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21/06/2025

Hammouchi (DGSN/DGST) contre Mansouri (DGED) : la guerre des barbouzes bat son plein et fait des victimes collatérales

Ignacio Cembrero, El Confidencial, 19/6/2025

Traduit par Tafsut Aït Baâmrane

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Listen to our podcast The Power Struggle Within Moroccan Intelligence: A Deep Dive into Hammouchi and Mansouri

Des dizaines de personnes proches de Mehdi Hijaouy, ancien « numéro 2 » de l’agence de renseignement extérieur marocaine, dont deux commissaires, ont été arrêtées et emprisonnées. La répression touche les membres des familles, ce qui n’était pas le cas pour les opposants.


Abdellatif Hammouchi, 59 ans, le super-flic du Maroc, fait la une des médias marocains tous les jours. Journaux et télévisions glorifient son succès lors des journées portes ouvertes organisées par la Sûreté Nationale en mai à El Jadida, avec 2,4 millions de visiteurs, ou son intervention à la 13e   rencontre internationale des hauts représentants chargés des questions de sécurité à Moscou, qui consolide « son rôle de figure centrale dans le domaine de la sécurité et du renseignement au niveau planétaire ».

Dans les coulisses, Hammouchi livre cependant une guerre sans merci contre la Direction Générale des Études et de la Documentation (DGED), le service secret extérieur dirigé par Yassine Mansouri. Cela a commencé par l’arrestation de dizaines de collaborateurs, amis et même  membres de la famille de Mehdi Hijaouy, 52 ans, qui fut en son temps le « numéro deux » de la DGED. Maintenant, c’est au tour de Yassine Mansouri, le directeur de la DGED. Le journal Barlamane, porte-parole fidèle de l’appareil de sécurité, a demandé samedi qu’une enquête soit ouverte sur l’acquisition de ses propriétés.


Mansouri avait déjà disparu de la salutation protocolaire au roi Mohammed VI à Tétouan à l’occasion de l’Aïd el-Adha, la plus grande fête de l’islam célébrée le samedi 7. Depuis, des rumeurs circulent sur sa disgrâce. Camarade de classe du roi Mohammed VI, Mansouri est en poste depuis 20 ans et était l’un des hommes les plus puissants du royaume.

Mehdi Hijaouy a fui le Maroc pour l’Espagne l’année dernière suite à de sérieux désaccords avec les autorités marocaines, qui ont demandé son extradition en septembre pour, entre autres motifs, avoir encouragé l’émigration illégale vers l’Espagne. Craignant d’être livré, il s’est rendu clandestinement en novembre dans un autre pays européen où il se cache.

La révélation de son séjour à Madrid a donné lieu à la publication d’une infinité d’articles injurieux dans la presse marocaine. « Mehdi Hijaouy : faux expert, vrai escroc », a titré, par exemple, Hespress, le journal numérique le plus lu, qui avait pourtant publié pendant des années des tribunes de l’ex-espion. Les journaux ont également mis en doute qu’il ait été le « numéro deux » de l’espionnage, le décrivant comme un simple pion. Claude Moniquet, un ancien agent de la Direction Générale de la Sécurité Extérieure française, a cependant confirmé en mai sur les réseaux sociaux qu’il avait occupé ce poste. Il a loué au passage « son expérience et ses réflexions » consignées dans un livre. Hijaouy a même agi en tant que chef suprême de l’agence lorsque Mansouri, le directeur, était en congé maladie prolongé.

Les attaques de la presse contre Hijaouy n’ont été que la première salve. Ensuite, il y a eu de nombreuses autres offensives menées par la Brigade Nationale de la Police Judiciaire (BNPJ), un corps d’élite sous les ordres de Hammouchi. Celui-ci détient un grand pouvoir car il est non seulement à la tête de la Sûreté Nationale (police) mais aussi de la Direction Générale de la Surveillance du Territoire (DGST), dédiée au contre-espionnage et à la lutte antiterroriste.

La BNPJ, qui mène habituellement de grandes enquêtes criminelles, se consacre désormais à élucider les prétendues irrégularités dans l’exploitation du centre de beauté Musky à Rabat, appartenant à l’épouse de Hijaouy, exilée à Madrid. Dans le cadre de ces enquêtes, la brigade policière a fini par convoquer la belle-sœur de Hijaouy, a fermé le centre, a également arrêté le chef de l’urbanisme et le directeur des services de la mairie de Rabat, qui avait accordé le permis d’ouverture, et a interrogé la mairesse de Rabat, Fatiha el Moudni.

Une vingtaine de victimes collatérales

Ces personnes n’ont pas été emprisonnées, mais dans le cercle d’amis de Hijaouy, plusieurs sont derrière les barreaux, purgeant, après un procès express, des peines de quelques années, mais pour des délits farfelus. Au Maroc, la justice n’est pas indépendante. Le cas le plus frappant est celui d’un commissaire de police, Khalid Bouatlaoui, 62 ans, qui a écopé de trois ans bien qu’il soitr le frère de Fouad Bouatlaoui, chef de la sécurité du prince héritier Moulay Hassan. Ce dernier a toujours montré son appréciation pour le travail du policier dédié à sa protection et a mis son veto à son transfert.

Au total, pour l’instant, une vingtaine de personnes ont été les victimes collatérales au Maroc de la fuite de Hijaouy du pays et de sa présence dans une cachette quelque part en Europe. La presse marocaine et les porte-parole officieux des autorités assurent, cependant, que Hijaouy comptait au moins deux collaborateurs connus à l’étranger. Les familles des deux hommes au Maroc sont également la cible de la redoutable brigade judiciaire. Le premier est Hicham Jerando, un youtubeur marocain basé à Montréal (Canada) d’où il lance des injures contre les autorités de Rabat, parfois émaillées d’informations sur de prétendus scandales de corruption étayées par des documents qu’il montre devant la caméra. L’une de ses sources serait Hijaouy lui-même qui se vengerait de cette manière.

Hicham Jerando a été condamné par contumace à 15 ans de prison par un tribunal de Rabat. Sept de ses proches ont été condamnés à des peines allant de deux mois à trois ans de prison pour complicité avec le prétendu diffamateur. Parmi eux figurent son neveu, qui passera trois ans en prison, et son beau-frère, condamné à deux ans. La police judiciaire a outrepassé ses droits et a même arrêté pendant quelques heures une nièce de Jerando, âgée de 14 ans, qui souffre d’une maladie rare. Comme elle ne pouvait pas la rendre à ses parents, les ayant arrêtés, elle a fini par l’interner dans un centre pour mineurs.


Mustafa Aziz dans un duo burlesque avec un autre personnage de karakouz, Farhat Mehenni, qui n'est rien moins que le “Président du 
Gouvernement Kabyle en Exil”

Le deuxième ami de Hijaouy à l’étranger est Mustafa Aziz, un homme d’affaires marocain octogénaire basé à Paris qui a travaillé pendant des années en Afrique pour le compte de Yassine Mansouri, le chef du service secret extérieur. Sa tâche consistait à recueillir un soutien à la « marocanité » du Sahara Occidental. Avec Hijaouy, il a récemment fondé « Le Maroc de demain », une association d’immigrés en Europe.

Avant que son fils Hadi ne soit condamné à deux ans, Mustafa Aziz a mis en ligne quelques vidéos dans lesquelles il exprime son incompréhension et son indignation que Rabat ait porté un coup si bas à quelqu’un comme lui qui s’est démené pour défendre discrètement les intérêts de son pays. Aziz est « un fugitif condamné pour fraude », lui a répondu la presse officielle marocaine, rappelant une escroquerie qu’il a commise il y a des années via l’une de ses entreprises.

Cyberattaques et révélations

De nombreux opposants marocains ont été emprisonnés dans des prisons officielles ou clandestines depuis que le pays a accédé à l’indépendance en 1956. Leurs familles souffrent de ces incarcérations pour de multiples raisons comme la difficulté à rendre visite aux détenus, l’isolement auquel ils sont soumis ou le manque de soins médicaux. Le système policier ne s’était cependant jamais acharné sur elles, comme c’est le cas actuellement avec les proches de Mehdi Hijaouy qui se sont retrouvés derrière les barreaux.

L’objectif de Hammouchi est d’abord de forcer Hijaouy à se taire– il détient des informations sur l’utilisation de Pegasus par le Maroc – puis à revenir et à se rendre, selon une source de renseignement européenne. Au milieu de cette série de règlements de comptes, des documents sur les actifs immobiliers de Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères, et, surtout, de Yassine Mansouri ont fait surface sur les réseaux.

Les révélations sont le produit d’un piratage par Jabaroot DZ, un prétendu groupe de hackers algériens, de la base de données de l’Agence Nationale de l’Enregistrement Foncier ou peut-être de Tawtik, une plateforme du Conseil National de l’Ordre des Notaires.

Mansouri a acquis au Maroc entre 2022 et 2023 des propriétés d’une valeur de 3,266 millions d’euros, selon ces documents, jamais démentis, qui circulent abondamment sur les réseaux sociaux. Le journaliste marocain Ali Lmrabet, exilé à Barcelone, a consacré une longue analyse sur sa chaîne YouTube pour tenter de démontrer que cet argent ne pouvait provenir de son salaire, équivalent à celui d’un ministre, et que son origine était autre.

De manière surprenante, le  journal Barlamane s’est rallié samedi aux soupçons du journaliste exilé. Il a même demandé l’ouverture d’une enquête sur l’acquisition par des fonctionnaires des propriétés figurant dans les documents piratés. Il ne donne pas de noms, mais il fait référence à Nasser Bourita et Yassine Mansouri. Dirigé par Mohamed Khabbachi, ancien porte-parole du ministère de l’Intérieur, Barlamane est le journal de Hammouchi.

Le piratage du registre notarial a été le deuxième, en moins de deux mois, à révéler des données troublantes. Le précédent, en avril, visait la Trésorerie Nationale de la Sécurité Sociale et a mis au jour des informations sur ses deux millions d’affiliés, parmi lesquels Mounir Majidi, secrétaire particulier du roi. Pour gérer Siger, le holding royal, il perçoit l’équivalent d’environ 120 000 euros par mois.

La dernière cyberattaque réussie a eu lieu le 8 juin et sa cible était le ministère de la Justice, dont des données sur 5 000 juges et 35 000 autres fonctionnaires ont été volées. Ces deux dernières attaques massives ont également été menées par les Algériens de Jabaroot DZ qui sont devenus un défi pour tous les services de sécurité du Maroc. Ils sont si efficaces pour infiltrer les bases de données que certains à Rabat soupçonnent qu’ils sont liés aux services secrets algériens.