Featured articles en vedette Artículos Artigos destacados Ausgewählte Artikel Articoli in evidenza

Affichage des articles dont le libellé est Un seul État démocratique en Palestine/Israël. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Un seul État démocratique en Palestine/Israël. Afficher tous les articles

23/03/2023

GIDEON LEVY
Les Israéliens savent qu’une vraie démocratie sonnerait le glas du sionisme

Gideon Levy, Haaretz, 23/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La plus grande menace qui pèse sur Israël est la menace démocratique. Il n’y a pas de plus grand danger pour le régime israélien que sa transformation en démocratie. Aucune société ne s’oppose à la démocratie comme la société israélienne. Il existe de nombreux régimes opposés à la démocratie, mais pas de société libre. En Israël, le peuple, le souverain, s’oppose à la démocratie. C’est pourquoi la lutte actuelle, qui prétend être une lutte pour la démocratie, est une mascarade. Elle est destinée à maintenir un simulacre de démocratie.

Theodor Herzl, le fondateur du sionisme, fut enterré à sa mort en 1904 au cimetière de Döbling, dans le XIXème arrondissement de Vienne, selon ses dernières volontés ("Je souhaite être enterré dans un cercueil en métal près de mon père et y reposer jusqu'à ce que le peuple juif transfère mon corps sur la terre d'Israël.")  En 1949, ses restes furent transférés à Jérusalem et enterrés au sommet du "Mont Herzl" (Har Hazikaron, Mont de la Mémoire), un cimetière créé par les sionistes pour enterrer leurs héros et héroïnes. Ses deux enfants ont été déterrés de France pour y être aussi transférés, ainsi que son petit-fils, mort aux USA.

Pour la plupart des Israéliens, une véritable démocratie équivaut à “la destruction d’Israël”. Ils ont raison. La véritable démocratie mettra fin au suprémacisme juif qu’ils appellent sionisme et à l’État qu’ils appellent juif et démocratique. Par conséquent, la menace de la démocratie est la menace existentielle contre laquelle tous les Israéliens juifs s’unissent : si la démocratie est instaurée pour tous les résidents de l’État, cela mettra fin à la prétendue démocratie.

C’est pourquoi les dirigeants de la protestation veillent à éviter tout contact véritable avec la démocratie, sous peine de voir l’ensemble s’effondrer comme un château de cartes. Ce n’est pas par racisme ou par haine des Arabes qu’ils ne veulent pas de drapeaux ou de manifestants palestiniens - ce sont des gens bien, après tout - mais seulement parce qu’ils ont compris que soulever la question de l’apartheid rendrait leur combat ridicule.

La simple évocation de l’idée d’un seul État démocratique, dans lequel une personne équivaut à une voix et où tous sont égaux, suscite une réaction instantanée et hostile chez les Israéliens libéraux et conservateurs : « Qu’est-ce que cela a à voir avec quoi que ce soit ? », suivi de « ça n’a jamais fonctionné nulle part », pour finir par « la destruction d’Israël ». Rien de moins. Il n’existe aucun autre pays dont les citoyens considèrent que devenir une démocratie équivaut à la destruction. Il n’y a pas d’autre combat pour la démocratie qui ignore totalement la tyrannie de l’État dans son propre jardin.

Alors que j’écris ces mots, tôt mercredi matin, les cris des manifestants devant le musée d’Eretz Israel résonnent en arrière-plan : “Démocratie, démocratie”. Comme l’a écrit un jour le légendaire leader de gauche Moshe Sneh*, dans ses notes pour son propre discours :  « Ici, élever la voix, car l’argument est faible ». Élevez la voix, camarades. Même si toutes vos demandes - aussi justifiées les unes que les autres - sont pleinement satisfaites, Israël ne deviendra pas une démocratie.

Quand la démocratie est criée avec pathos par des gorges enrouées, alors qu’à une demi-heure de route de la manifestation, des soldats arrachent nuit après nuit des civils à leur lit sans mandat judiciaire, qu’une ville est sous couvre-feu parce qu’elle a été victime d’un pogrom, qu’un millier de personnes sont en prison sans jugement et que des adolescents lanceurs de pierres sont systématiquement abattus, l’hypocrisie est impossible à digérer.

Les articles les plus terribles du plan du ministre de la justice Yariv Levin sont de glorieux monuments à la démocratie comparés au régime d’occupation. Même si le comité central du Likoud devait choisir tous les juges de la Cour suprême, un pour chaque circonscription électorale du Likoud, cette nouvelle cour serait un phare de la justice mondiale par rapport aux tribunaux militaires. Et comment peut-on ignorer les tribunaux militaires lorsqu’on se bat pour le système judiciaire israélien ? Ne font-ils pas partie du système judiciaire ? S’agit-il d’une externalisation ? Une légion étrangère ? Ne sont-ils pas le lieu où de nombreux juges israéliens font leurs premiers pas ? Ou devons-nous répéter les mensonges sur la situation d’urgence et l’état temporaire des choses ?

Continuez à protester vigoureusement, faites tout ce que vous pouvez pour renverser ce mauvais gouvernement, mais ne prononcez pas le nom de la démocratie en vain. Vous ne vous battez pas pour la démocratie. Vous vous battez pour un meilleur gouvernement à vos yeux. C’est important, c’est légitime et c’est impressionnant. Mais si vous aviez été des démocrates, vous vous seriez battus pour un État démocratique, ce qu’Israël n’est pas - et ce que vous n’êtes pas.

Vous vous battez contre un gouvernement horrible, qui doit être combattu parce qu’il détruit le tissu social à une vitesse terrifiante. Il démolit nos bonnes vies, notre économie florissante, la science, la culture, le système judiciaire et aussi l’armée la plus sophistiquée du monde. Honte, honte, honte. Il faut le combattre ; et quand vous en aurez le temps, battez-vous pour la démocratie.

NdT

* Moshe Sneh, Mosze Klaynboym en Pologne en 1909, arriva en Palestine en 1940 et fut le chef d’état-major de la Haganah de 1941 à 1946. D’abord membre des Sionistes généraux (ancêtres du Likoud), il co-fonde avec Ben-Gourion le MAPAM (sociaux-démocrates , qu’il quitte en 1953 lorsque le parti décide ne plus soutenir l’URSS et rejoint le MAKI (Parti communiste d’Eretz Israel), dont il sera le seul et dernier député jusqu’à sa mort en 1972.                                               

Suicide d'Israël, par Emad Hajjaj

17/06/2022

GIDEON LEVY
A.B. Yehoshua, le visionnaire de l'État unifié

Gideon Levy, Haaretz, 17/6/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

A.B. Yehoshua était le visionnaire de l'État unifié. Ce n'est pas un hasard si cette pierre angulaire de sa pensée a été laissée de côté dans les nombreux éloges funèbres prononcés à son sujet depuis sa mort, mardi. Yehoshua était le seul de sa génération et de son statut à avoir osé franchir le Rubicon. Il n'a pas terminé la traversée, et peut-être ne l'aurait-il jamais fait, car la route était encore longue ; mais il a osé commencer à y marcher. Contrairement à son cher ami Amos Oz, et à la gauche sioniste en général, Yehoshua a eu l'audace d'admettre l'échec de la solution à deux États et de reconnaître publiquement sa futilité.

A.B. Yehoshua. Photo : Rafaela Fahn Schoffman

 Le reste de ses amis de gauche ont continué et continuent de s'enliser dans cette solution pour apaiser leurs consciences. Voici la solution. Tout ce que nous avons à faire, c'est de la retirer de l'étagère. Mais l'étagère n'existe pas, la solution n'existe pas, et elle n'a probablement jamais existé. En s'enfonçant dans leur faux rêve, ils ne font que nous éloigner de toute solution et renforcer l'occupation. La plupart d'entre eux se mentent également à eux-mêmes, car au fond de leur cœur, ils savent, bien sûr, qu'il n'y aura jamais deux véritables États entre le Jourdain et la mer Méditerranée. Yehoshua était presque le seul à le reconnaître. C'était son caractère unique, c'était sa grandeur.

Le début a été très différent. En lisant l'entretien que j'ai eu avec lui lors de notre première rencontre, chez lui à Haïfa, il y a 35 ans cet été (publié dans le magazine Haaretz, le 15 mai 1987), lorsque son livre  L’année des cinq saisons a été publié, il dépeint une personne totalement différente, le porte-parole de la gauche sioniste à son pire. Yehoshua compare l'ascension du Likoud au gouvernement de l'époque à la nuit où la guerre du Kippour a éclaté : « une odeur de sang, quelqu'un est blessé, quelqu'un est déchiré... comme si des parachutistes égyptiens débarquaient dans le [col] de Mitla... comme si des pilotes égyptiens bombardaient les aérodromes israéliens... le monde s'est écroulé ». Le jeune Yehoshua voyait le changement de gouvernement lors d'élections légitimes et démocratiques comme la fin du monde, la fin de son monde.

Il les détestait vraiment, et il n'hésitait pas à le dire : « J'étais au sommet de ma haine pour les Likoudniks. Je me braquais totalement quand je les voyais ». Déjà à l'époque, il était l'un des chefs spirituels du camp éclairé, le camp qui, aujourd'hui encore, récite le mantra « juif et démocratique ». Aujourd'hui encore, ce camp est certain qu'il existe un gouffre énorme entre les électeurs inférieurs du Likoud et son auguste élévation, et que le retour du Likoud au gouvernement sonne la fin de la civilisation. Yehoshua a également été sevré de cette idée. Benny Ziffer a écrit mercredi dans Haaretz que Yehoshua voulait encore rencontrer Benjamin Netanyahou avant de mourir.

Il va sans dire qu'en 1987, Yehoshua parlait encore de « séparation d’avec les Palestiniens » et de la « vision à deux États », comme tout le monde dans ce camp à l’époque. C'était fascinant de voir le processus après cela : graduel, mesuré, pour que cela ne fasse pas trop mal. En décembre 2016, Yehoshua a proposé de donner la citoyenneté israélienne à 100 000 Palestiniens vivant dans la zone C. Toujours deux États, mais il voulait « réduire le niveau de malfaisance ». Deux ans plus tard est venu le moment décisif : Dans deux articles du Haaretz (les 12 et 16 avril 2018), il déclare le divorce. Le plan pour mettre fin à l'apartheid : le moment était venu de dire adieu à la vision des deux États.

Les conclusions inévitables qu'il a laissées à ceux qui viennent après lui. Il n'était plus assez fort pour passer à la phase suivante, la séparation inévitable d’avec le sionisme. Si le temps de la séparation de la vision à deux États était venu, il fallait aussi se séparer soit de l'État juif soit de l'État démocratique. Il est impossible d'avoir les deux. Qu'a choisi Yehoshua ? À la fin de ses articles phares de 2018, il a écrit : « Ce qui est en danger maintenant, ce n'est pas l'identité juive et sioniste d'Israël, mais son humanité - et l'humanité des Palestiniens qui sont sous notre domination ». L'homme qui avait consacré ses prouesses intellectuelles à la question de l'identité juive, qui nous a rappelé à tous que le peuple juif n'avait pas imaginé immigrer ici pendant les siècles au cours desquels il aurait pu le faire, et préféré la nostalgie et les lamentations, a trouvé quelque chose de plus important que l'identité juive et sioniste : l'humanité. Au revoir, cher ami, et merci pour toutes ces conversations.

 Livres de A. B. Yehoshua en français

19/12/2021

AVI GARFINKEL
Pourquoi le plus grand écrivain vivant d'Israël s'est-il détourné de la solution à deux États, optant pour celle d’un seul État démocratique ?

Avi Garfinkel, Haaretz, 17/12/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Avi Garfinkel (1972) est un écrivain israélien, auteur de 3 romans, rédacteur en chef du Masa Portal et ancien directeur du Shalem College Writing Center. Il a obtenu une licence en droit et en études générales à l'Université hébraïque de Jérusalem, puis a étudié la philosophie et la littérature à l'Université de Fribourg, en Allemagne. Il a ensuite obtenu un doctorat en littérature hébraïque à l'université Bar-Ilan. Garfinkel a travaillé pendant plusieurs années comme rédacteur et critique littéraire, entre autres pour Haaretz, Ynet, Maariv et Israel TV.

A.B. Yehoshua a toujours été opposé à l'idée d'effacer les frontières, notamment entre Juifs et Palestiniens. Pourquoi, alors, dans sa neuvième décennie de vie, promeut-il la solution à un seul État ?

Avraham B. Yehoshua. Photo : Rafaela Fahn Schoffman

 Pendant la majeure partie de sa vie, l'écrivain A.B. Yehoshua, qui a eu 85 ans au début du mois, a vécu dans des villes mixtes - juives et arabes : Jérusalem et Haïfa. Pourtant, plus ou moins au moment où il s'est installé à    Givatayim, l'une des villes les plus homogènes d'Israël, il a effectué un revirement stupéfiant. Après avoir soutenu la solution à deux États pendant 50 ans, il a annoncé, dans un certain nombre d'articles d'opinion publiés dans ce journal, qu'il considérait cette solution comme non viable. Ce qu'il faut faire, écrit-il, c'est donner à tous les Arabes de Cisjordanie et de Jérusalem-Est la citoyenneté dans le cadre d'un seul État commun judéo-arabe. En 2016, il a suggéré qu'Israël commence immédiatement à accorder le statut de résident et la citoyenneté aux quelque 100 000 Arabes qui vivent dans la zone C de la Cisjordanie (qui est sous contrôle israélien), donnant ainsi une résonance au plan de l'ancien directeur général du Conseil des colonies de Judée et Samarie, Naftali Bennett, qui est aujourd'hui Premier ministre.

Ce n'est pas tous les jours qu'une personne de plus de 80 ans change  d'avis, et ce ne sont pas toutes les sociétés qui ont connu une telle révision d'approche de la part de leur plus grand écrivain vivant, et encore moins sur la question qui divise la société depuis la création de l'État : le conflit avec les Arabes. L'étonnement est d'autant plus grand si l'on tient compte du fait que dans ses écrits - aussi bien dans ses essais que dans ses romans - Yehoshua s'est souvent exprimé farouchement contre l'idée d'effacer les frontières en général, et entre Juifs et Palestiniens en particulier :

« Après la guerre des Six Jours, la frontière, qui est la pierre angulaire de chaque [exemple de] souveraineté dans le monde, a commencé à devenir floue. Bien que nous n'ayons pas annexé le territoire que nous avons conquis... nous avons néanmoins annulé l'existence physique de la frontière claire qui séparait deux peuples différents, et nous avons commencé à nous disperser dans des colonies - imitant une fois de plus la diaspora - au sein du tissu de vie d'un autre peuple... Aujourd'hui [au cours de la deuxième intifada], nous payons le prix d'une absence de frontière sous une forme sinistre et sanguine, car chaque jour, un ennemi pénètre dans le système circulatoire de notre être, sans même que nous puissions l'identifier...

« Les Palestiniens sont dans une situation de folie qui rappelle la folie du peuple allemand pendant la période nazie. Je regarde avec effroi la profondeur de la haine suicidaire avec laquelle les Palestiniens se rapportent à nous. Les Allemands, eux aussi, nous considéraient avec le même type de haine. C'est quelque chose qui doit être clarifié : ce qui se passe entre nous et les autres peuples parmi lesquels nous vivons. Qu'est-ce qui a amené les Allemands et qu'est-ce qui amène les Palestiniens à éprouver une telle haine à notre égard... L'absence substantielle, presque anarchique, de frontières dans l'identité juive qui fait son nid dans une identité différente, suscite naturellement la résistance ».

 

Comme le montrent ces citations (tirées d'une conférence de 2002), la nouvelle position n'est pas seulement un changement de la part de Yehoshua. En effet, ce qu'il considérait comme le problème - l'effacement des frontières, la non-séparation entre Juifs et Palestiniens - il le présente maintenant comme la solution !