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09/04/2022

FAUSTO GIUDICE
Boutcha, un Timişoara du XXIème Siècle

 Fausto Giudice, BastaYekfi, 9/4/2022

Le 1er avril 2022, le maire de Boutcha, une banlieue résidentielle de 36 000 habitants au nord-ouest de Kiev, annonce que la ville a été « libérée » la veille 31 mars des occupants russes. Simultanément, la police ukrainienne annonce qu’elle y a lancé la chasse aux « saboteurs » et aux « agents russes déguisés en civils ». Le 2 avril, l’avocat ukrainien Ilya Novikov publie sur sa page facebook une vidéo provenant d’une page ukrainienne sur Telegram, d’une minute neuf secondes montrant un convoi de blindés ukrainiens se déplaçant sur une rue de Boutcha. On peut compter douze corps, dont un a les mains liées dans le dos avec un bandeau blanc.

Dans les heures qui suivent, l’ensemble de la « socialmediasphère », puis des médias traditionnels, se déchaîne. « Les Russes ont commis des crimes de guerre à Boutcha, ils ont massacré 300 civils ». Personne n’a vu 300 cadavres. Certaines photos montrent des sacs noirs censés contenir des corps. On veut bien croire qu’ils contiennent des morts, mais cela ne nous dit pas quand et comment ils sont morts.  Les photos, les vidéos se succèdent dans un chaos total : un même corps apparaît sur diverses photos à des endroits différents. Des corps apparaissent, disparaissent, réapparaissent avec des détails différents. Certaines photos montrent des corps aux mains attachées dans le dos, d’autres avec un brassard blanc au bras. Durant le mois pendant lequel des troupes russes ont occupé Boutcha et les localités avoisinantes, les civils étaient encouragés à arborer des brassards blancs pour afficher qu’ils étaient des civils non hostiles. Les civils, militaires et paramilitaires ukrainiens portaient, eux, des brassards bleus. Les militaires russes auraient donc, selon le récit dominant, tué des civils qui ne leur étaient pas hostiles. Ils sont donc aussi fous que leur chef, Poutine, le Grand Satan de 2022.

Après et en même temps que les médias et réseaux sociaux, les politiciens entrent dans la danse : Joe Biden, Ursula von der Leyen, Josep Borrell, tous dénoncent le « crime de guerre de Boutcha ». La Russie est exclue du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Zelensky, le « serviteur du peuple », héros sempityernel d’un feuilleton sans fin, réclame un « Tribunal de Nuremberg pour Poutine ». Et enfin, voilà le pape himself qui, dans une scène digne de Nanni Moretti, brandit et embrasse un drapeau ukrainien « provenant de la ville martyre de Boutcha », au cours d’une cérémonie où il remet des œufs de Pâques à des enfants ukrainiens. Aucun média ayant publié des photos ou la vidéo de la scène n’a expliqué ce qui était écrit sur le drapeau : «4ème Centurie cosaque de Maidan ». La centurie (« sotnya») était l’unité de base des troupes cosaques des diverses armées dans lesquelles elles ont servi. Durant ce que Radio Free Europe baptisa « l’Euromaidan » de 2013-2014, le service d’ordre organisé par le politicien, au départ néonazi puis girouette, Andriy Paroubiy, était structuré en groupes portant de tels noms poétiques évoquant le « glorieux passé » ukrainien, autrement dit le combat contre le « judéo-bolchevisme ».

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 Monument local à Mikhaïl Boulgakov, écrivain russe (1891-1940) né à Kiev, qui passait ses vacances dans la datcha familiale à Boutcha

 

06/04/2022

JORGE MAJFUD
La Russie et l'OTAN : le jeu le plus dangereux du monde

Jorge Majfud, 5/4/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Alors que, d'une part, les grands médias du monde entier reproduisent inlassablement les images horribles de centaines de cadavres éparpillés à Boutcha, en Ukraine, d'autre part, ils attisent le feu d'une escalade de la guerre qui pourrait conduire à un holocauste nucléaire dans les mois à venir.

        

"Crevez, porcs impérialistes !"-Tasos Anastasiou, Grèce

Quel que soit l'auteur de ce massacre (il semble le plus probable qu'il s'agisse de soldats russes), il restera dans les annales de l'histoire comme un crime impardonnable. Mais je pense que la fumée obscurcit l'horizon. Vous ne voyez pas d'où nous venons et, pire, vous ne voyez pas où nous allons. Bien que je l'aie répété dans différents médias depuis bien avant la guerre, faux ou pas, j'insisterai sur ces deux côtés de la route que le feu ne nous laisse pas voir.

Commençons par une question simple et plus immédiate : au lieu de poursuivre le jeu interminable, dangereux et notoirement futile des sanctions arbitraires, pourquoi ne pas imposer l'obligation de négocier une résolution du conflit entre la Russie et l'OTAN une fois pour toutes et avant que plus d’innocents meurent ?

Une solution raisonnable serait la dissolution de l'OTAN en échange du retrait de la Russie d'Ukraine, mais elle serait qualifiée de radicale. Les patrons du business ne négocient pas.

Il existe de nombreuses autres options, dont la plus évidente et la plus pragmatique, à savoir le statut de neutralité de l'Ukraine (avec une autonomie provinciale du Donbass), par laquelle il faut commencer au lieu de provoquer la Russie en intégrant l'Ukraine à l'OTAN et en déployant des missiles à quatre minutes de Moscou.

La neutralité ou la non-adhésion à l'OTAN a toujours été le cas pour l'Autriche, la Finlande, la Suède et d'autres pays voisins, dont certains viennent d'exprimer la possibilité d'adhérer à l'OTAN, montrant ainsi où vont les affaires des vieux marchands de guerre et démontrant, une fois de plus, que, pas seulement en Amérique latine, la lutte contre le communisme n'était rien de plus que l'excuse parfaite pour maintenir la domination géopolitique et protéger les intérêts des entreprises, des classes et du capital.

Que comptent-ils faire, si ce n'est étendre toujours plus la militarisation dans un monde, maintenant qu'ils n'ont plus l'excuse du communisme et, plus récemment, du terrorisme islamique, qui, rien qu'en Afghanistan, a laissé huit mille milliards de dollars de profits aux grandes entreprises spécialisées dans la "sécurité" ?

Pensent-ils qu'une Russie entourée de cette organisation anachronique et mafieuse qu'est l'OTAN rendrait l'Europe et le monde plus sûrs ?

Il faut être sous l'emprise de l'alcool pour oublier que nous parlons de l'une des deux superpuissances atomiques et imaginer une telle stupidité. Ou la méchanceté du crime organisé. S'il s'agissait vraiment de "sécurité", s'ils étaient vraiment sincères quant au "droit de se défendre" dont disposent les pays, ils n'auraient jamais essayé de briser cet ordre qui, à en juger par la guerre en cours, n'a pas rendu le monde plus sûr, mais bien le contraire. Et encore moins l'Ukraine.

Bien sûr, ceux qui ont ce pouvoir de négociation ne sont pas aspergés du sang des Russes et des Ukrainiens mais, au contraire, font leurs affaires. Il faudra donc peut-être quelques semaines, voire quelques mois, pour qu'ils cessent de verser des larmes de crocodile sur leur whisky et se mettent à négocier sérieusement.