Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 8/7/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Des bergers des collines du sud d’Hébron ont été
choqués de découvrir qu’une tente avait été plantée par des colons sur un
terrain dont l’accès leur était interdit. Quatre frères dont la famille est
propriétaire du terrain ont été arrêtés - et les colons sont toujours là.
Jihad Abu Sabha, dont les fils ont
été arrêtés. Selon l’avocate Mishriqi-Assad, environ 600 dunams [= 60 ha] de sa
région ont été repris grâce aux "fuites des avant-postes".
Un berger s’est réveillé à 5 heures du matin le premier
jour de l’Aïd El Adha, la fête du sacrifice, à la fin de la semaine dernière,
et a emmené son troupeau de moutons paître sur le sol aride et rocailleux des
collines du sud d’Hébron. En 2006, le chef du commandement central de l’armée avait
émis un ordre interdisant l’entrée des Israéliens sur cette bande de terre, qui
appartient à la famille du berger et à d’autres familles. Le jeune berger s’occupait
tranquillement de son troupeau lorsque son père lui a téléphoné, paniqué : des
voisins avaient vu une tente bleue - apparemment montée pendant la nuit par des
colons sur ces terres privées - non loin du puits où ils puisent l’eau pour
leurs moutons. Les intrus y avaient également amené un troupeau de 30 moutons.
Stupéfait, le berger a rapidement appelé les membres
de sa famille et d’autres personnes qui possèdent des terres à cet endroit. Les
colons, armés de fusils, les ont attaqués à coups de poing, de pierres et de
crosse. La police et l’armée ont mis du temps à arriver - et lorsqu’elles sont
finalement arrivées, les soldats ont placé le berger et ses trois frères en
garde à vue, en suivant les instructions de l’un des colons, qui leur a dit qui
arrêter.
Et les envahisseurs ? Surprise, surprise : non
seulement aucun d’entre eux n’a été arrêté, mais la tente est toujours debout,
et les colons et leurs moutons sont toujours là, eux aussi. Bientôt, on peut le
supposer, il y aura encore un nouvel avant-poste de colons.
Telle est la vie dans le pays de la suprématie des
colons : le désordre total, en particulier dans les collines reculées du sud d’Hébron.
La victime devient le coupable et le coupable devient le procureur et le
vainqueur dans chaque lutte. C’est le système actuel, partout où c’est possible
: envahir par la force, apporter quelques moutons, et vite fait bien fait, vous
avez une “ferme”. Le gouvernement et l’armée ne dégagent plus rien. C’est ainsi
qu’un autre avant-poste est né dans les collines du sud d’Hébron, aux côtés de
ses trois prédécesseurs hors-la-loi - Havat Talia, Mitzpeh Yair et Susya.
Et le berger, sa famille et les autres propriétaires
terriens, tous résidents du hameau d’Imneizil [à 17 km au sud-ouest d’Al
Khalil] ? Ils essaieront de saisir la justice, mais dans ce pays de non-droit,
où même un ordre donné par le général commandant la région est ignoré par les
voyous colons, à quoi peut bien servir un tribunal ? Il faut dire adieu à la
terre.
Jihad Abu Sabha
Désespoir dans les collines du sud d’Hébron. Désespoir
lors de notre visite lundi dernier, lorsque les forces de défense israéliennes
ont envahi le camp de réfugiés de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie, et en
ont démoli certaines parties. Les habitants des collines, désemparés, étaient
de tout cœur avec ceux qu’ils considéraient comme des héros dans le camp de
Jénine. En effet, certains ne quittaient pas la télévision du matin au soir,
fascinés par les images déchirantes diffusées en temps réel. Mais leurs cœurs
étaient également tournés vers les quatre frères qui avaient été arrêtés.
Le désespoir dans les collines du sud d’Hébron est
palpable parmi les nombreuses et faibles communautés de bergers, plus
vulnérables que jamais aux abus physiques et matériels selon le bon vouloir des
colons, dont l’objectif est transparent et manifeste : prendre le contrôle du
plus grand nombre de terres possible afin d’expulser le plus grand nombre d’habitants
de ce territoire difficile, la patrie de ces Palestiniens et de leurs ancêtres.
Lundi, chez lui à Imneizil, le berger Jihad Abu Sabha
- né en 1967, l’année de l’occupation - est désemparé à l’idée que ses quatre
fils restent en détention. Le téléphone ne cesse de sonner, avec des appels d’avocats
et d’activistes qui veulent lui donner des nouvelles. Dimanche, le tribunal
militaire de la prison d’Ofer avait ordonné leur libération, mais la police a
rapidement fait appel de la décision et, le lendemain, ils n’avaient toujours
pas été libérés.
Quatre frères qui ont tenté de défendre leur terre ont
été attaqués par des colons et incarcérés, tandis que les colons qui empiètent
sur le territoire demeurent sur une terre qui leur est interdite par la loi. Et
tout cela le jour de la fête musulmane la plus sacrée. Imaginez que votre terre
soit envahie par des étrangers le jour de Yom Kippour. Peut-être les
envahisseurs ont-ils planifié leur pillage pour ce jour précis, ou peut-être n’ont-ils
jamais entendu parler de l’Aïd El Adha.
Abu Sabha est le père de 11 enfants. Les personnes
arrêtées sont ses quatre fils aînés : Ibrahim, 36 ans ; Mohammed, 30 ans ;
Mahmoud, 26 ans ; et Yusuf, 23 ans. Deux d’entre eux sont mariés et les deux
plus jeunes doivent se marier le mois prochain. Mahmoud garde les moutons de la
famille, ses trois frères ont des permis pour travailler en Israël comme
plâtriers et ouvriers du bâtiment. Leur père craint que ces permis ne soient
annulés parce que les colons ont volé leurs terres - c’est la forme de justice
habituelle dans ces régions. Quoi qu’il en soit, ils n’ont pas pu célébrer l’Aïd
El Adha.
L’avant-poste de Mitzpeh Yair dans
les collines du sud d’Hébron. Photo : Moti Milrod
Lorsque Jihad Abu Sabha s’est présenté au poste de
police de Kiryat Arba, une colonie urbaine jouxtant Hébron, dans l’espoir de
déposer une plainte contre les colons qui avaient attaqué ses fils, l’officier
à l’entrée lui a dit : « Hé, vous n’avez pas un jour férié aujourd’hui ? »
Ce à quoi Abu Sabha a répondu : « Vous nous avez tout gâché. Maintenant,
nous faisons la fête entre la police, l’armée et les colons ». L’officier n’a
accepté de prendre la plainte que le lendemain.
C’est le mercredi 28 juin que Mahmoud a emmené le
troupeau au pâturage. Peu après, son père a reçu un appel téléphonique d’un
membre de la famille Abu Kabirna, qui vit à côté de Havat Talia : « Je
vois une tente bleue à côté du puits sur votre terrain ». Le père a
immédiatement appelé son fils, mais Mahmoud a dit qu’il était encore dans le
wadi et qu’il n’était pas encore arrivé au sommet de la colline, où se trouve
le puits, et qu’il ne pouvait donc rien voir. Abu Sabha a appelé la police de
Kiryat Arba, et des policiers sont arrivés au poste de contrôle de Metzudat
Yehuda pour l’accueillir. Mahmoud a alors appelé son père pour l’informer qu’une
dizaine de colons armés se trouvaient sur leurs terres et qu’ils essayaient de
le chasser par la force.
Un officier de police a dit à Abu Sabha que lui et sa
famille n’étaient pas autorisés à se rendre dans le champ sans une escorte de l’armée,
mais l’armée a mis des heures à arriver. Abu Sabha s’est dirigé vers ses
terres, craignant pour le sort de son fils. Il a appelé les familles Nawajeh,
Harnat, Rashid et Samirat, des voisins qui possèdent également des terres dans
la même zone. Dans le passé, il n’y a pas eu beaucoup d’incidents avec les
colons dans cette zone, ce qui a conduit à l’émission de l’ordre du
commandement central.
Abu Sabha est arrivé sur le site accompagné de 10 à 15
voisins. Il a dit aux jeunes de se garer à distance et est allé parler aux
colons, dont certains qu’il connaît pour les avoir déjà affrontés, notamment
les propriétaires de la ferme Talia, Yedidya et Bezalel Talia. Il a demandé : « Pourquoi
êtes-vous ici ? » et a reçu la réponse habituelle : « C’est notre
terre ». À un moment donné, les Palestiniens ont commencé à démonter la
tente des colons, ce qui a déclenché des affrontements. L’une des personnes
accompagnant Abu Sabha, Mohammed Ali Rashid, 25 ans, a été blessée après avoir
reçu un coup de crosse et une pierre dans le dos. Il a passé une nuit à l’hôpital.
L’armée est arrivée, se souvient Abu Sabha, et les
soldats ont alors arrêté tous ceux que Yedidya Talia leur a demandé de mettre
en détention. Ils ont également arrêté deux volontaires - une Italienne et un
Israélien - venus aider les Palestiniens à protéger leurs biens. Ceux-là ont
ensuite été relâchés. Puis la police des frontières est arrivée et a ordonné à
tous les habitants de quitter leurs terres.
Jihad Abu Sabha avec ses fils
Quelques jours plus tard, l’avocate Qamar Mishriqi-Assad,
co-directrice de l’ONG Haqel : In Defense of Human Rights, qui accompagne
depuis de nombreuses années la lutte des habitants des collines du sud d’Hébron
pour conserver leurs terres, a envoyé une lettre urgente à l’administration
civile et à la police d’Hébron. Après avoir relaté les événements du 28 juin,
elle écrit : « Cet événement n’est pas isolé. Il est indissociable des
événements qui vous ont été rapportés la semaine dernière, qui se sont déroulés
ces derniers jours, menés par des militants d’extrême droite d’Im Tirtzu [une
organisation sioniste de droite] et des colons de l’avant-poste de Havat Talia,
alors que dans tous les cas les soldats déployés dans le secteur refusent de
manière flagrante d’intervenir pour mettre fin aux attaques des colons contre
les résidents. Si les structures sur le site ne sont pas enlevées et que l’ordre
de fermeture 3/06 n’est pas appliqué, les résidents n’auront d’autre choix que
de recourir à des mesures juridiques urgentes contre l’outrage au tribunal et
la violation de vos engagements envers la Haute Cour de justice ».
Les Palestiniens en question sont entourés par la
redoutable zone de tir 918, qui les empêche d’accéder à une grande partie de
leurs terres, dont certaines sont les mêmes que celles sur lesquelles les
colons se sont installés. Une autre partie de leur propriété a été expropriée
pour construire une route de patrouille vers les colonies et pour ériger le
point de contrôle de Metzudat Yehuda. Selon l’avocate Mishriqi-Assad, une zone
d’environ 600 dunams (= 60 ha) dans les collines du sud d’Hébron a été
progressivement occupée par des avant-postes - elle parle de “fuite des
avant-postes”. Dans sa lettre à l’administration civile, outre la demande d’enlèvement
immédiat de la tente, elle a demandé un rapport de la police israélienne sur
les mesures d’enquête prises à la suite des violences commises par les colons
au cours de l’incident, y compris des informations indiquant si les colons
armés avaient été convoqués pour être interrogés. À ce jour, elle n’a reçu aucune
réponse.
Une vidéo prise ce mercredi-là montre une dizaine de
colons, dont certains sont masqués, fusils en bandoulière, se promenant comme
des seigneurs et maîtres. Les Palestiniens semblent hésiter à les approcher.
Le jour de l’incident, l’unité du porte-parole de l’IDF
a fait la déclaration suivante à Haaretz : « Des frictions se sont
développées plus tôt dans la journée entre des citoyens israéliens et un
certain nombre de Palestiniens et d’activistes israéliens dans les collines du
sud de l’Hébron. Une unité de l’IDF est arrivée sur le site afin de mettre fin
aux troubles. Sept suspects ont été arrêtés, suite à l’usage de la violence et
de la résistance physique, et un certain nombre d’appareils photo et de
téléphones portables sur lesquels du matériel d’incrimination [sic] a été
trouvé, ont été confisqués et transférés pour suivi par les forces de sécurité ».
Cette semaine, nous avons observé le site de l’incident
à distance, en compagnie de Nasser Nawajah, chercheur de terrain pour l’organisation
israélienne de défense des droits humains B’Tselem. Il nous a demandé de ne pas
nous approcher, par crainte des colons. Nous pouvions voir la tente bleue sur
la colline, avec les véhicules des envahisseurs à côté. À droite se trouvait
Havat Talia, à gauche Mitzpeh Yair, et Susya était derrière, avec les
avant-postes qu’ils ont déjà créés. Les colons ont déplacé la tente de son
emplacement d’origine sur le toit de la grotte vers le puits, à quelques
dizaines de mètres, alors qu’ils n’ont aucune autorité ni aucun droit d’être
là. Ni sur le toit, ni à côté du puits. Trop craintifs pour s’approcher, les
bergers n’avaient aucun moyen de puiser de l’eau pour leurs moutons.
Le porte-parole du coordinateur des activités
gouvernementales dans les territoires n’a pas répondu à l’heure où nous mettons
sous presse, mais Haaretz a appris que mardi soir, les quatre frères Abu
Sabha ont été libérés sous caution.