crimethInc., 17 /6/ 2024
Traduit par Layân Benhamed,
édité par Fausto
Giudice, Tlaxcala
En décembre 2023, Javier Milei est arrivé au pouvoir en Argentine, introduisant des mesures radicales d’austérité et de déréglementation. En promettant d’écraser les mouvements sociaux au nom d’un capitalisme débridé, son administration ouvre la voie à un effondrement social complet et à l’émergence d’une narco-violence à grande échelle. Dans le récit qui suit, notre correspondant dresse un tableau saisissant des forces et des visions rivales qui se disputent l’avenir de l’Argentine, dont le point culminant le plus récent ont été les affrontements du 12 juin, lorsque des manifestants militants ont affronté près de trois mille policiers encerclant un congrès barricadé.
Instantanés
Fin janvier 2024, mouvements sociaux, assemblées de quartier et organisations de gauche se rassemblent devant le congrès pour protester contre le paquet massif de réformes néolibérales qui y sont débattues. L’État répond en mobilisant des milliers de policiers. On peut voir un officier se promener en arborant en écusson un drapeau de Gadsden « Ne me marchez pas dessus » sur sa veste.
Quelques jours plus tard, Sandra Pettovello, ministre du « Capital humain », refuse de rencontrer les organisations sociales pour discuter de la distribution d’aide alimentaire aux milliers de comedores populares (soupes populaires de quartier). S’inspirant de Marie-Antoinette, elle déclare : « S’il y a quelqu’un qui a faim, je le rencontrerai en tête-à-tête », mais sans l’intermédiaire des organisations sociales.
Le lendemain, des milliers de personnes acceptent son offre, faisant la queue devant son ministère. Elle refuse de les rencontrer.
Ursula est interviewée en direct par un journaliste d'une chaîne pro-gouvernementale. « Je suis veuve, je reçois une aide du gouvernement et je vis avec ma mère, qui est à la retraite. » Elle raconte qu'elle a trois filles, dont l'une se tient dans la rue, dans le froid, à côté d'elle pendant l'interview. Elle dit avoir récemment perdu son emploi. Alors qu'elle explique qu'elles tentent de survivre en vendant des paquets d'autocollants dans la rue, elle fond en larmes devant sa fille adolescente.
Quelques minutes avant l'interview d'Ursula, une autre femme avait été interviewée dans la rue. « J'ai trois boulots pour joindre les deux bouts. » Aucune des deux n'a mentionné les décisions politiques et économiques qui les ont conduites à ces situations.
Le coût de la vie a explosé. L’inflation est désormais « sous contrôle » – si l’on peut qualifier de sous contrôle un taux d’inflation mensuel de 9 % – uniquement parce que la demande des consommateurs s’est effondrée. Le coût des services publics, des médicaments et des produits alimentaires de base a explosé avec des augmentations de prix bien supérieures à 100 % dans toutes ces catégories. Dans le même temps, les contrats de location ont été complètement déréglementés.
Le résultat n'est pas surprenant. La valeur réelle des salaires s'effondrant, les ventes sont en chute libre. Ce ne sont pas seulement les fonctionnaires, stigmatisés par les ultralibéraux comme des «parasites vivant aux crochets de la société», qui perdent leur emploi. Les petites entreprises et les usines ferment les unes après les autres. Au cours du mois de mai, 300 000 «comptes salaires», comptes bancaires utilisés exclusivement pour recevoir les salaires mensuels, ont été fermés.
Dans une usine de la province de Catamarca, les travailleurs n'ont pas accepté la perte de leur poste de travail. Les 134 travailleurs de l'usine textile Textilcom, soupçonnant la fermeture imminente de celle-ci, ont occupé l'usine en guise de résistance contre la fermeture et comme moyen de pression pour s'assurer qu'ils ne seraient pas privés de leurs arriérés de salaire.
Mais même ici, les travailleurs qui mènent des actions collectives, qui occupent une usine et qui subissent les conséquences concrètes de la logique capitaliste du marché, mettent un point d’honneur à se distancer des chômeurs, des travailleurs informels et des personnes marginalisées qui constituent la majeure partie des mouvements sociaux. « Nous ne dépendons pas de l’aide de l’État, nous ne voulons pas d’aide, nous ne sommes pas comme les piqueteros. »
Un inconnu affronte le président Milei dans la rue en criant : « Les gens n'arrivent pas à joindre les deux bouts ! »
Milei répond : « Si les gens ne parvenaient pas à joindre les deux bouts, ils mourraient dans les rues, donc c'est faux. »
Même la presse pro-gouvernementale et de droite qualifie sa déclaration de « méprisable ».
En même temps, les organisations sociales dénoncent le refus du ministère du Capital humain de distribuer plus de cinq mille tonnes de produits alimentaires. Le ministère accuse le vaste réseau de soupess populaires gérées par les organisations sociales de pratiquer l'extorsion et affirme qu'un audit a révélé que la moitié de ces soupes populaires n'existent pas, alors que toute cette nourriture pourrit dans leurs entrepôts.
Un juge ordonne au gouvernement de commencer à distribuer la nourriture. Plutôt que d'obtempérer, celui-ci fait appel de la décision judiciaire.
Pendant ce temps, 49 % du pays vit dans la pauvreté, et 11,9 % de la population vit dans l’extrême pauvreté, définie comme « les personnes incapables de subvenir à leurs besoins alimentaires de base ».