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02/10/2022

CRISTINA MORINI
Ces distances abyssales entre Giorgia Meloni et nous

Cristina Morini, Effimera, 1/10/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Cristina Morini (1963) est une chercheuse indépendante et essayiste italienne, diplômée d’histoire des idées politiques (Università degli Studi, Milan) et journaliste professionnelle au sein du plus grand groupe de presse italien, Rcs Periodici (qui publie le Corriere della Sera). Elle mène depuis de nombreuses années des enquêtes sociologiques sur les conditions de travail des femmes et les processus de transformation du travail. Elle participe aux mouvements de précaires et de migrants, contribuant à l’organisation de l’EuroMayday et au journal City of God. Elle fait partie du réseau international de recherche, d'analyse et de discussion Effimera et de l'équipe de rédaction de son site ouèbe.

Continuer à évoquer l'effroi que nous cause le néofascisme interprété par Fratelli d'Italia, première force politique du pays depuis dimanche dernier, risque de lui donner force de vérité. En effet, je crois que les lectures qui aplatissent le présent sur le passé ne peuvent pas être reproposées, et nous ne pouvons pas non plus omettre le fait que le néolibéralisme a considérablement modifié les relations entre la politique et l'économie, et a donc bouleversé les caractéristiques de la gestion du pouvoir, les chaînes de commandement et les "équilibres" entre les parties.

Mais avant tout, il est important d'essayer de dire quelques mots sur le rôle joué par Giorgia Meloni, la lideure de ce parti de frères, et sur les relations entre les femmes et la droite, ainsi que sur certains malentendus qui risquent de se créer parmi les féministes. On peut dire, en effet, que la droite a atteint une sorte d'apogée insupportable ces derniers temps dans l'autovalorisation de son rôle de vecteur privilégié de l'accession des femmes au pouvoir.

Je crois aussi, et c'est certainement ce qui m'inquiète le plus, que les féministes risquent de s'égarer en se laissant embrouiller par ces discours qui ne sont que des provocations liées à des sirènes émancipatrices et surtout à des exaltations individualistes, des incarnations du pouvoir personnel et des capacités uniques de "la femme forte", une reconstitution en travesti de "l'homme fort", qui excluent "les autres" et effacent toute idée et pratique de politique collective. Des discours qui risquent donc, à mon avis, d'annuler l'héritage alternatif de la politique des femmes. Les questions ataviques au sein du féminisme remontent à la surface. Des visions qui divisent, juste quand nous avons besoin d'une perspective commune. Comme dans un retour en arrière, je me souviens qu'il y a des années, on avait remarqué le côté sombre de la féminisation du travail, c'est-à-dire l'exploitation des caractéristiques féminines, qui n'était rien d'autre que la forme extrême de la précarisation existentielle. Certains ont préféré adopter un point de vue sexiste qui a donné lieu à des attentes déformées d'un processus qui ne permettait pas du tout aux différentes énergies et potentialités féminines de s'exprimer dans le monde du travail, mais qui les exploitait dans des modèles de travail extractifs.

Robin Morgan, dans The Loving Demon, rappelle que les femmes ont toujours été des réfugiées : « Pendant des siècles, la droite a accusé les femmes d'être dangereusement radicales, tandis que la gauche les a taxées de dangereux conservatisme ». « La sous-réalité patriarcale que vivent les femmes est en soi un tiers politique. La transformation que nous recherchons exige que nous entrions dans l'histoire à notre manière et que nous nous placions audacieusement au centre ».

S'il n'y a pas de vision « de l'histoire à notre manière » et de son propre côté, mais que l'on n'est que le porte-parole des intérêts, des logiques et des ordres patriarcaux, quel genre de sujets imprévus sommes-nous ? Comment peut-on soutenir qu'une femme au pouvoir est déstabilisante, que son ascension est une réussite admirable, même si elle se débarrasse entièrement de l'appareil de pensée et de toute la symbolique de l'univers de valeurs masculin occidental se référant au féminin ? Une femme, mère, chrétienne, se déplaçant dans une communauté hétéronormative imaginée pour consolider le sentiment national et les politiques probablement racistes et sexistes.

Que Giorgia Meloni est aussi autre chose, qu'elle a derrière elle une histoire de militante et de protagoniste qui fait partie (peut-être pas assez consciente) d'elle et qu'il ne faut pas l'ignorer a déjà été bien écrit. Il faut cependant ajouter que le maternage toujours commode des institutions ou leur camouflage féminard, dans certains passages sombres de l'histoire humaine, est particulièrement utile, prévisible, résorbable, manœuvrable. Pourrait-on dire que Margaret Thatcher représentait un modèle différent, à une époque où sa présence ne suffisait même pas à garantir la consolidation d'une émancipation généralisée (un concept déjà très problématique) pour ses paires, mais exactement le contraire ? Des politiques sélectives, des dispositifs de précarisation, d'expulsion qui ont pénalisé amèrement les femmes avec l'ensemble des classes populaires anglaises. Rappelons le personnage de Katie, dans le film de Ken Loach, I, Daniel Blake. Une femme qui nettoie et ne mange pas pour économiser de l'argent et qui est peut-être obligée de faire des choix qu'elle ne voudrait pas faire pour pouvoir s'occuper de ses enfants. Elle et Daniel Blake, une excellente représentation des effets et séquelles, sur les chairs et les corps, de la politique de Thatcher. Se souvient-on de Thatcher comme d'une femme ou comme de l'expression violente d'un capitalisme qui vise à élargir ses groupes de consensus, les femmes et les jeunes, ou les homosexuels et les immigrants, selon le moment, dans le seul et suprême but de sa propre préservation ? Si l'on ne voit pas, voire si l'on nie, son propre camp, en approuvant la discrimination et le suprémacisme, on devient un simple canal pour l'ordre du discours imposé par le pouvoir masculin dominant.

Le néolibéralisme cherche à inclure les minorités de genre et sexuelles afin de favoriser les processus de subjectivation qui soutiennent le maintien des hiérarchies et la démobilisation de toutes les instances conflictuelles. Nous en étions enfin arrivés à partager certaines jonctions, essayons de nous rappeler ce qui a été dit et écrit depuis longtemps sur les processus de pinkwashing ou la gestion de la diversité.

« Au sein de systèmes de pouvoir et de relations complexes et changeants, prenons-nous le parti de la mentalité colonisatrice ou persévérons-nous dans la résistance du côté des opprimés, prêts à offrir notre propre façon de voir, de théoriser, de faire de la culture en faveur de cette tension révolutionnaire [...] dans laquelle la transformation est possible ? », demande Bell Hooks dans Praise of the Margins.

Il faut dire que le recours aux pensées et aux paroles des femmes, aux généalogies et aux luttes qui évoquent ce nouveau possible que l'homme ne voit plus, dans la crise totale de l'univers qu'il a construit, n'est pas significatif de la sensibilité transformée de nombreux auteurs masculins. Ils restent autistes, confirmation supplémentaire de l'usage instrumental qui est fait, de manière atavique, du féminin. Nous en sommes à la " promesse de reconnaissance " habituelle, soumise à des conditions hétérodéterminées, ce qui confirme le raisonnement mené jusqu'ici.

Dans tout ce "malaise du cœur qui rend notre passion plus réelle", il me semble que les jeunes de Non Una Di Meno qui sont descendues dans la rue le 27 septembre lors de la journée internationale de défense de l'avortement sont les seules à avoir les idées claires : qu’elle dégage, cette "gauche" qui ne nous représente pas, mais il faut être très vigilant·es quant aux dégâts que la fratella d’Italia pourrait causer.

Bref, nous devons vraiment repenser et reconfigurer la carte de notre résistance.

        

 

 

01/10/2022

GIANSANDRO MERLI
Non Una Di Meno lance l’opposition féministe au gouvernement à venir en Italie

Giansandro Merli, il manifesto, 29/9/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Des milliers de femmes dans les rues de Rome, Milan et de nombreuses autres villes pour défendre l'interruption volontaire de grossesse. « Nous craignons que de plus en plus d'obstacles soient placés devant les femmes qui souhaitent avorter. Par exemple avec une forte présence de “pro-vie” au sein des hôpitaux », explique Marta Autore, de NUDM [Non Una Di Meno, Pas Une De Moins, mouvement féministe transnational né en Argentine, qui a essaimé dans toute l’Amérique latine et en Europe du Sud, NdT]

« Ils demandent où sont les féministes. Nous voilà. Nous sommes là », crient-elles au micro. La place répond avec un rugissement : ce “Nous sommes furieuses” qui a appelé à la manifestation n'est pas seulement un slogan. Le cri part du centre géographique de la capitale, à quelques pas de la gare Termini, mais c'est le même qui gronde sur les 16 autres places qui ont vu des manifestations organisées par le mouvement Non Una di Meno (NUDM), de Vérone à Palerme.


Rome, manifestation de NUDM pour la défense de l'avortement libre et gratuit- Photo Cecilia Fabiano

La Journée internationale pour l'avortement libre, sûr et gratuit, qui a été pendant des années l'occasion pour les femmes de se mobiliser, a une signification plus importante trois jours après les élections politiques remportées par la droite. On ne connaît pas encore les noms de l'équipe gouvernementale ni les principaux dossiers sur lesquels elle voudra intervenir, mais il n’y a pas besoin d'un météorologue pour savoir de quel côté le vent souffle.

Giorgia Meloni a répété qu'elle ne modifiera pas le texte de la loi 194 mais qu'elle s'engagera à la mettre en œuvre intégralement en « garantissant les droits de celles qui ne veulent pas avorter ».

« En attendant, nous ne lui faisons pas confiance », di Marta Autore, de NUDM Rome, « et nous craignons que de nouveaux obstacles se dressent devant les femmes qui veulent avorter. Par exemple, avec une forte présence de “pro-vie” dans les hôpitaux, comme l'a proposé Fratelli d’Italia en Ligurie il y a quelques heures ».


En Italie, le problème n'est pas de garantir le droit de ne pas avorter, mais le contraire. En raison des limites de la loi 194 et parce qu'elle est largement ignorée par une objection de conscience répandue : la moyenne nationale est de 70 %, mais dans certains établissements, elle dépasse 80 % ou atteint le total des gynécologues, des anesthésistes et du personnel non médical. « Nous ne pouvons pas permettre que l'avortement soit réservé à celles qui ont les moyens économiques de se rendre dans des établissements publics éloignés ou de se réfugier dans des cliniques privées », disent-elles sur le podium.

Pendant ce temps, la place se remplit et déborde. Plusieurs milliers de personnes partent en procession. Il y a des femmes aux cheveux blancs et des filles aux cheveux teints en vert ou en rose. Des hommes avec des hauts et du rouge à lèvres. Des personnes ayant une identité fluide ou en transition. L'opposition au projet de société de la droite est politique, mais aussi anthropologique. Surtout chez les plus jeunes.

« Nous avons un peu peur du prochain gouvernement, mais nous avons foi dans la solidarité entre les personnes. Aujourd'hui, nous voulons envoyer un message pour défendre la liberté de décider de notre corps », déclarent Eva et Erica. Elles fréquentent le lycée classique Albertelli. Elles ont 16 et 17 ans. Ce n'est pas la première fois qu’elles descendent dans la rue avec NUDM.

Les voix de rappeuses et de trappeuses féministes, notamment d'Amérique latine, résonnent fort depuis le camion. « Soy como las otras / hartas de andar con miedo”, chante l'Argentine Sara Hebe. “Je suis comme les autres / fatiguée d'avoir peur» Notes et mots restituent une trame commune, symbolique mais aussi organisationnelle, que les mouvements transféministes ont tissée ces six dernières années d'un bout à l'autre du globe. Des pancartes écrites en anglais et en espagnol sont brandies au plafond : "Bans off my body", "Mind your uterus", "Ni Una Menos". Des phrases d'accroche qui font écho aux combats des femmes usaméricaines et latino-américaines. Sans place pour les nationalismes anciens ou nouveaux.

« Il y a un conflit mondial sur les droits des femmes et des personnes Lgbtqia+. D'une part, un mouvement réactionnaire qui unit la Cour suprême usaméricaine au gouvernement polonais, via les droites européennes. De l'autre, une vague transféministe qui, de l'Argentine au Mexique, en passant par le Chili et l'Italie, se bat pour changer radicalement la société », explique Autore.

Dans le cortège se trouvaient également des femmes de centre-gauche : Laura Boldrini (certaines manifestantes ont protesté contre sa présence), Monica Cirinnà, Marta Bonafoni. Et puis celles du Kurdistan turc et syrien et de l'Iran. Ces derniers jours, elles ont manifesté avec NUDM pour soutenir le soulèvement dans leur pays.

Des milliers de personnes manifestent également à Milan. « Nous voulons bien plus que la 194 : revenu universel d'autodétermination, éducation sexuelle dans les écoles, abolition de l'objection de conscience [anti-avortement] », affirment les militantes. Des manifestations ont également eu lieu à Turin, Bologne, Naples, Reggio Calabria et dans de nombreuses autres villes plus petites. L'opposition féministe est déjà en marche.


Turin

Milan

30/09/2022

La déclaration d’amour d’une blonde british : « Giorgia Meloni n'est pas d’extrême-droite : elle ne fait que dire ce que nous pensons tous »
Allison Pearson se lâche

Je n'ai pas pu résister à l’envie de traduire ce morceau de bravoure tonitrué dans le très conservateur
Daily Telegraph de Londres. Son auteure est la très blonde Allison Pearson, 62 ans, célèbre chroniqueuse et chief interviewer” du quotidien. Bien que déclarée en banqueroute par la Haute Cour de Justice en 2015, elle finira bien par être anoblie par son bon roi Charles III.-FG

Allison Pearson , The Daily Telegraph, 28/9/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Quand j'écoute le nouveau premier ministre italien parler, j'entends les valeurs conservatrices dominantes que des millions de personnes partagent

La fougueuse femme de 45 ans est devenue la première femme Premier ministre d'Italie, un triomphe personnel majeur dans une culture encore notamment machiste [sic]. Photo : Alessia Pierdomenico/Bloomberg

Lors d'un meeting en 2019, Giorgia Meloni, leader du parti des Frères d'Italie, a cité GK Chesterton. L'écrivain anglais, théologien et sage fortement moustachu paraissait un choix improbable pour le paroxysme d'une oration passionnée par une petite blonde italienne fougueuse. Mais ça ne l’est peut-être pas. Chesterton était connu comme « l'apôtre du bon sens ».

« Les feux seront allumés pour témoigner que deux et deux font quatre. Des épées seront tirées pour prouver que les feuilles sont vertes en été. Cette heure est arrivée. Nous sommes prêts », cria-t-elle avec son épais accent ouvrier romain. 


Le public s'est emballé. Une partie du discours de Meloni est devenue virale. « Ils veulent nous appeler parent 1, parent 2, genre x, citoyen x, avec des numéros de code. Mais nous ne sommes pas des numéros de code… et nous défendrons notre identité. Je suis Giorgia. Je suis une femme. Je suis une mère. Je suis italienne. Je suis chrétienne ! » Certains DJ, mécontents du point de vue de Meloni sur le mariage gay, ont samplé ses paroles et ont mis un rythme disco derrière eux pour la diaboliser.

Ça s'est retourné contre eux. La chanson est devenue un succès dans les clubs italiens et a grimpé dans les hit-parades : loin de discréditer Meloni, elle n'a fait que stimuler sa popularité.

Cette semaine, cette blonde fougueuse de 45 ans est devenue la première femme Premier ministre d'Italie, un triomphe personnel majeur dans une culture encore notamment machiste. Mais les gros titres ont tous mis l'accent sur Giorgia Meloni comme étant « d'extrême droite ». 

« La femme la plus dangereuse d'Europe », a averti le magazine allemand Stern. Meloni avait même bouleversé Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne. Répondant à la question de savoir s'il y avait des inquiétudes concernant les prochaines élections en Italie, un sourire saint von der Leyen a répondu, avec un sourire suffisant et moralisateur : « Si les choses vont dans une direction difficile, j'ai parlé de la Hongrie et de la Pologne, nous avons des outils. » [sic et resic]

Ils appellent Giorgia Meloni fasciste, mais c'est l'impeccablement libérale von der Leyen qui se comporte comme telle.

Nous avons des outils. C'est parler comme une vraie totalitaire. À qui feriez-vous confiance lorsqu'il s'agit de respecter une décision démocratique ? Le premier dirigeant élu de l'Italie depuis quatorze ans, une mère célibataire issue d'un foyer pauvre, ou un ministre de la défense allemand défaillant, le produit d'une élite aisée qui a été intégrée dans le qui a été propulsé à la tête de l'UE sans un seul vote ?  

Bien que les origines fascistes du parti de Meloni suscitent des inquiétudes valables, ce que j'entends quand je l'écoute sont des valeurs conservatrices dominantes. Voici une politicienne qui s'exprime au nom de la famille et de la nation. Elle s'oppose à la mondialisation qui transforme les hommes et les femmes en unités de consommation sans visage. Elle dit oui à la sécurisation des frontières et non à la migration de masse, oui à l'identité sexuelle et non aux spaghettis alphabétiques [reresic] de la politique de genre.

Pourquoi ces vues de millions de gens ordinaires sont-elles maintenant appelées « d'extrême droite » ? C'est parce que la gauche, tout en échouant systématiquement dans les urnes, a pris le contrôle de la nomenclature politique. Ainsi, ils sont les seuls à pouvoir décider qui est vertueux et qui est Boris Johnson. Pendant deux ans et demi, ils ont appelé Boris “d’extrême-droite”, puis ils ont eu droit à Liz Truss.

“Extrême-droite” se traduit maintenant par « quelqu'un avec qui je ne suis pas d'accord et qui n'est donc pas quelqu'un de bien ». Reportant pour Channel 4 News sur les récents affrontements à Leicester entre des groupes d'hindous et de musulmans, Darshna Soni a attribué la violence à « la politique idéologique de droite importée du sous-continent [indien] ».

Ça a changé de blâmer le Brexit, je suppose.

Deux groupes religieux avec de fortes affiliations tribales, qui vivent ici mais se détestent toujours, ce n'est pas une histoire confortable pour ceux qui ont une vision gauchiste. Faites venir le monstre de  « l'extrême-droite » ! 

Et donc, à la suite de cette appropriation orwellienne de la « vérité », nous avons une société dans laquelle Sir Keir Starmer, le dirigeant travailliste, déclare qu'il est prêt pour le gouvernement mais ne peut pas dire ce qu'est une femme parce que croire au sexe biologique n’est pas à la mode.

Une société où une « organisation caritative » appelée Sirènes donne des bandages de poitrine aux jeunes filles confuses, à l'insu de leurs parents, et toutes les meilleures âmes pensent que soutenir cette association, c’est faire preuve d'une tolérance merveilleuse plutôt que de la plus grande cruauté et stupidité. Une société où les mères qui allaitent leurs nouveau-nés sont appelées “ chest-feeders” [litt. “nourrisseurs par la poitrine”] parce que certains membres du NHS [National Health Service, Service public de santé] s'inquiètent que le fait d'appeler une mère une mère offense l'orthodoxie dominante.

Si donner tous ces exemples fait de vous des méchants “d’extrême-droite”, alors tant pis. Sono Giorgia Meloni. Je suis une femme. Je suis une mère.

« Les feux seront allumés pour témoigner que deux et deux font quatre Il nous restera à défendre les vertus et les sanités incroyables de la vie humaine. » Bien vu, G. K. Chesterton, Monsieur. Il nous reste en effet à défendre le bon sens comme si la vie de nos enfants en dépendait, ce qui est plutôt le cas.

Des millions d'entre nous sont d'accord avec Giorgia Meloni, et nous ne sommes pas d’extrême-droite. Juste de droite.*

NdT

Cette dernière phrase a un double sens en anglais, intraduisible : “just right”, juste de droite, mais aussi “nous avons raison”

 

 

29/09/2022

FRANCO “BIFO” BERARDI
Gérontofascisme
L'Alzheimer de l'histoire, 1922-2022

Franco « Bifo » Berardi, Nero Editions, 27/9/2022
Images d'Istubalz
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Comme par un sortilège, à l'expiration du centième anniversaire de la Marche sur Rome, les descendant·es direct·es de Benito Mussolini s’apprêtent à gouverner l’Italie. Gouverner est un mot exagéré. Personne ne peut gouverner le déchaînement des éléments telluriques, psychiques et géo-psycho-politiques.

Giorgia Meloni, secrétaire de Fratelli d’Italia, sera la première femme présidente du conseil de l'histoire italienne.

Le fascisme est partout sur la scène italienne et européenne : dans le retour de la fureur nationaliste, dans l'exaltation de la guerre comme seule hygiène du monde, dans la violence anti-ouvrière et antisyndicale, dans le mépris de la culture et de la science, dans l'obsession démographico-raciste qui veut convaincre les femmes de faire des enfants à la peau blanche pour éviter le grand remplacement ethnique et parce que si les berceaux sont vides, la nation vieillit et décède, comme Il dit.

Toutes ces ordures sont de retour.

C'est du fascisme ? Pas exactement. Celui de Mussolini était un fascisme futuriste, exaltation de la jeunesse, de la conquête, de l'expansion. Mais cent ans plus tard l’expansion est terminée, l'élan conquérant a été remplacé par la crainte d'être envahis par les migrants étrangers. Et à la place de l'avenir glorieux, il y a la désintégration en cours des structures qui ont rendu la civilisation possible.

« Soleil qui te lèves libre et fécond / Tu ne verras aucune gloire dans le monde / Plus grande que Rome », disait la rhétorique nationaliste du siècle dernier.

Maintenant, le soleil fait peur parce que les rivières sont à sec et les forêts brûlent.

Ce qui avance, c'est le gérontofascisme : le fascisme de l'époque sénile, le fascisme comme réaction enragée à la sénescence de la race blanche. 

Je sais bien que même un peu de jeunes (pas beaucoup) ont voté pour Melons, mais l’âme de cette droite est en proie à une sorte de démence sénile, un oubli des catastrophes passées qui semble provoqué par la maladie d'Alzheimer.

Le gérontofascisme, agonie de la civilisation occidentale, ne durera pas longtemps.

Mais dans le court laps de temps où il sera au pouvoir, il pourrait produire des effets très destructeurs. Plus qu'on ne peut l'imaginer.

L’identité nationale est une superstition à laquelle les citadins n'ont jamais cru, mais qui est imposée par une minorité influencée par le romantisme le plus réactionnaire.

Qu'est-ce qu’a été le fascisme historique ?

Petite leçon d'histoire italienne. 

Italie est un nom féminin. Depuis la Renaissance, les cent villes de la péninsule vivent leurs histoires sans se penser comme une nation, mais plutôt comme des lieux de passage, de résidence, d'échange.

La beauté des lieux, la sensualité des corps : l’auto-perception des habitants de la péninsule des cent communes est féminine jusqu'à ce que déboule l’austère fanfare de la nation. Au cours des siècles qui ont suivi la Renaissance, la péninsule est une terre de conquête pour les armées étrangères, mais le peuple se débrouille.

« France ou Espagne, pourvu qu’on bouffe. »

Le pays est en déclin, mais certaines villes prospèrent, d'autres s'en sortent.

Vient ensuite le XIXe siècle, un siècle rhétorique qui croit à la nation, mot mystérieux qui ne veut rien dire. Le lieu de naissance, ou l’identité fondée sur le territoire que nous avons en commun ?

L’identité nationale est une superstition à laquelle les citadins n'ont jamais cru, mais qui est imposée par une minorité influencée par le romantisme le plus réactionnaire. Les Piémontais, ls montagnards présomptueux succubes de la France prétendent que les Napolitains, les Vénitiens et les Siciliens acceptent de se soumettre à leur commandement. Le Sud est alors conquis et colonisé par la bourgeoisie du Nord : vingt millions d'Italiens méridionaux et vénitiens émigrent entre 1870 et 1915. En Sicile se forme la mafia qui, au début, est l'expression des communautés locales pour se défendre des conquérants, puis deviendra une structure criminelle de contrôle du territoire. La question du Sud en tant que colonie n'a jamais pris fin : aujourd'hui encore, le Sud continue de sombrer, même si les villes (Palerme, Naples) vivent une vie extra-italienne, cosmopolite.

Pendant les guerres d'indépendance, un jeune homme nommé Goffredo Mameli a écrit les paroles de Fratelli d’Italia, qui est devenu l'hymne national. 

Ce n'est pas un très bel hymne : une congerie de phrases rhétoriques bellicistes et esclavagistes. Mameli est mort très jeune, et il ne mériterait pas d'être encore exposé aux railleries de quiconque écoute cette petite musique qui essaie d'être mâle et, au lieu de ça, fait rire.

Les poses guerrières réussissent mal parce que les habitants des villes italiennes ont toujours été trop intelligents pour croire en la mythologie de la nation. Ce sont des Vénitiens, des Napolitains, des Siciliens, des Romains, des Génois, des Bolognais… avec ça, on a tout dit. Seule la bourgeoisie piémontaise, qui, permettez-moi de le dire, n'a jamais été très brillante, peut croire à cette fiction vert-blanc-rouge.

Puis viennent les grandes épreuves du nouveau siècle, le siècle de l'industrie et de la guerre. Il faut devenir compétitif, agressif, fini de faire les femmelettes.

En 1914, alors que la Serbie et l’Autriche entrent en guerre, la polémique fait rage entre interventionnistes et non-interventionnistes. Les futuristes, piètres intellectuels, s'agitent sur la scène. 

Mépris de la femme, la guerre seule hygiène du monde crie le très mauvais poète Marinetti dans son Manifeste de 1909. 

A bas l’Italiette ! crient les étudiants interventionnistes pour convaincre les Siciliens et les Napolitains d'être italiens et d'aller se faire tuer à la frontière avec l’Empire austro-hongrois qui, pour les Napolitains et les Siciliens, ne signifie rien.

L'histoire de la nation italienne est une histoire de trahison systématique.