarette était presque un symbole d’émancipation féminine, à l’époque la plus sombre de l’histoire allemande, on disait : « Une femme allemande ne fume pas ». 

La femme allemande ne fume pas !

"La femme allemande ne fume pas, la femme allemande ne boit pas, la femme allemande ne se maquille pas" (affiche nazie de 1935)

 

Avec la fin de l’hitlérisme et l’avènement des révolutionnaires de 68, la cigarette ne pouvait manquer à aucune réunion ; des icônes politiques telles que Jean-Paul Sartre ou Fidel Castro tiraient sur l’inévitable cigare à la moindre occasion - jusqu’à ce que le tabagisme soit à nouveau discrédité dans les années 2000, à nouveau teintées de réaction. Le tabac été progressivement banni de l’espace public par la loi, cette fois-ci avec des arguments sanitaires. Les campagnes publicitaires chiantes de l’industrie du tabac, encore familières aux plus âgés, ont entre-temps cédé la place aux actions de relations publiques de l’industrie pharmaceutique.

Dans le cadre de la réduction de la question environnementale au fameux changement climatique, qu’il faut combattre par tous les moyens, une véritable cascade d’interdictions se déverse sur les peuples de l’UEurope, qui ne doivent bien sûr pas être nommés ainsi - pour des raisons de police linguistique. Ce sont surtout les Verts qui s’illustrent en interdisant tout ce qui va à l’encontre des définitions étranges de la “neutralité carbone” ou de la “neutralité climatique”. Cela comprend les moteurs à combustion, les chauffages au pétrole et au gaz, les voyages en avion, les maisons non isolées avec des matériaux isolants et bien d’autres choses encore. La transformation des infrastructures ainsi envisagée s’accompagne d’un discours sur l’énergie qui vante le passage du gaz, du pétrole et du charbon à l’électricité (quelle que soit la manière dont celle-ci est produite et stockée), y compris la mobilité électrique individuelle et la numérisation à grande échelle, comme des alternatives “vertes”, sans tenir compte de leur bilan énergétique ou de leur dangerosité. Ce qui reste, ce sont sans cesse de nouvelles interdictions et - ce qui va de pair - un État de plus en plus autoritaire, capable d’imposer la culture de l’interdiction. Les mesures covidiennes ont montré à chacun·e d’entre nous où une telle politique - interdictions de contact, obligations de vaccination, etc. - peut mener ; et ce sont les Verts qui, en Allemagne et en Autriche, se sont montrés les plus farouches défenseurs de ces mesures.

La campagne électorale des Verts allemands en 2021. Un slogan plus creux tu meurs : "Notre pays peut beaucoup, si on le laisse (faire). Nous sommes prêts, parce que vous l'êtes"
 

De l’image de l’ennemi à l’ennemi

La création d’images d’ennemis fait depuis toujours partie du répertoire de la politique de droite. Cela permet de délimiter parfaitement son propre récit, sa propre vision du monde par rapport à d’autres récits ou politiques et de les combattre ensuite. Aux débuts du mouvement vert, ses fondateurs Petra Kelly et Gert Bastian se sont explicitement prononcés contre de telles pratiques. Leur engagement dans le mouvement pacifiste au début des années 1980 critiquait justement le réarmement militaire de leur propre alliance nord-atlantique, dirigé aussi bien contre l’Union soviétique que contre des régimes mal vus dans le Sud global.

L’équipe dirigeante actuelle des Verts autour d’Annalena Baerbock et de Robert Habeck représente l’exact opposé de ce projet de paix des Verts. Des ennemis sont désignés partout en dehors du cercle étroit de vision. La Russie de toute façon, et pas seulement depuis le conflit ukrainien. Dès janvier 2014, donc avant le changement de régime par les forces de Maïdan à Kiev, qui a ensuite conduit à la guerre civile et plus tard à l’intervention russe, ce sont les Verts qui ont été le premier groupe parlementaire à plaider pour un boycott des Jeux olympiques de Sotchi en Russie et à le mettre en œuvre ; et ce à une époque où la CDU/CSU et Angela Merkel s’opposaient encore à une telle mesure. Seul le président allemand Joachim Gauck, un détracteur invétéré du Kremlin, a devancé le groupe des Verts au Bundestag. L’argument pour le boycott de la Russie devait alors être une loi votée auparavant à Moscou, qui rendait la publicité pour l’homosexualité punissable si elle était accessible aux jeunes. Douze ans auparavant, les Jeux olympiques s’étaient déroulés à Salt Lake City, dans l’État usaméricain de l’Utah. A l’époque, tout acte sexuel qui n’était pas destiné à la reproduction y était punissable. Même l’Union soviétique n’a pas protesté, et les officiels de la RFA n’ont pas non plus été choqués.

Outre l’image de l’ennemi russe, les Verts entretiennent également une image de l’ennemi turc et chinois. Les deux pays sont accusés d’avoir un gouvernement autoritaire. Cela a certes sa raison d’être, mais ne devrait pas conduire à un prosélytisme obsessionnel, d’autant moins que des mesures autoritaires comme la restriction de la liberté d’opinion et de la presse se répandent justement aussi dans l’UE, en particulier en Allemagne. La censure est devenue une pratique d’État au plus tard avec l’interdiction par l’Allemagne de la chaîne RT.de financée par la Russie début février 2022 - trois semaines avant l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe -, pratique qui a été poussée par les Verts. Partout où il s’agit d’éliminer des positions contraires à leur propre canon de valeurs étroitement défini, les Verts sont en première ligne. Cela a été le cas lors de l’expulsion du chef d’orchestre mondialement connu Valeri Gergijev de la Philharmonie de Munich, ainsi que lors des innombrables interdictions de manifestations et de journées commémoratives palestiniennes ou lors des interdictions d’apparition d’historiens peu appréciés comme Daniele Ganser ou de journalistes comme Ken Jebsen. La Cancel culture est devenu la marque de fabrique de la politique de droite moderne ; et les Verts poussent cette éradication à l’extrême.

La base socio-économique

La nouvelle droite verte est - comme l’ancienne - motivée par les intérêts du capital. La modification de la composition des groupes de capitaux dirigeants implique que le capital cherche de nouveaux alliés dans la société pour défendre ses intérêts et les intégrer dans un consensus social aussi large que possible. Le remplacement insidieux mais constant de l’ère industrielle par une ère cybernétique, tel que décrit par l’historienne de l’économie Andrea Komlosy dans son livre “Zeitenwende” [Changement d’époque], fait apparaître de nouveaux secteurs phares. Parmi eux, la biotechnologie, l’industrie pharmaceutique et l’industrie du contrôle. Tous les autres secteurs misent également sur des modes de production de plus en plus autogérés avec de nouvelles techniques telles que la nanotechnologie, la robotique, les procédés de production additive, les techniques cognitives et l’intelligence artificielle. Le développement de produits personnalisés et les services d’optimisation - pas seulement dans le secteur médical - constituent de nouveaux procédés qui remplacent le sérialisme de masse.

Le processus d’accumulation ainsi déclenché - et, comme nous l’avons vu à l’époque du COVID, massivement soutenu par l’État - nécessite une nouvelle base idéologique pour sa justification. Les vieilles idées de droite sont un obstacle à cet égard. L’historienne Tove Soiland a souligné que les idéologies de droite connues, basées sur les discours raciaux, les valeurs conservatrices et l’anti-égalitarisme, « sont devenues dysfonctionnelles pour les exigences de l’accumulation actuelle du capital ». Le pays a besoin de nouveaux idéologues. Dans la vision du monde des Verts, imprégnée de valeurs politiques identitaristes, ou plutôt identitaires, le partenaire idéal pour l’essor cybernétique tant attendu semble avoir été trouvé. Le qualifier de “gauche” parce qu’il a conservé des éléments d’une culture critique de la société serait une erreur, car il contient, comme nous l’avons mentionné au début, tous les ingrédients d’une pratique de droite : la haine de l’ennemi jusqu’à l’enthousiasme pour la guerre, la volonté d’éradiquer les opinions divergentes ainsi que la volonté d’assumer la responsabilité correspondante, et plus encore : le rôle de pionnier, dans une structure étatique de plus en plus autoritaire.

 

Avis de recherche : Annalena Baerbock, ministre des Affaires étrangères allemande, pousse-à-la-guerre en cheffe. "On ne peut exclure une guerre atomique". Avec son discours de haine contre les Russes et les non-russophobes, elle a détruit en un jour l'oeuvre de toute une vie de (Willy) Brandt, Genscher et Cie.

 

17/01/2023

ZAD de Lützerath : où en est l’Allemagne de la sortie du charbon ?


Les militants de la ZAD de Lützerath en Allemagne, délogés ce lundi, s'opposent à l'extension d'une mine de lignite à ciel ouvert, actée par le gouvernement en octobre dernier. Où en est l’Allemagne de ses promesses de sortie du charbon ?
Avec Anne Salles, maîtresse de conférences en études germaniques à Sorbonne-Université

16/01/2023

Lützerath : en allant au charbon, les Verts allemands ont parachevé leur trahison

La trahison des Verts allemands ne date pas d’hier : souvenons-nous de Joschka Fischer, l’ancien lanceur de cocktails Molotov en baskets (désormais, il porte des costumes sur mesure provenant de Saville Road), prenant la tête de la croisade guerrière contre la Serbie en 1999. 24 ans plus tard, avec les sinistres Baerbock et Habeck, les Grünen sont arrivés au bout de leur chemin de parjure en acceptant d’aller au charbon. Partisans de la guerre et des énergies fossiles, il ne leur reste plus qu’à changer de nom. Proposition de nouveau nom : Die Grauen, les Gris. Ci-dessous 2 articles du quotidien italien il manifesto, traduits par mes soins.- Fausto Giudice, Tlaxcala

Les Verts au gouvernement criminalisent les écologistes

Marco Bascetta, il manifesto, 15/1/2023

 

Lützerath, le nom de ce petit bourg agricole de Rhénanie-du-Nord-Westphalie restera longtemps dans la mémoire politique de la Bundesrepublik. Non seulement en raison de l'affrontement, pas vraiment pacifique, qui oppose actuellement les militants qui l'occupent et entendent le défendre jusqu'au bout face à un déploiement policier massif chargé de le dégager à tout prix pour permettre, après démolition, l'agrandissement de la mine de charbon, déjà immense, appartenant au géant énergétique RWE.

Il n'est pas facile d'expliquer comment et pourquoi dans un pays où les Verts occupent une position de premier plan au sein du gouvernement fédéral et dans un Land où ils gouvernent à leur tour, mais ici avec la CDU chrétienne-démocrate, ils soutiennent l'expulsion par la police et l'augmentation de l'exploitation minière parmi les plus néfastes pour le changement climatique. Depuis quelque temps champions d'un “réalisme politique” qui se confond avec une vocation gouvernementale qui semble l'emporter sur tout autre ordre de considérations, les Grünen revendiquent le mérite d'avoir obtenu en échange du trou de Lützerath une sortie anticipée de l'utilisation de l'énergie du charbon.

Un excellent compromis, disent les dirigeants du parti. Le fait est que, au-delà des engagements pour le futur, toujours incertains et prêts à être suspendus face à tel ou tel facteur de crise, le signal politique immédiat va dans la direction diamétralement opposée à toute voie d’opposition au changement climatique et à la dévastation du territoire, sans parler de la sensibilité environnementaliste. Ce choix est d'autant plus incompréhensible que différents centres de recherche se prononcent sur l'inutilité absolue de l'expansion minière dans la région rhénane pour les besoins énergétiques du pays.

L'invasion russe de l'Ukraine a donné un bon coup de pouce aux maîtres des combustibles fossiles et du nucléaire, de sorte qu'il n'est pas exclu qu'une fois la guerre terminée, ils en profitent pour remettre en jeu leurs immenses gisements. Dans le contexte du conflit, les Verts allemands s'étaient déjà convertis au réarmement massif de l'Allemagne et à son coût stratosphérique, tant symbolique que financier.

Parti modéré et centriste, peu enclin à s'associer à tout conflit social, plus que prudent dans ses rapports avec les grands intérêts économiques, il était inévitable que les Grünen se retrouvent sur une trajectoire de collision avec les mouvements écologistes et pacifistes, sans parler de l'exécrée Dernière Génération, ainsi que (comme cela était déjà arrivé au SPD dans les années 1960 avec la sécession des étudiants du SDS) avec sa propre organisation de jeunesse, qui se range du côté des occupants de Lützerath. Un lieu qui symbolise aujourd'hui un énorme paradoxe et qui doit être effacé avant tout pour rétablir un ordre de priorités politiques qui repoussera la crise climatique dans un arrière-plan si cosmiquement obscur et inatteignable qu'il peut être supprimé d'un coup de baguette magique.

Dans tous les cas, l'expulsion de Lützerath n'est pas une simple affaire d'heures ou de jours. Les occupants, barricadés dans des cabanes construites dans les arbres, sur les toits et dans les greniers, se sont organisés de manière à rester le plus longtemps possible sous les yeux du public, qui n'a guère de sympathie pour le géant du charbon. Au fil du temps, il est probable que la confrontation aura tendance à s'intensifier, de même que les tensions entre partis, institutions et mouvements, avec toutes leurs implications répressives.

Les mises en garde ne manquent pas et depuis des semaines, certains fulminent contre la naissance d'une supposée “RAF verte”. Depuis 1991, un groupe d'intellectuels et de linguistes de l'université Philipps de Marbourg choisit, parmi des milliers de propositions spontanées, l'Unwort de l'année, c'est-à-dire le “non-mot” ou le “mot indigne”, bref un non-sens délibéré. Pour 2022, le choix s'est porté sur Klimaterroristen, un terme souvent apposé aux militants de Last Generation et qui combine un non-sens total (qui serait terrorisé et comment?) avec une intention évidente de « criminaliser les protestations non violentes, la désobéissance civile et la résistance démocratique », telle est la motivation du jury, telles qu’elles sont pratiquées par les mouvements qui luttent contre un modèle de développement aujourd'hui généralement considéré comme insoutenable. Il s'agit en tout cas d'une tentative maladroite d'opposer la noblesse, même quelque peu utopique, des objectifs environnementalistes à l'illégalité et à la violence (imaginaire) des moyens utilisés pour les faire connaître. Avec peu de capacité, cependant, à gagner l'opinion publique. La démolition de Lützerath s'avère être un faux pas majeur, un coup définitif porté à la “diversité” déjà discréditée des Verts (avec des répercussions probables sur les prochaines élections à Berlin) et une soumission aux profits de RWE plutôt qu'un soutien nécessaire aux besoins énergétiques du pays.

 

Lützerath, 14 janvier 2023 : 35 000 manifestants selon les organisateurs, 15 000 selon la polizei



La résistance écologiste : « Les Verts nous ont trahis »

Sebastiano Canetta, il manifesto, 15/1/2023

Lors de la grande manifestation du samedi 14 janvier à Lützerath contre la mine de charbon, Greta Thunberg a également pointé du doigt les Grünen au pouvoir. Dès demain, le géant de l'énergie RWE pourra creuser la zone pour exploiter plus de 250 millions de tonnes de lignite du sous-sol : un combustible indispensable pour les cinq centrales électriques réactivées par le gouvernement Scholz. Un projet que même l'Institut économique fédéral a rejeté.

 « Dans le village de Lützerath, il y avait cinquante habitants avant la mobilisation. Aujourd'hui, nous sommes plus de 30 000 ». C'est ainsi que la jeune militante de Last Generation déchiffre la “victoire politique” de la manifestation de solidarité avec ceux qui résistent à l'expulsion de la ZAD de Garzweiler.

Pratiquant les démentis en série, les services de renseignement de la police fédérale s'attendaient à “un maximum de 8 000 personnes”, le gouvernement de Rhénanie-du-Nord-Westphalie était prêt à rejeter la manifestation comme celle de “quelques irréductibles” et le vice-chancelier du gouvernement Scholz, Robert Habeck, co-leader des Verts, est convaincu que Lützerath est “un faux symbole de la lutte pour le climat”.

Même si le “debunking” le plus autorisé vient de Greta Thunberg, qui était hier au premier rang pour dénoncer le bradage du territoire aux patrons de la Ruhr avec la complicité des Grünen, qui gouvernent à la fois l'État charbonnier et la République fédérale. « Les accords avec le géant de l'énergie RWE - propriétaire de la mine - montrent quelles sont vraiment leurs priorités. Vous êtes la preuve que le changement ne viendra pas de ceux qui sont au pouvoir, des gouvernements ou des entreprises, des soi-disant leaders. Non, les dirigeants sont ici, ce sont les personnes qui défendent Lützerath depuis des années. Les vrais leaders, c'est vous », répète la lideure mondiael de l'association Fridays For Future sous les applaudissements de milliers de militants, tandis que Greenpeace met en garde contre le risque de ne pas atteindre les objectifs de la COP-21 de Paris.

GRETA CONTRE LES GRÜNEN : il ne s'agit pas seulement d'un gigantesque problème d'image pour le ministre de l'économie Habeck et la ministre des affaires étrangères Annalena Baerbock, mais d'un véritable casse-tête politique pour l'ensemble du parti : le camp de Thunberg est officiellement soutenu par les Jeunes Verts et les trois quarts de l'électorat des moins de 30 ans. Tandis qu'à Lützerath, les médias n'ont pratiquement retenu que l'histoire de l' « affrontement violent entre les antagonistes » au centre des communiqués de la police et l'inévitable « infiltration des black blocs » imaginée par une partie des médias grand public.

LA RÉSISTANCE des milliers de militants à Lützerath était en fait pacifique hier ; elle ne peut être qualifiée de passive que parce que la police a eu du mal à poursuivre dans la boue les manifestants éparpillés sur la moitié de la mine, et parce que quelques cordons de police ont été franchis par des militants pressés par le gaz au poivre et les canons à eau. Mais les équipes de télévision se sont également heurtées au filet de la police hier. Au sujet des affrontements violents, les matraquages reçus par les manifestants, certifiés par de nombreux témoignages directs, ont été rapportée.

Hier, à 17 h 30, la nouvelle s'est répandue qu'un militant avait été transporté à l'hôpital par l'hélicoptère de secours appelé en raison de la gravité des blessures subies lors de l'expulsion, tandis que le tam-tam des militants sur les médias sociaux diffusait les dernières nouvelles en provenance de Berlin : une lettre du sigle “NRW” (l'abréviation du Land) devant le bâtiment de la représentation diplomatique de Rhénanie-du-Nord-Westphalie a été enlevée en signe de protestation. La police de la capitale a arrêté deux suspects. C'est un autre signe que le jeu du charbon ne se joue pas seulement dans la mine de la Ruhr, où, cependant, la lutte ne se termine pas avec l'expulsion de la ZAD.

« LE CHARBON EST TOUJOURS dans le sous-sol de Lützerath. Nous devons continuer à nous battre, il est encore temps. Son extraction ne contribuera certainement pas à réduire la facture énergétique des Allemands », a rappelé Greta Thunberg, marchant aux côtés de Luisa Neubauer, lideure allemande de l'association Fridays For Future. De quoi tranquilliser les partisans du retrait des deux jeunes femmes de la scène politico-médiatique.

À Lützerath, lorsque le soleil se couche, seules les lumières des projecteurs installés par la police à la mine restent allumées. La plupart des manifestants se dirigent à la queue-leu-leu vers la gare. La Demo est terminée, l'analyse du résultat commence. « Aujourd'hui, nous avons obtenu plus que ce que nous pensions », dit Charly Dietz, porte-parole d'Ende-Gelände, l'une des dizaines d'ONG du cartel de l'environnement qui sont descendues sur le terrain pour défendre le village de Lützerath, le dernier des vingt hameaux de la région que la mine de RWE a englobés ces dernières années.

C'est grâce au feu vert du tribunal régional rhénan, qui a rejeté tous les recours des écologistes et donné le feu vert aux bulldozers de RWE, que le dernier habitant de Lützerath a vendu en octobre dernier son bout de terrain, qui bloquait la démolition du hameau. Dès demain, la compagnie charbonnière pourra creuser la zone afin d'exploiter plus de 250 millions de tonnes de lignite du sous-sol : un combustible indispensable pour les cinq centrales électriques réactivées par le gouvernement Scholz après la coupure de l'approvisionnement russe. Mais seulement sur le papier de propagande ; selon les experts de l'Institut fédéral de l'économie, la destruction de Lützerath est insensée même d'un point de vue strictement comptable. Le charbon de la mine actuelle, données à l'appui, est déjà suffisant pour couvrir les besoins énergétiques de l'Allemagne.

 

28/07/2022

ULI GELLERMANN
Le verbiage dangereux de la ministre Baerbock : une « stratégie de sécurité nationale » purement otanesque

Uli Gellermann, Rationalgalerie, 15/7/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Uli (Ulrich) Gellermann (Kaltennordheim , 1945) est un journaliste, auteur et cinéaste allemand. Il anime le magazine en ligne Rationalgalerie, qui se livre à une critique quotidienne de la société allemande.

La nostalgie ("Sehnsucht"), selon le dictionnaire, est une "maladie du désir douloureux". C'est cette maladie que Mme Baerbock veut faire passer dans l'esprit des Allemands : "Nous ressentons une telle nostalgie, que nous n'avons probablement pas ressentie depuis longtemps, que ma génération n'a peut-être jamais vraiment ressentie : une nostalgie de la sécurité". Comme d'habitude, il faut traduire le langage politique en allemand. On arrive alors immédiatement à une « stratégie de sécurité nationale», à laquelle Baerbock avait donné le coup d'envoi lors d'une cérémonie de lancement en mars au ministère des Affaires étrangères.


National Security Strategy

Comme d'habitude, les bureaux des politicobureaucrates allemands copient tout ce qui est essentiel sur les USA : National Security Strategy est le terme, qui provient à l'origine de la doctrine de base de l'armée de l'air usaméricaine, l'instrument le plus agressif de la politique de prédation des USA. Le spectateur non averti pourrait se demander comment les Verts, plutôt pacifistes, en sont arrivés à la doctrine de base de l’ United States Air Force ? Or, le pacifisme pratique des Verts est terminé depuis la guerre de Yougoslavie. Mais peut-être en existe-t-il un théorique ?

L'OTAN souffre

Si l'on se penche sur le programme de base des Verts, on y trouve un fondement théorique à leur pratique : "L'OTAN souffre d'intérêts divergents en matière de politique de sécurité au sein de l'alliance, allant jusqu'à la menace militaire réciproque". Les Verts souffrent avec l'OTAN. C'est pourquoi ils continuent en écrivant à propos de l'OTAN que "du point de vue européen, elle est, à côté de l'UE, un acteur indispensable (...) qui peut garantir la sécurité commune de l'Europe". Tiens donc : L'OTAN a donc garanti la sécurité de l'Europe lors des invasions de l'Afghanistan, de l'Irak et de la Libye ? Le programme de l'AfD n'est pas plus mensonger que cela.

La stratégie nationale est transatlantique

Après une "réunion d'experts" sur la "stratégie de sécurité nationale" au Bendlerblock [siège du ministère de la Défense à Berlin, NdT], le ministère de la Défense, en accord avec le ministère des Affaires étrangères, a présenté un document qui répond à la nostalgie maladive de Baerbock : "L'alliance de défense transatlantique est le cadre d'orientation le plus important en matière de politique de sécurité pour l'Allemagne, le concept stratégique, le cadre de référence également pour la stratégie de sécurité nationale". On préfère laisser l'alliance transatlantique de l'OTAN définir la stratégie nationale.

Arrières couverts contre la Chine

L'orientation usaméricaine est tatouée sur la peau de la stratégie, ainsi lit-on dans le document : "Mais il ne faut pas non plus perdre de vue la Chine et l'évolution dans l'Indo-Pacifique, selon le groupe d'experts. Les Etats-Unis s'engageront davantage à l'avenir dans l'Indo-Pacifique". Et parce que les USA "s'engagent" dans l'Indo-Pacifique contre la Chine, les Allemands doivent assurer leurs arrières : "L'Allemagne a un rôle de pionnier à jouer en tant que colonne vertébrale de la défense européenne". C'est bien que le pionnier doive avoir une colonne vertébrale. Mais bien sûr pas dans la défense des intérêts allemands, mais en tant qu'auxiliaire de la politique étrangère usaméricaine : "La politique de sécurité, c’est plus que l'armée plus la diplomatie", dit Baerbock. Le meilleur exemple en est, selon elle, la tentative de se libérer rapidement de la dépendance aux livraisons d'énergie russes.

Gestion des conflits dans les régions voisines de l'Europe

Ceux qui pensaient que Joschka Fischer, avec son « Plus jamais Auschwitz » mensonger  à la veille de la guerre contre la Yougoslavie (1999), ne pouvait pas être dépassé ne connaissent pas Baerbock. Sa "nostalgie de la sécurité" la mène tout droit à l'Ukraine, à la "gestion des conflits dans les régions voisines de l'Europe". La ministre se laisse aller à son verbiage sur la sécurité pendant son voyage d'été ; ce voyage passe également par la vallée de l'Ahr, cette région inondée à laquelle on avait promis 30 milliards d'euros pour la reconstruction. Mais, selon Focus, « Les gouvernants laissent la région sombrer une deuxième fois - dans la marée de paperasse. Les familles qui ont quasiment tout perdu lors de la nuit de l'inondation du 14 juillet 2021 doivent se battre comme des lions pour obtenir les aides et les subventions promises par l'Etat ».

La vallée de l'Ahr n’aura pas le statut otanesque

Ainsi va le Vert, ainsi va le gouvernement sémaphore : au lieu de s’activer dans la région conflictuelle de la vallée de l'Ahr, on préfère s'occuper des régions conflictuelles européennes. Pour l'Ukraine, le gouvernement allemand a déjà autorisé des livraisons d'armes pour 350 millions d'euros. Les livraisons sont immédiates. Mais l'Ukraine doit bientôt devenir un pays de l'OTAN. La vallée de l'Ahr n'atteindra pas ce statut distingué de sitôt.

"Un an après l'inondation" : les 3 singes, Assurances, Bureaucratie, Politique, sur un char de carnaval de Jacques Tilly, installé à l'entrée du village de Dernau, pour la visite du chancelier Scholz, un an après la catastrophe.Photo Boris Rössler / DPA