04/06/2025

MALAININ LAKHAL
Néo-colonialisme 2.0 : le changement de cap de la Grande-Bretagne sur le Sahara occidental

Malainin Lakhal, The Panafrikanist, 3/6/2025


L’auteur est représentant
  permanent
adjoint de la RASD auprès de l’Union africaine
Traduit par Solidarité Maroc

 

Dans un virage controversé qui contrevient aux principes les plus fondamentaux du droit international et de la Charte des Nations Unies, le ministre britannique des Affaires étrangères, dans une déclaration conjointe avec son homologue marocain, a exprimé le soutien du Royaume-Uni à ce qui a été appelé « l’autonomie marocaine au Sahara occidental », la décrivant comme la solution « la plus crédible, la plus viable et la plus pragmatique » au conflit.

Cette déclaration n’est pas passée inaperçue ; elle a été largement rejetée et condamnée, non seulement par la République sahraouie et le Front Polisario, mais aussi par un certain nombre de politiciens et d’experts britanniques et non britanniques sur la question du Sahara occidental. Ils l’ont considéré comme une rupture dangereuse avec la position traditionnelle du Royaume-Uni et comme un soutien injustifié à une puissance occupante dans un différend international classé par les Nations Unies comme un cas de décolonisation.

David Lammy et Nasser Bourita

Ce changement de position de la Grande-Bretagne, malgré l’hypothèse que Londres ne reconnaît pas la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, reflète une contradiction flagrante entre les paroles et les actes. Il soulève de sérieuses questions quant à l’engagement du Royaume-Uni, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, envers le droit international et ses responsabilités morales envers les peuples qui luttent encore pour leur droit à l’autodétermination.

Bien que la Grande-Bretagne ait affirmé à plusieurs reprises l’importance d’un « ordre international fondé sur des règles » et exprimé son soutien de principe au droit à l’autodétermination, son approbation explicite de la soi-disant « proposition d’autonomie » du Maroc révèle un deux poids deux mesures troublant. Comment le Royaume-Uni, prétendument défenseur du droit international, peut-il considérer une initiative unilatérale d’une puissance occupante qui exploite illégalement des terres et des ressources comme une solution « réaliste » à une question de décolonisation que les Nations unies supervisent depuis 1963 ?

La proposition marocaine n’est rien d’autre qu’une manœuvre politique destinée à contourner la légalité internationale et à consolider l’occupation par le biais d’un langage trompeur tel que le « réalisme » et la « viabilité ». En réalité, le Maroc continue, par la force militaire, les violations systématiques des droits humains et le soutien de puissances néocoloniales et d’acteurs fonctionnels profondément complices dans l’alimentation des crises mondiales, à imposer un fait accompli à un peuple sans défense, privé de ses droits civils et politiques les plus élémentaires.

Toutes les juridictions internationales et régionales, y compris la Haute Cour du Royaume-Uni (2019), ainsi que tous les organes de l’ONU, ne reconnaissent aucune souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. En effet, la Cour internationale de justice, dans son avis consultatif de 1975, a conclu qu’il n’y avait pas de liens souverains entre le Maroc et le Sahara occidental. De même, les arrêts de la Cour européenne de justice, dont le plus récent date de 2024, affirment que tout accord économique impliquant le Sahara occidental sans le consentement du peuple sahraoui, représenté par le Front Polisario, est juridiquement nul. La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples est parvenue à une conclusion encore plus forte dans son arrêt de 2022.

Dans ce contexte juridique et politique clair, comment le Royaume-Uni, nation historiquement connue pour ses positions prudentes sur les différends internationaux, peut-il ignorer ces faits et apporter un soutien implicite à un État qui occupe un territoire sur lequel il ne détient aucune souveraineté légitime ?

Pour toutes ces raisons, le Front Polisario et l’ensemble de la communauté sahraouie rejettent la proposition marocaine d’autonomie comme un stratagème colonial destiné uniquement à conférer une fausse légitimité à une occupation militaire illégale. La proposition n’accorde pas au peuple sahraoui son droit inaliénable à l’autodétermination ; au contraire, elle présume à l’avance de la souveraineté marocaine sur le territoire et refuse aux Sahraouis la possibilité même de choisir l’indépendance.

De plus, le fait que la déclaration conjointe Royaume-Uni-Maroc se concentre exclusivement sur la proposition marocaine, sans faire référence à la proposition du Front Polisario soumise en 2007 et incluse dans le même paragraphe dans toutes les résolutions du Conseil de sécurité depuis lors, sape le principe de neutralité et expose un parti pris politiquement motivé. Une telle position ne sert pas la cause de la paix ; au contraire, elle aggrave l’impasse et encourage le Maroc à persister dans son intransigeance et ses tactiques dilatoires.

La vérité est que le Royaume-Uni, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité, a une responsabilité encore plus grande de faire respecter le droit international et les résolutions de l’ONU - qu’il s’agisse du Sahara occidental ou d’autres questions globales. En approuvant implicitement la proposition du Maroc, la Grande-Bretagne abdique cette responsabilité, fournit une couverture diplomatique à l’occupation illégale, et porte gravement atteinte à sa crédibilité, du moins aux yeux du peuple sahraoui et de ceux qui comprennent les complexités du conflit. Plus dangereux encore, ce soutien encourage le Maroc à continuer à faire obstruction au référendum convenu de longue date et accepté par toutes les parties en 1991.

Une paix véritable en Afrique du Nord ne peut être fondée sur la récompense de l’expansionnisme militaire et de l’occupation illégale et brutale. Elle doit être fondée sur le respect du droit des peuples à déterminer librement et honorablement leur propre destin. Donner la priorité à des intérêts économiques perçus ou à des alliances régionales plutôt qu’à des principes juridiques ne sert qu’à saper l’ensemble de l’ordre international et à affaiblir la crédibilité des institutions mondiales.

À la lumière de ces développements, la Grande-Bretagne doit être invitée à réévaluer sa position et à se réaligner sur la légitimité internationale, et non sur une occupation brutale et arrogante. Soutenir le peuple sahraoui dans sa lutte pour la liberté n’est pas simplement une position politique, c’est un véritable test des valeurs dont la Grande-Bretagne s’enorgueillit depuis longtemps : la justice, les droits humains et le respect des peuples.

En conclusion, il faut reconnaître que l’occupation marocaine a perdu le peu d’autonomie politique qu’elle prétendait avoir. Elle est désormais de plus en plus dirigée de l’extérieur de Rabat, parfois de Tel Aviv, parfois de certains États du Golfe bien connus ou de la France, qui sèment tous activement la discorde et alimentent l’hostilité régionale pour servir l’agenda d’un nouvel ordre colonial. Cet agenda se manifeste aujourd’hui par les préparatifs d’Abou Dhabi pour accueillir une nouvelle conférence réunissant les États que l’alliance coloniale émergente a réussi à influencer, dans le but de réimposer les réalités coloniales dans la région et en Afrique, en commençant par le Sahara occidental.

Cela ne fait-il pas écho à la tristement célèbre conférence de Berlin de 1884, qui a divisé le continent africain et ses peuples ?

Il est temps pour les nations occidentales, en particulier la Grande-Bretagne, d’abandonner les doubles standards et de prendre une position claire en faveur de la justice et de la légalité internationale dans le dernier cas de décolonisation en Afrique. Il est également temps pour les peuples qui résistent de reconnaître leurs adversaires et de se préparer à une confrontation décisive entre le pouvoir du droit et des principes et la force de l’agression et de la dépossession. 

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