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07/06/2025

ZVI BAR’EL
Trump blanchit les djihadistes alors que le président syrien s’efforce de constituer une armée nationale

Le nouveau président syrien doit manœuvrer entre le monde occidental, le monde arabe et ses alliés miliciens étrangers qui se sentent marginalisés. Le consentement de Trump à l’intégration des combattants étrangers dans l’armée syrienne sert les intérêts des deux présidents.

Zvi Bar’el, Haaretz, 6/6/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

L’une des conditions posées par Donald Trump au président syrien Ahmad al-Charaa pour obtenir la pleine reconnaissance de son pays et la levée des sanctions était le démantèlement de toutes les milices étrangères en Syrie et l’expulsion des combattants. Une fois de plus, Trump n’a pas déçu.

Cela ressemble à son revirement lorsqu’il a annoncé son « accord de cessez-le-feu » avec les Houthis au Yémen et a troqué ses menaces d’ouvrir les portes de l’enfer sur l’Iran contre une diplomatie visant à un nouvel accord nucléaire.


Le président Donald Trump, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane et le président par intérim syrien Ahmad al-Charaa, à droite, posent pour une photo à Riyad, en Arabie saoudite, le 14 mai 2025. Sana via AP

De la même manière, il a radicalement changé sa position sur la Syrie. Cette semaine, il a autorisé al-Charaa à intégrer des combattants étrangers dans la nouvelle armée syrienne.

Dans ces trois développements, Trump a balayé les réserves d’Israël et l’a laissé manœuvrer seul sa nouvelle carte géopolitique. La raison de ce revirement en Syrie pourrait résider dans l’avertissement sévère que le secrétaire d’État Marco Rubio a adressé au Comité des relations étrangères du Sénat le mois dernier.

« En fait, nous estimons franchement que, compte tenu des défis auxquels elle est confrontée, l’autorité de transition est peut-être à quelques semaines, et non à plusieurs mois, d’un effondrement potentiel et d’une guerre civile à grande échelle aux proportions épiques, qui conduirait essentiellement à la division du pays », a déclaré Rubio.

Un avertissement similaire a été lancé par les amis de Trump, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane et l’émir qatari Tamim ben Hamad al-Thani, lors de la visite de Trump dans la région le mois dernier. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a exprimé des idées similaires.

Ils sont tous les nouveaux protecteurs d’al-Charaa et ont promis de l’aider à forger une nouvelle Syrie, à reconstruire son armée et à garantir que le nouvel avatar sera pro-occidental et pacifique, et qu’il combattra l’État islamique.

Mais comme tout le monde l’a dit à Trump, sans la levée des sanctions, la Syrie n’aurait aucune chance de se reconstruire et pourrait même s’effondrer, mettant en danger toute la région.

Trump s’intéressait à une autre question. Il n’a pas exigé que la Syrie devienne un pays démocratique laïc où les droits de l’homme seraient le principe directeur. Trump voulait savoir comment et quand il pourrait ramener les troupes usaméricaines et quitter ce pays qu’il avait décrit en 2019, lorsqu’il avait annoncé pour la première fois son intention de retirer les forces usaméricaines, comme un endroit où il y avait « beaucoup de sable ».

Ainsi, si le départ des USAméricains nécessite un renforcement d’al-Charaa et si la condition est un “arrangement”  avec les milices étrangères, alors les considérations idéologiques ou morales ne feraient que perturber les plans de Trump.

Ces milices sont estimées à quelques milliers de combattants provenant d’une douzaine de pays, dont la Tchétchénie, la Chine, la Turquie, la Jordanie et l’Égypte. Elles constituaient l’épine dorsale d’al-Charaa lorsqu’il dirigeait les rebelles du Hayat Tahrir al-Cham dans la province d’Idlib, et en décembre dernier, lorsqu’il a lancé sa campagne éclair pour prendre Damas et renverser le régime d’Assad.

Mais il ne s’agit pas de mercenaires d’al-Charaa qui, une fois leur mission accomplie, peuvent être payés et renvoyés chez eux. Les combattants ne peuvent pas retourner dans leur pays d’origine, où la plupart d’entre eux sont considérés comme des terroristes. Et sans une solution qui garantisse leur sécurité en Syrie, le danger est qu’ils retournent leurs armes contre le nouveau gouvernement.

Comme l’a déclaré l’un de ces combattants à un site ouèbe en langue arabe : « Après toutes ces souffrances, après le changement de politique et le changement de drapeau » – du drapeau du parti Baas à l’ancien drapeau syrien – « j’ai l’impression d’être à découvert, comme si nous avions été oubliés, comme si les immigrés qui ont tout sacrifié étaient devenus un fardeau ». Al-Charaa est conscient que le chemin vers la lutte armée pourrait être court.

Les combattants étrangers sont arrivés en Syrie en 2012, environ un an après le début de la guerre civile. Depuis, ils se sont intégrés, ont fondé des familles et créé des entreprises et, si vous leur demandez, sont devenus partie intégrante de la société.

Beaucoup étaient motivés par les idéologies religieuses d’Ayman al-Zawahiri, le chef d’Al-Qaida, et d’Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de l’État islamique. Certains ont combattu pour l’État islamique avant de rejoindre al-Charaa, qui utilisait alors le nom de guerre Abou Mohammed al-Joulani. D’autres ont créé des milices qui ont offert leurs services à al-Charaa, puis, après sa rupture avec Al-Qaida en 2016, ont soit continué avec Al-Qaida, soit aidé l’État islamique.

À l’époque, al-Charaa devait lutter à la fois contre l’armée du régime d’Assad et les milices rivales, jusqu’à ce qu’il forme Hayat Tahrir al-Cham, une coalition de milices. En cours de route, il n’a pas hésité à tuer ses rivaux, y compris certains qui faisaient partie de son cercle restreint, lorsqu’il a découvert, ou cru découvrir, qu’ils cherchaient à le renverser ou qu’ils étaient en désaccord avec ses politiques et sa vision du monde.

Le passage de la direction d’un ensemble de milices à celle d’un pays a obligé al-Charaa à se démener pour empêcher cet ensemble de se désagréger. Il a dû former une grande force nationale loyale opérant dans tout le pays, mais il s’est heurté à un champ de mines constitué de groupes ethniques et de milices armées.

Parmi ceux-ci figurent les Druzes, les Kurdes et les Alaouites (la secte de la famille Assad) ; les deux premiers au moins sont lourdement armés et réclament l’autonomie. En outre, des dizaines de milices composées de Syriens et d’étrangers sont réticentes à abandonner les zones qu’elles contrôlent, qui financent leurs opérations et leur mode de vie.

Al-Charaa a également dû trouver des financements pour l’État syrien, afin de mettre en place les institutions gouvernementales, les forces de l’ordre, la justice et les services civils détruits sous le régime d’Assad.

Une fois de plus, il a dû suivre deux voies : établir des relations avec des pays arabes et occidentaux méfiants en prouvant sa volonté d’adopter des politiques pro-occidentales, y compris une éventuelle volonté de reconnaître Israël, tout en apaisant ses frères d’armes, les commandants des milices radicales qui éveillent les soupçons des pays qu’il courtise.

Al-Charaa a rapidement nommé certains des commandants étrangers à des postes élevés dans l’armée et les services de sécurité syriens, faisant de certains d’entre eux des généraux.

Il a également conclu un accord temporaire avec les Kurdes, qui ont annoncé leur volonté de rejoindre l’armée syrienne à condition de pouvoir créer une unité kurde qui n’opérerait que dans les zones kurdes, une condition à laquelle al-Charaa s’oppose. Al-Charaa a également conclu un accord partiel avec les Druzes, soutenu par plusieurs grandes milices druzes, même si d’autres attendent de voir où va la Syrie.

Quant aux petites milices, dont certaines ne comptent que quelques dizaines ou centaines de combattants, il leur a ordonné de déposer les armes et de rejoindre l’armée avant le 27 mai.

La semaine dernière, le ministre syrien de la Défense, Murhaf Abu Qasra, a déclaré que jusqu’à présent, plus de 130 miliciens avaient rejoint l’armée et formeraient une brigade distincte.

Ce compromis visait à obtenir le consentement des USAméricains pour l’enrôlement des combattants étrangers au lieu de leur expulsion. L’hypothèse est que s’ils font partie d’une unité spéciale, ils peuvent être déployés dans des missions moins sensibles et être étroitement surveillés.

Mais cela ne résout pas le problème de l’endoctrinement religieux radical dont ont fait l’objet la plupart de ces combattants, qui les a poussés à venir en Syrie. Cela pourrait avoir des conséquences concrètes.

Par exemple, l’armée syrienne est censée gérer les grands complexes pénitentiaires où sont détenus des dizaines de milliers de combattants de l’État islamique et leurs familles, principalement dans le nord du pays.

Ces installations sont sous contrôle kurde. La crainte est que si ces complexes sont transférés à l’armée syrienne, certains soldats redécouvrent leurs « frères perdus » de l’État islamique et les aident à s’échapper, ou pire, collaborent avec eux contre le régime.

Cette crainte devrait être prise en compte par la Turquie, qui a proposé de combattre l’État islamique à la place des USAméricains, qui se retireraient alors de Syrie. Dans le passé, Washington a rejeté cette idée, mais elle semble désormais constituer une solution acceptable qui permettrait à Trump de réfuter les accusations selon lesquelles le retrait des troupes usaméricaines équivaut à abandonner les Kurdes et la lutte contre l’État islamique.

L’accord concernant les milices étrangères est loin de suffire à imposer l’autorité de l’État sur les forces armées. Les accords avec les Kurdes et les Druzes n’existent encore que sur le papier. Les Alaouites, qui vivent sur la côte, sont une source de friction, tout comme les vestiges du régime Assad, qui sont armés et envisagent une contre-révolution.

Pour l’instant, al-Charaa bénéficie d’un large soutien arabe et occidental. Mais il devra bientôt prouver aux Syriens que sa révolution est plus que quelques slogans accrocheurs.


Cravate sanglante, par Hassan Bleibel, mars 2025

 

25/05/2025

HAYTHAM MANNA
Manifeste contre le fascisme djihadiste

« L’histoire humaine et la réalité contemporaine témoignent du fait que les êtres humains doivent se battre les uns contre les autres, quels que soient les raisons et les motifs de ce combat » : cette phrase résume la philosophie des djihadistes qui ont pris le pouvoir le 8 décembre 2024 à Damas. Il a suffi que leur chef mette un costume cravate pour recevoir la bénédiction de toutes les puissances impliquées dans la guerre de Syrie. Haytham Manna analyse dans ce livre la nature du nouveau régime syrien, qu’il qualifie tout simplement de fasciste.

Haytham Manna

Manifeste contre le fascisme djihadiste
Traduit de l’arabe par Tlaxcala
Collection erga omnes n° 12
Mai 2025
90 pages

Éditions The Glocal Workshop/L’Atelier Glocal

Classification Dewey: 915.69 - 956.9 – 321.9 - 327.16

 


Tout soutien bienvenu

 

 

13/05/2025

FAUSTO GIUDICE
“La religion est à Dieu et la patrie est à tous” : en Syrie, le message de Sultan al-Attrache reste valable un siècle plus tard
Entretien avec Rim al-Attrache

Alors que les feux de l’actualité sont braqués sur la Syrie et que l’écrasante majorité des  « informations » circulant dans les médias internationaux sont produites par des personnes ignorant tout ou presque tout de l’histoire syrienne, il nous a semblé utile de donner la parole à  Rim al-Attrache, une habitante de Damas, descendante d’une longue lignée de combattants, pour qu’elle nous parle de son père Mansour (1925-2006) et de son grand-père Sultan Pacha (1888-1982), dont l’histoire peut éclairer l’état actuel du pays.

Propos recueillis par  Fausto GiudiceTlaxcala



 Rim, peux-tu vous présenter, toi et ta lignée ?

Dans l’introduction de mon premier roman, en arabe, intitulé « Jusqu’à la fin des temps », j’ai écrit ce qui suit : « Je suis une personne qui essaie de combiner l’islam et le christianisme dans son cœur, et je crois que la religion appartient à Dieu et que la patrie appartient à tous ».

 Un jour, l’avocat syrien Najat Qassab-Hassan, m’a posé cette question : Rim, quelle partie de toi est druze et quelle partie est chrétienne ? Je lui ai répondu sans la moindre hésitation : Je suis divisée, verticalement, en deux, et je peux déplacer mon cœur tantôt à droite, et tantôt à gauche. 

Zoukan (assis) et Sultan, 1910

Je suis l’arrière-petite-fille du martyr Zoukan al-Attrache, l’un des chefs de résistance contre les Turcs (1910). Il a été condamné à mort et exécuté s à la place Merjé, à Damas par Jamal Pacha, dit Le Boucher meurtrier.


Youssef al-Choueiri

Je suis l’arrière-petite-fille de Youssef al-Choueiri, moudjahid avec Sultan al-Attrache durant la Révolution arabe de 1916-1918 : il a rejoint la révolution avec son ami Sultan al-Attrache, afin de libérer Damas, le 30 Septembre 1918, suite à la bataille de Tuloul al-Manea, près de Kisswa, au sud de Damas. Avec son fils Habib al-Choueiri, mon grand-père maternel, il a été prisonnier durant la première révolution de Sultan, en 1922. Tous les deux soutenaient Sultan et ses compagnons en 1925, financièrement et moralement.

Je suis la petite-fille de Sultan al-Attrache, chef de la Grande Révolution syrienne (1925) contre le Mandat français.

Enfin, je suis la fille de Mansour al-Attrache, politicien syrien, l’un des premiers Baathistes, en 1945, et membre du conseil fondateur du parti Baath en 1947. 

Que faut-il savoir sur Sultan Pacha, auquel tu as consacré une série de 5 volumes (éditée au Liban), basée sur les archives de votre famille ?

Sultan al-Attrache a explicitement rejeté les mandats français et britanniques devant la Commission King-Crane (1919), lorsque celle-ci lui a rendu visite au Djebel al-Arab  (dit Djebel Druze) pour sonder l'opinion des habitants de la région.

Il rassembla les cavaliers pour aider l’armée syrienne, dirigée par le ministre de la Guerre, Yusuf al-Azma, le 24 juillet 1920, à Mayssaloun. Les cavaliers de Djebel al-Arab , dirigés par Sultan al-Attrache, arrivèrent dans le village Sijen, et même quelques-uns atteignirent Braq (40 km au sud de Damas), où Sultan, apprenant le meurtre de Yousef Al-Azma, déclara : « Perdre une bataille ne signifie pas perdre la guerre. ».

Sultan al-Attrache voulait alors organiser la résistance au Djebel al-Arab sous la bannière de la légitimité en Syrie. C'est pour cette raison qu'il invita le roi Fayçal Ier à s'installer là-bas au lieu de partir pour l'Europe, en 1920. Mais le roi répondit au messager de Sultan, en disant :  « Il est trop tard » ! 

Sultan a également demandé à Ibrahim Hanano (chef des rebelles du Nord) de rester chez lui pour organiser la résistance contre l'occupation française, lorsqu'il est venu lui demander protection en 1922, mais Hanano a voulu se rendre en Jordanie.

La Grande Révolution syrienne éclata dans le dernier tiers de juillet 1925, mais elle attira l'attention du monde entier après la bataille de Mazraa contre l’armée du général Michaud, au début du mois d'août de la même année. Les Européens ont commencé à envoyer des journalistes d’Allemagne et d’autres pays européens en Syrie, et plus précisément au Djebel al-Arab, pour découvrir la vérité sur ce qui s’était passé. C’est seulement à ce moment-là que les nationalistes arabes ont commencé à s’intéresser à ce qui se passait !

Il est important de noter qu'après la bataille de Mazraa, les autorités françaises ont été contraintes de demander une trêve et une cessation des hostilités, avant que les dirigeants du mouvement national à Damas ne répondent à l'appel à la révolution du Djebel al-Arab , dans le but de l'étendre à toute la Syrie et au Liban.

Sultan al-Attrache a déclaré aux deux journalistes allemands du journal Vössische Zeitung, venus photographier le site de la bataille de Mazraa, ce qui suit : « Les Français ne cherchent pas sérieusement la paix dans leurs négociations. Même les conditions modérées présentées par notre délégation n'obtiendront rien d'essentiel du général Sarrail. Ils veulent nous distraire jusqu'à l'arrivée de leurs nouvelles forces militaires, qu'ils ont fait venir de France ou de leurs colonies voisines. Quant à nous, nous ne restituerons pas les armes capturées sur le champ de bataille tant que nous serons en vie. Nous ne nous satisferons de rien de moins que de l'indépendance et de l'unité complète de la Syrie et de l'établissement d'un gouvernement national constitutionnel. La mission de l'État mandataire doit se limiter à fournir une assistance et des conseils techniques et administratifs, par l'intermédiaire de conseillers et d'experts qualifiés, en application de ce qui a été stipulé dans le Pacte de la Société des Nations en 1919 concernant le mandat. ». La condition posée par Sultan al-Attrache pour les négociations avec les Français était qu'elles ne devaient pas dépasser trois jours.

Ainsi, l’intérêt, sérieux, arabe et européen pour la Grande Révolution syrienne a commencé après la bataille de Mazraa (2-3 août 1925). L’armée du général Henry Michaud comptait 13 000 soldats et officiers français, et ils furent sévèrement défaits par environ 400 combattants rebelles de Djebel al-Arab . C'est ce qu'a déclaré l'un des soldats d'origine marocaine, qui a participé à la campagne de Michaud et a été capturé : il l'a confirmé au commandant en chef de la révolution syrienne, Sultan al-Attrache. Il rejoint plus tard les rangs des révolutionnaires pour combattre les Français. Les forces nationales ont décidé de choisir Sultan al-Attrache comme commandant général de cette révolution. C'est ici que fut publiée la célèbre déclaration du commandant en chef, « Aux armes », le 23 août 1925, dans laquelle il était souligné que le premier objectif de la révolution était d'unifier la Syrie, à la fois sur la côte et à l'intérieur, ce qui signifiait rejeter la division de la Syrie sur une base confessionnelle, religieuse et ethnique, et que le deuxième objectif était l'indépendance complète. Le slogan de la révolution c’est : « La religion est à Dieu et la patrie est à tous. »

Tout au long de sa vie, Sultan n’a jamais abandonné ce slogan qu’il avait lancé ; pour lui, il est resté inébranlable, en paroles et en actes. Ce slogan était une gifle aux colonialistes français, prétendant faussement la croyance en la laïcité. Ce slogan était une réponse claire au rejet de la division du pays, planifiée par l'accord Sykes-Picot, qui a également abouti à la déclaration Balfour, que Sultan al-Attrache a complètement rejetée.


« La religion est à Dieu et la patrie est à tous » : c’est un slogan qui peut soulever des questions problématiques aujourd’hui, mais pendant la Grande Révolution syrienne de 1925-1927, c’était incontestable, et représentait les concepts : « laïcité » et « résistance ».

Lors des préparatifs des batailles, Sultan al-Attrache élaborait des plans militaires en consultation avec les commandants de terrain, en fonction de la zone où se déroulaient les batailles, et en fonction du positionnement des forces ennemies, de leur nombre et du volume de leurs munitions. Il était également toujours en coordination avec les commandants qu'il envoyait en campagne à l'extérieur du Djebel, et sa responsabilité était de leur assurer des munitions et de l'équipement.

Il est important de souligner que les négociations des hommes politiques syriens avec les autorités du mandat français dépendaient de la fermeté des révolutionnaires sur le terrain. La politique est, sans doute, d’une grande importance, mais la Grande Révolution syrienne, qui a surpris tout le monde, des politiciens nationalistes syriens et libanais aux politiciens français et européens, a commencé à imposer sa présence, surtout après la bataille de Mazraa. Tous les nationalistes se référaient toujours, dans leurs négociations, à l'avis de Sultan al-Attrache, qui consultait les révolutionnaires pour élaborer une opinion représentant tout le monde.

Tout au long de sa vie, Sultan al-Attrache n’a jamais employé « je », mais plutôt « nous ». Cela indique l’effacement de soi et l’incapacité à nier le rôle des autres !

Le 25 octobre 1929, pendant la période d'exil, se tint à Haditha, dans le Wadi al-Sirhan, la     « Conférence du désert », convoquée par Sultan al-Attrache. Des personnalités nationales de partis et d'organisations y ont participé. La conférence a pris des décisions très importantes qui ont eu un impact significatif sur le développement de la vie politique en Syrie, et sur le cours que les événements et les négociations ont pris par la suite, conduisant à l'évacuation.

Sultan al-Attrache et les révolutionnaires en exil ont insisté pour que cette conférence soit libre de toute influence étrangère et adhère aux principes des droits de l'homme, et que la Syrie reste attachée à ses droits légitimes et à son unité nationale globale dans la quête de libération du colonialisme. A l’issue de cette conférence, une résolution en six points a été annoncée, dans laquelle les révolutionnaires stationnés dans le désert ont condamné la suspension des travaux de l'Assemblée constituante en Syrie et les déclarations d’Henry Ponsot [Haut-commissaire de France au Levant, 1926-1933], ignorant la question nationale syrienne. La conférence a également dénoncé les décisions invalides du Congrès sioniste de Zurich [1929] et les attaques des Juifs contre les Arabes, appelant le gouvernement travailliste britannique à révoquer la célèbre Déclaration Balfour et à reconnaître les droits nationaux des Arabes et leur souveraineté dans leur propre pays afin d'assurer la paix mondiale et d'encourager des relations modernes entre les peuples, comme l'a fait la Grande-Bretagne en Égypte et en Irak. La conférence a également remercié les Arabes de la diaspora soutenant financièrement la patrie et les révolutionnaires et leurs familles, en exil.

Sultan al-Attrache croyait que la Grande Révolution syrienne avait duré douze ans, de 1925 à 1937, car son refus de rendre les armes, avec ses camarades révolutionnaires, signifiait que la résistance continuerait et qu'ils ne se rendraient pas au colonialisme. Les hommes politiques lui écrivirent également fréquemment pour lui demander son avis durant son exil de dix ans, de 1927 à 1937, durant lequel il a appelé à l'unification du monde arabe, afin de         « parvenir au succès de la cause syrienne, qui est le noyau de l'unité arabe ». Cela est considéré comme une prise de conscience claire de l’importance de parvenir à l’unité entre les Arabes. Durant cette période, il a résisté à d’énormes tentations, malgré toutes les difficultés qu’il a subies, avec sa famille, ses camarades et leurs familles !

Je mentionne ici que le responsable britannique, agissant en tant que représentant du roi George V, a rencontré Sultan al-Attrache à Azraq en 1927 pour discuter de la question de la déportation des révolutionnaires qui refusaient de rendre leurs armes. Ce représentant tenta de convaincre Sultan de la nécessité de mettre fin à la révolution sans condition et lui fit une offre royale, dont l'essentiel était qu’il vivrait dans un palais privé à Jérusalem, en plus d'un salaire mensuel lucratif à vie qui lui garantirait une vie confortable aux frais de l'Empire britannique. Mais Sultan a répondu : « Notre bonheur réside dans l’indépendance et l’unité de notre pays, la liberté de notre peuple et le retrait des forces étrangères du pays ». Lors de cette rencontre, le représentant du roi George V n'a pas oublié d'apporter avec lui de la nourriture et des boissons délicieuses et de les mettre devant les rebelles assoiffés et affamés. Cependant, les rebelles, sur ordre de Sultan, ne les ont pas touchés du tout. Sultan a refusé l’offre généreuse royale, ainsi que la nourriture !

Dans l’un des documents du ministère britannique des Affaires étrangères, pendant le mandat, se trouvant aux archives de la Bibliothèque nationale, le consul britannique au Levant a admis à son ministère des Affaires étrangères que Sultan al-Attrache avait obstinément refusé de coopérer avec la Grande-Bretagne malgré les tentatives répétées et persistantes des autorités. Il a écrit : « Sultan al-Attrache ne s’achète pas. »

Sa position sur l’enseignement était ferme ; en exil, il s'efforçait de faire en sorte que les fils et les filles des révolutionnaires soient éduqués et qu'une école soit construite pour eux dans le désert. Il a également fait don d’un terrain pour construire une école dans son village natal (Quraya) après son retour d’exil.

La Palestine et le plateau du Golan étaient son obsession jusqu’à la fin de sa vie.

Sultan al-Attrache a soutenu l'unité entre la Syrie et l'Égypte et la lutte du parti Baath.

De 1918 à 1946, il refusa à la fois le poste et l’argent. Il recommanda au défunt président Chukri al-Quwatli de préserver l’indépendance du pays pour la libération duquel les révolutionnaires avaient tant sacrifié ! Il réitéra cette recommandation plus tard, en 1960, devant le président Gamal Abdel Nasser. En 1981, devant le président Hafez al-Assad. Il a écrit cette recommandation dans son testament politique, diffusé par son fils Mansour devant le cortège funèbre d'un million et demie de personnes, au stade municipal de Sweida, le 28 mars 1982.

Sultan al-Attrache a signé la célèbre Charte nationale, qui a été signée par des personnalités nationales bien connues de toute la Syrie, notamment feu Hachim al-Atassi, dont le petit-fils, Radwan al-Atassi l'a publiée dans la biographie de son grand-père. Cette charte nationale comprenait les principes suivants :

1- Condamner le pouvoir individuel autoritaire et ne pas se conformer à ce qu’il édicte.

2- Exiger des élections justes qui établissent un régime constitutionnel et démocratique.

3- Respecter les libertés publiques et l’État de droit pour tous.

4- Protéger l’indépendance et la souveraineté.

5- Renforcer l’armée et limiter sa mission à la défense de la patrie et de sa sécurité.

Suite à cela, le colonel Adib Chichakli a lancé une campagne militaire injuste contre la population du gouvernorat de Soueïda, croyant qu'en agissant ainsi, il consoliderait les piliers de son pouvoir, contre lesquels tous les citoyens libres de la plupart des partis (y compris le parti Baath et le parti communiste) avaient lutté. 

Une centaine de martyrs non armés ont été tués au Djebel al-Arab pendant la campagne militaire (1954). Sultan al-Attrache a quitté son village et s'est dirigé vers la Jordanie pour éviter de nouvelles effusions de sang. Il a alors prononcé sa célèbre phrase : « Je refuse d'affronter les militaires de l'armée syrienne, car ce sont mes fils ! ». Sultan et ses compagnons ont marché, sous des chutes de neige, jusqu'en Jordanie. Il avait 66 ans à l’époque. À son arrivée à la frontière jordanienne, le gouvernement lui a envoyé une voiture sur laquelle flottait le drapeau britannique, mais il a refusé d'y monter, même s'il était poursuivi et que sa vie était en danger. Mais non, même dans les circonstances les plus difficiles, Sultan al-Attrache ne faisait pas appel aux étrangers ! Le gouvernement jordanien a été contraint d’envoyer une autre voiture avec le drapeau jordanien flottant dessus. Il accepta de la prendre avec ses compagnons, et ils entrèrent en Jordanie. Sultan et ses compagnons y sont restés jusqu'à ce que Chichakli quitte le pays ! Il revint victorieux au village.

Lorsque les gens sont venus le féliciter pour le meurtre de Chichakli, il leur a dit : « Je n'ai plus aucun lien avec lui depuis qu'il a quitté le pouvoir. Son assassinat était un acte individuel, et nous ne cherchons pas à nous venger ni à nous réjouir de sa mort ! »

Ce sont trois leçons exemplaires que Sultan al-Attrache a laissées aux Syriens d’aujourd’hui !

Dans un document des archives de ma famille, que j'ai éditées et publiées à la maison d’édition Abaad à Beyrouth, en cinq volumes, Sultan a écrit, en 1961 : « Ils ont dit que nous avons récolté le fruit de notre lutte, le fruit de cet arbre dont nous avons arrosé le sol avec notre sang. Non, ce fruit n’est pas encore mûr. Notre lutte est à l’état de fleur et n’a pas encore porté ses fruits, parce que nous ne nous sommes pas tous unis en tant qu’Arabes pour les récolter ensemble. Fils de la révolution et enfants du désert, c'est ainsi que nous nous sommes voués à être des sacrifiés sur l'autel du nationalisme arabe. Cet arbre ne portera pas de fruits tant que ses branches seront couvertes d’insectes… Il ne portera pas de fruits tant que la voix de la liberté de la Palestine ne s’élèvera pas pour éloigner le spectre des ambitions coloniales, concernant l’Irak, l’Égypte et la Jordanie. Après cela, quel fruit délicieux et mûr, symbole des générations qui ont porté le flambeau de la civilisation, dont la lumière ne s'éteindra jamais ».

Sultan al-Attrache s’est toujours méfié des ambitions coloniales qui prenaient mille formes. Il a laissé, alors, un testament politique à cet effet. 

Venons-en à ton père Mansour, fils de Sultan. Résume-nous son parcours

Il a étudié les sciences politiques et l'histoire à l'Université américaine de Beyrouth ; il a étudié le droit à l'Université de la Sorbonne à Paris. Il a été emprisonné pour des raisons politiques à trois reprises : en 1952 et 1954 à l'époque d'Adib Chichakli, et en 1966 après le Mouvement du 23 février. Il a vécu, ensuite, en exil à Beyrouth entre juillet 1967 et avril 1969, date à laquelle il est retourné à Damas.

Sultan et Mansour, 1971

Il est nommé ministre du Travail et des Affaires Sociales en 1963. Il était membre du Conseil présidentiel en 1964. Il a refusé d'accepter le poste de ministre à plusieurs reprises, notamment pendant la période de 1961 à 1963. Membre des directions régionales et nationales du parti. Il était président du Conseil National de la Révolution 1965-1966. Il a pris sa retraite et a travaillé dans l'agriculture.

 Il était Président du Comité arabe syrien pour la levée du siège et le soutien à l'Irak de 200 à 2006 et membre fondateur du Comité de soutien à l'Intifada de 2000 à 2006. 

Il était marié à l'enseignante, à l’École Normale Supérieure, Hind al-Choueiri, chrétienne orthodoxe de Damas, et il a eu deux enfants : Thaer (ingénieur civil) et moi, Rim (traductrice et écrivaine).


Mansour en 2005

Dans une interview publiée au quotidien Al Khalij, le 23 mai 1993, Mansour al-Attrache a déclaré ce qui suit :

« Nous sommes responsables et notre génération est condamnée. Si, un jour, j’écris mes mémoires, je les intitulerai “La génération condamnée” .

« Condamnée pourquoi ? Parce que nous, en tant que génération, n’avons pas été fidèles aux objectifs que nous avions fixés pour le parti Baath, et nous n'avons pas été fidèles à la voie honnête vers ces objectifs. Nous nous sommes noyés dans des excuses pour nous protéger de la chute du pouvoir, et nous sommes donc tombés moralement et éthiquement. Nous ne ressentons plus aucun lien entre nous et la première image du parti Baath...

« Sur le plan personnel, je peux dire que je suis tombé avec la génération, mais je me suis sauvé en tant qu’individu. Je n’ai violé les droits de personne, je n’ai pas changé et je ne me suis pas noyé dans les tentations du pouvoir. De ce point de vue, j’ai la conscience tranquille et je me considère libéré des maux de cette expérience, ce qui a renouvelé ma détermination à entreprendre une œuvre nationale, d’ambition modeste, qui répond aux nécessités de la phase actuelle que traverse la Nation arabe.

« Mais je crois franchement que le salut d’un individu face à toute lacune dans le travail national ou à toute accusation morale dans le cadre de son travail politique, n’a pas beaucoup de valeur, car l'individu, malgré son rôle parfois important dans le travail politique, ne peut pas sauver la génération de sa responsabilité dans l'échec ».

À ton avis, qu’auraient fait Sultan et Mansour dans la Syrie de 2025 ?

Mon grand-père Sultan et mon père, Mansor, croyaient en l’unité de la Syrie et du Levant, ainsi qu’en la nécessité d’une intégration entre les pays du monde arabe, pour former une force politique et économique significative. Ils ne peuvent donc pas être convaincus par la division et la fragmentation du pays, sur une base confessionnelle et ethnique. Je crois plutôt que s’ils étaient présents en Syrie aujourd’hui, ils auraient œuvré pour soutenir le dialogue national entre les Syriens afin de parvenir à une constitution qui protège la citoyenneté, et de préserver la liberté, l’indépendance et le pluralisme, dans le but de consolider la démocratie participative et la séparation entre les trois pouvoirs : législatif, exécutif et judiciaire. Ils auraient œuvré aussi pour réaliser la confédération du Levant, basée sur un programme national clair. Ils auraient également souligné la nécessité de libérer la Palestine du fleuve à la mer, et d’expulser toutes les armées étrangères se trouvant maintenant en Syrie et dans tout le Levant.



Sultan en 1950

Comment définir l’être Druze dans le monde d’aujourd’hui, où les Druzes, comme tous les Syriens, les Palestiniens et autres, sont devenus un « peuple-monde », présent du Venezuela (où on les appelle les Bani Zuela) à la Scandinavie et à l'Australie, en passant par la Syrie, le Liban, la Jordanie et la Palestine, dite « Israël » ?

Le nombre d’expatriés du Levant est très important, notamment depuis la guerre civile libanaise, ainsi que depuis 2011 en provenance de Syrie, depuis 1948 en provenance de Palestine et depuis 1967 en provenance du plateau du Golan, en raison de l’occupation sioniste. Les Druzes de la diaspora sont, pour la plupart, des Syriens, des Libanais, des Palestiniens, des Jordaniens et, finalement, des Arabes. Quant aux nouvelles générations, elles appartiennent au pays d’expatriation dans lequel elles se trouvent et se sont largement intégrées. Il existe cependant un fil très fin qui relie encore la plupart d’entre eux au patrimoine de leur pays et à leur communauté religieuse. Cela s’est clairement manifesté, par exemple, par leur soutien matériel et moral des druzes en Syrie pendant l’épreuve syrienne qui dure depuis 2011 et qui continue encore aujourd’hui, d’autant plus que le peuple syrien est aujourd’hui à 90 % en dessous du seuil de pauvreté !

Quels sont les rapports entre les Druzes du Djebel Druze, du Golan, de Damas, du Liban et de la Palestine de 1948, dite « l’Israël » d’aujourd’hui ?

Les monothéistes ou les Druzes ne s'abandonnent jamais. Il s’agit des mêmes familles, réparties en Syrie, sur le plateau du Golan syrien occupé, au Liban, en Jordanie et en Palestine occupée. À l’origine, il s’agissait de tribus arabes venues du Yémen, et elles constituent une confession islamique du chiisme des sept Imams. Les monothéistes n’abandonnent pas leurs terres ni leurs armes, car les armes protègent la terre et l'honneur, et ils ne s'abandonnent pas, en raison de leur parenté et de leur nombre restreint. On constate donc que, dans le cas d’une menace existentielle pour certains d’entre eux, ils se rangent tous du côté de celui qui se trouve sous cette menace. C’est ce qui s’est passé, par exemple, en 1982 au Mont Liban.

Peut-on rêver à une confédération transnationale druze ?

Je ne crois pas que ce soit un rêve politique druze. Car tout au long de leur histoire, les Druzes ont adopté des positions patriotiques pour construire un État national et se libérer du colonialisme occidental et turc.

As-tu autre chose à ajouter ?

J’aimerais ajouter ici une partie du testament politique de Sultan al-Attrache, seul révolutionnaire syrien à avoir laissé un tel testament :

« Je vous dis, chers Syriens et Arabes, que vous avez devant vous un long et difficile chemin, exigeant deux types de djihad : le djihad contre votre instinct confessionnel et le djihad contre l’ennemi. Soyez donc patients, comme les hommes libres, et que votre unité nationale, et la force de votre foi soient votre chemin pour repousser les complots de l’ennemi, expulser les usurpateurs et libérer le pays. Sachez que préserver l’indépendance est votre responsabilité, après que de nombreux martyrs sont morts pour elle et que beaucoup de sang a été versé pour l’obtenir. Sachez que l’unité arabe est force et puissance, qu’elle est le rêve de générations et la voie du salut. Sachez que ce qui a été usurpé par la force sera rendu par l’épée, que la foi est plus forte que toute arme, que l’amertume dans la gloire est plus douce que la vie dans l’humiliation, que la foi est chargée de patience, préservée par la justice, renforcée par la certitude et fortifiée par le djihad.

Sachez que la piété est pour Dieu, que l’amour est pour la terre, que la vérité victorieuse, que l’honneur est dans la préservation des mœurs, que la fierté est dans la liberté et la dignité, que le progrès est par la connaissance et le travail, que la sécurité est par la justice, et que la coopération fait la force ».

Sultan avec Rim, Falougha, Liban, 1971

09/05/2025

FAUSTO GIUDICE
Syrie : la résilience d’un peuple ancien
Entretien avec un Damascène

Fausto GiudiceTlaxcala, 9/5/2025

Alors que le « président » syrien Ahmed Al Charaa est reçu officiellement à l’Élysée par Emmanuel Macron, nous avons demandé à Ibrahim Al Ambda, un enseignant syrien francophone à la retraite qui n’a jamais quitté la Syrie, de nous décrire la situation concrète, tel qu’il la vit à Damas.

Peux-tu nous décrire la vie quotidienne à Damas après le 8 décembre et la fuite de Bachar Al Assad ? Qu’est-ce qui a changé ? Qu’est-ce qui est resté pareil ?

À mon avis, l’ancien président a fui, et je m’attendais à cela de sa part, mais le régime n’est pas tombé !

En d’autres termes, le nouveau régime reste une dictature, noyée dans le chaos, et poursuivant les intérêts personnels des dirigeants, et non l’intérêt public. Cela s’ajoute au chaos généralisé dans lequel le pays a été plongé en raison de la dissolution de l’armée, de la police et des forces de sécurité.

Damas est plus triste qu’avant et les gens sont plus pauvres.

En fait, je ne vois aucun changement ! La logique de l’autorité est la même. Les violations des libertés individuelles sont plus fréquentes qu’auparavant. En plus, beaucoup de massacres sont commis contre les minorités sur la côte syrienne, à Homs, au sud de la Syrie et dans certaines parties de la campagne de Damas, de Hama !

Les gens ont perdu leur sentiment de sécurité, les meurtres sont devenus aléatoires dans les rues, et le scénario irakien se répète, avec l’enlèvement et le meurtre d’érudits, surtout de quelques minorités spécifiques !

La situation économique se dégrade…

La division, l’affaiblissement du pays et le partage de l’influence et des richesses entre les pays occidentaux et régionaux, contre la volonté de la plupart des gens de mon pays, sont mis en œuvre, par le fait de commettre les massacres contre les civils. 

Ce qui se passe aujourd’hui à Gaza, en Cisjordanie, au Liban et en Syrie, et ce qui s’est passé auparavant en Irak (1990-2003), est la deuxième partie du scénario des accords Sykes-Picot de 1916 !


Plan de Damas, par auteur européen inconnu, 1620    

Vous avez vécu depuis un siècle une histoire pleine de bruit et de fureur. Quel est le secret de votre incroyable soumoud (résilience) ?

Le peuple syrien, au Levant (Bilad al-Cham), est un peuple ancien. Sa civilisation remonte à plus de dix mille ans. Les habitants des grandes villes du Levant : Alep, Beyrouth, Jérusalem, Jéricho, Bagdad… et surtout Damas, avec leur tolérance, leur amour, leur acceptation de l’Autre, avec une ouverture claire, ont pu absorber les étrangers pacifiques. Mais ces cités antiques, tout au long de l’histoire, ont rejeté les étrangers violents et sanglants ! 

Grâce à cette histoire ouverte, nous constatons que les Syriens, au Levant, sont certains d’une chose, claire dans leur esprit, à travers l’Histoire : ce sont eux qui resteront, et tous les événements accidentels, en particulier le colonialisme et les étrangers occupants, disparaîtront inévitablement, tôt ou tard !

On constate donc que les Syriens, pour la plupart, considèrent leur pays comme leur patrie finale, et même lorsqu’ils sont contraints d’émigrer, à la recherche d’un moyen de subsistance et d’un travail, et pour échapper aux persécutions et aux guerres imposées à notre région par les grandes puissances – puisque c’est la géographie qui fait l’histoire – beaucoup d’entre eux retournent en Syrie lorsque la sécurité est rétablie et que les guerres prennent fin. C’est là le secret de la persévérance du peuple syrien, palestinien et libanais sur leur terre : Gaza, le Sud du Levant, ainsi que le Sud-Liban, en est un exemple frappant et étonnant. 

Quels rapports entretenez-vous avec la diaspora syrienne, éparpillée aux quatre coins du monde ?

Depuis le XIXe siècle jusqu’à nos jours, il n’existe presque aucune famille en Syrie qui n’ait de parents à l’étranger, sur les cinq continents ! Ces expatriés, leurs enfants et petits-enfants, ont toujours été aux côtés de leurs familles en Syrie, au Liban et en Palestine… C’est pourquoi nous constatons que le peuple syrien, malgré les épreuves successives auxquelles il a été confronté tout au long de son histoire, a pu persévérer, grâce à cette solidarité sociale, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.

Personnellement, j’ai des parents et de vrais amis partout dans le monde, et ils me soutiennent toujours, certains matériellement et d’autres moralement : par conséquent, je sens que le monde est toujours dans un état de bonté, tout comme l’amour et l’humanité.

Quel pourrait être aujourd’hui et demain le rôle des personnes et des groupes, à travers le monde, qui se considèrent à divers titres comme solidaires du peuple syrien ?

Puisque l'attaque est plus que féroce à travers le Levant, et personnellement, je vois ce qui se passe en Palestine, au Liban et en Syrie comme une destruction systématique de pays et de sociétés, après les avoir épuisés, et c'est un problème unique qui ne peut être divisé, je vois personnellement que ceux qui sont solidaires avec nous peuvent soutenir les Syriens, ainsi que les Palestiniens et les Libanais, en dénonçant l’avidité des politiciens des grandes puissances et régionales pour les richesses de notre Levant, et en dénonçant certaines figures médiatiques qui pratiquent la désinformation, et qui ignorent toutes les tragédies humaines pour servir les intérêts des grandes puissances, sans se soucier des vies perdues dans nos pays.

Aurais-tu un ou des messages pour les Arabes, les Européens, les Américains ?

En fait, j’ai envoyé et je continue d’envoyer, des messages aux Arabes, en particulier par des canaux fiables, secrets et publics, afin qu’ils puissent assumer leur responsabilité en matière de protection de la Palestine et de la Syrie également. Après la dissolution de l’armée syrienne, ils pourront envoyer des militaires arabes pour aider à maintenir la sécurité en Syrie, avec la jeunesse syrienne volontaire dans le nouvel appareil de sécurité syrien.

Quant aux Européens et aux Américains, ils n’ont pas manqué de soutenir, humainement, la Palestine, durant les dix-huit mois derniers.

Personnellement, je préfère que les Européens et les Américains n’interviennent pas politiquement dans nos affaires ! Mais je leur demande d'essayer de changer la politique occidentale pour qu’elle soit humaine et éthique. Notre civilisation, à Ugarit, a exporté à tout le monde l’alphabet et la première partition musicale, ainsi que la paix et l’amour avec Jésus-Christ, le Palestinien, alors qu’il nous a envoyé la violence, les massacres et la pauvreté, avec la colonisation.


07/05/2025

HAYTHAM MANNA
Manifeste contre le fascisme djihadiste

Haytham Manna, 3/4/2025
Original : بيان ضد الفاشية الجهادية

Traduit par Tlaxcala

Voici le premier chapitre d’un livre à paraître prochainement
Le « Commandement des opérations militaires » dirigé par Hayat Tahrir al-Cham est entré à Damas le 8 décembre 2024 à l’issue de la bataille militaire la moins importante de son histoire en termes de pertes matérielles et humaines. Il était clair que la perte par le Hamas et le Hezbollah de leur bataille à Gaza et au Liban et le succès de Trump à l’élection présidentielle aux USA avaient créé une nouvelle situation régionale et internationale dans laquelle Assad fils n'avait plus sa place. Erdogan et Fidan ont décidé de mettre fin à l'idée d'un État syrien souverain en installant la faction la plus extrémiste, la plus fanatique et la plus étrangère de la société syrienne au pouvoir sur tous les Syriens. Les hommes masqués sont entrés dans la capitale syrienne pour “libérer” le pays de la tyrannie et de la corruption d'une famille qui avait transformé la Syrie en une ferme d'esclaves. Le jour de la “célébration” du mariage de la victoire, la plupart des Syriens ne se sont pas arrêtés à la vue de la mariée, la Syrie, en train d'être violée en plein jour.

Hassan Bleibel

- Le 8 décembre 2024, des forces d'élite composées principalement de Hayat Tahrir al-Cham ont pris le contrôle de points clés à Damas : la Maison de la radio et de la télévision, la Banque centrale, les principaux ronds-points de la ville, le palais présidentiel et les principaux postes de police. Ils ont mis en place des points de contrôle. La majorité de ces hommes étaient masqués et portaient des tenues avec le logo de Hay'at Tahrir al-Cham.
- Une campagne de liquidation et de saignée des institutions étatiques non sunnites a rapidement commencé, et le terme « al-Fouloul » (résidus, vestiges de l'ancien régime) est devenu le mot clé pour désigner les ennemis de la nouvelle autorité dans le cadre de la conception du conflit en Syrie de ce groupe, à savoir une lutte contre “un régime alaouite que les juristes ont unanimement qualifié d’apostat”. La première décision a été d'appliquer à la lettre la fatwa d'Ibn Taymiyyah : « Il n'est permis à personne de les aider à rester dans les rangs des soldats et des serviteurs, et il n'est permis à personne de se taire sur l'accomplissement de ce que Dieu et Son messager ont ordonné. »
- Le transfert du pouvoir s'est fait très rapidement : le gouvernement du HTC à Idlib a été transféré dans son intégralité à Damas afin de restructurer les institutions de l'État dans tout le pays selon le “modèle réussi d'Idlib” (Hakan Fidan). Dans la plus petite province de Syrie, 11 prisons avaient été construites pour contrôler la sécurité ! Avec l'organisation et l'installation d’ “immigrés djihadistes” dans les maisons de la moitié des habitants de la province, qui sont devenus des réfugiés et des personnes déplacées, Hay'at Tahrir al-Cham a réussi à contrôler la situation sécuritaire.
- Le Commandement des opérations militaires a sécurisé les conditions de vie de ses miliciens dans les maisons confisquées des officiers et sous-officiers, et le commandement a publié une décision selon laquelle les membres de l'armée et de la police du régime déchu devraient rester dans leurs maisons et être ensuite convoqués individuellement pour décider de leur sort. Nous avons reçu une liste non exhaustive des noms de 13 000 soldats et officiers détenus dans des conditions inhumaines dans huit prisons* .
- Dès les premiers jours, les attaques contre les Alaouites en tant que tels ont commencé de manière aléatoire et irrégulière, mais de manière systématique en raison de la nécessité d'exclure toute personne appartenant à cette secte des institutions publiques d'éducation, de santé, de subsistance, militaires et de sécurité, conformément à la fatwa d'Ibn Taymiyyah. Les nouvelles forces de sécurité ont encouragé ce qu'elles appellent le “droit privé”, ce qui signifie qu'un citoyen sunnite qui a été lésé ou qui a perdu un martyr dans sa famille peut faire valoir ses droits auprès du voisin alaouite le plus proche de son domicile ou de son quartier. Aux points de contrôle des nouvelles autorités, il n’est pas devenu rare de s’entendre demander : « Tu es alaouite ou sunnite ? » Il y a eu des provocations à l'encontre des chrétiens dans leurs quartiers, qui ont été limitées après les réactions européennes.
- Les dossiers des travailleurs du secteur public ont été collectés. La décision de licencier plus de 28 % des fonctionnaires a été prise, chiffre confirmé par les ministères concernés.
- Les employés des services de sécurité, de la police et de l'armée syrienne ont été convoqués, arrêtés et poursuivis, avec ou sans arrangement. Au cours du premier mois, les salaires des employés du secteur public dans divers secteurs n'ont pas été versés.
- Al-Charaa a publié un décret accordant les grades les plus élevés de la «Nouvelle armée» (composée en partie de djihadistes étrangers, principalement originaires d'Asie centrale : Ouïghours, Ouzbeks, Turkestans et autres) à 49 Syriens et non-Syriens, qui sont devenus généraux, brigadiers et colonels avec une note et un papier signés par lui. Une semaine plus tard, la construction des nouvelles unités de l'armée, dirigée par des djihadistes jordano-turco-égyptiens, était achevée. Des milliers d'officiers dissidents, malgré leur appartenance à la secte sunnite, n'ont pas été rappelés, et l'opinion à ce sujet avait été clairement exprimée il y a longtemps par Anas Khattab, qui a été nommé directeur des renseignements généraux, puis ministre de l'intérieur : « Il n'est pas permis de rejoindre les groupes et les armées qui appartiennent à la doctrine du patriotisme, car il s'agit de groupes hérétiques, et leur combat n'est pas mené pour Dieu, mais pour la patrie, et quiconque est tué pour la patrie ne peut être appelé martyr, car le martyre est un statut purement religieux, et non une médaille d'honneur humaine que les gens soumettent à leurs philosophies et idées erronées» (Anas Khattab, Décision sur l'affiliation à des groupes et armées patriotiques).
- Il est apparu clairement que la nouvelle équipe voulait monopoliser le contrôle des services de renseignement, de sécurité intérieure et de l'armée avant d'aborder toute autre question. Par conséquent, l'affiliation sunnite, l'éducation religieuse et la volonté de défendre le “véritable islam” sont devenues des conditions d'emploi dans les services de police et de sécurité.
- Depuis la mise en place du premier gouvernement de facto à Idlib, l'objectif du HTC a été de contrôler totalement les syndicats, les actions collectives et les différentes formes de la société civile. Les sept gouvernements d'Idlib ont confisqué les projets les plus importants nés d'initiatives civiles et populaires et les ont placés sous leur contrôle. Jusqu'à présent, il semble clair que le processus de transfert de ce modèle dystopique à Damas est en bonne voie.
- Le 29 janvier 2025 est organisée la “Conférence de la Victoire” qui, partant du principe que ceux qui “libèrent” décident, dissout l'armée, les institutions de sécurité et de police, ainsi que les organes de négociation, les partis et les groupements syndicaux... Dans sa première et dernière session, la Conférence militaire de la Victoire se voit attribuer les pouvoirs de  ahl al hal wa al aqed أهل الحل والعقد , “les gens de la solution et du contrat” et désigne Ahmad al-Charaa comme président de la République, avec le pouvoir de former un conseil constitutionnel, d'approuver les principes constitutionnels et de former un gouvernement de transition.
- Le 6 mars, un petit groupe d'anciens militaires prend en otage le personnel de sécurité. Ahmed al-Charaa déclare la mobilisation générale contre les rebelles, des appels au djihad sont lancés dans de nombreuses mosquées et tous les instincts sectaires latents sont mobilisés. Une quinzaine de factions armées, essentiellement composées de djihadistes étrangers, prennent d'assaut la zone côtière syrienne (Sahel) en scandant le slogan “Mort aux Alaouites”.
- Au cours des quatre jours suivants, 25 massacres ont été documentés, 811 vidéos ont été vérifiées et 2 246 victimes ont été identifiées. Nous disposons également d'une liste de 2 100 civils alaouites disparus. 42 victimes d'autres appartenances religieuses ont également été recensées, tuées pour leur solidarité avec les civils ou pour avoir tenté de les cacher. Par ailleurs, près de 30 000 personnes sont toujours déplacées ou réfugiées dans le nord du Liban.
- Le Sahel est au bord d'une catastrophe humanitaire sans précédent, avec 97 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté, plus de 10 000 cas documentés d'arrestations illégales et de disparitions forcées, et une vague de licenciements massifs d'environ 2 000 fonctionnaires dans les secteurs de la santé et de l'éducation.
- Le 12 mars 2025, la présidence syrienne a annoncé, par un décret présidentiel émis par Ahmad al-Charaa* , la formation d'un Conseil de sécurité nationale composé exclusivement de responsables de Hay'at Tahrir al-Cham. Ce conseil, composé d'un groupe de personnes dont les mains sont tachées de sang syrien, a pour mission de coordonner et de gérer la politique du pays 
- Nous approchons de la fin du quatrième mois depuis l'entrée de HTC à Damas, et aucune décision politique n'a été prise concernant la situation économique catastrophique dans laquelle vivent tous les habitants des zones contrôlées par HTC.
- Un gouvernement de transition fantoche a été nommé par le président le 30 mars 2025, pour une durée indéterminée. Dans ce gouvernement, en guise de remerciement, al-Joulani envisage de confier à un collaborateur d'Al Jazeera le poste de ministre de la Culture et à un stagiaire de l’ Institut de Doha dirigé par Azmi Bishara celui de ministre de l'Information.
- Le Grand Mufti de la République et le Conseil de la Fatwa ont été nommés par une majorité connue pour sa “pureté” idéologique djihadiste et pour considérer comme un devoir religieux de nettoyer le pays des sectes égarées, des laïques, des démocrates et des patriotes. Selon le cheikh Nabulsi, l'une de ses tâches consiste à contrôler les lois et la législation et leur compatibilité avec la charia.
Une bonne partie de la classe politique usée et fatiguée parle encore des nouveaux habits du nouveau prince, de la découverte de son potentiel génial qui était resté enfoui pendant 14 ans, et de sa jeune équipe qui restaurera le Levant à sa gloire omeyyade, alors que la nouvelle autorité érige tous les piliers de la construction d'une autorité totalitaire sectaire qui vit en alimentant les discours de haine entre les différents segments de la société et en faisant preuve de racisme et de discrimination religieuse dans toutes ses nouvelles structures.
Pour la vérité et l'histoire, les nouveaux décideurs n'ont pas voilé leurs opinions et leurs positions, mais se sont montrés plus ouverts et plus clairs dans leur vision de la construction de l'État. Lorsque nous avons évoqué la nécessité de créer une nouvelle armée nationale syrienne il y a quelques années, la première personne à nous répondre a été le “général” Anas Khattab, commandant des renseignements généraux et actuel ministre de l'intérieur, qui a répondu de manière effrontée dans sa dissertation intitulée « Décision sur l'affiliation à des groupes et armées patriotiques » :
« L'islam fonde la loyauté et la déloyauté sur la religion, le combat au nom de la religion et la promotion de sa parole.
Les fils d'une même patrie sont loyaux les uns envers les autres, quelle que soit leur religion, car le musulman est le frère du chrétien, le frère du juif, le frère de l'athée, le frère de l'apostat, il n'y a pas de différence entre eux, et aucun n'est favorisé par rapport à l'autre, car ils sont tous les fils d'une même patrie.
L'Islam dit clairement et explicitement que {les croyants sont frères}, {les croyants et les croyantes sont frères les uns des autres}, et {le musulman est le frère du musulman}.
Le patriotisme rend les membres d'une même nation égaux en droits et en devoirs - indépendamment de leurs différentes religions, de sorte qu'un chrétien, un juif, un athée et un apostat ont les mêmes droits qu'un musulman !
Par exemple, dans le patriotisme, c'est un droit général pour tous les citoyens - quelle que soit leur religion - même s'ils sont athées ou apostats, alors que dans l'islam, ce n'est permis qu'aux musulmans, et ce n'est permis qu'à ceux qui ne sont que musulmans ».
Et d'ajouter : « Le patriotisme est une doctrine philosophique qui contredit la religion de l'islam, il n'est donc pas permis d'y croire et de s'y affilier, que ce soit en vérité ou pour tromper l'ennemi, bien que le jugement ne soit pas le même dans les deux cas, car le premier est régi par la mécréance, et le second par l'interdiction. »
Khattab déclare clairement qu'il ne construira pas d'institution militaire nationale syrienne, car cela signifierait l'égalité entre musulmans et non-musulmans, prédéterminant ainsi la couleur, la secte et la croyance de la nouvelle armée.
Hier, les habitants de la ville frontalière de Nawa ont fait face, torse nu, à l'agression israélienne, qui n'a pas cessé depuis le 8 décembre 2024. 9 martyrs sont tombés dans cette confrontation avec l'ennemi israélien...
Nous ne savons pas si Abou Qasra, Khattab, Al-Charaa et Atoun feront l'éloge des martyrs du Hauran en les désignant comme tels, ne sont-ils pas ceux qui ont dit et répété pendant 14 ans : « Quiconque est tué pour la patrie ne peut être appelé martyr, car le martyre est un statut purement religieux, et non une médaille d'honneur humaine que les gens soumettent à leurs philosophies et idées erronées »...
Jour après jour, il devient clair pour les Syriens et les Syriennes que le modèle HTC qui prévaut aujourd'hui ne fonctionne pas, et que l'idée infernale avec laquelle les Syriens sont intimidés et attirés : “Nous ou le déluge” se transformera en malédiction pour ses propriétaires...
Les sociétés humaines connaissent le phénomène du suicide individuel, mais elles n'ont jamais accepté, même sous la domination des pires formes de tyrannie, de se suicider collectivement au profit de leurs oppresseurs.
Notes
*Le nettoyage sectaire comme politique de gouvernance, rapport de la Commission de suivi des droits humains et de la situation humanitaire (Syrie), 22.04.2025 

HAARETZ
Non à l’aventurisme militaire israélien au détriment des Druzes syriens et des captifs israéliens

Éditorial, Haaretz, 3/5/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Vendredi soir 2 mai, l’armée de l’air israélienne a frappé des cibles militaires à travers toute la Syrie. La veille, l’armée de l’air a frappé près du palais présidentiel à Damas. Il s’agit d’un “message clair au régime syrien”, a déclaré le bureau du Premier ministre Benjamin Netanyahou dans un communiqué. La direction est claire : le gouvernement israélien a décidé d’intensifier la guerre à Gaza et même de l’étendre au-delà des frontières de la Syrie, tout cela au détriment de la vie des captifs israéliens.


Funérailles de victimes druzes de nettoyage sectaire dans le village de Salkhad, dans le gouvernorat de Soueïda, dans le sud de la Syrie, samedi. Photo Shadi al-Dubaisi / AFP

Le ministre de la défense, Israel Katz, a mis en garde le nouveau président syrien, Ahmad al-Charaa, contre toute atteinte aux Druzes de son pays. « Nous sommes déterminés à protéger les Druzes et nous surveillons la situation. Si les attaques contre eux ne cessent pas, nous réagirons avec une grande sévérité ». Avec tout le respect dû à l’alliance d’Israël avec les Druzes - un lien qui n’était pas dans l’esprit des députés israéliens lorsqu’ils ont adopté la loi dite de l’État-nation et, par la suite, lorsqu’ils ont bloqué les amendements à cette loi - il semble qu’Israël intervienne dans l’histoire des Druzes afin d’exercer un effet de levier sur son emprise dans le sud de la Syrie.

Bien que les dirigeants druzes en Syrie considèrent le patronage israélien comme une monnaie d’échange contre le régime, leur position était et reste que la communauté fait partie intégrante de la Syrie et qu’elle rejette toute forme de partition ou de sécession. Israël ignore le fait que le nouveau régime syrien a reçu une légitimité internationale et arabe et qu’il a conclu plusieurs accords avec les Druzes vivant dans le pays.

L’implication et les menaces israéliennes contre le régime syrien ne servent pas les intérêts de sécurité d’Israël et pourraient placer les Druzes dans la position d’un satellite israélien, précisément au moment où eux et le régime s’efforcent d’établir un État unifié.

Naturellement, les attaques d’Israël ont suscité des menaces à son encontre. Le père du président syrien Ahmed al-Charaa, Hussein, a rejeté l’affirmation d’Israël selon laquelle il agit pour protéger les Druzes et l’a accusé d’exploiter la question pour faire taire la Syrie. « La réponse viendra d’un endroit auquel vous ne vous attendez pas », a-t-il averti.


Le président syrien Ahmed al-Charaa en Turquie le mois dernier. Photo OZAN KOSE/AFP

Ouvrir un front en Syrie en plus de Gaza, alors que le Liban est toujours instable, semble maintenant être une décision aventuriste et inutile, dont les conséquences pour les captifs pourraient être désastreuses. Les membres du cabinet agissent comme si la question des otages était une conspiration de “l’État profond” visant à renverser le gouvernement, plutôt qu’une réalité insupportable qu’ils ont le devoir de changer, par tous les moyens nécessaires.

Au lieu d’ouvrir de nouvelles arènes dans la guerre, le gouvernement ferait mieux de se concentrer d’abord sur le sauvetage des Israéliens retenus en captivité à Gaza. Depuis sa reprise, la guerre a principalement visé les habitants sans défense de la bande de Gaza assiégée. Un accord qui ramènerait à la maison tous les captifs, vivants et morts, doit être conclu.