Les multinationales de l’édition de propriété
allemande sont impliquées dans le génocide perpétré par Israël contre 2,3
millions de Palestiniens à Gaza.
Publishers for Palestine, Mondoweiss, 8/7/2024
Traduit
par Fausto Giudice, Tlaxcala
Depuis la vague de condamnation déclenchée en
octobre dernier par l’annulation
d’une cérémonie de remise de prix à l’écrivaine palestinienne Adania Shibli [lire ici], qui
devait recevoir le prix LiBeratur à la Foire du livre de Francfort, la
tentative de réduire au silence les Palestiniens et le soutien à la cause
palestinienne par des institutions culturelles occidentales n’a fait que s’amplifier.
Dans le même temps, l’examen de la complicité des institutions avec l’apartheid
et le génocide israéliens s’est également intensifié à grande échelle. Le
mouvement BDS a remporté des victoires significatives, notamment le
désinvestissement d’universités et d’entreprises, et le Festival de Hay-on-Wye 2024
et le Festival international du livre d’Édimbourg ont récemment annoncé qu’ils
mettaient fin à leurs partenariats avec la société d’investissement Baillie
Gifford, complice de la destruction du climat et de l’apartheid et du génocide
israéliens, La rupture par BG de ses relations de financement avec tous les
festivals littéraires britanniques et le retrait de sa participation dans la
multinationale minière Rio Tinto, ainsi que
la réduction de moitié de la participation de la Banque Scotia, principal
sponsor artistique canadien, dans le fabricant d’armes israélien Elbit Systems, sont
autant d’indices d’un changement et d’un fossé important entre les grandes
entreprises et les institutions culturelles, d’une part, et leurs travailleurs,
leurs publics et le grand public, d’autre part.
Les principales organisations internationales de
défense des droits humains continuent de tirer la sonnette d’alarme concernant
les violations horribles et croissantes des droits de l’homme commises par
Israël à l’encontre de millions de Palestiniens. Nombre d’entre elles ont été
décrites dans la plainte déposée en décembre par l’Afrique du Sud devant la
Cour internationale de justice contre Israël pour crime de génocide. Malgré l’arrêt
rendu en janvier par cette Cour, selon lequel Israël commettait vraisemblablement
un génocide, ses décisions ultérieures selon lesquelles Israël devait autoriser
l’acheminement de l’aide humanitaire et mettre fin aux opérations militaires à
Rafah, et le dépôt par la Cour pénale internationale de demandes de mandats d’arrêt
à l’encontre de hauts responsables israéliens, ainsi que les soulèvements
massifs d’étudiants et de travailleurs en faveur de la libération des
Palestiniens et de la fin de la complicité avec Israël dans le monde entier, la
campagne génocidaire menée par Israël contre le peuple palestinien à Gaza se
poursuit essentiellement sans contrôle de la part de ses principaux soutiens, à
savoir les USA et d’autres puissances coloniales occidentales.
Les écrivains et les éditeurs sont
particulièrement concernés par le fait que la Foire du livre de Francfort
(FBM), le plus grand événement mondial de l’industrie du livre, a toujours
accueilli chaleureusement la présence de l’Israël de l’apartheid. On pourrait
penser que, face aux actions d’Israël et à l’indignation internationale
croissante, des institutions culturelles comme la FBM retireraient leur
soutien, condamneraient Israël pour ses violations et rompraient leurs
relations. Toutefois, la position initiale de la Foire du livre de Francfort,
qui a soutenu fermement Israël tout au long de sa tenue en octobre dernier -
position qui s’est traduite par des déclarations au nom de la Foire et de son
directeur général, Jurgen Boos, et par des projets visant à rendre les voix
israéliennes « particulièrement visibles » grâce à l’ajout d’une
programmation spéciale, y compris un panel intitulé « In Sorge um
Israel » [En souci d'Israël] - n’a pas changé à ce jour, et la
FBM a gardé un silence assourdissant sur le génocide en cours dans les mois qui
ont suivi.
Un tel soutien vocal et tacite contraste
fortement avec les interdictions nationales édictées par la FBM, dont l’interdiction
permanente imposée à la Russie depuis 2022, invoquant la “violation du droit
international” à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Une lettre
d’information de la FBM distribuée le 24 avril contient un article intitulé « Marché
du livre Ukraine : Bibliothèques en ruine et nouvelles librairies », où l’on
peut lire : « Il y a une question que l’on pose régulièrement aux éditeurs
lors d’événements internationaux et de conversations privées : comment
faites-vous pour continuer à travailler pendant la guerre ? » Pourtant,
FBM ne fait aucune mention de Gaza, où les écrivains, les universitaires, les
éditeurs, les bibliothèques, les universités et les imprimeurs ont été pris
pour cible bien avant le 7 octobre et ont été brutalement ciblés pour être
éliminés au cours des nombreux mois qui se sont écoulés depuis. Cette
destruction du savoir a été largement documentée, notamment dans un rapport
détaillé rédigé par Librarians
and Archivists with Palestine (Bibliothécaires et archivistes avec la
Palestine). Depuis, les Nations unies ont fait état d’un “scolasticide”
à Gaza. Toutes les universités de Gaza ont été détruites. Le fait que la FBM n’ait
pas encore annoncé une interdiction d’Israël similaire à celle imposée à la
Russie, ni exprimé ne serait-ce qu’un soupçon d’inquiétude quant à la violation
des lois internationales par Israël, met en évidence une incongruité déjà
existante.
Cependant, la complicité de la Foire du livre de
Francfort va au-delà de son message public et ne peut être comprise qu’à
travers ses relations étroites avec le gouvernement allemand et deux empires
allemands de l’édition, devenus des multinationales multimilliardaires :
Holtzbrinck Publishing Group et Bertelsmann SE & Co. KGaA.
Il faut d’abord souligner l’importance de la
sphère culturelle israélienne - y compris le monde de l’édition et de la
littérature - dans le maintien de l’apartheid israélien. Le fait que l’État
israélien s’appuie fortement et collabore étroitement avec son secteur culturel
complice afin de blanchir son image a été rendu public lorsque Nissim
Ben-Sheetrit, ancien directeur général adjoint de “Brand Israel”, a
ouvertement admis ne pas faire de différence “entre la hasbara [propagande] et
la culture”. Le nouveau livre de Maya Wind, Towers
of Ivory and Steel : How Israeli Universities Deny Palestinian Freedom
(Tours d’ivoire et d’acier : comment les universités israéliennes nient la
liberté des Palestiniens), détaille le rôle des universités, en particulier
leur rôle dans cette indifférenciation, cette collaboration et cette
complicité. Selon Naomi Klein, les recherches de Maya Wind « révèlent d’innombrables
façons dont les établissements d’enseignement les plus célèbres et les plus
réputés du pays sont totalement imbriqués dans la violente machine de
dépossession, d’occupation, d’incarcération, de surveillance, de siège et de
bombardement militaire des Palestiniens ».
Cette intégration des arts et de la culture dans
les objectifs de l’État israélien est depuis longtemps contestée par la
Campagne palestinienne pour le boycott académique et culturel d’Israël (PACBI),
membre fondateur du mouvement de boycott, de désinvestissement et de sanctions
(BDS) dirigé par les Palestiniens. Lancée il y a vingt ans, PACBI a appelé le
reste du monde à cesser toute collaboration avec les institutions culturelles
et universitaires israéliennes complices. Pour être exemptée de l’appel au boycott
du PACBI, une institution doit faire deux choses : prendre ses distances avec
le génocide israélien et le régime d’apartheid colonial sous-jacent, et
approuver les pleins droits du peuple palestinien en vertu du droit
international, y compris le droit au retour des réfugiés palestiniens.
La plus grande foire du livre au monde et le
climat de censure en Allemagne
Le programme de la Foire du livre de Francfort
2024 sera rendu public ce mois-ci [pays hôte : l’Italie]. Dans l’attente
de sa publication, la censure et l’inquiétude internationales n’ont cessé de
croître face à la limitation des droits civils par le gouvernement allemand,
qui utilise des tactiques répressives pour faire taire la solidarité avec la
Palestine. Au cours des derniers mois, ces tactiques ont notamment consisté à
faire irruption dans le Congrès palestinien à Berlin et à le fermer violemment,
ainsi qu’à interdire l’entrée en Allemagne et la participation au Congrès (en
personne et en ligne) du chirurgien palestino-britannique et recteur de l’université
de Glasgow, le Dr Ghassan Abu-Sittah. Lorsqu’il a tenté d’entrer en France en
mai pour parler au Parlement français de son expérience à Gaza, M. Abu-Sittah a
également découvert que l’Allemagne était allée jusqu’à mettre en œuvre une
interdiction de voyager d’un an dans toute l’Europe à son encontre.
Plus récemment, l’Allemagne a adopté une loi
exigeant que les candidats à la citoyenneté affirment le “droit d’exister” d’Israël,
un régime d’apartheid vieux de 76 ans contre le peuple palestinien, au lieu de
respecter ses obligations de mettre fin à sa complicité avec ce régime.
Derrière cette pratique étatique de censure
extrême se cache l’énorme soutien militaire et diplomatique de l’Allemagne à
Israël. L’Allemagne fournit près de la moitié des armes livrées actuellement à Israël
(en deuxième position après les USA) et est son principal partenaire commercial
en Europe et son quatrième partenaire d’exportation dans la région.
L’industrie allemande de l’édition est l’une des
plus importantes au monde, représentant 11,4 milliards de dollars en 2022 ; les
ventes de livres en Allemagne sont énormes, derrière les USA et la Chine. L’exploitation
de l’édition par le gouvernement nazi pour sa propagande constitue un sombre
précédent historique. Mais aujourd’hui, on peut difficilement parler d’une
relation sans lien de dépendance. Dans un exemple récent, la Commission des
monopoles a fait pression pour la suppression de la politique de prix fixe sur
les livres conçue pour protéger les livres en tant qu’objets culturels,
qualifiant la loi de « nuisance réglementaire de premier ordre » ;
une telle suppression poserait de sérieux problèmes aux petits éditeurs et
libraires et réduirait inévitablement la présence de voix progressistes dans l’atmosphère
culturelle déjà très surveillée de l’Allemagne. Mais les objectifs de la
Commission en matière d’économie de marché sont clairs : « l’intérêt
culturel et politique des législateurs nationaux pour les livres doit être mis
en balance avec l’intérêt d’une concurrence non faussée ».