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09/06/2023

FAUSTO GIUDICE
Annecy : un amok “au nom de Jésus-Christ”

Fausto Giudice, Tlaxcala, 9/6/2023

Amok, ce mot venant du terme malais amuk signifiant “rage incontrôlable”, désigne des actes commis par des personnes -généralement des hommes - prises soudainement de folie meurtrière et se livrant à des attaques à l’arme blanche contre des individus pris au hasard d’une course finissant généralement par la mise à mort ou le suicide du meurtrier. Cette forme extrême de décompensation suicidaire, observée en Malaisie et dans d’autres pays, a fait l’objet d’innombrables études ethnologiques et psychiatriques, d’œuvres littéraires – de Rudyard Kipling à Romain Gary en passant par Stefan Zweig – et de films (au moins 9 depuis 1927).


Ce qui s’est passé au bord du lac d’Annecy le jeudi 8 juin 2023 est un cas typique d’amok : Abdelmasih Hannoun, un Syrien de 31 ans, a poignardé 4 petits enfants sous les yeux de leurs mères horrifiées puis deux personnes âgées. Un jeune homme de 24 ans, Henri, qui passait par là, a tenté de l’arrêter avec son sac à dos mais n’y est pas parvenu. Il n’en fallait pas plus pour que cet étudiant en marketing, qui est en train de faire un tour de France des cathédrales, devienne « le héros au sac à dos » des réseaux dits sociaux. La police, alertée, est intervenue, mettant fin à la course folle, sans tuer l’agresseur, mais en lui tirant dans les jambes.

« En l’état on n’a pas d’éléments qui pourraient nous laisser entendre qu’il y a une motivation terroriste », a déclaré la procureure d’Annecy Line Bonnet-Mathis au cours d’un point de presse sur place, 6 heures plus tard. L’agresseur n’étant sous l’effet ni d’alcool ni de stupéfiants, l’enquête s’oriente donc sur ses antécédents psychiatriques et son état psychologique. Les enquêteurs n’ayant sans doute lu ni Stefan Zweig ni Émile Durkheim, auront fort à faire pour expliquer l’amok.

Au fil des heures, des détails ont émergé sur Abdelmasih Hannoun [traduction littérale : Esclave miséricordieux du Messie] : réfugié en Suède où il s’est marié avec une femme de nationalité suédoise de Trollhättan connue en Turquie, ce chrétien syriaque (“assyrien”) originaire de Hassaké, dans le nord-est de la Syrie, a passé une dizaine d’années en Suède avant de divorcer et de quitter le pays. Il a déposé des demandes d’asile en France, en Italie et en Suisse avant de voir sa première demande d’asile en Suède finalement acceptée le 26 avril 2023, ce qui a entraîné le rejet de sa demande en France, notifié le 4 juin. Ayant obtenu un titre de séjour permanent en Suède en 2013, il avait fait une demande de naturalisation suédoise à partir de 2017, qui a été rejetée trois fois, bien qu’il ait un enfant, aujourd’hui âgé de 3 ans, et qu’il étudie pour devenir infirmier.

Lors de son amok, ce serviteur du messie a crié deux fois : « In the name of Jesus Christ ». Il arborait une croix et avait sur lui, à part son couteau, un livre de prières. Les policiers ne lui donc pas tiré dans la tête, ce qui aurait très certainement été le cas s’il avait crié « Allahou Akhbar ». Ce qui aurait évité à Monsieur Darmanin de se casser la tête sur les “coïncidences troublantes” et calmé “l’effroi qui submerge notre pays” (Aurore Bergé, cheffe du groupe de députés macroniens Renaissance, qui a profité de l’amok savoyard pour dénoncer la “bataille de chiffoniers“ à l’Assemblée nationale autour de la réforme des retraites).

On pourrait donc ajouter cette définition au Dictionnaire des idées reçues :

« Amok : forme de terrorisme quand l’auteur est musulman, acte simplement effrayant et troublant quand l’auteur est chrétien, même s’il est arabe et barbu ».


 

10/10/2022

BARAN QAMISLO
"Femme, Vie, Liberté" : le slogan qui fait vaciller les régimes

Baran Qamişlo , DinamoPress.it, 7/10/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

La révolte au Rojhelat, la résistance civile au Kurdistan du Nord et en Turquie, la résistance dans les montagnes, la révolution du Rojava sont interconnectées, et sont une source d’inspiration pour révoltes qui ont éclaté en Iran. Malheureusement, même la répression, toujours plus violente et préventive, a les mêmes connotations.


Le slogan kurde Jin, Jîyan, Azadî, né au Rojava, s’est répandu dans tout l’Iran dans sa version persane, Zan, Zendegi, Azadi (les langues kurdes et le persan appartiennent au même groupe de langues dites indo-iraniennes). Ci-dessus une fresque murale de Btoy, sur la Schwendergasse à Vienne (Autriche). Ci-dessous une variante iranienne émanant d’un groupe d’artistes anonymes


La mort de Masha/Jina Amini, une Kurde de 22 ans, tombée dans le coma après avoir été tabassée par la police des mœurs iranienne une fois interpellée parce qu'elle avait été surprise dans une rue de Téhéran « portant mal son hijab », a déclenché une série de protestations qui ont entraîné une révolte impliquant toutes les grandes villes iraniennes et de l'est du Kurdistan.

La vague de protestations a ouvert la boîte de Pandore, mettant en lumière une à une toutes les questions non résolues de l'État iranien.

Si le thème le plus évident sur les places ces jours-ci est la répression sociale et politique à laquelle sont soumises surtout les femmes, la rue a exprimé un ras-le-bol généralisé à l'égard de la République islamique et de ses dirigeants : un fait emblématique de cela a été l’incendie par les manifestants du monument à la mémoire de  Qasem Soleimani à Kerman, sa ville natale.

Soleimani a été général des Niru-ye Qods, communément appelées « Forces Quds », la branche des Gardiens de la Révolution (IRGC) qui s'occupe du soutien militaire et politique aux groupes pro-iraniens en dehors des frontières nationales. « Le commandant de l'ombre », comme il a été défini par la presse, est considéré comme l'esprit derrière les vingt dernières années d'influence politique dans la région et le stratège derrière les victoires militaires iraniennes en Irak, à travers les milices chiites rassemblées dans les Hachd al-Chaabi (Forces de mobilisation populaire), et en Syrie aux côtés de Bachar Al Assad,  jusqu'à son assassinat en janvier 2020 par un drone usaméricain à l'aéroport de Bagdad.

Dans ce contexte, l'un des thèmes en suspens depuis longtemps qui mettent maintenant le feu aux poudres, en particulier dans le nord-est, est la répression de l'identité kurde. Comme c'est la coutume pour les Kurdes dans les quatre parties occupées du Kurdistan, la jeune femme tuée avait deux prénoms : Masha sur les documents délivrés par les autorités et Jina, le nom sous lequel elle est connue à Saqqez, la ville où elle vivait, prénom que les parents n'ont pas été autorisés à enregistrer officiellement parce que kurde.

Saqqez fait partie de la région historiquement identifiée comme Rojhelat (du kurmanji « Est », littéralement « Soleil levant »), où vivent environ 10 millions de Kurdes. Dans sa capitale historique, la ville de Mahabad, a été fondée en 1946 sous la direction de Qazi Muhammed, la première république kurde indépendante, bien que de courte durée, appelée « République du Kurdistan ».

Bien que les Kurdes du Rojhelat aient participé activement à la révolution contre la monarchie, mouvement populaire hétérogène à l'origine, ils furent exclus de l’« Assemblée des experts » chargée de rédiger la nouvelle constitution à la chute de la dynastie Palhavi.

Quand les partis kurdes ont dénoncé le fait, l’ayatollah Khomeiny a répondu en lançant une fatwa dans laquelle il a appelé au jihad contre les dissidents, accusés de vouloir « diviser les musulmans avec des demandes nationalistes ». C’est alors qu’a commencé une campagne de guérilla menée par les partis kurdes, qui a pris fin en 1989, lorsque le secrétaire du Parti démocratique du Kurdistan d’Iran (KDPI), Abdul Rahman Ghassemlou, a été assassiné par des agents iraniens munis de passeports diplomatiques, à Vienne où il devait entamer des négociations de paix avec Téhéran.

Au cours des 30 dernières années, la République islamique a opté pour une approche de la question kurde en quelque sorte opposée à celle de l'État turc et plus proche de l'approche du gouvernement syrien. Alors qu'en Turquie le mot Kurdistan est un tabou imprononçable en public, en Iran, il existe même une province appelée Kurdistan mais qui couvre environ un sixième du territoire habité par la population kurde et n’a aucun statut spécial ou d'autonomie de prévu.

18/09/2022

URI MISGAV
1982 : la folle tentative du Mossad de changer le visage du Liban
Les dessous du massacre de Sabra et Chatila : une version israélienne

Uri Misgav, Haaretz, 15/9/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala




L'agent du Mossad qui dormait avec un pistolet. Des repas délirants avec Ariel Sharon à Beyrouth. L'orchestre qui jouait “Hava Nagila” pour les espions. À la recherche d’une Rolex dans les ruines.

 Quarante ans après l'assassinat de Bachir Gemayel et les massacres dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila, d'anciens responsables israéliens révèlent le château de cartes qu'Israël a construit au Liban et comment il s'est effondré.

 Sharon et Gemayel gauche, le secrétaire militaire de Sharon, Oded Shamir). Je ne serai pas votre "Armée du Liban Nord", dira Gemayel à Sharon, en colère. Photo : Collection Oded Shamir

Bachir Gemayel se réveille relativement tard le 14 septembre 1982. Il était resté debout jusqu'aux petites heures de la nuit pour rédiger et répéter son discours pour sa prestation de serment présidentielle, qui devait avoir lieu huit jours plus tard. Trois semaines plus tôt, il avait atteint - avec l'aide rapprochée d'Israël - un objectif qui avait été considéré jusqu’à récemment comme fantaisiste, en étant élu, à l'âge de 34 ans, président du Liban multinational et fragmenté.

Un programme chargé était prévu pour lui à Beyrouth ce jour-là, comprenant des entretiens téléphoniques avec les commandants de l'armée libanaise, une visite au couvent maronite où sa sœur bien-aimée, Arza, était nonne et, pour couronner le tout, un discours devant ses partisans au siège du parti Kataeb (Phalanges) dans le quartier d'Achrafieh.

Pendant sa course à la présidence, Gemayel avait pris l'habitude de se présenter à cette occasion politique tous les mardis à 15 heures et, après son élection, il avait décidé de poursuivre la tradition au moins une fois par mois. Naturellement, cela a permis à ses ennemis - à ce stade, avant tout les services de sécurité et de renseignement syriens - de le suivre plus facilement. En fait, après que Gemayel a été élu président, sa vigilance et sa sensibilité à l'égard de sa sécurité personnelle se sont relâchées. Il a commencé à laisser échapper ses gardes du corps de temps en temps et, ce matin-là, il s'est emporté contre un conseiller qui tentait de le mettre en garde à ce sujet. 

Jusque-là, il avait été prudent, et à juste titre. La culture politique au Liban était marquée par une folie meurtrière rampante, non seulement entre les différents groupes ethniques, mais aussi entre les familles et les factions d'un même groupe de population. La première fois que je suis venu à Beyrouth, raconte Avner Azoulay, nommé en 1981 chef du département en charge du Liban au sein de Tevel, la division des relations extérieures du Mossad, j'ai demandé à mon accompagnateur local : "Qu'est-ce qui est bon marché ici ?" Il m'a jeté un regard perçant et m'a répondu : "La vie humaine. C'est ce qui est le moins cher."

Tout au long de sa carrière politique, Gemayel a pris une part active à la violence et aux meurtres. Entre autres événements, dans le cadre des luttes sanglantes pour le contrôle de la communauté chrétienne, Antoine "Tony" Frangieh, le fils d'un ancien président libanais issu d'un hamoula (clan) concurrent, avait été assassiné sur ses ordres, ainsi que sa femme, son fils et d'autres membres de son entourage. Gemayel lui-même avait été la cible d'une tentative d'assassinat, à laquelle il n'avait échappé que parce qu'il avait eu le mal de mer sur un bateau lance-missiles où il tenait l'une de ses nombreuses réunions avec des responsables du gouvernement et des militaires israéliens. Comme il se sentait mal le lendemain matin, il n'a pas emmené sa fille Maya chez sa grand-mère comme prévu.

Ainsi, lorsque la bombe fixée à sa voiture a explosé, Gemayel n'a pas été blessé, mais Maya et le garde du corps personnel de son père, qui l'escortait, ont été tués. Après les funérailles, il a ordonné à ses aides furieux d'attendre le moment opportun pour se venger.

Azoulay, qui était en contact étroit avec Gemayel, l'a imploré après son élection, sur la directive de ses supérieurs, d'accepter l'aide d'une unité du service de sécurité du Shin Bet. "Il ne voulait pas en entendre parler", dit Azoulay. "Il m'a dit : 'Est-ce que cela vous semble raisonnable que le président élu d'un pays arabe se promène avec des gardes du corps israéliens ? Qu'est-ce que vous ne comprenez pas ? J'ai essayé de réfléchir à des idées alternatives. J'ai suggéré de choisir des gars aux cheveux blonds et aux yeux bleus et de dire qu'il s'agissait de techniciens venus d'Europe, pour que personne ne le sache. "En aucun cas", a-t-il dit. Cela n'aurait pas forcément aidé. Je crois que si nous lui avions adjoint des gardes du corps, ils auraient été assassinés en même temps que lui."

Le chef d'état-major Rafael Eitan avec Gemayel, de profil à gauche. Raful appelait le Libanais "mon frère". Crédit : Collection Avner Azoulay

Après le discours au siège du parti, Gemayel devait rencontrer les membres de la sous- commission des renseignements de la commission des Affaires étrangères et de la Défense de la Knesset, qui se trouvaient à Beyrouth pour se faire une idée de la situation. Le mois précédent, les forces de l'Organisation de libération de la Palestine, dirigée par Yasser Arafat, avaient quitté la ville en vertu d'un accord négocié par les USAméricains. Le soir, le président élu avait l'intention de dîner dans le luxueux restaurant Bustan, en compagnie de son ami Ehud Yaari, à l'époque analyste des affaires arabes à la télévision israélienne. Ce dîner n'a jamais eu lieu. 

12/01/2022

MEDEA BENJAMIN/NICK DAVIES
Hé, les USA ! Vous avez largué combien de bombes aujourd'hui ?

Medea Benjamin et Nicolas J. S. Davies, CodePink, 10/1/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Le Pentagone a enfin publié son premier Airpower Summary depuis l'entrée en fonction du président Biden il y a près d'un an. Ces rapports mensuels sont publiés depuis 2007 pour documenter le nombre de bombes et de missiles largués par les forces aériennes dirigées par les USA en Afghanistan, en Irak et en Syrie depuis 2004. Mais le président Trump avait cessé de les publier après février 2020, entourant de secret la poursuite des bombardements usaméricains.

Août 2021 : une frappe de drone US à Kaboul a tué 10 civils afghans. Photo : Getty Images

Au cours des 20 dernières années, comme le documente le tableau ci-dessous, les forces aériennes usaméricaines et alliées ont largué plus de 337 000 bombes et missiles sur d'autres pays. Cela représente une moyenne de 46 frappes par jour pendant 20 ans. Ce bombardement sans fin n'a pas seulement été mortel et dévastateur pour ses victimes, mais il est largement reconnu comme portant gravement atteinte à la paix et à la sécurité internationales et diminuant la position de l'USAmérique dans le monde.

Le gouvernement et l'establishment politique usaméricains ont remarquablement réussi à maintenir le public usaméricain dans l'ignorance des conséquences horribles de ces campagnes de destruction massive à long terme, ce qui leur a permis de maintenir l'illusion du militarisme usaméricain comme force du bien dans le monde dans leur rhétorique politique intérieure.

Aujourd'hui, même face à la prise de pouvoir par les talibans en Afghanistan, ils redoublent d'efforts pour vendre ce récit contrefactuel au public usaméricain afin de rallumer leur vieille guerre froide avec la Russie et la Chine, augmentant ainsi de façon spectaculaire et prévisible le risque de guerre nucléaire.       

Les nouvelles données Airpower Summary révèlent que les USA ont largué 3 246 bombes et missiles supplémentaires sur l'Afghanistan, l'Irak et la Syrie (2 068 sous Trump et 1 178 sous Biden) depuis février 2020.

La bonne nouvelle est que les bombardements usaméricains sur ces 3 pays ont considérablement diminué par rapport aux plus de 12 000 bombes et missiles qu'ils ont lâchés sur eux en 2019. En fait, depuis le retrait des forces d'occupation usaméricaines d'Afghanistan en août, l'armée US n'a officiellement mené aucune frappe aérienne dans ce pays, et n'a largué que 13 bombes ou missiles sur l'Irak et la Syrie - ce qui n'exclut pas des frappes supplémentaires non signalées par des forces sous le commandement ou le contrôle de la CIA.

Les présidents Trump et Biden ont tous deux le mérite d'avoir reconnu que des bombardements et une occupation sans fin ne pouvaient pas assurer la victoire en Afghanistan. La rapidité avec laquelle le gouvernement mis en place par les USA est tombé aux mains des talibans une fois le retrait usaméricain engagé a confirmé que 20 ans d'occupation militaire hostile, de bombardements aériens et de soutien à des gouvernements corrompus n'ont finalement servi qu'à ramener le peuple afghan, las de la guerre, sous la coupe des talibans.

La décision insensible de Biden de faire suivre 20 ans d'occupation coloniale et de bombardements aériens en Afghanistan par le même type de guerre de siège économique brutale que les USA ont infligée à Cuba, à l'Iran, à la Corée du Nord et au Venezuela ne peut que discréditer davantage l'USAmérique aux yeux du monde.

Il n'y a eu aucune demande de reddition de comptes pour ces 20 années de destruction insensée. Même avec la publication des Airpower Summaries, l'horrible réalité des guerres de bombardement usaméricaines et les pertes massives qu'elles infligent restent largement cachées au peuple usaméricain.

De combien des 3 246 attaques documentées dans l'Airpower Summary depuis février 2020 étiez-vous au courant avant de lire cet article ? Vous avez probablement entendu parler de l'attaque de drone qui a tué 10 civils afghans à Kaboul en août 2021. Mais qu'en est-il des 3 245 autres bombes et missiles ? Qui ont-ils tué ou mutilé, et quelles maisons ont-ils détruites ?

07/11/2021

ASSER KHATTAB
Robert Fisk, l'homme qui est mort deux fois

Asser Khattab آسر خطاب, Raseef22 (original arabe, 2/11/2020, version anglaise, 30/10/2021)

Asser Khattab est un journaliste syrien qui a couvert la guerre civile syrienne pendant six ans pour le Financial Times, le Washington Post et d'autres médias. Il est actuellement chargé de la communication pour la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord à la Commission internationale des juristes. Il vit en France depuis 2020. @KhattabAsser

Il n'était pas facile pour les Romains de prêter attention à Marc-Antoine, malgré le discours sincère qu'il a prononcé et qui refuse de quitter la mémoire de quiconque lit son adaptation dans la pièce de William Shakespeare, Jules César. Allié du célèbre chef, il est venu s'adresser à une nation divisée à la suite de l'assassinat de César par des sénateurs en 44 avant J.-C.. De ceux qui soutenaient Brutus, Cassius et les leurs, qui préféraient préserver la démocratie de la République plutôt qu'une obéissance aveugle à ce "dictateur à vie" autoproclamé, il n'était pas prêt à entendre parler de vénération et de glorification à sa mémoire.

Mais Antoine a rapidement précisé son objectif :

Je viens pour inhumer César, non pour le louer.
Le mal que font les hommes vit après eux :
Le bien est souvent enterré avec leurs os.
Qu'il en soit ainsi de César.

Ces mots n'ont cessé de me venir à l'esprit à partir du moment où j'ai lu la nouvelle du décès du journaliste britannique Robert Fisk, un dimanche soir. Fisk était décédé à l'âge de 74 ans d'une crise cardiaque la veille du 2 novembre 2020. Aux yeux de certaines personnes qui l'ont connu ou de celles qui ont suivi son travail à travers le monde, Robert Fisk était un journaliste audacieux, courageux, intelligent, plein de ressources, perspicace et défiant l'autorité, ainsi qu'un brillant écrivain. Aux yeux de beaucoup d'autres, Robert Fisk n'a jamais eu l'audace, le courage ou la crédibilité dont l'autre camp parle si souvent, ou les a perdus avec le début du Printemps arabe de 2010 - plus précisément la révolution syrienne qui a éclaté le 15 mars 2011 et qui a été, selon les mots de beaucoup, "trahie" par Fisk.

Il y a un autre groupe de personnes qui a choisi de rester silencieux alors qu'il avait beaucoup à dire. La raison pour laquelle ils se sont abstenus est peut-être qu'ils ont vu la validité des points de vue de chacune des deux équipes précédentes, ce qui rendait le fait de parler de Fisk à un moment comme celui-ci aussi dangereux que de marcher dans un champ de mines ou de toucher un disjoncteur électrique dénudé après une nuit pluvieuse.

Pour moi, Fisk était l'homme que j'admirais pendant mes années d'études universitaires dans le domaine des médias, et dont le nom était évoqué par ceux qui me souhaitaient un succès professionnel dans le futur : "J'espère te voir devenir le prochain Robert Fisk !"... J'entendais souvent ces mots de la part des membres de ma famille qui aimaient les critiques acerbes de Fisk sur l'occupation israélienne et ses crimes en Palestine. Je les entendais également à l'école de la part de mon professeur, qui avait fui avec la communauté arménienne du centre de la Turquie vers le nord de la Syrie après le génocide arménien qui a eu lieu il y a plus de cent ans, faisant l'éloge de Robert Fisk et de son rôle dans l'écriture du génocide.

Pendant mes années d'université, je lisais attentivement tous les articles célèbres écrits par Fisk, en copiant certains d'entre eux sur papier afin d'améliorer mon écriture en anglais. J'essayais de faire attention lorsque je lisais ou copiais des articles sensibles, comme celui où il parlait du massacre de Hama commis par le précédent régime Assad (père et oncle Assad) dans les années 1980 et détaillait le bombardement de mosquées et d'installations résidentielles, en plus de ceux où il parlait de la nature dictatoriale du régime Assad. Je me souviens d'un article qu'il a écrit en 2006 sur le ministère syrien de l'information, un article que j'ai secrètement partagé avec certains de mes camarades de classe de l'époque pour qu'ils voient le chaos et la corruption de l'institution à travers les yeux d'un éminent reporter étranger. Lorsque j'ai écrit sur "Le chaos du ministère syrien de l'information en temps de guerre" pour Raseef22 et à nouveau lors de la préparation de cet article, j'ai cherché cet article à plusieurs reprises mais je n'ai pas pu le trouver.

 

Fisk à Homs en 2019 

05/10/2021

La Syrie réadmise à INTERPOL, au risque de voir ses dissidents faire l'objet d'abus

William Christou, The New Arab, 2/10/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

William Christou est le correspondant du journal The New Arab pour le Levant, couvrant la politique du Levant et de la Méditerranée. William est également chercheur à l'Orient Policy Center. Auparavant, il a travaillé comme journaliste pour Syria Direct à Amman, en Jordanie. @will_christou

L'adhésion à INTERPOL donne à la Syrie un ensemble d'outils puissants qui pourraient être utilisés pour poursuivre les figures de l'opposition et les réfugiés dans le monde entier.

 Les notices rouges d'INTERPOL pourraient entraîner l'arrestation et la détention de personnalités de l'opposition dans le monde entier, si Damas décidait de les publier.

La Syrie a été réinscrite cette semaine dans le réseau de communication d'INTERPOL, une décision qui, selon les militants, pourrait ouvrir la voie au harcèlement et aux abus à l'encontre des figures de l'opposition et des réfugiés.

Le service de presse d'INTERPOL a déclaré vendredi au New Arab que "Damas s'est vu accorder l'accès au réseau mondial sécurisé de communication policière de l'organisation".

Cela permet au régime syrien d'avoir accès aux bases de données d'INTERPOL et de communiquer avec les autres membres de l'organisation par les canaux de celle-ci.

Elle donne également à Damas de nouveaux outils puissants qu'il pourrait utiliser pour poursuivre les dissidents politiques dans le monde entier, s'il le souhaite.

"INTERPOL est plus grand que les Nations unies, alors imaginez les capacités qu'il donne à un pays non démocratique pour persécuter ses opposants", a déclaré au New Arab Yuriy Nemets, un avocat basé à Washington D.C. et spécialisé dans la représentation des victimes d'abus d'INTERPOL.

En tant que membre d'INTERPOL, Damas peut publier des mandats d'arrêt internationaux, appelés "notices rouges", dans toute l'organisation internationale de police, forte de 194 membres.

Les notices rouges sont une demande faite aux pays membres de localiser et d'arrêter des individus. Dans certains cas, ces arrestations peuvent conduire à l'extradition, en fonction de l'approche du pays qui procède à l'arrestation vis-à-vis d'INTERPOL et de sa relation avec le pays qui publie la liste rouge.