Ignacio Cembrero, El Confidencial, 19/6/2025
Traduit par Tafsut Aït Baâmrane
Listen to our podcast The Power Struggle Within Moroccan Intelligence: A Deep Dive into Hammouchi and Mansouri
Des dizaines de personnes proches de Mehdi Hijaouy, ancien « numéro 2 » de l’agence de renseignement extérieur marocaine, dont deux commissaires, ont été arrêtées et emprisonnées. La répression touche les membres des familles, ce qui n’était pas le cas pour les opposants.
Dans les coulisses, Hammouchi livre
cependant une guerre sans merci contre la Direction Générale des Études et de
la Documentation (DGED), le service secret extérieur dirigé par Yassine
Mansouri. Cela a commencé par l’arrestation de dizaines de collaborateurs, amis
et même membres de la famille de Mehdi
Hijaouy, 52 ans, qui fut en son temps le « numéro deux » de la DGED.
Maintenant, c’est au tour de Yassine Mansouri, le directeur de la DGED. Le
journal Barlamane, porte-parole fidèle de l’appareil de sécurité, a
demandé samedi qu’une enquête soit ouverte sur l’acquisition de ses propriétés.
Mansouri avait déjà disparu de la
salutation protocolaire au roi Mohammed VI à Tétouan à l’occasion de l’Aïd
el-Adha, la plus grande fête de l’islam célébrée le samedi 7. Depuis, des
rumeurs circulent sur sa disgrâce. Camarade de classe du roi Mohammed VI,
Mansouri est en poste depuis 20 ans et était l’un des hommes les plus puissants
du royaume.
Mehdi Hijaouy a fui le Maroc pour
l’Espagne l’année dernière suite à de sérieux désaccords avec les autorités
marocaines, qui ont demandé son extradition en septembre pour, entre autres
motifs, avoir encouragé l’émigration illégale vers l’Espagne. Craignant d’être
livré, il s’est rendu clandestinement en novembre dans un autre pays européen
où il se cache.
La révélation de son séjour à Madrid a donné lieu à la publication d’une infinité d’articles injurieux dans la presse marocaine. « Mehdi Hijaouy : faux expert, vrai escroc », a titré, par exemple, Hespress, le journal numérique le plus lu, qui avait pourtant publié pendant des années des tribunes de l’ex-espion. Les journaux ont également mis en doute qu’il ait été le « numéro deux » de l’espionnage, le décrivant comme un simple pion. Claude Moniquet, un ancien agent de la Direction Générale de la Sécurité Extérieure française, a cependant confirmé en mai sur les réseaux sociaux qu’il avait occupé ce poste. Il a loué au passage « son expérience et ses réflexions » consignées dans un livre. Hijaouy a même agi en tant que chef suprême de l’agence lorsque Mansouri, le directeur, était en congé maladie prolongé.
Les attaques de la presse contre Hijaouy
n’ont été que la première salve. Ensuite, il y a eu de nombreuses autres
offensives menées par la Brigade Nationale de la Police Judiciaire (BNPJ), un
corps d’élite sous les ordres de Hammouchi. Celui-ci détient un grand pouvoir
car il est non seulement à la tête de la Sûreté Nationale (police) mais aussi
de la Direction Générale de la Surveillance du Territoire (DGST), dédiée au
contre-espionnage et à la lutte antiterroriste.
La BNPJ, qui mène habituellement de
grandes enquêtes criminelles, se consacre désormais à élucider les prétendues
irrégularités dans l’exploitation du centre de beauté Musky à Rabat,
appartenant à l’épouse de Hijaouy, exilée à Madrid. Dans le cadre de ces
enquêtes, la brigade policière a fini par convoquer la belle-sœur de Hijaouy, a
fermé le centre, a également arrêté le chef de l’urbanisme et le directeur des
services de la mairie de Rabat, qui avait accordé le permis d’ouverture, et a
interrogé la mairesse de Rabat, Fatiha el Moudni.
Une vingtaine de victimes
collatérales
Ces personnes n’ont pas été emprisonnées,
mais dans le cercle d’amis de Hijaouy, plusieurs sont derrière les barreaux,
purgeant, après un procès express, des peines de quelques années, mais pour des
délits farfelus. Au Maroc, la justice n’est pas indépendante. Le cas le plus
frappant est celui d’un commissaire de police, Khalid Bouatlaoui, 62 ans, qui a
écopé de trois ans bien qu’il soitr le frère de Fouad Bouatlaoui, chef de la
sécurité du prince héritier Moulay Hassan. Ce dernier a toujours montré son
appréciation pour le travail du policier dédié à sa protection et a mis son
veto à son transfert.
Au total, pour l’instant, une vingtaine
de personnes ont été les victimes collatérales au Maroc de la fuite de Hijaouy
du pays et de sa présence dans une cachette quelque part en Europe. La presse
marocaine et les porte-parole officieux des autorités assurent, cependant, que
Hijaouy comptait au moins deux collaborateurs connus à l’étranger. Les familles
des deux hommes au Maroc sont également la cible de la redoutable brigade
judiciaire. Le premier est Hicham Jerando, un youtubeur marocain basé à
Montréal (Canada) d’où il lance des injures contre les autorités de Rabat,
parfois émaillées d’informations sur de prétendus scandales de corruption
étayées par des documents qu’il montre devant la caméra. L’une de ses sources
serait Hijaouy lui-même qui se vengerait de cette manière.
Hicham Jerando a été condamné par
contumace à 15 ans de prison par un tribunal de Rabat. Sept de ses proches ont
été condamnés à des peines allant de deux mois à trois ans de prison pour
complicité avec le prétendu diffamateur. Parmi eux figurent son neveu, qui
passera trois ans en prison, et son beau-frère, condamné à deux ans. La police
judiciaire a outrepassé ses droits et a même arrêté pendant quelques heures une
nièce de Jerando, âgée de 14 ans, qui souffre d’une maladie rare. Comme elle ne
pouvait pas la rendre à ses parents, les ayant arrêtés, elle a fini par
l’interner dans un centre pour mineurs.
Mustafa Aziz dans un duo burlesque avec un autre personnage de karakouz, Farhat Mehenni, qui n'est rien moins que le “Président du Gouvernement Kabyle en Exil”
Le deuxième ami de Hijaouy à l’étranger
est Mustafa Aziz, un homme d’affaires marocain octogénaire basé à Paris qui a
travaillé pendant des années en Afrique pour le compte de Yassine Mansouri, le
chef du service secret extérieur. Sa tâche consistait à recueillir un soutien à
la « marocanité » du Sahara Occidental. Avec Hijaouy, il a récemment
fondé « Le Maroc de demain », une association d’immigrés en Europe.
Avant que son fils Hadi ne soit condamné
à deux ans, Mustafa Aziz a mis en ligne quelques vidéos dans lesquelles il
exprime son incompréhension et son indignation que Rabat ait porté un coup si
bas à quelqu’un comme lui qui s’est démené pour défendre discrètement les
intérêts de son pays. Aziz est « un fugitif condamné pour fraude »,
lui a répondu la presse officielle marocaine, rappelant une escroquerie qu’il a
commise il y a des années via l’une de ses entreprises.
Cyberattaques et révélations
De nombreux opposants marocains ont été
emprisonnés dans des prisons officielles ou clandestines depuis que le pays a
accédé à l’indépendance en 1956. Leurs familles souffrent de ces incarcérations
pour de multiples raisons comme la difficulté à rendre visite aux détenus,
l’isolement auquel ils sont soumis ou le manque de soins médicaux. Le système
policier ne s’était cependant jamais acharné sur elles, comme c’est le cas
actuellement avec les proches de Mehdi Hijaouy qui se sont retrouvés derrière
les barreaux.
L’objectif de Hammouchi est d’abord de
forcer Hijaouy à se taire– il détient des informations sur l’utilisation de
Pegasus par le Maroc – puis à revenir et à se rendre, selon une source de
renseignement européenne. Au milieu de cette série de règlements de comptes,
des documents sur les actifs immobiliers de Nasser Bourita, ministre des
Affaires étrangères, et, surtout, de Yassine Mansouri ont fait surface sur les
réseaux.
Les révélations sont le produit d’un
piratage par Jabaroot DZ, un prétendu groupe de hackers algériens, de la base
de données de l’Agence Nationale de l’Enregistrement Foncier ou peut-être de
Tawtik, une plateforme du Conseil National de l’Ordre des Notaires.
Mansouri a acquis au Maroc entre 2022 et
2023 des propriétés d’une valeur de 3,266 millions d’euros, selon ces
documents, jamais démentis, qui circulent abondamment sur les réseaux sociaux.
Le journaliste marocain Ali Lmrabet, exilé à Barcelone, a consacré une longue
analyse sur sa chaîne YouTube pour tenter de démontrer que cet argent ne
pouvait provenir de son salaire, équivalent à celui d’un ministre, et que son
origine était autre.
De manière surprenante, le journal Barlamane s’est rallié samedi
aux soupçons du journaliste exilé. Il a même demandé l’ouverture d’une enquête
sur l’acquisition par des fonctionnaires des propriétés figurant dans les
documents piratés. Il ne donne pas de noms, mais il fait référence à Nasser
Bourita et Yassine Mansouri. Dirigé par Mohamed Khabbachi, ancien porte-parole
du ministère de l’Intérieur, Barlamane est le journal de Hammouchi.
Le piratage du registre notarial a été
le deuxième, en moins de deux mois, à révéler des données troublantes. Le
précédent, en avril, visait la Trésorerie Nationale de la Sécurité Sociale et a
mis au jour des informations sur ses deux millions d’affiliés, parmi lesquels
Mounir Majidi, secrétaire particulier du roi. Pour gérer Siger, le holding
royal, il perçoit l’équivalent d’environ 120 000 euros par mois.
La dernière cyberattaque réussie a eu lieu le 8 juin et sa cible était le ministère de la Justice, dont des données sur 5 000 juges et 35 000 autres fonctionnaires ont été volées. Ces deux dernières attaques massives ont également été menées par les Algériens de Jabaroot DZ qui sont devenus un défi pour tous les services de sécurité du Maroc. Ils sont si efficaces pour infiltrer les bases de données que certains à Rabat soupçonnent qu’ils sont liés aux services secrets algériens.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire